IV¨

Elle ne reprit le controle de ses émotions qu'une fois parvenue aux abords de sa chambre. Elle s'enferma et plongea très, très loin a l'interieur de son Rêve. S'enfouissant en elle même de honte. S'ensevelissant. S'avilissant d'un plaisir coupable. Tachant de renier ce désir ardent qui la tiraillait.

Elle avait l'envie de ses mains, l'envie de sentir ses lèvres contre sa peau. L'envie qu'il lui fasse ces choses qu'elle n'oserait même pas imaginer. l'envie de le sentir en elle, qu'il la pénètre.

Elle se mordit l'interieur de la joue et tenta d'éteindre ces flammes ardente qui lèchaient les remparts de son esprit. Elle planta ses ongles dans le creux de ses omoplates, en aveu de la corruption qui la guettait.

Non, non, non, non, non, non, non, non, non, non. Sort de ma tête.

 

Elle partit au terrain d'entrainement et jetta son esprit dans les affrontements. Oublieuse.

 

Inhé avait tout vu. Installée sur sa petite chaise elle avait tout vu. Et maintenant elle regardait le maitre faire tourner la liqueur dans sa coupe. Il la faisait tourner, tourner et les cuisses de l'alcool venaient lecher les rebords du verre. Il regardait lui aussi et il ne buvait pas. Les reflets se mouvaient dans l'ambre a chacun de ses geste, c'était beau.

 

Elle lui proposa une partie de go. Il vida son verre d'un trait avant de refuser.

  • Tu penses a elle ?

     

     

     

    Ce n'est pas bien ce que tu lui as fait.

     

     

     

    Tu sais elle n'a pas joué son premier coup dans l'angle en haut a droite. C'est pas bien non plus. Elle ne connait pas le go et elle joue au hasard de ses souvenirs.

     

Le maitre siffla d'entre ses lèvres serrées et Inhé se tu. Vexée, la petite fille fit bande a part et entreprit de jouer contre elle même. Dessinant sur le goban sa colère en une partie bordélique.

Le maitre s'accomoda du bruit des pierres jouées et se concentra sur sa lecture. Je n'en ai pas finit avec toi.

 

- Isha !

L'interjonction vint rompre le vide de ses pensées. Elle vit la face rouge de Rustaud. Et sentit son bras exercer la pression qui lui obstruait la gorge. Elle relacha son étreinte et roula sur coté. Rustaud resta a quatre pattes hahanant, cherchant de grandes gorgées d'air.

Oko se tenait face a elle, et dans son regard elle voyait l'inquiétude percer sous l'apparente maitrise dont il faisait preuve.

Il s'inquiete pour moi ? Un vision fugitive de sa tentative d'assassinat. Au mépris qu'elle ne discernait plus dans son attitude. Elle sentit une digue se rompre en elle. Le besoin de sa présence, de son écoute. Elle lui attrapa le bras et l'entraina a sa suite. Laissant Rustaud haleter comme un souffreteux.

 

Sa main serrée sur ce poignet. De peur de perdre ce contact ses phalanges blanchissent, au point de douleur chez le jeune homme. Ne desserant sa prise qu'une fois parvenue dans l'encadrure de sa porte. Elle ouvrit et le regarda, demandant en ses yeux à ce qu'il la suive. Et il la suivit, attiré par cette fille dont émanait une douce lueur.

 

Elle s'accroupit sur sa paillaisse. Baissa la tête et passa ses doigts sur son cuir chevelu. Que ce contact était rèche. Ne sachant pas trop quoi faire ni pourquoi il était la Oko finit par prendre la décision de s'assoir à sa gauche et Isha se laissa choir dans ses bras, retenant ses larmes en silence. Elle voulait lui expliquer mais les mots restaient bloqués dans sa gorge; aspirant à se delivrer de la mort d'Ilian et de l'ombre du maitre en son coeur.

Elle se rappelait encore l'etreinte de ses bras alors qu'elle était dans ceux d'Oko. Incapable d'en sortir les mots, elle se contenta de se serrer contre lui. Il lui caressait l'épaule, doucement. Et il s'en alla lorsqu'elle s'endormit. Sans un mot. Avec dans les narines l'odeur de mort qui planait dans l'air.

 

Il se dirigea instinctivement vers la chambre voisine, pressentit ce qu'il allait voir en posant sa main sur la poignée; ne sachant pas s'il ne vallait pas mieux ne pas pousser cette porte. Quelque chose allait se briser. Mais que ce serait lâche de partir maintenant.

Il ferma les paupières d'Ilian. Fit quelque pas dans sa chambre. Et repartit. La mort au ventre et le vide au coeur.

 

 

 

Isha se reveilla la salive acide. Les lèvres sèches. Et de ce mal de ventre qui se couple a la faim. Remuglant dans ses intestincts les saveurs de la veille. Elle sortit sur le pas de la porte. Les lumières basses, signes des dix heures de sommeil allouée sur les trentes d'un journée. Comme une jachère. Deux ans de récolte pour une année de repos. Laissant le temps à la nature de reprendre ses droits.

 

La dépouille d'Ilian gisait face contre terre en travers de sa chambre. Tourné en direction de la porte. Comme s'il avait rampé pour s'enfuir. Comme s'il avait cherché a arracher cette vie avant qu'elle ne se dilue. Isha vit la tache rouge qui se dévelopait en coulures dans son cou. Il n'était pas censé il y avoir du sang. Elle se mordit la lèvre. Est ce que j'aurais raté mon coup ? Est ce que j'ai même échoué a lui offrir une mort décente ?

Le sang avait coulé en quantité, à tel point que son col en était coagulé tel une lanière de viande séchée autour de son cou. Il avait eu le temps avant de mourir. Le con. Il avait rampé. Et maintenant il pourrissait sur le sol. Une convulsion la plia en deux et elle plaqua la main sur sa bouche pour empecher ses tripes de déborder. Elle se rua vers le boc a excrément et lacha sa gerbe. Se torcha le menton. Revint et se mit a genoux devant le cadavre. Puis se releva se rassit et finit par s'en aller. La logique comme parfois n'ayant plus cours dans sa conscience.

Pourquoi personne ne le trouve ? Pourquoi personne ne le cherche ? Pourquoi personne ne le sent ? Ou est Oko ?

 

 

Elle allait voir Assar. Les couloirs étaient vides, dépeuplés. Dans le silence moribond d'une colonie endormie. Bruissant parfois de respiration au dela des murs et des portes. Assar saurait quoi faire. C'était le maniaque de la mort. La limite du quartier Est et son champs de barbelé. Elle emprunta le chemin le moins ardu. Assar était un peu félé, on disait qu'une fois il était partit seul exécuter une opération punitive dans un foyer de resistance. C'est ce que l'on disait. S'occuper d'Ilian ne devrait pas lui poser de problème. Ah le soleil. Ah les étoiles. Ah le ciel d'argent dans la nuit pourpre, sous le giron d'une Lune gibbeuse. un chuchotement a peine, discret au point de ne pas exister.

 

Elle frappa une fois sur le battant. Elle tourna mécaniquement sa ceinture autour de sa taille. Attrapa ses outils, étudia la serrure. La tige et le crochet.

Clikclonhk.

Clac.

La porte s'ouvre.

Elle fit un pas. Sentit la pointe de la lame contre son flanc. Et l'accueuilli avec indifférence.

- C'est moi prononça elle d'une voix atone.

Assar plus surpris qu'énervé par son attitude ne la gifla pas. Il ne dormait pas de toute façon, et il était même plutot intrigué a l'idée qu'elle vienne chez lui a cette heure indue, curiosité aiguisée quand au motif de cette visite.

- Entre. Qu'est ce qu'il y'a ?

- Il faut que tu m'aides... Il faut que je me débarasse d'un cadavre. La flamme était bleue dans les yeux d'Isha.

- Assit toi et explique moi. La relation n'était plus de celle que l'on a avec une personne chez qui l'ont vient la nuit, inopinément. Le rang était de nouveau strict.

Isha laissa les paroles couler en dehors d'elle. Elle raconta le cadavre d'Ilian, sa dépouille brisée comme le pantin brisé d'un théâtre sanguinolent.

Assar marchait devant elle. Sans piper mot. Elle respirait fort alors qu'ils parvenaient aux abords de la chambre. L'odeur tira a peine un froncement de sourcil au fier Assar. Il s'approcha de la dépouille et scruta la blessure sur la nuque. Il soupira.

- Le maitre t'avait demandé d'agir discretement me semble il.

Elle opina, sans chercher a justifier son echec. Elle aurait pu dire qu'elle était préssée par le temps et que sous le coup de la fatigue elle avait manquée son coup. Mais a quoi bon ?

Assar reprit la parole.

  • Il va falloir qu'on lave ton foutoir. Vient, aide moi.

 

Ils nettoyèrent la chambre en silence, enroulèrent le cadavre dans un drap et chargèrent leur funeste baguage. Il enserra son buste entre ses bras tandis qu'elle se baissait pour attraper les pieds; Ilian était mort crispé par la peur et son corps était comme un arc tendu. Ses articulations, raides, se plièrent en craquant.

- Bien, tu prends la tête et tu suis mes indication.

Et ils s'en allèrent courbé par le poids de la chair inerte, repassèrent devant le bouddha assit sous ces lignes qui éclairaient plus doucement. La nuit ôtant la nécéssité des actes habituels, offrant comme une bulle en dehors de temps. Un moment ou se change le monde et se changent les règles que suivent les hommes. Ils portaient un cadavre et n'adressèrent pas leur salut au bonhomme de pierre.

 

Ils s'arrêtèrent devant la chambre d'Assar. Déposèrent la charge qu'ils se trainaient jusqu'alors. Isha s'asseya sur le pas de la porte. Lasse. Assar pendant ce temps fouillait dans son coffre avec empressement. Fébrile dans la projection de cette excitation enfantine que lui procurerait le feu de joie. Qu'y'aurait il de plus amusant qu'un feu à cette heure perdue. Il pourrait en plus prendre l'air et voir les étoiles en remontant sous le ciel. Et il aimait bien ce moment de passage que l'on offre au défunt. Regarder ses cendres briller (un temps) dans l'encre du soir avant de s'éteindre; c'en été quelque chose de fascinant.

Il tira sa pierre a feu du tiroir. Attrapa le trousseau de clefs. Prit une bouteille d'alcool a bruler qu'il lui restait. L'accrocha a sa ceinture. Et fit faire deux tour a l'anneau qui lui ceignait le majeur. Ferma les yeux et inspira une grande goulée d'air. Il lui indiqua le cadavre de la tête avant de la précéder dans le long sinuement des couloirs, les menant dieu sait où.

 

Le mort était plus lourd maintenant. La carcasse usait les muscles de leurs bras; de leurs épaules, de leur dos. Isha marchait dans son Monde. Dans l'infini indicible de sa conscience. Loin du contact froid des chevilles sur ses paumes, sous ses doigts. De ce poids qui la trainait vers le sol. Il y avait quelque chose qui avait recouvert le coeur de la jeune fille. Un linceul. Anestésiant sa douleur, ses sensations. Troublée dans sa quiétude seulement de temps a autre, par un "A gauche." "A droite." Elle en oubliait ce qu'elle faisait. Se contentant d'avancer. Melant le rythme de leurs deux souffles dans l'air.

 

Des marches. Une première volée de marche. La sueur fit se desserrer sa prise et la cheville gauche ripa, lui glissant des mains. La jambe tomba, inerte, sur le sol. Isha agrippa le drap avec les chevilles avant de reprendre l'ascention.

Ils ne croisèrent personne. Cela vallait mieux. Elle sentait Assar trépigner derrière elle. Qui sait ce qu'il aurait fait si quelqu'un les avait surpris. Ses doigts se raidîrent, se crispant a force d'efforts. Isha songeait qu'en montant encore ils déboucheraient bientot a la surface. Et elle ne pensait qu'a cela. Sinuant dans les lacets une marche après l'autre. Montant toujours.

 

Au point qu'elle failli trebucher lorsque s'interrompit l'escalier. L'alvéole était a peine a hauteur d'homme; Des saillies affamées cachées dans la pénombre se précipitant pour éventrer votre crane comme une coquille d'oeuf. Le court boyau déboucha sur une petite porte, voutée a l'interieur d'un passage encore plus bas. Isha sentait l'air frait s'immiscer de part les fissures qui s'ouvraient dans la roche. La clef cliqueta dans la serrure. La porte céda en grincant sur ses gonds.

 

Le plafond a ciel ouvert. L'encre jetée sur les couleurs, la silhouette noire des reliefs a l'horizon. La Lune éclatante. Le froid de l'air pur, de l'air libre, lui fouettant le visage. Elle ferma les yeux et inspira tout cet air dans ses poumons. Que les étoiles étaient belles. Isha couvrit la nuit de son monde de cette parure, gravant en elle ce ciel d'été.

Assar laissa un peu de temps a Isha, conscient que ces rares instants de liberté avait quelque chose de nécéssaire au developement d'une personne. Cela faisait de nombreux mois qu'elle s'en morfondait à l'interieur des souterrains.

Il se baissa sur le cadavre, se redressa et jeta un regard aux alentours. Puis il giffla la fesse gauche d'Isha du bout du pied, la tirant de sa fascination.

- Va me chercher du bois.

Un voile sombre dans la voix.

Elle fit quelque pas hésitants sur les touffes d'herbes grasse. Discernant en contrebas la silouhette d'une foret. L'herbe céda bientot sa place a l'humus et son pied se délécta de la tendresse de cette surface. Les feuilles craquotantes sur un lisier spongieux. Elle chargea ses bras de branchailles, récupéra quelques buchettes plus grosses. Remonta. Redscendit. Remonta. Son dos avait mal. Assar positionnait le corps et construisait le foyer. L'ouverture était cachée derrière les rochers. A mi pente, dans le ventre d'une colline.

 

La fraicheur du soir et la fatigue ralentirent peu a peu ses mouvements. Elle fit tomber les buches qu'elle tenait dans ses bras une première fois. Une racine dans le creux de l'ombre avait attrapé son pied. Elle ramassa son bois et resta debout, figée. Le cri d'un grillon la tira de son absence et elle reprit son va vient. La foret paraissait plus sombre maintenant. Comme si ses yeux ne parvenaient plus à s'accomoder de l'obscurité. Et les bruits tapis derrière le rempart des arbres s'insinuaient jusqu'a son oreille. Des couinements. Des craquements. Pas trop près. Pas trop loin. Comme a la frontière. Un hullullement sinistre. La peur se noua discretement dans son coeur, s'y nicha avec allégresse. Et la peur redonna de l'eau a son moulin. Elle se concentra sur sa tache et limita les pensées annexe à la lisière de son monde, l'échancrure de la foret comme limite.


Assar avait posé le bois de façon a surelever le corps d'Ilian. Le brasier viendrait d'en dessous jusqu'a ce qu'il s'écroule dans les braises. Il l'avait enceint de branches, le recouvrant de flèches qui pointait vers la voute céleste.

 

Il fit signe a Isha d'arreter. Il avait dans sa main une branche. Au bout de cette branche il y avait un petit fétu de fines brindilles, tréssé par un peu de ficelle. Imbibé d'alcool. Qui s'embrasa a la première étincelle de la pierre.

 

Ilian en face du ciel. Assar de la bouteille d'alcool lui arrosa le visage, le torse, les couilles et les mains. En enfin versa le reste sur le coeur du futur foyer.

Isha le regarda faire, presque, émerveillée. Devant la lumière dansante de la torche qu'aggitait doucement le bras d'Assar, en mouvements involontaires.

Il sentit l'intensité avec laquelle elle la fixait. Alors il la lui tendit, d'une main legère mais d'un geste lourd de conséquences. Elle s'en saisit, malassurée, presque fluette dans sa posture. Se tenant devant Ilian. Sans le voir. Elle jeta la torche.

La flamme crachota dans un premier temps, comme noyée. Une boule fumante au rouge ardent du feu discret. Puis elle propagea sa danse aux branches voisines. Que s'étende le miroitement du feu au reste. Enflamant la chair qui se craquelle et grésille dans l'air du soir.

 

Ils sont assit maintenant. Ils regardent les flammes lecher le ciel. Percant la nuit d'une lumière orangé. Chaleureuse. Peingnant leur reflets cuivrés sur le sol.

 

Il restèrent longtemps, bien après qu'Ilian se soit consumé. Sous les étoiles, envelopés de cette chaleur irradiant des braises. La tête callée sur les genoux et les bras sérrés autour des cuisses. Dans la tendresse de l'air du soir.

Isha disait adieu a Ilian. Lui qui était mort sans le savoir, elle lui pardonnait. Tout ce mal être qu'elle avait en elle accumulé s'éparpillait dans le vent avec les cendres. Il faudra reconstruire, redemarrer. Encore une fois. Mais cette fois au moins elle avait bon espoir pour la suite. Et qui sait le tournoi serait peut être l'occasion de faire un pas.

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