Chapitre 10

J'avais enfin trouvé un avantage à la venue d'Armie pour cette soirée : c'était lui qui s'était chargé d'annoncer au patron qu'on quittait le travail plus tôt pour aujourd'hui. Même si nos horaires pouvaient être assez flexibles, il était toujours mieux de s'assurer auprès du patron que nous n'étions pas dans l'abus.

Alors, en début d'après-midi, nous avions tous deux quitté notre travail pour quelques préparations. Mon collègue avait prévu de venir me chercher en taxi. Ça me paraissait être une très mauvaise idée au vu du trafic dans cette ville, mais il n'avait rien voulu écouter. Tant pis pour lui.

Je n'avais pas grand-chose à prévoir, mis à part m'informer un minimum sur l'évènement et les personnes présentes. Rey faisait partie des têtes d'affiche et j'en étais assez étonné. À la base, elle n'était qu'une simple personne qui postait du contenu divertissant sur internet, et pourtant, elle avait réussi à faire entendre sa voix. Enfin, maintenant je commençais à découvrir sa facette bien plus calculatrice et un brin manipulatrice que j'en étais à peine étonné. J'étais clairement sur la bonne voie pour apprendre une vraie saloperie à son sujet...

Peut-être qu'elle était le genre de personne qui usait de concurrence déloyale sous toutes ses formes, et rien que ça, ce serait déjà un bon début pour l'exposer à travers un article.

J'aurais pu utiliser une partie de sa vie sexuelle, mais je savais d'ores et déjà que ça n'aurait aucun intérêt. Dévoiler la vie sexuelle d'une femme — quand bien même celle-ci avait une image comme Rey — n'avait que peu d'impact. Et tant mieux sur ce point, heureusement que les mœurs avaient évolué...

Je jetai un bref coup d'œil à mon reflet dans le miroir. Ma tenue était impeccable. Mais j'avais encore ces foutus suçons dans le cou. J'allais encore devoir me munir d'une écharpe. Heureusement que j'avais une écharpe noire qui ne jurait pas trop avec le reste de ma tenue.

Puis une bribe de ma fougueuse nuit avec Rey me revint. Cette cravate qu'elle aurait aimé retrouver autour de mon cou. J'avais un moyen pour la provoquer, ou du moins, pour tenter. Après tout, il était assez compliqué de la déstabiliser.

Sauf quand on avait abordé le sujet de la solitude. Et au vu de ce que je commençai à découvrir d'elle, je pouvais bien mieux le comprendre. Mais sa bienveillance exacerbée sur les réseaux était toujours un grand mystère pour moi...

Alors, j'espérais vraiment que cette cravate que je peinais presque à nouer allait vraiment la ravir.

En voyant qu'il ne me restait qu'une bonne demi-heure, je vérifiai si je n'avais pas un travail de dernière minute à faire ou à rendre. Je n'avais rien d'urgent pour le moment. Mais par le plus grand des hasards, je me rendis compte que Rey venait de poster une nouvelle vidéo. Une vidéo à propos de l'exposition que nous avions vue à deux. J'espérais vraiment qu'elle ne m'avait pas laissé apparaître dans cette vidéo...

Je lançai sa vidéo, confortablement installé dans mon fauteuil. De toute manière, je n'avais rien de mieux à faire pour le moment et ça pourrait nous faire un sujet de discussion.

Elle avait bien fait attention à ne jamais me filmer, à toujours trouver les bons angles pour me masquer subtilement. Jusqu'alors, personne ne pourrait se douter qu'elle avait été accompagnée. Certes, il y avait peut-être un bout de mon ombre qui dépassait par moment, mais vu le monde ambiant, ce pouvait être n'importe qui.

Elle avait même monté la vidéo pour que la musique prenne le dessus. Il n'y eut qu'un moment où on entendit ma voix. Juste une brève discussion où j'avais argumenté sur une œuvre pour gagner un point à notre petit jeu. Il n'était nullement fait mention du jeu, mais on entendait tout de même ma voix. Même s'il y avait toujours un fond musical pour accompagner la vidéo, celui-ci avait été réduit volontairement durant cet échange.

Savait-elle quels risques elle prenait pour ces quelques secondes de discussion ? Probablement. Il n'y avait que peu de chance qu'elle ait volontairement fait une telle erreur. En fait, la question était plutôt : qu'en espérait-elle ?

Puis elle finit l'exposition pour la retrouver dans la deuxième partie de sa vidéo. Cette fois-ci, il s'agissait de son décor habituel, probablement son studio ou une partie de son logement consacré à ça. Je reconnus immédiatement ma chemise sur elle. Bien trop large pour sa carrure. Mais en même temps, elle l'avait utilisé comme une veste où elle avait mis un débardeur en dessous et un simple jean. Une tenue assez détendue, rien à voir avec cette robe aguicheuse.

Je reçus un message de Armie pour me prévenir qu'il était à une dizaine de minutes de mon immeuble. Alors, je profitai de ces précieuses minutes pour regarder les quelques commentaires sous sa vidéo. Peut-être qu'il valait mieux que je me fasse une meilleure idée de sa communauté. Mais je ne m'attendais pas à voir autant de commentaires au sujet de la "voix de l'inconnu", autrement dit ma voix.

Beaucoup se demandaient s'il s'agissait de ses amis qu'on pouvait apercevoir dans quelques-unes de ses vidéos, un membre de sa famille, mais beaucoup confirmèrent qu'ils n'avaient jamais entendu ma voix. Tous semblaient se mettre d'accord sur le fait que j'avais une voix assez grave, assez identifiable, et donc, qu'ils auraient forcément pu l'identifier s'ils la connaissaient réellement.

Elle avait prévu ses réactions, je n'arrivais pas à croire le contraire. Mais qu'en attendait-elle ?

Deux jours auparavant, j'avais pu apprendre qu'elle espérait coucher avec moi, et ce, dès notre rencontre. Maintenant que c'était fait, à quoi s'attendait-elle ? Elle ne semblait pas être une femme très intéressée par le fait d'avoir une relation stable et casée, mais plutôt par le fait de s'amuser, jouer avec les limites...

Était-ce qu'elle avait prévu encore une fois ? Me provoquer de nouveau ?

Probablement.

Mais si je lui avais donné l'autorisation de m'inclure dans la vidéo, l'aurait-elle vraiment fait ? J'avais comme la sensation que peu importe la réponse, les faits actuels n'auraient pas changé.

N'ayant plus de temps pour tergiverser, je mis mon manteau et cette écharpe pour rejoindre le taxi d'Armie en bas de l'immeuble. Au bout de quelques minutes, il me récupéra sur le bord du trottoir.

Armie avait lui aussi mis un costard pour l'occasion, mais sans la cravate contrairement à moi. Il ne fit aucune remarque sur cet ajout à ma tenue. En même temps, ça n'avait rien d'extraordinaire.

— Tu sais comment tu vas l'aborder ? m'interrogea-t-il, un sourire en coin.

— Ne t'en fais pas, elle me reconnaîtra. Peut-être même qu'elle viendra vers moi d'elle-même...

Je jetai un bref coup d'œil à mon téléphone, un peu dans l'espoir d'avoir un signe de Rey. Je m'attendais à un message, au moins pour me provoquer par rapport à sa dernière vidéo. À moins qu'elle pensait que ça passerait totalement inaperçu.

J'étais bien tenté de lui envoyer un message. Je l'aurais fait si je ne craignais pas de tomber dans un de ses nombreux pièges. Vraiment, le pire des requins que j'avais croisé. Et pire que tout, j'avais couché avec elle.

 Je ne pouvais pas non plus rédiger un message à Rey sous les yeux d'Armie. Je n'avais pas envie d'éveiller le moindre soupçon de son côté.

— Tu es vraiment un peu trop sûr de toi... T'es au courant que la chute sera bien plus brutale ainsi ?

— Crois-moi, même si elle adore tout ce qui tourne autour des associations, il y aura forcément un moment où elle s'ennuiera comme tout le monde. Et comme toute personne qui s'ennuie, elle se tournera vers les personnes qu'elle connaît. Vu qu'on s'est quand même croisé dimanche, je ne doute pas que ce soit suffisant.

— Tu es vraiment trop sûr de toi, insista-t-il en se tournant vers la vitre.

Il observa les paysages qui défilaient pendant quelques secondes avant de revenir vers moi.

— T'es au courant qu'un de ses amis YouTubeur vient aussi ? Elle ne sera clairement pas seule.

— On verra bien. Tu sais très bien que j'obtiens toujours ce que je veux.

Il leva les yeux au ciel et son regard se porta de nouveau vers la vitre. D'une certaine manière, j'avais mis fin à cette discussion et ce n'était pas plus mal ainsi. Ça m'évitait de prendre des risques superflus.

Sauf que j'en venais maintenant à ressasser les derniers évènements. Je ne regrettais certainement pas cette partie de jambes en l'air, bien qu'elle soit assez atypique. C'était un moment où la douceur et la brutalité s'étaient rencontrées. Ce moment qui avait pu me confirmer ce que je pensais à propos d'elle...

Et ce soir, une autre page allait se tourner... Mais laquelle ?