Vent d'hiver (4)

Par Pouiny
Notes de l’auteur : TW - Homophobie

Je restai au lit plusieurs jours à seulement dormir et lire quelques livres. Épuisé de ne rien faire, je me sentais d’autant plus triste pour ma sœur pour qui mon rythme imposé était le quotidien. Déprimé de ne plus pouvoir la voir, je ne sortis pas même une fois plus ou moins remis. Pendant plusieurs jours, mon appareil photo prit la poussière, alors que j’essayais mollement mes affaires de sport dans ma chambre, le moral à zéro. La fenêtre ouverte me montrait chaque jour un soleil qui me paraissait ridiculement identique aux autres jours. J’avais pourtant gardé mes sonneries de chronomètre pour chaque heure où il me fallait prendre des photos pour ma sœur, comme pour me rappeler à un devoir que je n’arrivais pas à accomplir.
 

Il me fallut une matinée particulière pour sortir à nouveau de ma chambre et de ma torpeur. Après plusieurs jours à ne rien faire, sans même toucher une seule fois mon appareil photo, je me levai un matin sous la sonnerie d’un de mes réveils. Je l’éteignis machinalement et ouvrit les volets. Ceux-ci étaient à peine ouverts à mi hauteur que la couche blanche qui enveloppait le rebord de ma fenêtre me fit ouvrir les yeux en grands.

La neige, dans ma petite ville, même en haut de mes montagnes, n’était pas très courante. Le climat était souvent bien trop chaud ou trop froid. Ainsi il pouvait se passer plusieurs hivers sans avoir de neige. Ce ne fut pas le cas cette année là ; une nappe blanche recouvrait le moindre objet abandonné dehors pendant la nuit. Un beau ciel bleu après sans doute une tempête durant la nuit m'offrait la vision d’un lever de soleil, timide et pale. Reflété et aspiré par la neige, le paysage entier semblait s’illuminer d’un coup. Il ne me fallut pas bien longtemps pour prendre ma boussole, mon chronomètre, mon appareil photo, des bottes bien épaisses pour courir dehors comme un enfant.

 

Je passai toute la journée dehors, du lever au coucher du soleil pour utiliser plusieurs films de pellicule en une seule et même journée. Tout me paraissait en tout point différent de ce que je pouvais voir d’ordinaire. Les abords de la ville semblaient figé ; les véhicules ne roulaient plus, seuls quelques gamins joueurs arpentaient les rues froides. Le bruit de mes pas, la sensation de la neige s’écrasant sous mon poids me faisait retourner en enfance. Sur les bords de la route se trouvaient des voitures avec plus ou moins de neige sur leur carrosserie. Sur la vitre des pares-brises, au fil des heures se reflétait un soleil agrandi par toute la blancheur du paysage. Bien ralenti par la neige qui m’arrivaient au milieu des tibias, je pris le temps de prendre en photo le moindre détail qui me semblait intéressant, tant qu’on pouvait y voir le soleil. Les photos de ce jour là firent une belle part au reflet, le soleil se reflétant partout dans la ville, a peine déneigée, puis plus tard dans la montagne dans les gouttes d’eau fondant sous l’effet des rayons.

Je ne pouvais pas courir très longtemps dans la poudreuse, et je m’attendais à en être frustré. Mais au final l’effort de fond qu’il m’avait fallu toute ce jour à randonner partout où je pouvais aller fut bien suffisant en soit, avec comme des poids accrochés à mes jambes. Aussi plaisante et revigorante était cette journée, elle fut aussi une des plus productive de mon mois d’hiver. Impatient de pouvoir montrer tout ceci à Béryl, je retournai au lycée dès le lendemain avec une enveloppe scellée que je donnai à l’infirmier.

« Cela faisait longtemps que tu ne m’avais plus demandé de faire ça, s’étonna-t-il.

– S’il vous plaît, monsieur, je ne peux pas y retourner moi même avant plusieurs semaines… »

Si la majorité des symptômes les plus embêtants pour moi étaient partis, il en restai quelques uns, ainsi que la contagion possible. Il n’eut pas l’air de s’étonner plus que ça de ma plaidoirie.

« J’aimerais beaucoup te faire tenir un marché pour qu’en échange de mon service tu acceptes de faire des efforts dans tes études, mais je sais très bien que tu ne tiendrais pas un tel engagement. »

Je ne pus pas répondre, car il avait parfaitement raison. Il soupira, les doigts sur la tempe :

« Bon… Je vais t’aider pour ces prochains jours, mais Aïden, s’il te plaît, regarde un tant soit peu pour ton avenir. D’accord ?

– Je… Je vais essayer. »

Je me sentais penaud en lui répondant. Assez mal à l’aise, je pris congé assez rapidement, me retrouvant bientôt dans la cours. Une foule d’élève bruyante m’envahis les oreilles. J’avais souvent tendance à éviter les lieux où il pouvait avoir du monde dans le lycée. Au milieu des multiples groupes qui parlaient, criaient, riaient, je me sentais comme un chien dans un jeu de quille. Traversant maladroitement le préau bondé, une sonnerie retentit alors pour intimer l’ordre aux élèves d’aller en cours. Pour cette heure-ci, j’avais normalement mathématiques, qui était l’une de mes bêtes noires. Je fermis les yeux au milieu du boucan, immobile, tentant de me visualiser quelques secondes en train d’assister au cours que je devais avoir. Mon cœur s’accéléra d’une manière inexplicable et me confirma l’idée de disparaître durant cette heure-ci. Après tout, l’infirmier m’avait demandé de me renseigner sur mon avenir, pas d’être consciencieux dans mon travail.

 

Alors que un flot continu d’élève se dirigeait vers les couloirs et autres salles de cours, je pris la direction inverse du courant et me dirigeai vers la bibliothèque. Me sentant redevable envers l’infirmier qui avait, à sa manière, décidé de me faire confiance, je voulais dès l’instant prouver ma bonne foi et récupérer des informations sur ce que je pouvais faire dans le futur. La bibliothèque était un endroit où je n’allais jamais ; je lisais peu, il y avait souvent trop d’élèves, et une seule sonnerie inopinée de mon chronomètre m’aurait valu une exclusion pure et simple de la salle. Je pris bien soin d’éteindre celui ci avant de m’avancer vers les étagères.

 

Le silence et la pureté qui émanait de ce lieu était presque religieuse. Étant présent pendant une heure de cours, il y avait moins d’élèves que je pouvais l’imaginer et tous étaient calmes, concentrés dans leur travail ou leur lecture. L’ambiance étrange me prit à la gorge, me sentant en même temps calmé et étranger. Ayant peur de ne pas faire quelque chose qu’il fallait, je me dirigeai assez vite et discrètement vers une étagère contenant des livres, des magasines ou des brochures sur différentes formations. Tous me semblaient identique ; j’en pris un au hasard, puis m’assis dans un coin de salle, essayant d’être discret.

 

Était-ce du justement à cette volonté trop forte d’être invisible ? Où alors juste ma grande taille et mon malaise ? Toujours est-il qu’il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que j’entende chuchoter pas loin de moi :

« c’est Aïden !

Non, tu es sûr ?

Oui, certain, il était dans ma classe l’année dernière !

C’est pas possible, il a appris à lire, tu crois ?

Je pense qu’il doit faire semblant, après tout, c’est un handicapé.

Quoi ? Mais non, n’importe quoi !

Bah si, je te jure !

Mais non, c’est sa sœur qui est débile, lui il est normal !

Bah si sa sœur est folle, c’est congénital, non ?

Surtout qu’ils sont jumeaux, ça doit se transmettre.

Ah ouais, t’as raison, ça doit être pour ça qu’il ne sait rien faire ! »

Essayant de me boucher intérieurement les oreilles, j’essayais de rester le plus immobile possible, le regard fixé dans mon livre. Malheureusement, les oreilles ne possèdent pas de paupières qui permettrait de filtrer le son. En un éclair, je me rappelai comment m’avait suivi une réputation de brute sans cervelle sans pour en avoir spécialement l'apparence.

 

Je ne me souviens pas d’un jour au collège sans brimade sur ma sœur. Dans les établissements, les informations allaient vite, et il suffisait d’un seul adulte pas très attentif pour que tout le monde fût au courant. Au début outré, j’avais vivement frappé quiconque disant du mal de ma sœur jumelle. Mais même avec la force d’un super héro, je ne pouvais pas frapper un à un, chaque jour, cinq cent personnes. Tous les jours, de nouvelles têtes que je ne connaissais pas, venaient vers moi avec des questions indiscrètes, des insultes, des mauvaises blagues ou des remarques déplacées. Alors j’avais fini par laisser tomber. Je m’isolais dans mon coin sombre, avec ma sœur, mon sport et désormais mes photos, pendant que les murmures incessants des autres s’éloignaient de moi. Je vivais plus ou moins agréablement ainsi. Mais parfois moins que plus. Au bout de quelques minutes à entendre des inepties sur ma sœur et moi, ma main finit par trembler. Je faisais semblant de lire et de tourner les pages, me concentrant que sur les muscles de mon faciès pour qu’il ne se torde d’aucune façon. Mes jambes, en revanche, cachées sous une table, étaient comme sur ressors. Je me préparais à n’importe quel moment de bondir de ma chaise, quand une voix plus sonore que les autres parut m’arracher un tympan :

« Mais c’est Aïden ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Je ne te vois jamais là, d’habitude ! »

En vérité, il avait du parler d’une voix normale et c’était moi qui devait commencer à devenir fou, car il ne fut pas repris par le bruit qu’il avait causé. En revanche, les chuchotements et les regards en coin s’estompèrent légèrement. Seuls quelques personnes encore continuaient :

« Mais c’est Bastien ? Qu’est-ce qu’il fait ?

Tu crois qu’ils sont potes ?

Tu rigoles ? Aïden n’est ami avec personne, c’est une brute ! »

Je secouai la tête vivement pour me déconcentrer des autres, et dévisageai la personne qui me faisait face. C’était un jeune homme souriant, aux yeux verts et aux longs cheveux blonds attachés en une queue basse, dont je me souvenais avoir vu plusieurs fois dans les clubs de sport. Pourtant, je ne pus m’empêcher de bredouiller :

« Je ne te connais pas. »

Mon interlocuteur eut un rire aussi franc qu’il pouvait se le permettre dans une bibliothèque.

« On a joué ensemble au dernier tournoi de badminton ! J’ai pu gagner, grâce à toi. Tu permets que je m’assois ? »

Et sans même attendre ma réponse, il prit la chaise a coté de moi. Passé la surprise, mon envie de partir se réveilla, et me sembla insurmontable quand je compris qu’il allait rester. Il ouvrit son livre, et j’eus l’espoir qu’il ne rajoutât rien de plus, espoir anéanti quand il regarda la couverture de mon magasine et me demanda :

« Ah, alors comme ça tu cherches ce que tu vas faire plus tard ? Tu as quelques idées, où tu te renseignes au hasard ? »

Je ne répondis pas. Je ne voulais pas répondre. Commencer une conversation avec un inconnu, alors qu’autour de moi grouillait un nombre de personnes aux oreilles ouvertes et attentives… Peut-être était-il du groupe, et cherchait à se moquer ou m’humilier ? Peut être essayait-il juste de me tromper avant de partir sur des conversations par rapport à ma sœur ? Je n’avais pas le temps de me rendre compte de ma méfiance abusive que les murmures à mes oreilles sonnaient à nouveau :

« Alors c’est vrai ce qu’on dit…

Quoi donc, quoi donc ?

Bastien aussi est un handicapé ! Mais là, quand même, il tombe bas… Sa prochaine proie est vraiment nulle !

Quoi ? Mais pourquoi tu dis ça ?

Bah, Bastien, c’est une folle !

Tu ne l’avais jamais vu ? »

Mes jambes se redressèrent d’un seul coup, presque par réflexe à l’entente des ricanements gras des autres élèves, caché derrière des dictionnaires. Surpris, le jeune homme redressa le regard vers moi. Incapable de déterminer si il avait entendu ou non, je ne pus pas lui dire un mot, perdu. Je restai immobile, le fixant comme dans un moment de panique. Ses yeux verts semblaient innocent et interrogatifs. Au bout de quelques secondes, me sentant bloqué sans doute, il demanda :

« Aïden ? Tout va bien ? »

Prendre une inspiration ne fut jamais aussi dur qu’à cet instant de ma vie. J’écrasais mon livre sur la table qu’il y avait entre nous et je murmurai presque aussi bas que les autres :

« Désolé, je ne peux pas. »

Et sans le regarder davantage ou même attendre sa réaction, je partis presque en courant de cette salle comme si je manquais d’air. Je sortis du lycée en courant, remettant a jour mon chronomètre dans le même temps. Je me sentais minable. Je me sentais incapable. Je me sentais aussi sale que ces ordures, caché dans une bibliothèque, chuchotant des insultes dans le dos des gens, se sentant invulnérable dans le silence religieux de la bibliothèque. Le monde me sembla insupportable, alors que ma boussole m’orientait vers un angle où le soleil serait parfait. Sous la lumière de l’astre, tout le reste me semblait affreusement sombre.

 

Je ne pris aucune photo d’ombre sur mes photos de soleil ce jour là, ni les jours suivants. Dans le monde parfait que je voulais construire pour Béryl, il était impensable que des ombres pareilles puissent exister. Je me refusai de lui expliquer ce que pouvait être le harcèlement, et ce dont elle pourrait être victime si un jour par miracle elle pouvait sortir, avec ses longs cheveux blancs et ses yeux rouges. Le monde dont ma sœur devait rêver ne devait en rien ressembler à celui dans lequel je vivais.

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