Le jour où... J'ai perdu la mémoire

Par Fy_

  Toute une vie volatillisée devant mes yeux...

 

  Il y a ce jour. Ce jour où j'ai perdu la mémoire. Et puis les suivants, ceux qui ont passé jusqu'à aujourd'hui. Mais avant, c'est le néant. Je n'ai plus aucun souvenir. Un trou noir indéniable a pris la place de tous mes souvenirs, mes chers souvenirs. Encore maintenant, il m'arrive d'avoir des failles dans la mémoire, de me retrouver quelque part sans savoir où je suis...

  C'est donc pour cela qu'avant de l'oublier, je voulais raconter ce jour à quelqu'un. Le jour où j'ai perdu la mémoire...

  Tout ce dont je me souviens, c'est d'être partie à l'étang.

 

  Au bord de l'étang, par un bel après-midi de mai...

 

  Je suis venue me réfugier dans cet endroit à l'abri des regards dans l'espoir d'y trouver un peu de quiétude. J'aime beaucoup y venir et regarder l'eau des heures durant. Je trouve que le silence est le plus beau des échos quand il résonne dans la nature...

  Assise en tailleur dans l'herbe haute, j'écoute la nature éclore. Mes yeux semblent en percer à jour chaque recoin, scruter chaque détail...

  Le soleil caresse ma peau et me procure une chaleur agréable. L'érable au-dessus de moi laisse tomber ses samares qui voltigent dans le vent et viennent se poser sur le sol dans une danse tourbillonnante. J'en attrape une au passage et l'examine entre mes doigts. Les deux ailes délicates sont dentelées. Les regarder m'émerveille. Je laisse tomber la samare dans l'eau, provoquant des cercles à la surface de l'étang. À l'endroit même où les remous se dessinent, des bulles apparaissent. Je les vois remonter et éclater au contact de l'air. Il doit y avoir un animal aquatique dessous...

  Les bulles se font de plus en plus nombreuses et éclatent dans de petits "pops". 

  Soudain, quelque chose émerge sous les bulles. Une tête, puis un cou sortent de l'eau. Je regarde cette étrange apparition sans bouger. Je ne me souviens plus pourquoi je réagis ainsi. C'est vrai qu'en y pensant, les circonstances auraient dû m'affoler.

  La tête est humaine, sauf que la peau de son visage est bleu nacré. Des cheveux, bleus également, flottent autour de son corps. Cette créature de l'eau se tourne vers moi, et sans prévenir, elle souffle dans ma direction. Son soupir lâche une brise légère qui fait voler ma chevelure sur mon visage. J'écarquille les yeux. Une tache blanche m'éblouit un instant. Je me suis évanouie.

  Quand je me réveille, je me demande où je suis. J'ai la vague impression d'avoir raté quelque chose... Non, pas raté. Oublié. Je... ? Comment je m'appelle ? D'où je viens ? Impossible de me souvenir...

  Je me suis levée et j'ai marché jusqu'en ville, où, par chance, j'ai croisé une connaissance qui m'a gentiment ramenée à la maison. On a beau me redire tout ce dont j'étais censée avoir des souvenirs, rien n'y fait, c'est le trou noir.

  Pourtant, si je ne me rappelle plus de ce qu'il s'est passé avant ce jour, la créature elle, est claire et nette dans mon esprit. Je ne l'ai pas rêvée et je suis persuadée que c'est elle qui m'a volé ma mémoire.

  Mais qu'ai-je fait pour mériter un tel sort ?

  Je ne crois pas avoir été trop curieuse... D'ailleurs, qu'est-ce que je dis, moi, qu'est-ce que je fais là avec ce stylo ? Mince, je ne me souviens plus...

 

  Fy

 

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mediator6688
Posté le 29/06/2021
Le décor champêtre m'a transporté un instant au pied de ton arbre. J'aime beaucoup la manière dont tu décris tes scènes et les mots que tu utilises sont riches et appuient d'autant mieux tes descriptions. C'est très agréable :)
Fichu bonhomme bleu, n'aurait-il pas pu la laisser tranquille?
Fy_
Posté le 01/07/2021
Je crois malheureusement que l'imagination est là pour partir dans tous les sens du possible x) si la créature avait laissé l'héroïne tranquille je n'aurais rien eu à raconter !
Merci pour ce gentil commentaire, au plaisir !
Fy
Fannie
Posté le 23/04/2021
C’est un joli texte. On dirait que la mémoire de la narratrice se dérobe quand elle tente de se remémorer son passé, de s’expliquer ce qui est arrivé, ce qui amène la chute.
Il y a des années, j’ai lu un livre qui raconte la vie d’un homme après une agression qui l’a laissé sans aucun souvenir. Il a dû tout réapprendre (sauf à conduire, curieusement) et il a dû refaire connaissance avec ses proches. C’est déjà difficile de vivre avec une telle perte de mémoire quand on arrive à se souvenir de tout ce qui s’est passé après l’évènement ; mais si les nouveaux souvenirs s’effacent aussi, je n’arrive même pas à imaginer le cauchemar. La vie ne doit plus avoir de sens…
C’est marrant, Mariedeloin ressent l’angoisse et le désarroi de la narratrice alors que moi, j’ai plutôt l’impression qu’elle subit tout ça un peu comme si ses sentiments étaient partiellement anesthésiés.
Coquilles et remarques :
— Au bord de l'étang, par un bel après-midi de Mai… [de mai ; il n’y a pas de majuscule aux noms de mois en français]
— Mes yeux semblent en percer chaque recoin à jour, scruter chaque détail… [Je propose : « en percer à jour chaque recoin » ; il vaut mieux éviter de couper la locution « percer à jour ».]
— L'érable au dessus de moi laisse tomber [au-dessus de]
— ses samarres qui voltigent dans le vent / je laisse tomber le samarre dans l'eau [il n’y a qu’un « r » à « samare(s) » / la samare ; nom féminin]
— J'en attrappe un au passage et l'examine entre mes doigts [J'en attrape / une (puisque « samare » est féminin)]
— Soudainement, quelque chose émerge sous les bulles. [Je trouve que « Soudain » est généralement plus expressif, plus percutant que « Soudainement » au début d’une phrase.]
— Je regarde cette étrange apparaition sans bouger [apparition]
— Je ne me souviens plus pourquoi je réagis ainsi, c'est vrai qu'en y pensant, les circonstances auraient dû m'affoler. [Je mettrais plutôt un point ou un point-virgule après « ainsi ».]
— La tête est humaine, sauf que la peau de son visage est bleu nacrée [« bleu nacré » si c’est le bleu qui est nacré ou « bleue et nacrée » s’il s’agit de la peau]
— Une tâche blanche m'éblouit un instant. [Une tache ; à ne pas confondre avec « une tâche », qui est un travail à faire.]
— Je me suis levée et ai marché jusqu'en ville, et ai par chance croisé une connaissance [Répétition de « et ai ». / L’enchaînement « Je me suis levée et ai marché » n’est pas possible parce que « Je » (sans élision) ne peut pas être le sujet de « ai ». Je propose : « Je me suis levée et j’ai marché jusqu'en ville où, par chance, j'ai croisé une connaissance ». (Il ne me semble pas judicieux ni élégant de placer « par chance » entre l'auxiliaire et le participe passé).]
— Pourtant, si je ne me remémore plus ce qu'il s'est passé [Normalement « se remémorer », c’est faire surgir volontairement des souvenirs ; donc ici, je propose « je ne me rappelle plus ».]
— Mais qu'ais-je fait pour mériter un tel sort ? [qu'ai-je]
— Je ne me rappelle pas avoir été trop curieuse… [Si tu appliques ma précédente proposition et que tu veux éviter la répétition, je propose « Je ne pense/crois pas ».]
— D'ailleurs, qu'est-ce que je dis moi, qu'est-ce que je fais là avec ce stylo ? [Il faudrait placer « moi » entre deux virgules.]
Fy_
Posté le 24/04/2021
Cette histoire que tu as lue me dit quelque chose...

C'est en effet amusant de voir que chaque lecteur interprète et ressent les choses différemment. Je n'avais pas spécialement cherché à mettre de l'angoisse dans ce texte.

Merci à toi pour tes conseils, j'apprends des choses à chaque commentaire ;)
Fy
mariedeloin
Posté le 25/01/2021
Encore un mystère... Qui est cette créature bleue? Une qu'on ne doit pas connaître et qui vole la mémoire de celles qui les aperçoivent par hasard?
Jolie texte!
J'adore les dernières phrases qui montrent l'angoisse d'avoir perdu ses souvenirs. Dans quel état de désarroi on doit se sentir à chaque instant...


("J'écrate les yeux" -->> j'écarte)
Fy_
Posté le 28/01/2021
Eh oui mystère ! :)
Merci à toi pour ton commentaire il fait très plaisir :)
Merci aussi d'avoir repéré la coquille, je la corrige de suite !
Au plaisir de te lire,
Fy
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