Chapitre 14 Bon !

Par Cathie

 

Il faut plusieurs heures aux voyageurs pour atteindre le goulet d’une ancienne cuvette glacière. Au fond, ils aperçoivent enfin le fort, adossé à la falaise. Des rochers, de tailles et de formes variées, parsèment un sol accidenté.

Tout semble calme, mais il s’agit d’être prudent. À côté d’eux, un fragment de roche offre un abri relatif : le moment et l’endroit paraissent bien choisis pour faire une pause.

Le chevalier détache le chariot qu’il a bricolé en deux temps trois mouvements, afin de permettre au cheval, avec son accord explicite, de transporter le miroir : deux roues, un essieu et un cadre qui isole le miroir et le maintient debout juste derrière le cheval. La face réfléchissante tournée vers l’arrière permet aux jeunes gens de marcher à coté de la monture. Copine a déployé de vains efforts pour recouvrir le miroir, mais il semble que ce dernier veuille profiter du paysage.

— Je ne pense pas que ce soit un problème, a jugé la jeune fille. Sur son socle et vu l’angle de transport, seul un géant pourrait s’y voir.

Le chevalier décide d’aller faire quelques pas de reconnaissance en se glissant d’un rocher à un autre.

Quand il revient, il est perplexe : les abords du fort sont extrêmement calmes, il n’y a pas le moindre bruit, pas le moindre mouvement. C’est dévasté, sale, semé de carcasses mais c’est vide !

— Je ressens de très étranges vibrations, déclare Copine, mais je suis trop loin, il faut que je m’approche.

À peine a-t-elle fait un pas vers le fort qu’un hurlement de sirène s’élève du miroir. Copine jette un regard au chevalier qui ouvre de grands yeux affolés :

— On avait dit qu’on essayait de rester discret, mais ça va être difficile avec ce meuble qui ne te lâche pas les basques.

— Mais non, le rassure Copine, il suffit de l’emmener avec nous. Ça ne vous embête pas Messire Cheval, de venir avec nous ?

— Pour être tout à fait honnête, My Lady, je suis… partagé. Mais si mes services sont requis…

Une fois le chariot remis en place, la petite bande s’avance vers l’entrée des remparts en suivant un chemin tortueux qui leur permet de passer d’un rocher à l’autre. Ils y font de courtes poses, l’œil à l’affut et l’oreille tendue. Mais rien ne bouge !

— On ne s’est pas trompés de fort, quand-même ! marmonne le chevalier. Ce ne serait pas la première fois que…

— Non, coupe le cheval, vue l’odeur, on est au bon endroit.

— Je suis d’accord avec vous, Messire Cheval, et je suis déstabilisée par l’énergie lourde, immobile qui règne ici. C’est une espèce d’encrassement, d’inertie nauséabonde, lugubre et malsaine, ajoute-t-elle en frissonnant, et plus nous avançons plus j’ai envie de déguerpir au plus vite.

— Il faut jeter un coup d’œil dans le fort, quand même, avance le chevalier. On y est presque !

Ils se collent contre l’épaisse muraille du rempart, et le chevalier jette un coup d’œil par l’ouverture béante qui permet d’accéder à une grande cour jonchée de déchets et d’ordures mais aussi vide et silencieuse que le reste de la vallée.

Le cheval puis Copine le rejoignent dans l’entrée et observent sans un mot ce qui ressemble beaucoup à un antre abandonné.

— Très étrange, déclare le cheval en faisant un large demi-tour pour rattraper Copine qui s’est détournée avec détermination de cette vision de chaos.

Perplexe, le chevalier se demande s’il doit s’aventurer plus avant dans le fort. Se retournant pour interroger ses compagnons, il réalise qu’ils lui tournent le dos et sont en train de profiter de la vue.

— C’est vrai que c’est magnifique, d’ici, commente le cheval, dommage que cela soit si mal entretenu.

Le chevalier va exprimer son accord et sa perplexité quand un feulement rauque déchire l’atmosphère. Derrière eux, l’air s’enflamme : un dragon d’une obésité proprement monstrueuse vient d’apparaitre au fond de la cour et se traine vers eux.

Prise d’une panique aussi soudaine qu’incontrôlable, Copine hurle et part en courant à travers la cuvette, attirant aussitôt l’attention du dragon qui, au prix de gros efforts, s’élance à sa poursuite.

Le chevalier qui d’instinct s’est replié entre le cheval et le miroir pour se soustraire à la vue du monstre, ne voit plus qu’une chose : Copine est en danger !   

Sortant de sa cachette, il se met à gesticuler près du miroir. Coupé dans un élan que sa masse rend difficile à soutenir, le dragon ravale ses flammes et s’arrête. Le chevalier en profite pour se mettre à crier aussi fort qu’il le peut :

— Messire Dragon, voyez ce que nous vous avons apporté : un cadeau d’une grande valeur, un trésor que vous, grand amateur de trésors, apprécierez à sa juste valeur. Une offrande qui vous permettra d’admirer votre grandeur, votre force, votre beauté…

Crachotant quelques flammes poussives en direction du chevalier qui se réfugie derrière le miroir, le dragon s’approche lentement.

— Mais à quoi tu joues, Cow-Boy ! gronde le cheval, on va finir tous les deux en hotdog…

— Ne bouge pas, murmure le jeune homme en posant une main rassurante sur la croupe de son fidèle destrier, ne fais pas un bruit, il ne t’a pas vu.

Des halètements et frottements divers accompagnent la lente progression du dragon. Bientôt il atteint le miroir, mais ne semble pas vouloir s’arrêter. Le chevalier décide alors qu’il est temps de faire une prière : s’il s’est trompé en suivant son intuition, ils n’ont plus aucune chance d’en réchapper.

Quand le chevalier réalise qu’il entame déjà son deuxième Ave Maria, il risque un coup d’œil vers le monstre : planté devant le miroir, ce dernier s’est arrêté. Ses yeux, ses naseaux et son énorme gueule s’ouvrent démesurément en une expression de saisissement consterné. Un feulement sidéré s’élève soudain de la monstrueuse gorge et un jet de flamme se tarit en deux gros nuages de fumée noirs au-dessus de ses naseaux.

Brusquement, le monstre se dresse de toute sa hauteur en rugissant et son énorme queue bleue frappe la poussière avec violence.

Hélas, le chevalier en est sûr, il va fracasser le miroir d’un coup de sa formidable patte !

Au lieu de ça, le dragon s’affaisse du côté opposé. Encore quelques soubresauts avec force claquements de mâchoires et de langue, pendant que ses écailles passent d’un bleu intense à un violet sombre, et brusquement, la lourde tête s’abat sur le sol dans un fracas apocalyptique.

Copine, qui n’était pas allée plus loin que le premier rocher revient vers l’équipage :

— Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est une ruse ? Il va nous sauter dessus dès qu’on va s’approcher ?

— Je ne crois pas, déclare le cheval en se retournant à nouveau vers le monstre. D’abord, les dragons ne sont pas des acteurs consommés. Ensuite… croyez-en mon instinct, celui-ci vient de rendre l’âme, si tant est que ce qu’il vient de rendre en était une.

Puis, se tournant vers le chevalier :

— Et bien, Cow-Boy, il semble que tu nous aies sorti de ce mauvais pas. Un commentaire ?

Le chevalier considère le dragon avant de murmurer :

— Heu, non, plutôt une impulsion, une intuition, que le miroir, si dangereux sans sa propriétaire pouvait être une arme efficace dans cette situation. Je n’y croyais pas moi-même.

— Et bien, My Lady, que dites-vous de ça ? Y a-t-il de l’espoir pour notre chevalier ?

— Toujours, Messire Cheval, il y a toujours de l’espoir et je n’ai jamais douté de lui !

— Mais qu’est-ce que vous racontez, tous les deux ! s’impatiente le chevalier. Je… je… je n’arrive pas à croire que tout soit fini !

— Tu n’as aucun regret à avoir, Cow-boy. Les combats contre les dragons, on en fait tout un plat mais c’est terriblement indigeste, en plus d’être mortel, trop souvent. Réjouis-toi de t’en être sorti sans une cloque et crois-moi : il est inutile de passer avec cette racaille, même morte, plus de temps que nécessaire.

— Bon ! Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Attends un peu qu'il ait refroidi, que tu n’ailles pas te brûler en découpant la queue, propose Copine. Et on pourra peut-être la charger à côté du miroir… s’il est d’accord.

— Finalement, nous lui devons une fière chandelle, à ce miroir, muse le chevalier. Et à toi, Copine, ainsi qu’à ton livre.

— Oui, murmure Copine, j’ai bien fait de suivre ses conseils.

— Franchement, tu y trouves dans ce bouquin tellement informations précises, tant de conseils spécifiques… tu es sûre que tu as besoin d’un autre Objet Magique ?

— C’est vrai ça, approuve le cheval. Un objet magique peut en cacher un autre.

Copine regarde le cheval puis le chevalier et porte tout à coup sa main à sa bouche en un geste d’étonnement intense. Puis elle se précipite sur sa besace dont elle extrait le livre avec des mains tremblantes :

— Tu es mon Objet Magique, n’est-ce pas ?

Puis elle l’ouvre au jugé et tombe sur l’histoire d’un chevalier trop timide pour poser à un roi blessé la question qui l’aurait guéri. Quand il s’y résout finalement, le roi le réprimande gentiment : Eh bien, j’ai cru que tu ne la poserais jamais, cette question !

— Je me disait aussi, My lady… !

Les yeux brillants, Copine leur raconte alors son excitation quand sa grand-mère lui avait confié le Livre, l’onde d’énergie qui l’avait traversée et qu’elle avait prise pour de la fierté, de la reconnaissance, de l’amour pour son aïeule. Alors que c’était, elle en est persuadée maintenant, l’étincelle qui jaillit et embrase la magicienne qui touche son Objet Magique.

— Bon, conclut le cheval, ça, c’est fait… Chevalier ?

Le chevalier tranche la queue dragonesque du seul coup d’épée qu’il aura donné et le miroir accepte de bonne grâce de faire une petite place à l’appendice encore fumant sur le chariot.   

— Finalement, ce miroir n’est pas de si mauvaise composition, déclare le jeune homme. Et je continue à penser que la princesse le trouverait à son goût.

— Si elle a des gouts aussi kitch, alors elle mérite de l’avoir, grimace Copine.

 

 

— Moi qui espérait que notre retour au château serait rapide, marmonne le chevalier en libérant le cheval de son encombrant attelage pour une pause bien méritée et, une fois n’est pas coutume, à l’écart de la foule en liesse.

Copine, déjà assise sur une pierre plate, à l’orée d’un petit bois, repousse ses boucles pour offrir ses taches de rousseur au soleil :

— Moi, je trouve plutôt agréable d’être accueillis partout avec des cortèges triomphales, des fêtes foraines et des banquets de bienvenue. Être acceptée comme magicienne, et qui plus est magicienne héroïque, voilà un retournement de situation dont je ne me lasse pas.

Le chevalier n’est pas de cet avis :

— Tu ne trouves pas qu’ils en font un peu trop ? Toute cette gratitude nous ralentit et au bout du compte, ça n’a été ni compliqué ni bien dangereux.

— C’est ta façon de voir, répond Copine. Je trouve au contraire que nous avons négocié habilement un grand nombre d’embuches.

— C’est que notre Cow-boy est un vrai héros, pas juste humble mais réellement convaincu qu’il n’a fait qu’être au bon endroit au bon moment… ce qui est le cas, bien sûr. Mais vous avez raison aussi, My Lady ; sans notre petite équipe, le monstre serait encore là ! Or la proclamation et la récompense sont des étapes importantes dans le parcours du héros.

— Je sais ! marmonne le jeune homme. Mais, vu la rapidité à laquelle vont les nouvelles, le roi est déjà au courant. Et à part sa reconnaissance éternelle, qui nous était déjà acquise rien que pour avoir essayé, je ne vois pas ce que ce pauvre roi va pouvoir nous offrir comme récompense.

Devant l’air outré de Copine, il marmonne :

— C’est que j’ai hâte de repartir vers la princesse, moi !

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Miaoo!
Posté le 28/12/2019
Une coquille ?
Encore quelques soubresauts avec force claquements de mâchoires
Je continue la lecture ... en effet, je me rire da entrain de sourire et de me dire que finalement ce n’était pas si compliqué de le détruire ce dragon ... à moins que ... autre chose se prépare ..😏
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