3. La soif et le thé

Par Jowie
Notes de l’auteur : modifié le 10/02/2020

Le front et les vêtements couverts de rosée, Sebasha replia sa tente de fortune et l'enfouit dans un des sacs attachés à Pia qui, le cou étiré, poussait des cailloux inertes du bout du nez. Comme Eleonara demeurait figée sur place, l'Opyrienne s'appuya contre son cheval et dit, bras croisés :

— Fille. L'araignée dans le nez, c'était une plaisanterie. La bave, non.

L’intéressée la dévisagea sans rien dire ni saisir. Qu'était un minable arachnide aux flancs des atrocités qu'elle avait vues pendant la nuit ?

Eleonara retourna sur le lieu des faits. La dune voisine ne présentait aucune empreinte suspecte. Pas de traces dans le gravier, pas de toiles noires abandonnées. Ses muscles tendus ne se relâchaient pas pour autant. Comme si l'obscurité pouvait ressurgir sans prévenir, mesquine, et la livrer aux abominations qui l'habitaient.

« Ce n'était qu'un cauchemar. Un cauchemar », se répéta-t-elle pour se rassurer.

Un cauchemar qui avait visé juste, qui l'avait forée là où elle était à l'agonie. Un cauchemar qui l'avait vidée de l'intérieur et engourdi le cœur. Et elle n'avait rien pu y faire.

Ses poings se comprimèrent, une bouffée ardente afflua à sa tête et un grognement furieux remonta dans sa gorge. Elle ramassa un caillou, le projeta aussi loin et aussi fort qu'elle le pouvait, avant de réitérer encore et encore, de toutes ses forces. Elle voulait percuter la Calavère toute entière : ses collines râpeuses, sa faune indétectable, son soleil de plomb, ses nuits délirantes. Elle voulait la heurter, lui faire mal, lui arracher une exclamation, la faire payer en souffrance. Impassible, le vide acceptait ses tirs.

— Maudit désert, maudit reg ! Meurs, crève ! Je te hais, tu m'entends ?

Au lieu de percuter et de rebondir, ses projectiles finissaient leur courbe en roulant. À défaut de pouvoir se défouler, Eleonara planta un coup de pied enragé dans le sol qui dégagea un jet de poussière et de gravier.

— Crie plus fort, peut-être que le désert te répondra, la railla Sebasha. Va, lance plus haut et voyons s'il te mord ! Damnation, tu es une remarquable boule de fureur ! Si tu ne t'étais pas assoupie en faisant la garde, tu n'aurais pas aussi mal dormi.

Eleonara expira par les narines et épousseta ses vêtements couverts de cendre dorée et de sueur.

— Je n'aurais pas dormi du tout, rectifia-t-elle. Bon, je suis prête. On y va ?

— Nous n'avons pas ramassé le crottin de Pia.

La jument hennit à son nom, visiblement fière de son dernier chef-d’œuvre.

— Nous sommes dans un désert, protesta l'elfe en s'essuyant les tempes. Ça ne dérange personne si on le laisse là.

L'heure était matinale mais la chaleur la mettait déjà de mauvaise humeur. La Peau Sombre détacha un sac vide de sa selle.

— L'école de Diutur ne t'a-t-elle rien enseigné ? L'excrément séché est un excellent combustible. Et salir le désert, c'est irrespectueux. Je ramasse.

Étouffant un hoquet de stupeur, Eleonara regarda Sebasha se baisser, ranger le crottin dans un sac de toile et le pendre à sa selle.

 

— Comment savez-vous dans quelle direction aller ? demanda l'elfe lorsqu'elles se furent remises en route.

Entre les cieux dégagés et les ondulations caillouteuses, pas un seul arbre desséché, oasis ou mirage citadin ne se laissait entrevoir. Sans sa guide, Eleonara aurait pu rebrousser chemin sans s'en rendre compte.

Enrênements à la main, Sebasha marchait à terre à ses côtés.

— Mes repères sont les astres, les ombres et l'instinct. Quand la Calavère te met au monde, t'arrose et te voit pousser, elle te montre ses points d'eau et ses étendues herbeuses. Elle reste toutefois une énigme à déchiffrer. Les pierres ne migrent pas aussi rapidement que le sable, mais elles voyagent. L'immobilité du terrain n'est qu'une illusion ; dès que tu tournes le dos, ils gondolent et fuient. Lents, certes, mais vivants.

L'image de cailloux s'entrechoquant se réimprima dans l'esprit d'Eleonara. Elle déglutit.

— Donc euh... vous avez grandi ici, au milieu du néant ?

— J'ai passé mon enfance et ma jeunesse à arpenter la Calavère de nord en sud et d'est en ouest, affirma Sebasha. J'appartiens à une des ultimes tribus itinérantes.

L'Opyrie de l'Ancien Temps était originellement une mosaïque de clans nomades. Ça, Eleonara l'avait appris en feuilletant un ouvrage sur les civilisations humaines avec Sœur Melvine. Puis les cités en bord de mer avaient bourgeonné. Le commerce portuaire avait foisonné au détriment des échanges interclaniques, jugés moins rentables. Une partie des nomades s'étaient reconvertis en fermiers, marins ou en artisans citadins, eux aussi désireux de profiter de la prospérité urbaine. Si le mode de vie ambulant traditionnel s'était raréfié, il n'avait pas disparu pour autant. Un solide réseau de marchands nomades parcourait encore le reg, déterminés à maintenir leurs traditions. Même l'occupation einhendrienne n'avait pas pu les déloger : à la moindre confrontation, les nomades n'avaient qu'à se disperser, laissant la chaleur et la soif repousser l'envahisseur à leur place. Depuis, les différents clans marchandaient comme bon leur semblait, troquant produits, anecdotes et informations quand leurs routes se croisaient. Ces rencontres n'avaient rien de fortuit : elles étaient prévues et arrangées au jour près.

Eleonara se demanda si elles verraient des nomades en cours de route. Cette idée l'attisait tout autant qu'elle l'alarmait. Une partie d'elle souhaitait que ces peuplades, illustrées par les gravures antiques et décrites par feue Sœur Rosemonde, vinssent à s'animer, parler et bouger devant elle. Parallèlement à cette fantaisie s'éveillait toutefois une nuée de soupçons, aiguillonnés par ce qui se lisait entre les lignes des manuels d'histoire – ou pire, ce qui n'y figurait pas. Comment les tribus réagiraient-elles à une étrangère déguisée en Einhendrienne ?

 

Au quatrième jour de soif, de chaleur et de nuages de poussière dorée, les voyageuses découvrirent un regroupement de guitounes blanches autour d'un puits délabré. Des chèvres aux côtes saillantes mâchonnaient les touffes déshydratées qui pointaient entre les pierres blondes. Zigzagant entre les bêtes, une bande de gamins jouait à s’attraper, pieds nus. Leur peau brou de noix luisait au soleil et contrastait avec leurs larges tuniques immaculées. Teintes à l'aide d'un mélange d'huile et d'argile, leurs innombrables petites tresses viraient au roussâtre.

Lorsque les enfants aperçurent les deux inconnues, ils interrompirent leur jeu et accoururent vers elles avec l'énergie d'une débandade sauvage. Déjà ils les avaient encerclées, les applaudissant et les acclamant par des sifflements stridents. Eleonara ne savait pas qui regarder : ils étaient si nombreux !

La marée de gamins les engloutit dans une embrassade collective. De toutes parts, on se pendait à leurs bras et à leurs hauts. Cessant de respirer, Eleonara leva les coudes et refouler les doigts qui lui grimpaient dessus comme des cafards. Face à ces visages rayonnants mais non familiers, elle était proie et eux, prédateurs. Rires trop hauts, air trop sec, présences trop proches et parfums désarçonnants ; Eleonara ne voulait qu'une chose : couler sous terre.

Lorsque certains se mirent à sauter comme pour attraper les mèches rousses qui s'échappaient de sa touaille, l'elfe redoubla ses efforts pour écarter les bras menus qui, telles des ronces têtues, poussaient vers elle sans relâche. De sa touaille, même crasseuse et transpirée, elle ne se départirait jamais.

Du regard, elle chercha Sebasha, son dernier recours. Celle-ci frottait les crânes de ses jeunes hôtes et leur rendait généreusement leurs sourires et leurs accolades.

— Soit apaisée, servante de Diutur. Les Hommes se réunissent toujours en paix autour d'un point d'eau. Comme les arbres à palabres, les puits sont des points d'échange et de réconciliation. Ta crinière est semblable à la leur par sa couleur, remarqua l'Opyrienne après un temps d’arrêt. Ça les amuse.

— Eh bien moi pas ! gémit Eleonara.

Alertés par les cris de joie de leur progéniture, des hommes et des femmes arborant les mêmes coiffures terre cuite avaient émergé des tentes. Un vieillard aboya un ordre à l'intention des jeunes qui, en moutons obéissants, s'enfuirent derrière les guitounes pour les épier. Son espace personnel regagné, Eleonara recula et s'accrocha aux rênes de Pia.

— Sebasha d'Éméride ? s'enquit le vieil homme ridé. Bienvenue, Chevaucheuse de dunes !

Ils s'embrassèrent bruyamment sur les deux joues et se lancèrent dans un baragouinage ponctué par davantage de câlins et de bécots. Ils ne communiquaient pas en ancien opyrien, la langue morte enseignée au couvent et réservée à la science, mais en une variante déformée de l'einhendrien, dont Eleonara ne comprenait qu'un mot sur trois.

Le reste des adultes, en tuniques ivoire eux aussi, imitèrent l'Ancien. En s'approchant cependant, ils eurent un louchement surpris pour Eleonara qui, ne sachant pas comment réagir, afficha une grimace désolée. En tant qu'unique face pâlichonne et corps d'asperge du reg, se fondre dans le décor poserait problème. Ne pouvaient-ils pas simplement oublier qu'elle était là ?

Eleonara savait de qui et de quoi se méfier en Einhendrie. Ce n'était hélas plus le cas au-delà de la frontière. Le plateau de jeu avait changé, amenant avec lui de nouveaux joueurs et de nouvelles règles. Il lui fallait réapprendre à réfléchir et raisonner à l'opyrienne, tout en cherchant à sauver sa peau d'elfe.

— Qui est cette Peau Pâle ?

La question avait émané de la foule de nomades, tel l'écho de leurs pensées. L'étrangère, la créature blême, l'énergumène.

— Elle ? lâcha Sebasha. C'est une Langue Alanguie, une servante de Diutur sans qui je ne serais pas là aujourd’hui. Elle est mon amie.

Eleonara haussa les sourcils et pinça les lèvres comme pour comprimer un sourire.

Quand un étau épais comprima ses épaules cependant, elle tressauta. Une voix de matrone frappa son tympan droit.

— Une servante de Diutur ? Sans rire ? Une vraie ? J'imaginais ça plus charnu. Tu es si longue... Tu n'as pas trop chaud ? Quelle folie de revêtir du noir, vraiment, ça ne va pas du tout avec ton teint de crevette.

À demi assourdie et totalement vexée, Eleonara fut si puissamment pressée contre une poitrine et une déferlante de torques, de plastrons et de colliers bigarrés, qu'elle se demanda si on ne cherchait pas à lui en imprimer les motifs sur le front.

N'ayant pas pu correctement identifier son agresseuse, elle tordit le cou vers sa droite. Son premier coup d’œil s'avéra peu flatteur : une contre-plongée de trous de nez velus, sous lesquels se déployait un sourire aussi gigantesque que vorace. Faute de pouvoir s'enfuir, l'elfe le réciproqua par une moue de malaise.

Les bras costauds qui la cajolaient appartenaient à une femme couronnée d'un turban rayé et au visage constellé de points blancs. Quand la nomade voulut l'entraîner vers une tente, Eleonara planta ses talons dans le sol, déterminée à ne pas se laisser enlever par quelqu'un qui s'inspirait de la varicelle pour se maquiller. Entre le surplus de soleil et de contact cutané, l'Opyrie ne lui faisait pas la meilleure des impressions.

L'ombre de Sebasha coula sur le gravier. Elle abaissa l'avant-bras de la femme aux parures arc-en-ciel.

— Il faut que je vous parle, chérissime.

Son geste avait beau être nappé de douceur, la fente rétrécie de ses paupières aurait pu se traduire par : « Bas les pattes. À moi. » L'implacabilité de Sebasha se moula dans un sourire aussi poli et tranchant que ses incisives.

— La renommée de votre métier à tisser et l'imagination de votre aiguille dépassent les bornes de notre chère Opyrie, le saviez-vous ? Nos tenues sont défraîchies et démodées, Madame Noubienne. Nous feriez-vous l'honneur de nous habiller ?

Eleonara salua la tactique de diversion de sa compagne de voyage, bien qu’en dehors de la Calavère, il n'y eût pas mention de Madame Noubienne, et encore moins en Einhendrie.

L'étincelle d'une passion démesurée s'embrasa dans les pupilles de la dénommée, qui écarta ses paumes claires vers le ciel avant de les coller l'une à l'autre et de les porter à son cœur, contre sa ribambelle de colliers. La jeune elfe profita de cet éclat d'émotion pour lui échapper et trouver refuge derrière Sebasha.

— Vous... vous manquez de vêtements de qualité ? Vous désirez passer une commande ? Oh, soyez bénie, ma sœur, soyez louée !

En plus des multiples anneaux et pendentifs tombant sur sa poitrine, Madame Noubienne arborait de pesantes boucles d'oreilles circulaires, pareilles à des assiettes. Eleonara porta d'instinct une main à son ventre, là où se pressait la boucle de ceinture mikilldienne, le cadeau d'adieu d'Agnan. Cet accessoire était la preuve que, aussi invraisemblable que cela pût paraître, une alliance entre elle et les Nordiques avait réellement existé. Elle ferma les yeux. « Je dois absolument les retrouver. »

Pendant ce temps, Madame Noubienne ne cessait de s'exalter.

— Notre collection saura exhausser le plus capricieux de vos souhaits stylistiques ! Robes, châles, voiles, burnous, caftans : quelle que soit le coloris ou l'étoffe que vous désirez, nous saurons vous satisfaire !

Sur ce, elle les invita – pour ne pas dire obligea – à goûter la fraîcheur de sa spacieuse guitoune en peau tannée, recouverte d'une natte-paravent. De grands draps verticaux divisaient l'espace en divers compartiments, réservés aux enfants, aux jeunes et aux adultes. Une aire de travail comportait des métiers à tisser et des pelotes de fil.

Ce fut dans la partie ouverte de la tente cependant qu'elles s'installèrent à même les tapis aux motifs hypnotisants. Madame Noubienne cala des coussins derrière elle afin de redresser son dos rond ; Sebasha n'en avait pas besoin, ses vertèbres s'empilant naturellement en une colonne fière et droite. Quant à Eleonara, elle n'obtint une bonne posture qu'après un craquement d'articulation. Si le monastère lui avait enseigné à se tenir comme il faut des heures durant, le trajet en ballot l'avait cambrée en avant.

Apparut alors de nulle part un homme que Noubienne présenta en tant que Djimbi, son mari. Eleonara sourcilla, incrédule. Il était aussi fin et discret que sa femme était corpulente et pétillante. Leur seul point commun semblait être la colonie de points blancs sur leurs visages.

Armé d'une théière en laiton, Monsieur Djimbi leur remplit des petites tasses d'un geste gracieux et expert, levant le bras bien haut afin de faire mousser le liquide.

Quand Monsieur Djimbi lui tendit sa tassette de thé, Eleonara manqua de tout renverser. Quelle idée de servir brûlant par cette canicule ! Le thé se buvait-il toujours ainsi ? Elle n'en avait jamais bu de sa vie et n'en avait jamais entendu parler, car les feuilles ne se vendaient pas plus en Einhendrie qu'elles ne s'y cultivaient.

Espérant qu'on ne la jugerait pas trop sévèrement pour sa gaffe, l'elfe s'empressa d'éponger les giclures à l'aide de sa manche.

Elle avait à peine eu le temps de se brûler la langue que Madame Noubienne et Sebasha reposèrent leurs tasses sur un plateau argenté et se levèrent. Eleonara fixa sa boisson avec appréhension. Devait-elle tout avaler en vitesse et les suivre ? Elle ne voulait pas créer d'offense en rendant un gobelet plein, mais l'idée de se griller la langue et le palais ne l'enthousiasmait pas plus que ça.

Sebasha la tira de son embarras pour la plonger dans un autre.

— Reste avec Monsieur Djimbi un instant ; je reviendrai te chercher.

Sur cette annonce inespérée, l'Opyrienne se détourna et disparut sous un pan de toile avec la maîtresse de maison. Eleonara put tout juste discerner la marchandise qui s'entassait dans le compartiment d'à côté. Pots rustiques, piles d'étoffes, sacs de bijoux et semoule : une vraie caverne aux trésors.

Une fois la vue sur ce coin de tente éclipsée, l'elfe inspecta à nouveau sa tassette, ses fleurs hexagonales peintes à la main et le foncé de son breuvage sapide. Dans sa vison périphérique, l'époux de son hôtesse s'obstinait à la dévisager, agenouillé. À ce regard appuyé s'ajoutait l'insoutenable lourdeur de l'air. Eleonara avait l'impression d'être un insecte sur lequel on faisait converger, grâce à une loupe grossissante, la fureur des rayons solaires.

Les lèvres pincées et un creux entre les sourcils, elle inspira fort et se tourna vers son hôte silencieux.

— Le thé. Il est bon.

Elle ne l'avait pas goûté à proprement dire, du moins pas suffisamment pour pouvoir certifier sa qualité, mais un compliment était un compliment. Monsieur Djimbi parut d'ailleurs s'en réjouir : sa bouche s'étira sur des dents tachées, la peau sèche autour de ses yeux se détendit et il hocha la tête avec un marmonnement. Eleonara ne put s'empêcher de le trouver charmant – noble, même.

Monsieur Djimbi se refondit dans un sérieux de pierre centenaire. Se tourner les pouces en compagnie d'une Peau Pâle ne devait pas être sa définition d'après-midi idéal.

Quelques bêlements retentirent au loin ; on pouvait entendre les mouches voler. C'était aussi gros qu'un éléphant : ni l'un ni l'autre n'était un as de la causette. Cette réalisation aida Eleonara à se calmer. Reposant sa tasse, elle se racla la gorge, sans une meilleure idée pour introduire le sujet qui la démangeait.

— Dites, euh... vous n'auriez pas vu des Mikilldiens dans le coin, par hasard ? Entre l'automne et aujourd'hui ?

Eleonara s'étonna elle-même de son audace. Comme quoi, le thé faisait parler. Il n'y avait qu'à espérer qu'il l'eût comprise.

Monsieur Djimbi arrondit ses yeux déjà globuleux. Il eut du mal à faire démarrer sa voix desséchée, à croire qu'il ne l'utilisait presque pas.

— Des Mi... des Mikilldiens dans le reg ? Non, bien sûr que non. Pourquoi cette question ?

Avec un soupir déçu, Eleonara haussa les épaules.

— Bah, c'est juste que... Trois moines-soldats nordiques ont été portés disparus dans une ville côtière, Arènes. Je me demandais ce qu'il leur était arrivé. J'ai pensé que...

À sa surprise, Monsieur Djimbi lui coupa la parole :

— Des moines-soldats ? Oh, tu veux dire des Religiats ?

— Des Religiats ?

— C'est comme ça que nous appelons les Frères du Don'hill, ici. (Il toussa pour éclaircir sa voix rouillée, sans beaucoup de succès.) Écoute, dit-il en se penchant comme s'il appréhendait le retour de sa femme. Moi, des Mikilldiens, je n'en ai jamais vu ; je ne sais même pas à quoi ils ressemblent. S'ils avaient posé leurs babouches dans la Calavère, nous le saurions. La nouvelle aurait voyagé de bouche à oreille, de clan en clan. Nous les aurions croisés à un puits ou sur leur lieu de mort. Crois-moi : aucun Nordique n'a traversé le reg et aucun ne le fera pour autant que l'astre du jour nous garde. Trop chaud pour eux. Ils n'aiment pas.

« Et pourtant, Agnan et Sgarlaad sont bel et bien descendus en Opyrie, songea Eleonara. Par un autre chemin que moi, certes, mais ils sont venus. » Son ventre se serra. Et s'ils n'avaient pas supporté la touffeur ? Et s'ils y avaient succombé ?

Quand Monsieur Djimbi lui montra le dos pour faire la vaisselle dans un seau d'eau, elle sortit son crayon et ses feuilles de vocabulaire mikilldien de son petit sac de toile. Courbée en demi-lune, elle parcourut vélocement sa liste d'hypothèses, gribouillées en bas d'une page.

 

I. Agnan et Sgarlaad – et Errmund, mais on s'en contrefiche – sont morts.

II. A. et S. sont encore en Opyrie, dans la même ville.

III. A. et S. sont encore en Opyrie, mais plus dans la même ville.

IV. A. et S. ont quitté l'Opyrie par la vallée du Rêve.

V. A. et S. ont quitté l'Opyrie par le désert de la Calavère.

 

Elle biffa la dernière phrase puis, après une brève hésitation, traça l'avant-dernière également. « Depuis les assassinats, les embouchures de la vallée du Rêve sont contrôlées par les Frères. » C'était clair ; Sebasha l'avait dit : l'accès à la Vallée était clos et surveillé. Les Nordiques n'auraient pas pu la traverser sans se faire pincer.

— Nous revoilà !

Eleonara se dépêcha de cacher ses papiers dans son sac, qu'elle serra contre elle. Madame Noubienne et Sebasha avaient quitté leur grotte merveilleuse, encombrées de vêtements. Sebasha lui tendit une tenue repliée et lui murmura :

— Si nous voulons rester « mortes », autant commencer maintenant. Tu me remercieras plus tard.

Piquée de curiosité, Eleonara déplia les tissus. Hébétée, elle chercha le regard de sa guide.

Celle-ci lui lança un clin d’œil complice qui lui glaça les sangs.

 

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Isapass
Posté le 02/02/2020
J'adoooore faire connaissance avec ce peuple de nomades ! Je comprends quand même Elé à propos de la trop grande proximité : elle n'a pas l'habitude et toutes les effusions des enfants doivent la mettre mal à l'aise. Surtout qu'elle a toujours le risque que sa touaille se défasse et dévoile ses oreilles.
Madame Noubienne et Djimbi sont hauts en couleurs ! Mais dans ton univers, je me méfie de tout le monde... D'ailleurs, je me demande si Elé ne raye pas un peu trop vite l'hypothèse 5 : doit-elle croire Djimbi sur parole ?
La bonne nouvelle, c'est que Sebasha la présente comme son amie ! Est-ce vrai ou est-ce pour la garantir contre les questions indiscrètes et la méfiance ? Vu la dernière phrase, ça a l'air d'être vrai. J'ai du mal à imaginer Sebasha avec un sourire attendri ! Mais c'est quoi, ces habits ? Pourquoi Elé est hébétée ?
Si j'ai bien compris, Madame Noubienne a des genres de boucles de ceinture aux oreilles ? Est-ce qu'Agnan ne lui avait pas dit de les demander auprès de la personne qui portait ça ? C'est auprès d'elle qu'Elé devrait se renseigner, pas auprès de Djimbi, non ? J'ai peut-être mal compris ou j'extrapole trop...
Quand est-ce que tu posteras la suite ?
En tout cas, je découvre ce tome 2 avec autant de plaisir que le 1 !
Jowie
Posté le 03/02/2020
Rencontrer autant de nouveaux humains en une fois, ça donne envie de courir très loin, en tout cas dans le cas d'Eleonara !
Je trouve ça rigolo comme beaucoup de monde se méfie automatiquement de mes personnages et je me demande pourquoi (muahah)
Les nomades sont plutôt du genre bavards; s'ils avaient vu des Nordiques, ils en parleraient nuit et jour ^^
Sebasha avec un sourire attendri c'est un Pokémon très rare !
Pour les habits, tu sais déjà comme tu as lu le chapitre suivant ;) Aussi, Eleonara n'a jamais eu de vêtements neufs rien que pour elle; c'est un grand événement!
Noubienne porte de grandes boucles d'oreilles en forme d'assiette qui rappellent Eleonara de la boucle de ceinture des Nordiques, c'est tout :) C'est juste, Agnan avait dit à Eleonara qu'elle pouvait parler à quelqu'un portant une boucle de ceinture similaire, mais ça, Eleonara n'en a pas vu et n'en verra sans doute pas en Opyrie, vu qu'il s'agit d'un objet spécifique aux Nordiques.
Eleonara a peur de Noubienne xD; même si celle-ci savait quelque chose, Eleonara se serait quand même tournée vers Djimbi qui lui inspire plus de confiance :)
Sorryf
Posté le 28/01/2020
Eleonara veut retrouver les Nordiques <3 Parce que ce sont ses amis et qu'elle les aime <3 <3 <3 <3 J'ai tellement hate des retrouvailles (pourvu qu'elles se passent bien !)

Les nouveaux persos ont l'air chouette !
J'ai adoré au début quand Elé tape une crise contre le désert !
Sebasha qui ramasse le caca, j'ai pas compris ce qu'elle en fait : elle le ramasse ou elle l'enterre ? Si elle le ramasse elle en fait quoi ? Elle le met dans un sac ???
Trooooop beau quand elle présente Elé "mon amie" aaawww <3
Jowie
Posté le 03/02/2020
Ouiiiii elle va tout faire pour les retrouver <3 que serait la série Hêtrefoux sans ses Nordiques ?
Je suis contente de lire que cette première rencontre avec les nomades opyriens se soit bien passée ;)
Ah, pardon, tu as totalement raison, je n'ai pas précisé ce qu'elle fait avec les excréments xD Elle les ramasse et les met dans un sac parce que c'est très utile comme carburant !
Ouais, Eleonara et Sebasha sont potos :D
Merci pour ton passage !!
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