Chapitre 10 : Le loup dans la bergerie

Notes de l’auteur : Petit flashback dans l'enfance de Priam :)

Cera consomma son repas avec beaucoup de retenu. Sa gourmandise habituelle l'avait quitté à l'idée de passer la nuit en la compagnie de son Maître. Il la ferait probablement dormir à même le sol, comme un vulgaire animal. Elle soupira pour la énième fois et s'attira les regards curieux de ses collègues :

- Cédric t'a encore fait des avances ? Demanda Dix, un sourire au visage.

Pour des raisons qui lui échappaient, la jeune femme se délectait de son malheur. La chasseuse la soupçonnait de nourrir des penchants sadiques à son égard. Elle posa sa cuillère pour aviser l'assistante.

- On peut dire ça.

Cera hésitait. Devait-elle leur révéler la proposition de Priam ? Elle connaissait l'intérêt presque morbide de ses voisines de table envers l'héritier de la Maison. La jeune femme resserra sa prise autour du couvert. Elle n'avait jamais aimé les secrets.

- Toutes celles qui ont craqué pour lui sont mortes dans l'arène alors, à ta place, je continuerai de m'en tenir éloigné, avertit l'une d'entre elle sous le ton de la confidence.

La brune ne tint pas compte du conseil, trop obnubilée par les mots de son Maître. Survirait-elle seulement à cette nuit ? Et si c'était un piège ? Elle n'était pas prête à se jeter dans la gueule du loup. A la fin du repas, elle glissa discrètement la cuillère dans la manche de son vêtement. Elle pourrait toujours l'utiliser pour crever un œil.

Cera laissa ses collègues derrière elle pour se diriger vers la chambre. La nervosité poussait son corps à la surchauffe et son cœur à l’essoufflement. Elle n'avait vraiment pas envie de passer la porte. La chasseuse inspira profondément avant de baisser la poignée et d'entrer.

Son corps s'affaissa. Priam n'était pas là. Quelques minutes de liberté s'offrait à elle. Elle en profita pour fouiller les tiroirs, déplacer les vêtements dans l'armoire... Elle trouva de curieux bibelots mais rien de bien intéressant. L'héritier n'avait pas une seule arme à portée de main.

- Tu es déjà arrivée.

Cera se retourna brusquement à sa voix. Priam sortait tout juste du bain, une serviette recouvrant ses cheveux mouillées. La jeune femme aurait pu en rire si elle n'avait pas été aussi surprise par son apparition.

- Pas besoin de chercher les objets coupants. Je les ai tous faits retirer, l'informa-t-il après l'avoir prise la main dans le sac.

L'héritier était loin d'être naïf. Laisser une chasseuse, une tueuse qui le détestait près d'une arme signerait son arrêt de mort. Il avait demandé à l'un de ses gardes d'emporter deux de ses revolvers et l'un de ses poignards. Il voulait que cette nuit se passe sous les meilleurs auspices.

- Si tu tentes de m'étrangler ou si ce boîtier, dit-il en désignant l'appareil dans sa main, ne ressent plus aucune activité cardiaque, toutes vos têtes explosent. Donc, à ta place, je n'essayerais rien d'audacieux.

Cera comprit la menace. Elle s'assit sur l'autre côté du lit, le regard vissé sur ses pieds. Elle attendit qu'il lui adresse un mot, une indication sur ce qu'elle devait faire. Priam, quant à lui, mit sa serviette dans un panier et remit son bureau en ordre. Sa console était recouverte de papiers administratifs sur lesquels figuraient un titre de propriété sur sa nouvelle maison en bord de mer. L'homme ne se rendit pas compte tout de suite de l'état d'immobilité de Cera. Quand il eut fini, l'héritier fut donc surpris de voir la guerrière assise sur son lit, le dos bien droit et l'expression figée.

- Tu peux dormir. Je n'attends plus rien de toi ce soir.

La jeune femme s'allongea donc au dessus des couvertures, les mains sur le ventre. Elle ne parviendrait pas à s'endormir, pas avec son maître à quelques pas d'elle. Cera le savait inoffensif sur le plan physique, du moins elle se pensait plus forte que son vis-à-vis. C'était son imprévisibilité qu'elle craignait.

- Combien de nuit je vais devoir rester ici ?

Priam n'avait malheureusement pas de réponse à cette question. Thomas pouvait bien rester quelques jours comme des mois. Le jeune homme souffla, déjà épuisé par la perspective de le supporter. Le Grand Maître était terrifiant, si terrifiant que personne à l'arène ne voulait s'en faire un ennemi, lui le premier.

L'héritier finit par rejoindre la jeune femme au bout de quelques temps. Il la pensait endormie quand il se coucha près d'elle. Il éteignit les lumières d'un simple claquement de doigts puis retira son appareil auditif.

Priam se coucha sur son côté droit afin de pouvoir entendre le silence de la nuit. Sa surdité était venue progressivement, dommage collatéral des coups donnés par son père ou d'un virus, l'homme ne saurait le dire. Plus jeune, il avait eu du mal à accepter cette faiblesse. En grandissant cependant, il avait trouvé une certaine utilité à n'entendre que d'une oreille : les messes basses ne devenaient plus qu'un bruit sourd.

A ce souvenir, le jeune homme se tourna et aperçut brièvement la silhouette de Treize. Cette dernière n'avait plus bougé depuis qu'il l'avait rejoint. Il souffla et dit :

- Tu peux dormir sous les couvertures, il y en a bien assez.

- Il fait chaud ici.

En vivant sur une île, Cera avait appréhendé des températures bien plus basse qu'une pièce chauffée. Elle doutait cependant que la température soit à l'origine de son état. Elle avait été surprise d'entendre la voix de son Maître bien qu'elle tenta de la cacher.

La chasseuse était mal à l'aise par cette proximité entre leurs corps. Elle n'avait jamais été proche d'un homme. Elle n'avait connu que des femmes et encore, elle n'avait accepté les avances d'aucune d'entre elles. Il était étrange pour elle de ressentir tout ça. La peur. L'appréhension. Le déni. La personne qui se tenait près d'elle l'avait envoyé à plusieurs reprises dans la fosse. Il était responsable de son malheur. Et pourtant, Cera ne pourrait s'empêcher de ressentir des sentiments totalement étrangers à son égard. Elle ne parvenait pas à comprendre la provenance de ces sensations. Son palpitant ne cessait de mener une course folle dans sa poitrine. Son propre corps ne lui obéissait plus.

Elle finit par se recroqueviller sur son flanc, offrant son dos à l'instigateur de toutes ces interrogations. La guerrière voulait simplement dormir.


 

*


 

Cera s'était réveillée seule. Elle n'avait même pas entendu le départ de son Maître. Elle se redressa mollement sur les draps et lança un regard ensommeillé autour d'elle. Les rideaux étaient tirés laissant le soleil inonder la pièce d'une douce chaleur. La jeune femme s'étira mollement avant de quitter le confort du lit. Quelle heure pouvait-il bien être ?

Elle sortit de la chambre, les cheveux en bataille. Son esprit voguait toujours dans les méandres du brouillard. Elle avait passé une bonne nuit. Le lit avait été suffisamment grand pour qu'elle en oublie la présence à ses côtés.

Cera rejoignit le dortoir vide à cette heure de la journée. Elle se brossa les dents et se changea, comme on les lui avait appris. Elle se noua les cheveux pour se libérer le visage. Le miroir face à elle ne renvoyait plus l'image d'une jeune femme dynamique et pleine de vie. Son regard caramel se gorgeait désormais d'obscurité et de vide. Elle souffla à la perspective de cette nouvelle journée.

La chasseuse longea les couloirs pour se rendre à la salle d'entraînement. Son quotidien ne comptait que ces séances de préparation physique. En dehors de celles-ci, elle se promenait dans les jardins, humant l'air pollué des lieux. Le son des vagues lui manquait. La brise du vent lui manquait... Cera donnerait tout ce qu'elle possédait pour revenir en ces temps insouciants.

- Qui avons-nous là...

Une voix inconnue la sortit de ses pensées. Elle se retourna pour voir un homme, dans la quarantaine, arborant une moustache grisonnante. Cera fronça les sourcils devant ce nouveau personnage. Elle s'apprêtait à l'ignorer, lui et son accent étrange, quand il s'adressa une fois de plus à elle :

- Tu es la nouvelle mine d'or de mon fils. La petite sauvage, susurra-t-il.

Le corps de la chasseuse se figea : elle rencontrait enfin l'horrible Thomas. La jeune femme eut une rapide pensée pour Trois, la maîtresse indésirée. Cette dernière était devenue le souffre-douleur du Grand Maître.

- Je suis occupée, s'excusa Cera avant de reprendre sa route.

Elle sentit son regard sur elle. Un soupçon désagréable envahit son corps. Elle n'aimait décidément pas cet homme.

La guerrière se perdit dans l'entraînement, essayant d'oublier le regard froid de l'individu qu'elle avait rencontré plus tôt. Quelques secondes avec cet homme avait fini par la terroriser. Devait-elle en parler avec Priam ? Son père ne lui avait rien fait de mal. Il n'avait fait que l'intimider. Elle but une gorgée d'eau et tenta d'oublier ses yeux sournois.

A peine eut-elle cette pensée qu'elle le vit entrer dans la salle en compagnie d'un garde du corps. Cera détourna le regard, mal à l'aise. Cédric, lui, adressa un grand sourire au nouveau venu. Les hommes n'avaient visiblement rien à craindre de ce monstre.

- C'est un plaisir de vous revoir parmi nous, Monsieur Thomas.

- J'ai entendu parler des exploits de mon fils. Je me devais d'être là pour les voir de mes propres yeux.

- La lionne à l'origine du miracle se trouve juste ici.

Cera leva les yeux au ciel devant son ton mielleux. Elle n'avait pas compris l'ensemble des mots qu'ils avaient échangés mais elle n'en avait pas besoin : le ton de la conversation suffisait.

- Elle vient directement des îles LUX.

- Visitée ?

- Regardée. Chaîne 4.

La chasseuse n'aimait pas du tout ce qui se tenait devant elle. Elle s'essuya le visage à l'aide d'une serviette et prit la direction opposée des deux hommes. Elle préférait se tenir éloignée de cette discussion la concernant. Elle choisissait volontiers l'ignorance à la connaissance venant de ces individus.

Cera pensa un instant à vendredi, jour où elle laissait derrière elle son humanité. Elle n'était rien de plus qu'un animal qu'on essayait d'abattre. L'attaque était alors sa seule ligne de défense. La jeune femme n'avait d'autre choix que de donner la mort pour survivre. Elle n'avait pas le choix. Elle se répétait cette phrase comme une litanie. Ses actions n'étaient pas de son propre fait.

Ses mains avaient été sali mais son cœur restait solide. Ses promesses de vengeance l'empêchaient de totalement se briser.

La chasseuse sortit prendre l'air. La salle était devenue bien trop étroite. Cera observa la grande cour pavée de pierres claires et sombres, formant des figures géométriques. Elle ne trouvait pas ça particulièrement beau, préférant davantage la nature sauvage. Il y avait bien quelques arbres mais ils étaient coupés d'une manière qui les rendaient artificiels. Cet esthétique en dévoilait beaucoup sur la nature des hommes, ces êtres méprisables qui avaient un besoin presque obsessionnel du contrôle, un défaut de plus parmi les milliers d'autres qu'ils possédaient déjà.

Cera se demanda comment les femmes avaient pu supporter de vivre autant d'année à leurs côtés. Elles étaient méprisées, brutalisées. Violées. Même les animaux se comportaient de manière plus civilisés.

Elle traversa la cour, les pieds traînants. Sa haine envers les hommes s'était étendue. Elle la consumait tellement qu'elle commençait à imaginer leurs visages à la place de ces pauvres filles qu'elle tuait. Ce sentiment l'effrayait : comment faire le jour où même le visage d'une femme ne parvenait plus à refréner ses pulsions meurtrières ?

La chasseuse souffla. Elle leva son regard vers le ciel gris. Les rayons du soleil parvenaient difficilement à franchir la barrière des nuages. Même les oiseaux avaient déserté les lieux...

Cera dressa l'oreille quand elle entendit des chaussures écraser l'herbe de l'autre côté du mur. Ils étaient peut-être deux ou bien trois, en déduisit-elle. Au même moment, son nez inspira l'odeur de friture émanant des cuisines. La brune se désintéressa aussitôt de la situation pour rejoindre la salle à manger. Elle était affamée !


 

*


 

Priam observa la cour à travers la fenêtre de son bureau. Il ne s'était pas trompé : son père était là pour récolter la rançon de sa gloire. L'héritier l'avait vu se diriger vers la salle d'entraînement, la démarche élégante, comme s'il pouvait sentir le regard de son fils sur sa personne. Il le haïssait.

Le jeune homme se détourna de cet horrible spectacle pour aviser l'horloge au-dessus de sa porte. Le rapport ne devrait plus tarder maintenant. Il tapota successivement ses doigts sur son bureau et attendit, l'esprit ailleurs.

 

« Priam, tu veux venir jouer ? »

L'enfant se redressa douloureusement sous le regard de la jolie Eléane. Avec ses longs cheveux blonds et ses joues rouges, elle ressemblait à un ange tombé du ciel. Priam, quant à lui, baissa ses manches sur ses bras martyrisés par les coups et la cigarette. Son père avait passé la journée à boire et lui, comme un idiot, il était rentré plus tôt à la maison.

Le petit homme voulait aller jouer mais son coude le faisait souffrir. Il était tombé bêtement pendant la confrontation en même temps. Qu'il pouvait être maladroit...

« Tu veux jouer à quoi ? »

« A cache-cache. Si tu me trouves, je t'offre un bonbon ! »

Le regard de Priam s'illumina. Des jours qu'il n'avait pas mangés de bonbon. La saveur du sucre lui manquait.

« Ok. Je commence à compter ! »

 

Ce jour-là, il n'avait pas réussi à la trouver. Son père, en revanche, l'avait bien trouvé et lui avait asséné la pire correction de sa vie. Il toucha son oreille distraitement.

On toqua à la porte et Priam donna la permission d'entrer. Lukas se tenait sur le seuil, la mine grave. Il referma la porte soigneusement derrière lui avant de lui faire part des nouvelles :

- Elles ont attaqué l'une des résidences secondaires des Argonaute.

- Laquelle ?

- Le Mont noir.

L'héritier s'appuya sur son dossier, pensif. Le Mont Noir se situait à une dizaine de kilomètres seulement. Les Révoltés pouvaient donc très bien prévoir une attaque sur ce domaine. Le groupe de terroristes était particulièrement réputé pour ses explosions. Les chances d'en sortir vivant étaient presque nulles. En conséquence, il avait renforcé les patrouilles autour de la maison et s'était assigné deux garde du corps supplémentaires. Sa vie était mise à prix et malheureusement pour elles, il n'était pas encore prêt de passer l'arme à gauche.

- Vous continuez à surveiller les murs et les femmes. Je veux que tu fasses particulièrement attention à Treize. Elle ne doit pas souffrir de la moindre blessure.

- C'est une femme. Elles ne l'attaqueraient pas--

- Je ne crains pas les Révoltés mais mon père.

Ce dernier était le véritable danger, le loup dans la bergerie. Et des brebis, il y en avait de toute sorte à se mettre sous la dent.

- Partons-nous plus tôt pour l'arène ?

- Huum... Oui. Prévenez Brill et Corn de notre départ.

Lukas trouva curieux qu'il choisisse ces deux hommes pour l'accompagner : aux Jours sans fin, les risques de se faire attaquer étaient moindre. Il ne posa pas de question cependant. Le garde quitta la pièce après s'être fait congédié.

Priam ferma les yeux quelques secondes. Le plan qu'il venait de former paraissait complètement fou et insensé. Seulement, il avait encore des pions sous la main. A lui de savoir comment les placer...


 

*


 

Ils n'étaient pas censés partir aussi tôt. Deux jours suffisaient à rendre Cera complètement dingue alors trois... Elle n'y était certainement pas préparée. Son calvaire était d'autant plus douloureux en compagnie de Priam et Thomas. Son jeune Maître avait insisté pour qu'ils partagent la même voiture. La chasseuse avait tout de suite trouvé ça étrange. Le jeune homme avait voulu la protéger de son père et voilà qu'il l'invitait à faire la route ensemble...

Mal à l'aise, elle noua ses mains entre elles et fuit la vision de ces deux personnages pour contempler les paysages extérieurs. Ils voyageaient tôt dans la matinée et, avec l'hiver arrivant, elle avait du mal à discerner la silhouette des arbres.

- Nerveuse ? Demanda Thomas, le regard similaire à un rapace.

Cera hésita à lui répondre. L'expression de Priam la poussa cependant à le faire.

- Non.

Elle savait à quoi s'attendre désormais. L'arène des Jours sans fin portait bien son appellation : les guerrières ne connaissaient la fin qu'en affrontant la mort. De son vivant, la chasseuse n'échapperait jamais à son destin. Enfin, c'est ce qu'ils pensaient croire. Quand ils baisseront la garde, Cera n'hésiterait pas à s'enfuir, quitte à mourir. Elle ne lâcherait pas la moindre occasion pour fuir cet endroit.

- Elle a du sang-froid. Je l'aime bien celle-là, dit le plus âgé à son fils.

- Il n'y a qu'au lit qu'elle abandonne son côté frigide, dévoila Priam, le sourire coquin.

Cera rougit sans en comprendre la raison. Elle repensa à la nuit dernière où elle avait partagé la couche de son Maître. Elle avait senti son bras frôler celui du bel homme. Ce contact l'avait gardé éveillée une bonne partie de la soirée.

- Alors les bruits de couloir n'étaient pas que des bruits...

- Quel homme pourrait lui résister ?

Son regard enjôleur déstabilisa un instant la chasseuse. Elle ne l'avait jamais vu arborer une telle expression sur le visage. Venait-il de la complimenter ? Elle sourit, mal à l'aise. Si lui savait jouer la comédie, Cera n'en était qu'à ses débuts. Sur l'île, elle s'amusait à faire la fille un peu tête en l'air aux réactions bizarres, mais ses talents d'actrice s'arrêtaient là.

- Elle a été facile à dresser ?

Cera croisa les bras sur sa poitrine et dévia son regard en entendant la question. Ne rien dire. Ne surtout rien dire. Elle avait l'habitude d'être traitée comme un simple animal. Elle ne devait plus s'offusquer d'entendre de tels propos. La jeune femme était plus maligne qu'ils ne voulaient bien le croire.

- Il a fallu tirer quelque fois sur son collier mais comment dire... Sa sauvagerie fait partie de son charme.

Elle ferma les yeux et tenta d'oublier cette conversation. La jeune femme voulait frapper. Fort. Elle voulait les cogner jusqu'à ce qu'ils retirent tout ce qu'ils venaient de dire. Au lieu de ça, elle somnola le reste du trajet.


 

La chasseuse fut réveillée par une succession de coups contre la porte. Elle n'avait pas réellement l'impression d'avoir dormi. Elle se sentait même plus fatiguée qu'à son départ. Sa nuit blanche se rappelait douloureusement à elle. Au moins, se dit-elle, elle aurait tout le temps de rattraper son sommeil dans la journée.

A l'arène, elle pouvait occuper ses heures comme elle le désirait. C'était bien l'un des seuls avantages entre ces murs. Cera passa devant les écrans de publicités pour rejoindre sa chambre. Ses victoires successives lui avaient faite gagner ses propres loges. Ne plus avoir à partager son lit avec Dix avait été une réelle bénédiction puisqu'elle n'avait plus à subir ses insupportables commentaires.

La pièce n'était pas très grande, elle pouvait à peine contenir un lit, mais elle s'en contentait. Les murs étaient le seul défaut de la pièce : ils étaient gris, impersonnels et recouverts d'humidité. Ils la renvoyaient directement à sa condition de prisonnière, une condition qu'elle avait tendance à oublier lors de ses errances. Le sommeil lui échappant, elle décida de quitter la pièce. Elle n'y venait que pour dormir de toute façon.


 

En ce mercredi, les couloirs étaient vides. Rien d'étonnant quand la plupart de ses concurrentes arrivaient le lendemain en milieu de journée. Cera passa devant des portes bleu, jaune, rouge, arborant la distinction de chaque Maison. La jeune femme ne reconnaissait pas la moitié des symboles. Dix avait bien essayé de lui inculquer quelques connaissances mais elle n'était tout simplement pas intéressée. Elle avait seulement retenu la Maison de ses victimes : les Argonaute, les Tulepin, les Reichmar et les Pierce.

Un jour, si elle en avait encore la force, elle viendrait venger ces femmes. Sa lame aspirant leur dernier souffle de vie, elle s'était promis de ne pas les oublier.

- Ah ! Je te trouve enfin ! L'interrompit Dix au détour d'un couloir. Je dois te préparer.

- Comment ça ? La fosse se déroule le vendredi.

- Tu as le droit à un nouveau costume pour ta cinquième victoire.

Son cinquième affrontement n'était que dans deux jours. Elle serra les dents. Ils avaient vraiment déjà tout prévu. Cera la suivit, le dos voûté. Seule la coiffeuse de Dix était allumée parmi la dizaine d'autres. Sur le portant, son ancienne tenue semblait faire pâle figure à côté de la nouvelle. Cette dernière, en cuivre, étincelait presque autant que le soleil sous les lumières artificiels.

Dix l'aida à l'enfiler et la chasseuse ne put s'empêcher de grimacer sous le poids de l'armure. Avec ça sur le dos, elle s’essoufflerait avant même d'arriver à l'arène.

-Qui a eu l'idée de cette chose ?

-Le Grand Maître. Il voulait quelque chose de clinquant.

Cera fronça les sourcils. Le vieil homme était arrivé deux jours plus tôt et prenait déjà des décisions la concernant.

- Je refuse de porter ce truc.

- Va dire ça à Maître Thomas alors, répondit Dix nonchalamment.

- Je suis sûre qu'il veut me voir mourir avec sa brosse à dent sous le nez, rétorqua la guerrière en touchant la plaque de métal sur son torse.

Son col était si large qu'on pouvait presque apercevoir sa poitrine, et que dire de la jupe lui arrivant tout juste sous les fesses. Elle n'avait jamais été pudique. La nudité faisait partie intégrante de sa vie sur l'île, mais le comportement des hommes la poussait à se couvrir le corps. Cera n'aimait pas le regard animal de certains d'entre eux.

- Pas besoin de l'ajuster. Je ne le porterais pas.

La jeune femme retira l'ensemble et le posa négligemment au sol. Thomas n'était pas son maître. Il n'avait aucun droit sur elle. Priam était le seul à détenir un droit de vie ou de mort sur sa personne. Il était le seul homme qu'elle acceptait d'obéir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez