Chapitre 9 : Victime(s)

Notes de l’auteur : La barre des 900 vues est passée, je suis si contente ! Merci ! :)

Le monde de Cera devint bien plus sombre à partir de ce moment-là. Comment en était-elle arrivée là ? Quelques jours plus tôt, elle était toujours en train de chasser les animaux. Elle rapportait de l'eau, se promener dans les bois, converser avec ses amies...

La jeune femme suivit Dix dans un état second. Elle traînait des pieds dans les couloirs. La brune ignora le poids des regards sur sa personne. Elle ne pensait à rien, l'esprit embrumé par le produit injecté un peu plus tôt. Son silence troubla sa collègue qui se tenait un peu plus loin d'elle qu'à l'accoutumé.

L'assistante était surprise de la voir en vie. Elle avait visiblement sous-estimé son vis-à-vis. La sauvage était plus solide qu'elle n'en avait l'air. Dix ouvrit la porte de la chambre et regarda Treize s'affaisser sur le lit. La plus jeune semblait être plongée dans un état second. En même temps, tuer quelqu'un ne faisait jamais sourire personne, pensa-t-elle en fermant derrière elle. L'assistante revint sur ses pas pour suivre le reste des festivités.


 

*


 

Elle l'avait fait. Elle avait gagné... Priam contint difficilement sa joie en voyant le présentateur lever le bras de Treize. Il avait craint que son entêtement ne la pousse à perdre la vie. Mais même face à la mort, le plus têtu des Hommes perdait toute résolution.

Il avisa les frères Argonaute qui se tenaient un peu plus loin. Le plus jeune des deux, Charles, arborait un visage blême tandis que son aîné, Christian, sirotait tranquillement son verre de vin. Il était facile de deviner le perdant de cette rencontre.

L'héritier de la Maison Emrys fut déçu d'apprendre les gains du pari : une propriété en bord de mer. Il avait espéré mieux de la part de cette illustre Maison. Les Argonaute avaient fait fortune dans le vin. En signant des accords commerciaux avec les pays étrangers, ils s'étaient assurés une vie au soleil. De ce qu'il en savait, les deux hommes ne restaient que très peu de temps en Galléan. Les îles tropicales avaient davantage d'attraits pour ces frères qui aimaient paresser près de l'eau.

-Eh bien Emrys... On dirait que tu t'es trouvé une véritable lionne cette fois, lança Christian en levant son verre dans sa direction.

-On peut dire ça.

Maintenant que ses affaires étaient terminées, Priam avait envie de se retirer dans ses quartiers. Il n'avait jamais apprécié la compagnie de ces gens qui n'avait aucun égard pour le « petit peuple ». L'héritier était entouré de requins près à le déchiqueter à la moindre incartade. Et pour survivre parmi les requins, il fallait devenir soi-même un prédateur.

-Vous allez devoir vous trouver une autre guerrière.

-Avec l'écurie qu'on s'est constitués, il ne devrait pas y avoir trop de problème.

Le visage de Charles avait du mal à reprendre des couleurs. Éprouvait-il des sentiments amoureux envers la jeune femme ? Priam garda cette supposition à l'esprit. Si le jeune homme de 18 ans avait un cœur d'artichaut, il pourrait peut-être exploiter cette faille. Introduire un pion dans la Maison Argonaute ne semblait pas complètement hors-de-portée.

-Vous allez bien Charles ? Vous semblez malade.

Les sourcils froncés, il se constitua une mine contrite. Forger des liens avec cette Maison pourrait lui être bénéfique. Si les choses venaient à mal tourner, s'enfuir à l'étranger pourrait lui sauver la vie.

-Excusez le comportement de mon jeune frère... Il n'a pas encore l'habitude de ce genre de divertissement.

Priam se renfonça dans son siège. Le plus jeune sembla comprendre le reproche de son aîné puisqu'il carra les épaules et fit disparaître le moindre signe de détresse sur son visage. Un océan de requins, pensa le vainqueur en lui adressant un petit sourire.

-Oh ! il est tout excusé. Je comprends ce qu'il peut ressentir.

La lueur dans les yeux de Charles ravit l'héritier. L'attirer dans ses filets pourrait s'avérer être plus simple qu'il ne l'avait escompté...


 

*


 

Depuis cette soirée, ses journées n'avaient plus la même saveur. Cera était devenue une poupée qui n'avait plus la force de lutter. Elle suivait les ordres sans opposer la moindre résistance. Son moral avait été complètement détruit par sa victoire. La jeune femme n'aurait pas dû survivre à cet affrontement. La culpabilité qu'elle ressentait avait créée un gouffre de mal-être dans son for intérieur. Elle survivait sans le vouloir. Elle continuait sans espérer.

La nuit, elle ne pouvait contenir sa tristesse qui se manifestait sous la forme de larmes qu'elle ne pouvait plus contrôler. Elle était malheureuse.

-Tu vas faire cette tête d'enterrement combien de temps encore ? Il faut passer à autre chose maintenant, se plaignit Dix en retirant les draps de son lit.

Cera souffla et se tourna pour lui offrir son dos. Elle n'avait pas le cœur à recevoir ses plaintes. Elle n'était vraiment pas d'humeur.

-C'était toi ou elle. Elle n'aurait eu aucun remord à te tuer.

La chasseuse ne répliqua pas. Des images du combat lui revinrent en tête.

Elle revit l'expression paniquée sur son visage. La jeune femme s'était vue mourir. Elle avait compris sa perte avant même que la lame ne transperce sa peau et ne réduise tous ses espoirs de succès à néant.

Lâche !

Cera ferma les yeux et serra les dents. La voix de la défunte ne cessait de résonner dans sa tête.

Je ne peux pas me rendre.

Elles ne s'étaient pas échangées beaucoup de mots. Elles ne se connaissaient même pas. Et pourtant, Cera ne l'oublierait jamais. Elle s'appelait China. C'était sa première victime. Et malheureusement, d'autres succédèrent à la jeune kinique. Il y eut Cinq, Blue puis Rose... Sa victoire l'avait mené à commettre d'autres crimes au nom des Emrys.

Le beau visage de son Maître s'était peu à peu transformé en un masque de laideur qu'elle avait du mal à soutenir. La chasseuse n'était plus capable de croiser son regard. Elle ne ressentait plus qu'une haine irrépressible à son égard. Sa vie avait pris cette terrible tournure depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Et pour ça, elle ne lui pardonnerait jamais. A lui et à tous ces hommes qui traitaient les femmes comme des moins que rien.

-Tu dors ? Parce que je te rappelle que tu as entraînements dans dix minutes.

Cera quitta sa couche à contrecœur pour rejoindre sa salle de torture personnelle. Cédric était déjà là, un sourire grotesque sur les lèvres. Ce drôle de personnage était devenu une toute autre personne depuis qu'elle enchaînait les victoires dans l'arène. Il se considérait comme le « phénomène » à l'origine de son succès.

-Comment tu vas, ma belle ?

La chasseuse aurait pu apprécier son attitude si elle ne la mettait pas aussi mal à l'aise. Ses commentaires grivois et sa proximité n'avaient pas lieu d'être dans leur « relation » qui n'associait ni amour ni amitié. Elle avait déjà abordé le sujet avec Dix. Cette dernière lui avait alors raconté toutes les aventures qu'il avait partagées avec ses anciennes pupilles. Et Cera n'était pas prête à être un énième numéro dans sa liste de conquêtes.

-Monte ta garde.

La jeune femme fuit son contact quand il s'approcha un peu trop d'elle. Cédric n'avait pas l'air de comprendre le manque d'intérêt de sa part ou encore, le dégoût qu'il lui inspirait. Elle s'imagina un instant enfoncer le bout de bois dans le torse de celui-ci. Cera ne ressentirait aucune culpabilité à le voir souffrir. Ce genre d'homme méritait de mourir à ses yeux.

Elle laissa un instant son regard se perdre sur l'extérieur. La pluie déversait ses larmes avec hardeur. La brune trouva fascinant d'entendre l'éclat des gouttes contre le toit. Elle n'avait assisté à ce spectacle que très peu de fois dans sa vie.

Ses yeux se rivèrent vers la silhouette sombre d'un homme. Le Maître Priam. La jeune femme serra les poings. Il n'était plus venu la voir à la salle d'entraînement depuis son introduction dans la fosse. Cera releva de l’anxiété sur son visage, un comportement assez curieux quand on connaissait l'individu.

-Lucas. J'aimerais vous voir une minute, exigea l'homme sans lui accorder un regard.

La guerrière suivit cet échange de loin. Elle aurait aimé écouter la discussion mais ses ennemis l'entouraient. Elle profita cependant de l'absence de son entraîneur pour se reposer et boire. Après chaque effort physique, la brune était autorisée à boire, un « luxe » qui lui était dû grâce à ses « victoires ».

Son ouïe fine lui permit de distinguer le ton de la conversation qui n'avait rien de réjouissant. Elle ne parvint malheureusement pas à en déterminer le sujet.

Les deux hommes sortirent quelques minutes plus tard, Priam entraînant l'un des gardes avec lui. Cera les regarda partir avec méfiance. Son instinct lui dictait que quelque chose n'allait pas. L'attitude de son Maître n'avait rien de normal ni d'habituel.

-Bon, où en étions-nous...


 

A la fin de l'entraînement, la jeune femme prit le temps de parcourir l'espace qui séparait la maison de la salle. Elle laissa la pluie s'abattre sur son corps fatigué. Elle souffla, les paupières closes, et profita de cet instant seule et en silence. Si elle pouvait oublier sa misérable vie le temps de quelques minutes...

Sur l'île, la pluie arrivant très rarement, les femmes célébraient son arrivée avec enthousiasme. Elles chantaient et dansaient pour remercier les Déesses de ce cadeau. Les récipients étaient retournés, prêts à recevoir le précieux liquide. Puis, elles buvaient tour à tour le précieux liquide. Un cadeau divin.

Cera ouvrit machinalement la bouche pour recevoir ce présent des Cieux. Un parapluie au dessus de sa tête l'empêcha cependant de s'en nourrir.

Le grand gaillard qui l'avait battu à son arrivée était là. Lukas si elle se souvenait bien.

-Quoi ?

-La pluie est polluée.

Devant son visage rempli d'incompréhension, l'homme s'expliqua :

-Elle est toxique. Mauvaise pour la santé.

Cet univers n'avait décidément rien à offrir, pensa Cera, blasée. Elle s'éloigna imperceptiblement de l'homme à l'apparence amicale. Elle ne ferait confiance à personne. La jeune femme était prête à se battre s'il l'approchait d'un peu trop près.

-Tu ne devrais pas rester dehors. C'est dangereux en ce moment.

-Comment ça ?

-Les Révoltés attaquent les Maisons alentours. Il faut faire attention.

Les Révoltés... Dix les avait décrits comme un groupe terroriste composé principalement de femmes. La cible de leur violence était à la fois femme et homme. Ils ne faisaient aucune distinction. Cera ne connaissait en rien leur objectif : elle les considérait seulement comme des gens qui aimaient tuer d'autres personnes.

-Mourir ici ou mourir dans l'arène. Quelle différence ça peut faire ?

Cera rejoignit la maison, trempée jusqu'aux eaux. La température plus chaude de la bâtisse la fit frissonner. Elle laissa derrière elle une traînée d'eau qu'elle ne chercha pas à effacer. La chasseuse salua plusieurs têtes connues avant de rejoindre sa chambre. Elle se permit enfin de relâcher la pression qui pesait sur ses épaules. Elle s'affaissa sur son lit, la tête complètement vide et les muscles ankylosés.

Sa douche fut extrêmement longue et bénéfique pour elle. Elle appréciait beaucoup la solitude dans ces moments. Avant toute cette histoire, elle partageait chacun de ses bains avec ses camarades. Les poissons venaient parfois lui titiller les mollets. Cera souffla devant ces souvenirs. Elle n'avait pas su apprécier ces instants à leur juste valeur.

Elle ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en sentant les fourmillements dans son cou. Que pouvait-il lui vouloir à cette heure de la journée ? Priam ne l'appelait plus depuis quelques temps, non qu'elle s'en plaigne. Elle était ravie de jouer les femmes invisibles.

-Viens dans ma chambre.

Sa voix lui donna de violents frissons. Cet homme n'avait pas de limite et c'est ce qui le rendait dangereux. Cera pressa le pas. Si elle pouvait vite se débarrasser de cette corvée... Elle monta les escaliers, traversa les couloirs et arriva devant sa porte. La jeune femme prit son courage à deux mains et enfonça la poignée. Elle entendit son Maître souffler à son entrée. Qu'est-ce qu'elle avait encore fait ?

-Il faut frapper avant d'entrer.

Frapper, elle savait faire. Elle s'imagina une autre victime de ses poings cependant. Une victime faite de chair et de sang par exemple.

-Qu'est-ce que je peux faire pour vous, Maître, railla Cera.

-Il faut que tu choisisses un camp. Le mien ou celui de mon « père ».

La pièce devint plus froide tout à coup. Cera croisa ses bras sur sa poitrine en un maigre geste de réconfort. Elle pensait la menace écartée pour le moment. La jeune femme n'avait pas encore eu l'occasion de mettre un visage sur cette personne. Si sa réputation le précédait, elle n'avait en aucun cas envie de le rencontrer.

Choisir. Elle n'en avait malheureusement pas la possibilité. Entre une araignée dissimulée dans l'ombre et un moustique qui l'avait déjà piquée, elle préférait rester avec l'insecte le plus prévisible et le plus connu.

-Qu'est-ce que tu veux ?

-Indomptable. Comme toujours, remarqua-t-il en détaillant son visage. Tu as déjà entendu des rumeurs sur Thomas, je suppose ?

Cera ne dit rien, lui laissant le loisir de poursuivre :

-Je peux t'aider à éviter le sort qui t'attend. Mon « père » n'a pas besoin de demander la permission pour prendre ce qui revient de droit aux femmes, à savoir son consentement. Je sais que tu ne veux pas finir comme Trois.

En pensant à cette dernière et à son regard vide, la chasseuse frissonna. Elle préférerait encore y laisser la vie.

-Tu vas devenir ma maîtresse. Thomas ne voudra jamais toucher à la chose de son fils, déclara Priam, en crachant presque sur le mot.

-Une chose... murmura Cera, le visage imprégné de dégoût.

-Il considère les femmes comme tel. La plupart des hommes le font.

-Et pas toi peut-être ?

-Homme. Femme. Je ne fais aucune différence à partir du moment où tu sers mes intérêts. Et là, je te demande de devenir ma chose, mon butin aux yeux des autres. Si ça peut te rassurer, je ne te toucherais pas. Je veux juste te protéger.

-Pourquoi ? Tu vas continuer de m'envoyer dans l'arène.

Priam contempla un instant ces mots. La jeune femme face à lui cherchait à lui soutirer un autre marché. Elle était plus maligne qu'il ne l'avait imaginé. Devait-il rentrer dans son jeu ? Treize deviendrait plus malléable si elle pensait avoir une main dans la partie.

-Je fais ça pour toi, pas pour moi. Alors soit tu acceptes, soit tu refuses.

Il voulait la protéger de son père, la préserver de cet homme qui ne connaissait pas le refus. Priam ne voulait pas voir la flamme impétueuse qui brillait dans ses yeux s'éteindre à son passage. Il était manipulateur mais pas cruel.

-Tu resteras dormir ici ce soir.

Aucun son de sa part. L'héritier prit ce silence pour un accord. Il lui fit signe de disposer afin de prendre son repas seul. Il alerta la cuisinière à l'aide de son boîtier électronique et attendit qu'elle arrive, le regard dirigé vers l'extérieur.

Le jeune homme relâcha la tension en entendant la porte se refermer derrière Cera. Il retira l'appareil de son oreille et soupira. Il était difficile de maintenir le masque. Priam était lui aussi fatigué. Il était fatigué de jouer les « méchants » dans cette histoire.

Enfant, il n'avait jamais voulu de cette guerre. Il n'avait jamais demandé à voir son père mourir sous la lame de sa mère, et il n'avait jamais voulu voir cette dernière le suivre dans la tombe. L'héritier n'avait pas demandé à se retrouver au milieu de tout ça.

Il regretterait presque les coups de son géniteur. Dans sa misère, il parvenait à trouver un peu de réconfort. Son futur n'était pas totalement sombre. Priam s'était naïvement imaginer quitter la ferme familiale afin de se construire une meilleure vie ailleurs au côté d'Eléane. C'était cette seule et unique pensée qui lui permettait de tenir. Il la retrouverait et ensemble, ils fuiraient cet endroit.

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