Chapitre 1

Par Diogene

    — Bonjour !

    Penchée, une ombre la dominait. Elle cligna à plusieurs reprises des paupières ; un disque haut et blafard lui blessait les yeux. Maladroite, elle tenta de lever une main pour s’en protéger, mais ses muscles ne répondaient pas et son membre retomba lourdement sur sa poitrine. Au-dessus de sa figure, l’ombre semblait se mouvoir, puis elle se déplaça de quelques pas sur le côté, cependant qu’elle lui cachait la source de cette lumière trop crue.

    — Est-ce que ça va ?

    Que devrait-elle répondre ? Embarrassée, elle se contenta de hocher la tête, espérant que l’autre n’insisterait pas.

    — Je sais pas, mais tu n’as pas l’air dans ton assiette. En même temps, avec ce qui traîne ces derniers temps…

    L’ombre parut marquer une hésitation. Elle ne voyait toujours rien de son visage ; ses yeux ne s’étaient toujours pas habitué à la clarté crue du ciel. Cependant, il lui sembla qu’elle retrouvait un peu de motricité et de sensibilités dans ses membres, car elle se savait allongée sur de longues lattes dures et lisses, dont les espacements lui creusaient la chair et la rendaient douloureuse.

    — Tu sais quoi ?

    Encore une fois, elle saisissait chacun des mots qu’il lui adressait, mais elle était incapable de leur apporter une réponse. Aussi, se contenta-t-elle, encore une fois, de secouer la tête. L’ombre paraissait perplexe ; une main se portait à son visage, quand l’autre fouillait avec véhémence un trou dans son habit. Une poche ! Le mot s’était imposé à elle, comme une évidence, comme s’il avait toujours été présent, mais qu’il attendait le juste moment pour se révéler.

    — Attends ! Tu es muette ? C’est pour ça que tu ne peux pas me répondre ?

    Muette ? Elle ignorait tout du sens du mot. Pourtant, elle sentait qu’il lui fallait acquiescer, marquer son approbation. Son corps était perclus de douleurs, mais elle ne s’en inquiétait pas. Au contraire, cela la rassurait, car cela signifiait qu’elle recouvrait sa sensibilité et sa motricité. Déjà elle pouvait mouvoir ses doigts. Pendant ce temps, l’ombre s’était retirée et le disque crayeux lui blessa à nouveau les yeux. Néanmoins, elle avait réussi à lever sa main et à la mettre en bandeau devant ses yeux.

    — Bon, c’est pas grave ! J’ai pas de quoi écrire sous la main et si ça se trouve tu ne sais pas ! Mais on va se débrouiller.

    Ses phrases étaient désordonnées et sa locution brouillonne. Malgré tout, elle en saisissait tous les traits, à défaut du sens qui, peu à peu, s’éveillait à elle. Soudain, une chose brune, couverte d’une peau rêche se matérialisa sous ses yeux ; elle était reliée au reste du corps de l’ombre par un long appendice, recouvert d’une chair luisante et molle.

    — Prends ma main ! Allez ! Tu m’as l’air d’être encore pas mal dans les vapes ! Faut pas qu’on traîne plus longtemps ici, sinon la rousse va nous tomber dessus.

    De nouveau, elle entendait les mots, mais leur sens demeurait plongé dans une brume que rien ne semblait vouloir disperser. Pourtant, elle savait qu’elle devait attraper cette main tendue sous son nez et suivre l’ombre, quand bien même elle l’abandonnerait à la première occasion. Bandant sa volonté, elle ordonna aux muscles de son bras de se tendre et d’agripper la paume hérissée, qui s’avançait vers elle.

    Soudain, ses doigts rencontrèrent la chose. À son contact, elle réprima un frisson, non qu’elle eût ressenti la moindre peur, sentiment étranger s’il en était, plutôt une surprise, car elle était douce et chaude. Cependant, elle chassa bien vite cette inopportune sensation et ordonna à ses jambes de se déplier. Des crampes douloureuses lui électrisaient les muscles, les nerfs, les tendons, les os, comme si quelque chose en elle se reconstituait. Mais à peine s’était-elle levée, que déjà elle sentait l’ombre la tirer à elle, l’entraîner au travers d’un décor aux contours sombres et flous. Des fourmis couraient depuis ses pieds jusqu’à son abdomen et l’entravaient, refusant à son corps le devoir de courir.

    — Bouge pas ! souffla-t-elle et des bras puissants la soulevèrent comme si elle n’avait guère pesé plus qu’un sac de plumes. J’sais pas combien de temps j’te porterai ainsi. J’espère seulement que ça te donnera le temps de récupérer un peu.

    Comprenant que son corps aurait encore besoin de temps pour se reprendre, elle acquiesça et se tassa contre la poitrine de l’ombre. Comme ses bras, elle était enveloppée d’une étrange peau qui glissait sur ses habits avec un bruit de chose froissée. Aussitôt, le vent siffla à ses oreilles et le martèlement d’un pied sur un sol dur résonna entre les murs. La foulée était régulière, de même que les inspirations de l’ombre.

    Immobile, elle tentait d’habituer ses yeux à la lumière, encore trop vive, des lieux.

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Edouard PArle
Posté le 09/11/2021
Hey !
Ce que je peux dire c'est que tu écris très bien et que les phrase coulent avec naturel. La forme me paraît de très bonnes qualités.
Par contre sur le fond, tu m'as complètement perdu xD J'attends d'avoir un peu plus d'explications pour te faire des remarques. On sait si peu !
Bien à toi !
Diogene
Posté le 14/11/2021
Salut Edouard !
Attends-toi alors à être perdu de plus, car en la matière tu n'es pas au bout de tes surprises.
En effet, difficile de faire plus clair pour une entrée en matière.
Sina Edole Pari
Posté le 21/10/2021
Re! ^^
Alors on est pour le moins perdu (je me demande meme si on est en presence d’humain, c’est dire!) mais les points crutiaux sont la, ca nous suffit pour avancer. On comprend bien que l’heroine semble tout autant perdue que nous, qu’il faut s’eloigner et que les explications vont arriver... chapitre suivant!
Sina
Diogene
Posté le 24/10/2021
Re !
Perdu, tu ne le serai pas que je serai inquiet. Je comprends que tu doutes de leur nature, mais ils sont tout ce qu'il y a de plus humains (au moins en apparence).
Les explications, tu risques d'être surprises, j'aime les labyrinthes et c'est histoire en est un.
Elgonor
Posté le 02/09/2021
Bonjour,
Je découvre ton histoire avec intérêt et il me reste encore une quarantaine de chapitres à découvrir, j'ai hâte.
Le chapitre est agréable à lire, très fluide avec des descriptions précises.
à bientôt
Diogene
Posté le 09/09/2021
Merci.
Ne te précipite pas de trop, il y a en tout 64 chapitres pour cette histoire. Attention, cependant, aux chausse-trappes et aux faux-semblants ;)
joli_crabe
Posté le 24/07/2021
Je découvre avec intérêt le concept de ce site incitant à la rédaction de commentaires, c'est plutôt plaisant... tout autant que ce premier chapitre, aussi fluide que prometteur ! C'est moderne et maîtrisé.
Diogene
Posté le 25/07/2021
Bonsoir Joli Crabe,
Ravi de voir que tes premières lectures t'emmènent par ici. J'espère que la suite ne te décevra pas, surtout ne te perdra pas (car le risque est là. ;)
Anne CB
Posté le 18/07/2021
Très beau premier chapitre, bien écrit, avec un vocabulaire riche et poétique et un style très fluide, qui ménage habilement le mystère sur l'intrigue et les personnages.
Diogene
Posté le 25/07/2021
Bonsoir Anne
Merci pour cette lecture. Tu découvriras que chaque chapitre concerne un personnage à la fois, bien qu'il arrive qu'il se croise, jusqu'à leur réunion finale tu t'en doutes.
Melau
Posté le 08/06/2021
Coucou ! :)
Ce début est très intriguant. J'apprécie beaucoup ton style, très fluide et agréable à lire. On se pose pas mal de questions sur tout ce qui entoure non seulement "l'ombre" mais aussi le second personnage. Et puis... "la rousse" ? Eh bien ! Que de mystères pour ce premier chapitre ! En tous cas j'apprécie plutôt pas mal pour l'instant.
Diogene
Posté le 15/06/2021
Bonsoir Melau
(navré du retard à la réponse, je cours partout)
Ravi que ce premier chapitre te plaise, j'espère que la suite le sera tout autant. En passant, lorsque mon personnage parle de Rousse, il faut entendre l'emploi de l'argot, un peu décalé d'ailleurs dans ce contexte. En bref, il fait allusion aux "flics", les guillemets sont de circonstance, comme tu le découvriras plus tard.
AnneRakeCollin
Posté le 14/04/2021
Je suis d'accord, j'aime aussi beaucoup le style et tes descriptions :) Je ne vois pas pourquoi les gens n'aimeraient pas. C'est intriguant ! L'ombre me fait penser à Calcifer dans le Chateau Ambulant
Diogene
Posté le 15/04/2021
Bonjour Anne,
Ah ben, comme dirait l'autre, merci pour ce compliment (c'est seulement le fruit de longues observations)
Oups, l'ombre n'a rien à voir avec Calcifer (au passage j'adore le Château Ambulant). Pourtant, ta remarque m'amène à me demander s'il n'y a pas une influence des films de Myasaki dans mon roman.
Merci pour ta lecture Anne
Aspen_Virgo
Posté le 13/04/2021
J'ai hâte de lire la suite !
Il y a une part de mystère dans cette histoire... on se demande qui sont ces deux personnes et ce qui leur arrive (même si, vu le titre, on peut s'en douter...) qui sont attachants, malgré le peu que l'on sait d'eux. La simplicité des questions... le fait que l'ombre se soucie de l'autre personnage, qu'elle souffre pour l'aider à se redresser.
Le style est très visuel, sensoriel. On sentirait presque les lattes de bois sous le dos et les muscles qui tiraillent !
Merci pour ces chapitres !
Diogene
Posté le 14/04/2021
Bonjour Aspen,

Tout d'abord ravi de voir que mon histoire a su retenir ton attention. Et ce mystère que tu entrevois dans ce premier chapitre n'est que l'un des nombreux qui jalonnera l'histoire.
En outre, merci du compliment à propos de mon style qui, je le crains, en rebute plus d'un.
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