Eireann • « Le sang du Soleil Levant »

Notes de l’auteur : TW ; sang, mort, blessures physiques

La poussière ne s’infiltre pas dans nos respirateurs. Le verre, le béton et le métal se sont fracassés contre les bâtiments, qui tiennent encore debout. Les voitures sont sens dessus dessous. J’accuse difficilement le choc, le dos meurtri par mon impact contre un poteau qui me coupe encore le souffle. Difficile de se mettre debout quand on a les jambes tremblantes et les miennes sont pires que celles d’un nouveau-né. Si Anastasia n’avait pas eu le réflexe d’enclencher nos armures, je ne veux même pas imaginer dans quel état je serais.

Le chaos est complet autour de nous. Les civils, les survivants, courent en tous sens. La peur, le sang et les blessures défigurent les visages des Tokyoïtes. Une silhouette en armure, plus grande que la moyenne, s’approche de moi. La voix déformée par le casque et le micro, Anastasia m’interroge :

— Rien de cassé ?

J’attrape la main tendue et utilise l’appui offert pour me stabiliser. Je tangue encore un peu, mon équilibre a été terriblement malmené par la déflagration, d’une part, mais surtout par ce foutu bruit strident et insupportable qui m’a vrillé les oreilles. C’était pire que sur Arès !

— Ouais, je crois. Où sont Nakamura et Rezvani ?

Un mouvement de tête me suffit pour constater la situation dans laquelle se trouve le duo. Rezvani, en armure, a utilisé son corps pour protéger Akame d’une voiture. Mais ce n’est pas parce qu’Akame a une silhouette plus menue qu’iel est sans ressource ! Nakamura s’extirpe de la situation compliquée dans laquelle iels se retrouvent toustes les deux et agrippe le rebord de la voiture. Ses circuits imprimés brillent avec une intensité féroce, tandis qu’un cri de rage stimulant s’échappe de sa gorge ; la carcasse vole un peu plus loin, libérant l’enseigne de son entrave de métal. Je soupire, presque soulagée : aucun des deux ne semble avoir plus de dégâts que ça. Et alors que je m’apprête à les rejoindre, des cris stridents attirent mon attention.

Un peu plus loin, debout au milieu des débris fumants, le visage plein de poussière, une petite fille aux couettes défaites hurle son désespoir dans un japonais que je suis incapable de comprendre. Je m’approche d’elle, et mon estomac s’alourdit de plus en plus à la vue des multiples blessures de l’enfant ; son bras gauche forme un angle bien étrange, son visage est strié de griffures diverses et son nez est cassé. La pensée qu’elle a eu beaucoup de chances de survivre me frappe de plein fouet. Alors, je m’agenouille devant l’enfant, les mains tendues, en espérant qu’elle comprenne par le geste qu’elle doit se calmer.

Je déchire les manches de la petite, et panse, maladroitement, les plaies sanguinolentes qui me semblent les plus graves. Je ne suis pas médecin. Je n’ai pas mon matériel de premiers secours, je suis totalement démunie. Impuissante.

Ressaisis-toi !

Mon escouade attend mes ordres, mais je ne sais que faire avec cette petite, qui continue de pleurer et de renifler, s’accrochant désormais à moi comme si j’étais son seul phare. Je jette un regard désespéré à mon escouade; Akame disparaît très vite de ma vue. Je n’ai que quelques maigres minutes à attendre avant qu’une Japonaise, plus âgée, finisse par courir vers moi, à toute vitesse, suivie de près par Akame. Elle prend l’enfant dans ses bras, et ses pleurs redoublent de plus belle. Inutile de savoir s’il s’agit ou non d’un membre de sa famille ; dans ce genre de situation, l’entraide fragile compte plus que tout. Un genou toujours à terre, je tapote mon oreillette :

— Mikhaïlovna, contactez l’Alecto ! Demandez-leur un scan de la zone et dites à Aznar de signaler la situation au Tisiphone. Rezvani, vous m’entendez ?

L’oreillette grésille un peu et la voix suave de l’enseigne retentit. Le timbre toujours chaud, malgré la situation, iel confirme bien recevoir mon appel. Au moins, les communications ne sont pas encore brouillées. Nous devons tirer profit de cet avantage. Parce que pour qu’un quartier de Tokyo, uniquement peuplé de Naturels, soit la cible d’une attaque d’une telle envergure, il n’est guère difficile de comprendre qui est à l’œuvre derrière tout ça.

— Filez une oreillette de secours à Nakamura, qu’on reste en contact. Vous resterez tous les deux ensemble. Nakamura, vous savez où se trouve le premier poste de contrôle du SCPAU du secteur ?

— Plus au nord du quartier, à l’opposé de notre trajet.

— OK, vous allez aider les androïdes à évacuer les civils, c’est la priorité. Vous laissez les unités du SCPAU liquider les agents de Panoptès s’il y en a qui traînent encore dans le coin.

— Votre mot d’ordre n’est-il pas de les neutraliser pour récupérer les données de leur puce mémorielle ? s’étonne Akame.

Je ne réponds pas. C’est vrai, c’est notre mot d’ordre normalement. Mais, là, je n’ai pas envie de suivre le protocole. Je ne devrais pas me laisser envahir par ma colère, mais l’image de cette enfant me reste en tête. Et pour une fois, je ne chercherai même pas à négocier ou dialoguer.

Vraiment ? Ça m'étonne.

Je le suis moi-même. Les deux soldats devant moi ne cherchent pas à en savoir plus et tracent déjà leur route. Je lève un peu le nez vers le ciel alors qu’Anastasia me demande ce que nous, nous ferons de notre côté.

— On va aider à évacuer les civils de cette zone, leur venir en aide. On verra le reste une autre fois.

J’active mon ICP ; si l’Alecto a ouvert ses canaux, la communication devrait désormais être possible avec Eithné. Et l’Intelligence Virtuelle réagit promptement.

— J’ai procédé au scan de la zone et j’ai détecté diverses installations souterraines sous l’Université de Keio. Je vous envoie le plan et le trajet le plus rapide si vous voulez organiser les premiers secours.

— Est-ce que tu aurais également la possibilité de faire un scan thermique pour repérer tous les êtres encore vivants dans cette zone ?

Il y a un certain temps avant que l’IV me réponde.

— Je…. pouv… dans…

Et merde ! Ils n’auront pas attendu longtemps avant de nous faire passer en zone blanche.

— Eithné ?

— … com… difficile… Réseau…

La communication grésille, se brouille, s’interrompt. Mon regard croise celui d’Anastasia. Nous n’avons même pas besoin de parler que nous comprenons ce qu’il se passe. Le scénario que je redoutais se réalise ; Panoptès est toujours sur place. Nous avons peut-être une protection sur le dos, mais nous n’avons que nos armes de poings. L’une comme l’autre, nous sommes conscientes que nous ne pouvons pas faire face à un éventuel affrontement.

— Occupez-vous des civils, Mikhaïlovna. Vos pouvoirs de Sentinelle seront bien plus utiles que moi.

— Mais qu'est-ce que vous allez faire ?

Mon regard rencontre le sien. Je n’ai pas toutes mes armes, j’ai à peine mon armure de combat terrestre et elle me demande ce que je vais faire ? Je souffle du nez.

— Je vous dirais bien que j’ai un plan, pour vous rassurer, mais…

Mais, je n’en ai aucun. Mis à part regarder autour de moi et faire confiance à mon instinct. Sauf que ça ne servirait à rien. La Russe n’a pas l’air très emballée à l’idée de s’éloigner, mais quand les premières unités du SCPAU arrivent, elle consent à m’obéir et s’éloigne.

Je lève le nez à nouveau vers le ciel. Gris, il n’est pourtant pas menaçant. Aucune pluie ne risque de tomber, sinon mon IV embarquée me l’aurait déjà dit. Le calme étrange qui m’entoure ne m’apaise pas et la tension demeure dans mes épaules. L’absence de véhicule aérien laisse entendre que toute la circulation a déjà été détournée, pour permettre aux secours d’intervenir. Là, maintenant, de suite… j’espère que l’Alecto aura eu le temps de contacter le Tisiphone. Que je regrette de m’être séparée d’Ethan et de lui avoir demandé de rester à Pretoria ! Son soutien en tant qu’Ingénieur de combat aurait été si appréciable. Et même s’il peut arriver rapidement, je ne peux rien prévoir de ce qui peut se passer entre-temps.

Mon regard parcourt les débris, alors que les civils errent. Les androïdes, déjà, redirigent les premiers groupes de survivants vers l’université. Ma poitrine s’enflamme, se gonfle et je serre des dents. Ma poigne se raffermit sur mon arme, tandis que je déambule à travers les décombres. C’est la seule chose que je peux faire ; signaler le moindre mouvement suspect, interpeller des agents ennemis s’il le faut. 

Et leur loger une balle dans leur putain de tête !

C’est tout ce qu’ils méritent, songé-je alors que la poussière obstrue ma vision. L’ambiance est apocalyptique. Rien ne sert de tenter de rentrer en contact avec Mikhaïlovna ; nous sommes coupés de tout. Je jette un regard aux caméras de vidéosurveillance, installées çà et là dans le quartier. Mais, force est de constater qu’elles ont été piratées. Astucieux et malin ; le SCPAU et le SERSA et les autres unités de secours vont être occupés à venir en aide aux civils, et la sécurité ne sera clairement pas leur priorité. Alors, régulièrement, tandis que je surveille la zone dans laquelle je me trouve, et que derrière moi, les voix de civils se font moins fort, je jette un regard par-dessus mon épaule. Quand ce quartier sera sécurisé, je fermerai la marche avec les autres androïdes du SCPAU pour me rendre à l’université. Oui, c’est ce qu’il y a de mieux à faire ; le souvenir cuisant de la Station Arès demeure gravé au fer rouge dans mon esprit.

Et quand je regarde droit devant moi, entre deux voitures retournées, une silhouette en armure blanche siglée d’une plume de paon se tient droite et immobile. Il me faut un certain temps pour réaliser ce qui me fait face. Ma bouche s’assèche, et je ne réfléchis pas. Interpeller. Neutraliser. Je m’élance à sa poursuite.

La course devient rapidement intense et la façon qu’a ma cible de me jeter quelques coups d’œil, comme s’il jouait avec moi, me fait tiquer. Mon cœur cogne, ma vision s’obscurcit. La haine afflue dans mes veines et ravage les derniers remparts de ma logique. Je réquisitionne encore plus la force de mes jambes, saute par-dessus des débris. Je mets tout en œuvre pour rattraper cet homme. Impossible ! Quelles étaient les chances pour que lui aussi soit présent ? Me suit-il ? Le fait-il exprès ? Mue par cette hargne indicible, je finis par me saisir au passage d’un poteau de signalisation arraché. La rage me ferait presque pousser des ailes. Tel un javelot, l’arme de jet improvisée vole vers le terroriste… qui rebondit sur un discret bouclier psychique verdâtre.

— Putain de merde !

Plus nous nous rapprochons de l’épicentre de l’explosion, plus la vision devient horrifique. Je fais tout ce que je peux pour ne pas regarder ce qu’il y a autour de moi, je me focalise sur mon objectif. Mais, les corps, les membres arrachés, les silhouettes décharnées qui déambulent, pleurent, crient, cherchent des survivants ou des proches… Rien de cela ne m’échappe. Et ce sentiment qui grandit en moi, qui me ronge, que je ne parviens pas à identifier, gonfle mes poumons, mes muscles. Mon corps peut bien être au bord de la rupture, je ne m’arrêterai pas !

Je veux me dépasser. Je le désire, plus que tout, alors que le sang des Japonais souille le bitume de Tokyo. Je le désire, quitte à mettre à terre mon ennemi. Je n’aurai aucun répit tant que je n’aurai pas atteint cet objectif. Je ne le fais même pas parce qu’une arme a été volée, non… Je le fais pour cette enfant en pleurs, pour ces âmes arrachées trop tôt et qui ne méritaient rien de tout ça. Une émanation d’énergie verte fuse vers moi. Je me baisse, in extremis. Je remercie mes réflexes, et Dieu, d’avoir réagi au bon moment quand le mur derrière moi explose.

Mes poumons sont en feu alors que nous quittons Minato – du moins, c’est ce que je suppose. Je ne sais pas où l’Albinos compte aller, mais j’ai bien l’intention de l’arrêter ! La distance entre nous se réduit alors que nous arrivons à un terrain vague. La vue est dégagée, parfaite pour tenter un premier tir. Je m’arrête, dégaine mon arme et tire. Mais, la balle est déviée par son bouclier énergétique. À nouveau.

Fais chier ! Augmenté à la con !

Je rage intérieurement contre cette odieuse différence de niveau. Et, bien sûr ! Il n’y a aucun moyen de compter sur la vidéo surveillance. Après avoir grimpé l’une des dernières collines du terrain, j'entends les premiers bruits de moteur. Une route ? Ma méconnaissance de la nouvelle géographie de Tokyo, refondue après de multiples séismes, m’empêche de réaliser que nous nous approchons inexorablement d’une voie rapide.

Ma capacité de réflexion s’étiole lorsque l’Albinos enjambe la rambarde de sûreté de l’autoroute qui se dessine sous mes yeux. L’alarme de sécurité se déclenche et le halo d’alerte qui borde les huit voies se teinte de rouge. Un sourire étire mes lèvres :

— Parfait ! grogné-je en descendant à la butée. T’es grillé mon pote !

Le SCPAU ne devrait plus tarder à arriver. Enfin… c’est ce que j’espère. Mais, alors qu’il franchit chacune des voies, non sans se faire furieusement klaxonner, je constate avec dépit qu’aucune unité n’arrive. J’inspire profondément ; si je fais attention… Je franchis à mon tour la rampe.

Ma poitrine me donne la sensation qu’un brasier incontrôlable dévore l’intégralité de mes poumons, de mon œsophage. Mon IV embarquée s’affole et signale à chaque fois les dangers alentour. Il n’y a rien de plus dangereux que l’incommensurable connerie que je suis en train de faire ! Mais si ce sombre connard y parvient, pourquoi pas moi ? Entendre la voix robotique m’agace et je mute l’IV, sans pour autant la désactiver.

Mes sens commencent doucement à être saturés ; les odeurs, les sons, les flashs lumineux des phares des automobiles m’empêchent d’analyser correctement mon environnement, mais qu’importe ! Il n’est pas loin de moi, je peux le rattraper, je peux le faire ! Mon endurance n’est pas encore totalement grignotée.

Je dois continuer de me concentrer. Le trafic est dense, mes réflexes sont mis à rude épreuve. Je franchis les quatre premières voies, non sans avoir été klaxonnée et insultée un grand nombre de fois. Mon cœur cogne et serre douloureusement quand la cinquième est atteinte. Je tiens en équilibre sur la bande blanche, le souffle des véhicules qui me frôlent me fait quelque peu vaciller. Sur le bas côté, la silhouette en armure s’immobilise et se tourne vers moi.

Magne-toi !

Son casque se rétracte, un sourire mesquin étire ses lèvres pâles. D’une poche, il sort un appareil et semble attendre. Quoi, je n’en sais rien ! Mais il est calme, et moi, sur le qui-vive. Ma traversée est compliquée ; chacun de mes sauts, chacun de mes pas est accompagné d’une appréhension qui me tord l’estomac. Je suis entourée par la mort et la moindre erreur de calcul peut mener à un funeste destin. Mais, je me focalise sur l’agent de Panoptès. Un saut. Il ne me reste qu’un saut.

Il ne bouge toujours pas. Pourquoi il ne bouge pas !

Je suis sur le point de m’élancer. Son pouce s’abaisse sur l’appareil et un bruit strident vrille mes tympans. La douleur est intense. Insupportable. Mes mains se plaquent sur mon casque, comme si ça changerait quelque chose. Mon corps s’arque, ma vue flanche.

Ne bouge pas ! Reste sur cette putain de ligne !

Cette ligne blanche qui m’offre une si fragile sécurité. Les voitures dévient à peine, dans l’espoir de ne pas me percuter. Je dois fuir cet endroit.

Ne bouge pas !

J’ai beaucoup trop mal. Je sens un liquide s’écouler de mon nez, de mes oreilles. Mes jambes reculent d’elles-mêmes. Le klaxon de la voiture passe à peine à travers le sifflement strident. L’IV embarquée surcharge les boucliers. Je ne vois pas l’Albinos retirer son casque et froncer des sourcils, comme s’il était surpris. Je dois reculer.

L’impact est violent. Brutal. Fracassant. Si mon corps se disloque et se déchire, je ne sens rien. Plus rien. C’est le néant.

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drawmeamoon
Posté le 21/07/2021
PARDON ?!
Non mais ça va pas du tout là
PAS DU TOUT
QU'EST CE QU'IL SE PAAAASSE
Bon déjà, elle a perturbé Nathanel à la fin mais du coup c'est pas ouf ce qu'il se passe T-T Je suis en PLS, ma bébé Eireann, nion T-T
Aled
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