Chapitre 7 : Le Théâtre d'Orion [3/3]

Notes de l’auteur : [Chapitre relu]

Amélia et Azriel eurent toutes les peines du monde à retenir le fou rire qui leur chatouillait les entrailles alors que la guérisseuse les guidait vers les marches du premier étage.

Anita Norwood était l’une des sorcières les plus gentille du monde. Amie d’enfance de Nausicaa elle était la descendante de la célèbre Cassandra Norwood, une jeune guérisseuse qui avait fait du nom de sa famille un symbole de soin et de bienveillance. Suivant l’exemple de son ancêtre, Anita avait commencé de grandes études à l’Université avant d’avoir son diplôme avec les honneurs. Elle était ensuite allée travailler à l’Hôpital Ste Aurora où elle gravit les échelons jusqu’à en devenir la directrice ainsi que la meilleure guérisseuse de sa génération.

C’était elle, par exemple, qui avait réussi à développer la Marque, seul indicateur permettant de ralentir la terrible maladie souillant l’essence des sorciers : le syndrome de l’Œil Mort. Passionnée et d’une rare bonté d’âme, Anita avait pour règle d’or d’aider quiconque en formulait la demande. Ainsi, elle fit de la résidence de sa famille un sanctuaire où tout le monde était le bienvenu du moment qu’il n’avait pas de mauvaises intentions.

Juste derrière eux, Roman et Azura les suivaient à bonne distance. La sorcière se massait les tempes, essayant de ne pas piquer une crise face au comportement de son amie et de ses enfants. Comment arriverait-elle à leur montrer l’exemple si tout le monde dans leur entourage s’évertuait à faire n’importe quoi ?

Tout autour d’eux, le reste des invités se rependaient dans le bâtiment. Les moins fortunés se dépêchant d’aller se trouver une place de libre dans la corbeille alors que les invités de prestiges, comme les Moonfall ou les Norwood, se rendaient dans les balcons privés.

Amélia perdit le compte du nombre de marches et d’escaliers parcourut. Elle se contenta de souffler d’aise en se laissant tomber dans son fauteuil une fois parvenu à leur balcon sous le regard courroucé de sa mère qui s’installa à l’autre bout de la mezzanine avec son époux sa sœur et Magnolia. Vint alors s’asseoir Luvenia, Arya et Eras, suivit de Nausicaa qui aida Azriel à s’installer entre elle et Anita, Amélia se retrouvant tout à gauche de la guérisseuse.

Il n’était pas inhabituel de voir Anita loin du balcon réservé aux Norwood, même si ce n’était pas vu d’un très bon œil. Mais la sorcière se fichait bien de l’avis des autres et s’amusait autant qu’elle le pouvait quand elle ne travaillait pas à ses recherches.

Des majordomes habillés de livrées rouge et or arrivèrent derrière les invités et distribuèrent programmes et jumelles à la famille. Amélia les remercia poliment, un peu mal à l’aise, et les regarda s’en aller sans mot dire.

Puis les lumières s’atténuèrent. Le silence se fit et l’orchestre commença à jouer. Le regard d’Amélia se retrouva – bien malgré elle – happé par la scène où les premiers acteurs faisaient leur entrée.

Et le spectacle commença.

La pièce était aussi ennuyeuse que dans son souvenir et Amélia remercia à chaque instant la Déesse de la présence d’Anita à ses côtés pour égailler un peu la monotonie de l’histoire. La guérisseuse se penchait vers les deux héritiers et leur murmurait comme une conspiratrice des commentaires sur les costumes excentriques des comédiens ou leur mauvais jeu d’acteur. Parfois, elle se mettait même à réciter les répliques de certains personnages en faisant des grimaces, ce qui faisait mourir de rire le frère et la sœur.

Azura ne manqua pas un instant pour leur jeter des « chut ! » impérieux et des regards assassins auxquels Anita se contentait de sourire aimablement avant de recommencer de plus belle. Même Nausicaa s’autorisa un sourire. Et c’était sans compter sur Luvenia qui était devenue rouge comme une pivoine et qui menaçait d’éclater d’un grand rire. Arya lui frottait le dos pour l’aider à se maîtriser alors qu’elle-même commençait à retenir sa respiration pour ne pas rire aux éclats. Seules Théssalia et Magnolia n’y prêtèrent pas attention et se concentrèrent sur la pièce qui se jouait en contrebas.

Anita porta ses jumelles de poches à son visage avec un sourire quand son regard fut attiré par l’un des balcons sur sa gauche. Quand elle reconnut ses occupants, la guérisseuse grimaça.

– Je ne savais pas qu’ils viendraient… murmura-t-elle comme pour elle-même en reposant ses jumelles.

– Qui donc ? demanda Amélia soudain curieuse.

Azriel se tourna lui aussi vers Anita. Un peu plus loin, Luvenia sifflait du nez et dû faire appel à la magie élémentaire d’Eras pour respirer de nouveau.

– Les Lerouge, regardez.

La sorcière indiqua le balcon le plus loin à leur gauche où un petit groupe de sorciers bien habillés venait tout juste d’apparaître. Leur chevelure d’un rouge sang unanime et leurs yeux d’un noir sans fond ne laissaient aucun doute sur leur identité. Il s’agissait bel et bien des Lerouge.

Au travers de ses jumelles, Amélia aperçut même Aven lui sourire en agitant la main. Elle fronça aussitôt les sourcils et se replongea très vite dans la contemplation de la pièce. Les acteurs étaient en pleine bataille, le faux-sang giclant un peu partout sur la scène.

– Je ne reconnais qu’Aven, nota soudain Azriel. Qui sont les autres ?

Anita pointa du doigt la femme assise à l’avant du balcon. Le port altier, elle arborait des cheveux d’un rouge sang plus sombre que les autres et une peau halée, signe qu’elle ne devait pas être née Lerouge. En outre elle avait l’air parfaitement hautaine et imbue d’elle-même, jetant des regards réprobateurs à quiconque essayait de l’apercevoir depuis la corbeille en contrebas.

– Là, indiqua Anita, c’est Queen Lerouge, la mère d’Aven. Juste à côté, il me semble reconnaître les jumelles Dorothy et Kylie avec leur mère. Je crois aussi discerner Vest avec son cache-œil et ses deux insupportables frères cadets – pauvre garçon… Mais, c’est étrange, sa femme n’a pas l’air d’être là, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé… Ah, Regan est là, lui aussi, dit-elle d’un ton maussade. Ce garçon était infernal quand il s’est retrouvé à l’hôpital. Et… Tiens, tiens… il y a même la vieille Fiona. Cette sale teigne est donc toujours en vie ?

– Sale teigne ? s’amusa Azriel.

Amélia se tourna vers la sorcière qui s’empourpra aussitôt. Il n’était pas dans les habitudes d’Anita d’être irrespectueuse envers quiconque. Cette femme devait être sacrément horrible pour réussir à inspirer un tel dégoût à la guérisseuse.

– Oh, toute mes excuses, je ne devrais pas parler ainsi.

Elle se racla la gorge pour reprendre contenance et poursuivit.

– Fiona Lerouge est une sorcière très puissante. Elle était la fille de l’ancien roi Avenir Lerouge, l’arrière-grand-père de notre Aven. Et je peux vous dire qu’ils n’étaient pas des enfants de chœurs tous les deux. Père et fille furent les instigateurs de la guerre qui opposa humains et êtres magiques suite à laquelle les Moonfall se sont insurgés. Fiona vouait un véritable culte à son père et son grand-père et a tout de suite adhéré à leur idéologie de sang purement magique. Alors quand son père est mort lors du soulèvement, elle en a beaucoup voulu à votre famille. D’ailleurs, elle en veut toujours aux Moonfall. Et, bien sûr, elle a dressé ses enfants pour qu’ils soient de parfaits petits soldats. Il me semble même qu’elle était à l’origine du coup d’état raté d’il y a quatre ans.

– J’en ai entendu parler, dit soudain Azriel en se redressant. Bartholomew Lerouge et ses frères ont été arrêté, n’est-ce pas ?

– Oui, mais le plus jeunes des fils de Fiona, Orsan Lerouge, s’est hélas fait tuer lors de son interpellation. Il était si dévoué à sa mère qu’il y a laissé la vie, le pauvre… Alors autant vous dire que cette vieille femme renferme plus de rancœur en elle que tous les monstres des profondeurs réunis.

Il y eut un silence, puis Anita se tourna vers les deux jeunes Moonfall, la mine soudain très sérieuse. Azriel et Amélia se regardèrent avant de se pencher en avant.

– Écoutez-moi bien les enfants, il vous faut à tout prix éviter de vous retrouver dans la même pièce que Fiona Lerouge, c’est compris ? Cette femme est aussi vicieuse que mauvaise. Elle n’hésite pas à faire assassiner des membres de sa propres famille, elle serait bien trop heureuse de mettre la main sur l’un d’entre vous.

Amélia se redressa lentement et jeta un regard à la vieille dame assise dans son fauteuil un peu en retrait. De loin, elle lui semblait parfaitement inoffensive.

Elle avait dû être belle jadis, mais le poids des années l’avait depuis longtemps rattrapé, faisant tomber ses bajoues, creusant son visage de rides, parsemant de blanc sa chevelure sanguine. Pourtant, et même à cette distance, Amélia percevait sous ses paupières tombantes un regard féroce et acéré qui analysait et décortiquait tout ce qu’elle voyait.

Quand la sorcière de sang se tourna finalement vers la jeune fille, Amélia se dépêcha de détourner les yeux. Ce ne fut que lorsqu’elle fut persuadée que la vieille dame s’était replongée dans la pièce que l’adolescente s’autorisa à jeter un nouveau coup d’œil au balcon des Lerouge.

Elle remarqua alors qu’Aven semblait sur ses gardes, comme s’il ne se sentait pas en sécurité au milieu de sa propre famille. Il ne cessait de jeter des regards méfiant à sa grand-mère, perdant son sourire arrogant l’espace de quelques poignées de secondes.

– Amélia, chuchota Azriel les yeux toujours braqués sur les sorciers de sang. Tu ne trouves pas que même au milieu de sa propre famille, Aven fait tache ?

– Tu trouves ?

– Oui, regarde, ajouta-t-il en le pointant du doigt.

Amélia observa avec plus d’attention son meilleur ennemi et fut surprise de constater que son frère avait raison. Elle ne l’avait pas remarqué tout de suite, mais, maintenant qu’Azriel le lui faisait remarquer, on aurait dit qu’il y avait comme un fossé qui séparait Aven des autres.

Elle se demanda bien pourquoi.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Elora
Posté le 14/04/2021
Aven est déjà assez horrible, alors si sa grand-mère est dix fois pires que lui, je n'imagine même pas le désastre ! Il n'est pas à l'aise avec sa propre famille ; il fait le dur mais ne l'est pas tant que ça. En vrai, Amélia et lui pourraient être amis, il faudrait juste ranger les armes et mettre un peu de bonne volonté.
Depuis le temps que l'on parlait de ce théâtre, nous y sommes enfin, je me demande bien ce qu'il va s'y passer !
Zoju
Posté le 30/06/2020
Salut ! Chapitre plutôt calme. On en apprend plus sur Anita qui semble une belle personne. J'ai l'impression que les sorciers ont une réputation de snob, mais Amélia n'est qu'avec des sorciers et sorcières dans la plupart des cas qui sortent un peu du lot. On en apprend plus aussi sur la famille Lerouge. Fiona ne semble pas du tout commode, même Aven n'est pas à l'aise. Ce passage nous a permis d'en apprendre plus sur les autres familles. En ce qui concerne Aven, c'est un personnage que l'on n'a pas encore vu beaucoup, mais qui m'intrigue toujours autant. Au passage sur l'opéra, avec le faux sang cela doit paraître très kitch. XD En tout cas, curieuse de lire la suite ! Courage ! :-)
Lunatique16
Posté le 30/06/2020
Salut ! Merci pour le commentaire ^^
C'est vrai que pour le coup Amélia a eu la chance d'être entouré des bonnes personnes, mais de toute façon elle s'est toujours sentie décalé par rapport aux autres, et ne serrait jamais devenue une petite snob, son père et ses tantes ne l'auraient pas permis !
Et le faux sang kitch c'est l'une des très nombreuses raisons qui font que personne n'aime Utopia x)
Pour ce qui est d'Aven, je peux t'assurer que tu n'es malheureusement pas au bout de tes peines x) ils restera mystérieux pendant un moment et pour être honnête, on en apprendras véritablement un peu plus sur lui qu'à partir du tome 2 ^^'
Mais sinon je suis contente que ça te plaise toujours autant ^^
Vous lisez