Chapitre 11 : La parade des paons

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La Parade des paons. Le nom était des plus appropriés pour définir le tableau qui se trouvait sous ses yeux. Les hommes des Maisons se pavanaient dans leur plus beau costume au côté des plus jolies femmes du pays.

Dix lui avait parlé de ce « Banquet des Dieux » quand Priam l'avait invité, un peu plus tôt dans la journée. Son imagination était loin de rendre honneur à ce qu'elle voyait.

Un luminaire de cristaux, suspendu au milieu de la pièce, rappelait le soleil d'été. De gigantesques miroirs étaient accrochés de part et d'autre du lustre, accentuant l'effet de grandeur. Les murs, quant à eux, étaient tapissés de feuilles d'or. Leur présence en grand nombre parvenait presque à éblouir les convives. Des fauteuils étaient disposés dans un coin et des tables où se sustenter dans l'autre.

Des musiciens manipulaient leurs instruments avec minutie au milieu de la pièce. Cera se laissa un instant transporter par la musique. Elle n'avait jamais entendu une telle mélodie. Des masques barraient leur visage d'anonymat, les démarquant du reste des invités, mais n'enlevaient rien de leur présence scénique. La jeune femme était subjuguée. Elle aurait aimé se concentrer sur la musique, mais la main de Priam sur sa peau nue laissa derrière elle une traînée de frissons.

- Tenez-vous bien et vous aurez droit à une récompense, murmura-t-il à son oreille.

Cera réajusta sa robe en satin. Elle était nerveuse par la proximité de l'héritier qui ne l'avait pas lâché depuis leur arrivée. Si elle en croyait le comportement des autres couples, elle n'était présente qu'en tant que faire-valoir.

Priam la guida jusqu'aux tables recouvertes de petits-fours. Il pouvait sentir sa frustration d'être ici. Et comment lui en vouloir ? Le visuel était semblable à l'emballage d'un bonbon appétissant : ce n'est qu'une fois le poison avalé que la victime se rend compte de la supercherie.

L'héritier proposa un toast au caviar à sa compagne. Cette dernière accepta, curieuse de connaître le goût de ces petites billes sombres. Le maître fronça les sourcils et la mit en garde :

- Méfiez-vous de ceux qui vous offrent un verre ou un en-cas. Vous ne savez pas ce qu'ils peuvent mettre dedans.

- Je dois me méfier de toi aussi ?

- Surtout de moi, rétorqua-t-il, le regard sombre.

L'entourage le plus proche était le plus à même de trahir. En Galléan, la confiance n'avait que peu d'importance. L'égoïsme était l'un des piliers de la société.

Priam jeta un œil à la jeune femme à ses côtés. Cera était resplendissante dans cette robe sombre. Le noir rehaussait sa carnation des îles. Le satin épousait son corps sportif avec finesse, et sa nuque était parfaitement mise en valeur avec son chignon haut. Le jeune homme s'était empêché de rire en voyant ses pieds chausser des caligaes dorés, similaires à celles porter lors de ses combats.

- Dix est venue te parler de ma nouvelle tenue ?

L'interrogation dans son regard la rassura. Thomas avait pris cette décision sans le consulter. Père et fils avaient visiblement des problèmes de communication.

- Quelle tenue ?

- Le « Grand Maître » m'a envoyée une nouvelle tenue pour la fosse, partagea-t-elle en mimant les guillemets. Et je ne la porterais pas.

Elle avait vu Dix utiliser cette gestuel à plusieurs reprises pour accentuer certains mots. Elle s'était donc mise à la copier.

Priam souffla, fatigué. Thomas était un autre problème à régler. Le jeune homme avait déjà réfléchi à divers moyens de s'en débarrasser, mais il avait encore besoin de son influence en société. Aux yeux des autres, il restait le pauvre orphelin adopté, victime de la Grande révolte quelques années plus tôt. L'image du corps de ses parents lui revint brièvement en tête. Cet événement avait été une véritable catastrophe pour tout le monde.

- Je peux vous l'épargner cette semaine mais s'il insiste, vous n'aurez pas d'autres choix.

- Tu es mon Maître, rappela Cera en serrant les dents.

- Merci de vous en rappeler, ricocha l'héritier en marquant bien son vouvoiement.

Un autre homme que lui aurait déjà giflé la femme pour son insolence. Et Priam l'aurait probablement fait si une tiers personne avait été témoin de la conversation. Il ne pouvait montrer son autorité piétinée.

- Priam, salua Charles Argonaute, le visage chaleureux.

- Charles ! Répondit l'interpellé, surpris. Vous allez bien ?

Les deux hommes s'éloignèrent, non sans un regard d'avertissement de la part de son Maître. Cera leva les yeux au ciel et s'intéressa au contenu du buffet. Toute cette nourriture aurait pu nourrir sa tribu pendant une semaine. La chasseuse croqua dans un toast accompagné d'une étrange crème verte. Une unique bouchée suffit à le reposer. Trop de sensations se mélangeaient dans sa bouche. Elle but ensuite un liquide orange pour se laver le palais. Acidulé mais délicieux.

- Vous êtes de la Maison Emrys.

Cera leva les yeux et rencontra, à sa grande surprise, la reine de la fosse. Niké. Cette dernière était toujours habillée de dorée. Sa longue robe et ses talons vertigineux firent presque pâlir de jalousie la jeune femme.

- Niké, c'est bien ça ?

La chasseuse ne l'appréciait pas beaucoup. La guerrière était un peu trop hautaine pour espérer en faire une amie. Au détour d'un couloir, elle avait entendu les mots durs de la femme envers ses concurrentes.

Les lâches ne méritent pas de vivre.

Ces mots l'avaient grandement touché bien qu'elle ne veuille pas l'admettre. Lâche. Elle l'avait été plus d'une fois. Sur le moyen flottant, elle n'avait pas défendu Ely. Dans la fosse, elle ne s'était pas laissé mourir. Elle ne s'était pas battue pour ses libertés parce qu'elle savait que c'était perdu d'avance. Elle était là, la triste réalité.

Les lâches méritent de mourir.

Cera souffla avant de finir son verre.

- Mauvaise journée ? Demanda Niké, l'air sympathique.

- Mauvaise année, corrigea la plus jeune.

- J'ai déjà été à ta place. Je sais ce que c'est.

La brune en douta sérieusement.

- Je viens aussi d'une île LUX.

Cera releva la tête, surprise. Si elle s'était attendue à ce genre de révélation...

- Comment tu es arrivée jusqu'ici ?

- On me l'a proposée et j'ai dit oui. Comment refuser... déclara-t-elle en désignant le faste des lieux.

Ses yeux brillaient d'une nouvelle lueur. Elle semblait complètement épanouie. Son enthousiasme gêna quelque peu la chasseuse. Leurs impressions étaient diamétralement opposées.

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé là-bas ?

Niké sourit. Avant qu'elle ne puisse en dévoiler davantage, elle fut rejointe par Abraham Kirsteein, Grand Maître de la Maison. Ce dernier était un peu plus vieux que la femme à ses côtés. Cera suivit le chemin de sa main jusqu'à la hanche de la lionne.

- Vous discutiez de la prochaine épreuve ?

- Oui. Treize est une femme intéressante... confia-t-elle à son compagnon en apposant sa paume contre son torse.

Cera rencontra le regard sombre de l'homme. Sans le savoir, elle transgressait l'une des règles érigée par Priam. Regarder un homme dans les yeux était considéré comme de la désobéissance et perçu comme un affront. Si Abraham se sentit offensé, il n'en montra cependant aucun signe. La chasseuse, elle, devint vite gênée par sa présence. Au milieu de ce couple, elle n'avait pas l'impression d'être à sa place. Pouvait-elle s'en aller sans un mot ?

Le Maître lui épargna de choisir, s'éloignant en compagnie de Niké. Cera souffla, rassurée. Elle se détourna d'eux pour se concentrer sur le reste de la pièce. Son regard suivit instinctivement la provenance du son qui enchantait ses oreilles. L'un des musiciens soufflait dans un instrument doré mais usé. La mélodie était percutante.

- Alors, qu'est-ce qu'elle te voulait ? Demanda curieusement Althéa.

Cette dernière était drapée d'une robe près du corps. L'encolure cœur rehaussait sa poitrine et attirait presque inconsciemment les regards. Le tissu noir lui arrivait juste au dessus du genoux. Ce nouveau style vestimentaire la métamorphosait en une femme élégante.

- Rien de spécial.

Cera chercha Priam dans la pièce. L'homme l'avait conviée à ce banquet et s'était sauvé dés leur arrivée ! Quel était le but de sa présence ? Les lionnes avaient été conviées mais pourquoi ? Son instinct de chasseuse l'avertissait du danger imminent.

- Qu'est-ce qui te prend ? On dirait une bête sur le point d'attaquer, plaisanta Althéa.

- Pourquoi on est ici ?

Son Maître ne l'avait pas seulement invité à ce banquet pour manger et boire. Il y avait un motif derrière tout ça. Et malheureusement, le sourire gêné de son interlocutrice confirma ce qu'elle craignait. Cera devait partir. Elle posa son verre sur la table et jura entre ses dents en sentant la main de Althéa se refermer autour de son bras.

- Tu ne peux pas t'en aller.

- Aller où ? S'enquit Priam, derrière elle.

Le jeune homme était revenu au pire moment. Son amie choisit ce moment exact pour s'éclipser et la laisser seul avec le responsable de tous ses maux. Cera le toisa d'un regard froid avant de demander :

- Qu'est-ce que je fais ici ?

Elle pouvait presque entendre les cognements de son cœur. La musique s'arrêta brusquement, accentuant les vibrations dans sa poitrine. Les lumières s'éteignirent pour ne laisser que la scène éclairée. Les invités se réunirent tous autour de la scène, sans un mot. La main de Priam la poussa à rejoindre le cercle. La jeune femme suivit son geste malgré sa réticence.

Un homme monta sur scène. Cera l'avait déjà vu sur le balcon le plus prestigieux et le plus haut de l'arène.

- Messieurs. Maintenant que les festivités ont commencé, je vous invite à participer à mon amuse-bouche favori : le dressage, déclara-t-il avant de désigner une personne dans l'assemblée. Dallas.

Une jeune fille aux jolies boucles dorées se présenta. Elle ne devait pas avoir plus de seize ans. La chasseuse la vit monter sur scène rejoindre son maître. Ses joues rougirent de nervosité.

- Fais le chat, ma belle.

Dallas miaula, timidement. Cera, elle, cherchait toujours à comprendre l'intérêt d'un tel spectacle. Il avait appelé ça le « dressage ». La brune avait alors pensé, pendant un bref instant, assister à un tour avec des animaux. Elle n'était pas si loin du compte puisque les animaux en question étaient des femmes.

- Je veux te voir ronronner à mes pieds, ordonna Christian Argonaute, la mine sévère.

La jeune fille se déplaça à quatre pattes autour de ses jambes avant de frotter son flanc contre l'une d'entre elle. Elle miaula à nouveau, et Cera détourna le regard. Le dégoût était imprimé sur son visage. Faire subir pareil humiliation à une fille qui n'avait rien demandé... Tout simplement répugnant. Si Priam cherchait à lui faire vivre un sort similaire, elle jurait de s'enfuir de cet endroit. Elle ne s'abaisserait jamais ainsi devant quiconque. Homme comme femme.

Un nouveau couple prit la place des Argonaute. Puis un autre. Plus le temps passait, pires étaient les humiliations. La brune serra les poings en voyant l'une de ses concurrentes dénuder le haut de son corps. Telle une poupée, elle fut forcée à se pétrir les seins, suivant précisément les mots de son manipulateur.

Cera ne ressentit rien de plus que de la rage. Si on lui en avait donnée la possibilité, elle les aurait tous tués. Ces hommes ne méritaient rien de mieux que la mort. Lente. Et douloureuse. Les voir ainsi manipuler les femmes, comme de vulgaires objets, avait fini de la convaincre de leur malice. Ces êtres étaient mauvais. Foncièrement mauvais.

La chasseuse planta la semelle de ses chaussures dans le sol en sentant son maître l'attirer vers la scène. Il ne l'obligerait pas à faire ce genre de chose, pensa-t-elle, la mâchoire serrée.

- Tenez-vous tranquille cinq minutes. Je ne vais rien demander d'insurmontable, confia-t-il à voix basse tandis qu'ils montaient tous les deux sur le podium.

Cera le défia du regard. Elle n'accordait aucune confiance en sa parole, et les mots qui sortirent de sa bouche lui donnèrent raison :

Lèche mes bottes.

Sa requête suscita des sifflements et des rires dans l'assemblée. La brune, elle, resta immobile devant l'homme. Elle ne s'abaisserait pas à ça. Plutôt mourir.

- Je ne me répéterai pas.

Elle resta fermement campée sur ses jambes. Cera s'empêcha de trembler en sentant la présence menaçante de Priam. L'homme s'était rapproché d'elle, la surplombant d'une bonne tête. La jeune femme aurait très bien pu lui envoyer un uppercut du droit, mais les conséquences engendrées n'en valaient vraiment pas la peine. Il ne la tuerait pas, elle en avait la certitude depuis quelques jours.

Tu ne veux vraiment pas me désobéir, Treize.

Son maître souffla discrètement avant d'appuyer sur la première touche du boîtier. Ce dernier avait récemment était configuré pour qu'il envoie une décharge à Cera à chaque fois qu'il appuyait sur le bouton 1. Priam en avait fait la requête après ses actes de défiance répétées.

La décharge plia son corps. Les membres crispés, Cera ne résista pas longtemps avant de s'effondrer au sol. De terribles picotements lui brûlaient la peau. Un sifflement traversa brièvement ses oreilles avant que les acclamations de la foule ne reprennent le dessus. Elle se redressa légèrement sur ses coudes, relevant la tête pour croiser le regard acier de son tortionnaire. Il ne la lâcherait pas. Elle le voyait.

Son attention dériva vers les hommes aux alentours qui exultaient de la voir dans une telle position. Sauvage, entendit-elle. Elle souffla et tenta de se remettre debout. Sa tentative fut néanmoins freinée par la semelle d'une chaussure qui faisait douloureusement pression sur sa main. Elle gémit en sentant sa peau se déchirer par endroit.

Son regard remonta jusqu'à son visage indifférent. Priam attendait, les bras le long du corps, qu'elle suive ses ordres. Et Cera sentit les larmes monter à cette perspective. Elles avaient le goût de frustration, d'impuissance, mais surtout d'humiliation. Une nouvelle décharge plia son corps. Ses lèvres se rapprochèrent du cuir, semblant neuf, de la chaussure. Son chagrin vint mouiller le soulier tandis qu'elle obéissait, le corps et le cœur souffrant.

Elle finit par s'en éloigner, inconsolable, le visage perdu dans ses bras, caché à la vue de tous. La jeune femme voulait devenir invisible aux yeux des gens. Elle voulait juste disparaître.


 

Cera avait été ramenée dans sa chambre après cette scène. Les fourmillements tenaient son corps prisonnier. Sa volonté l'avait abandonnée. On l'avait posé sur son lit et elle s'était endormie, le visage baigné de larmes.

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