Chapitre 6 (1/2) : C'est à moi d'en juger

L'homme l'attendait près d'un espace délimité par des cordes. Il regardait des inconnus s'affronter en un contre un. Cera les admira à son tour, analysant par la même occasion leur style de combat. Quand l'un utilisait ses poings, l'autre tentait de les parer dans un enchaînement endiablé. De la sueur suintait de leurs pores. La jeune femme souffrit d'un vive élan de fatigue à cette image.

- Tu dois savoir te battre comme un homme pour survivre.

Elle releva à la tête en entendant la voix grave. Les yeux de son interlocuteur étaient toujours rivés sur les deux combattants. L'attention de la chasseuse glissa jusqu'à son oreille qui était encombré d'un drôle de mécanisme. Il peut vraiment entendre avec ce truc dans l'oreille ? Pensa-t-elle, curieuse.

- Tu entres en scène dans cinq jours.

Ces mots la firent revenir sur Terre. Il devait parler de la fameuse fosse aux lionnes. Cera devrait se battre pour sa vie dans cinq jours. Elle ne réalisait pas encore l'ampleur de la tâche qui l'attendait. Elle s'était déjà battue pour sa vie. La brune avait affronté une bête et des hommes. Elle devrait pouvoir se confronter à d'autres femmes.

- Joe, laisse ta place à la fille.

Le plus petit des deux hommes se retourna pour aviser la nouvelle arrivante. Son ami n'en ferait qu'une bouchée.

La chasseuse vit l'inconnu descendre, non sans lui adresser un sourire condescendant, et l'invita à monter en écartant les cordes. Cera souffla avant de rejoindre la zone de combat. Elle était épuisée par cette journée qui ne semblait plus s'arrêter. Son adversaire, grand et musclé, paraissait gigantesque à côté de la jeune femme.

Priam avait sous ses yeux la version moderne de David et Goliath. Il espérait seulement que l'issue du combat reste fidèle à ce passage biblique. Il avait vraiment besoin d'une combattante solide dans l'arène. Il avait besoin de gagner.

Cera prit position sur le ring, les poings levés devant elle. Si elle recevait le moindre coup de sa part, elle pouvait dire adieu à sa nuit paisible. La brune évita un, deux, trois coups avant de se prendre un choc à l'épaule qui la fit reculer. Son corps était beaucoup plus épais que celui de la jeune femme. Son physique semblait être fait de métal. Elle lança à son tour un coup de poing qui atterrit mollement sur sa garde. Avant qu'elle ne puisse remettre son bras en place, l'homme lui lança un violent coup de poing en plein visage. La femme s'effondra sur le dos, assommée par le choc.

Elle entendit vaguement des sons autour d'elle. Cera voyageait dans la brume sans chercher à s'en échapper.

- Je t'ai demandé de la tester, pas de la cogner comme une brute, asséna le Maître, la mâchoire serrée.

Le combattant se frotta la tête, visiblement gêné. Il essaya de réveiller la jeune femme à l'aide de petites gifles au visage. Les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévu pour l'homme qui souhaitait s'attirer les bons sentiments de son patron. A la place, il récoltait les foudres de celui qui détenait les clefs de son avenir.

Le regard bleu de Lukas revint à sa victime involontaire. Il ne s'était certainement pas attendu à ce que cette femme, destinée à la fosse aux lionnes, s'évanouisse au premier coup. Une poupée pareille ne pourrait jamais survivre suffisamment longtemps pour gagner, ne serait-ce qu'un point de prestige.

Cera papillonna les yeux avant de faire face à un homme couvert de sueur. Il lui fallut plusieurs minutes de récupération pour se remémorer des événements précédents son malaise. Elle accepta volontiers l'aide de son adversaire pour se redresser. Elle grogna de frustration en sentant son univers tourner. L'homme à ses côtés ne l'avait certainement pas loupé !

- Je l'évacue, Monsieur ?

La jeune femme riva son attention sur la personne auxquels ces mots étaient adressés. Elle croisa le regard froid de son Maître qui ne la lâchait plus des yeux. La mâchoire serrée, il semblait prêt à déchaîner les enfers.

- Lève-toi.

Son ordre claqua comme un fouet sur sa peau. Cera se remit difficilement sur ses deux jambes, l'esprit toujours embrumé par le précédent combat. Elle se retint au filet et essaya de concentrer sa vision sur un seul et unique point. Elle avait besoin de son point d'ancrage pour rester debout.

- Dans cinq jours, tu combats en mon nom. Si c'est pour m'offrir ce genre de spectacle, tu peux déjà dire adieu à tes libertés dans cette maison.

Sur ces belles paroles, Priam quitta la salle d'entraînement, ajustant mécaniquement l'appareil qui lui permettait d'entendre de l'oreille gauche. Ce combat aurait dû appuyer les décisions qu'il avait prises. Or, il se rendait compte à cet instant qu'il avait peut-être misé sur la mauvaise personne. La sauvage n'était sûrement pas la carte avec laquelle il devait jouer.

La jeune femme, quant à elle, s’affaissa sur les cordes du ring. Elle était épuisée. Épuisée et blessée. Une ecchymose commençait déjà à colorer une partie de sa mâchoire. La joute avait été si rapide qu'elle n'avait pas eu le temps de verser la moindre trace de sueur.

L'homme face à elle prononça les mots si vite qu'elle n’eut pas le temps de les comprendre.

- Tu peux répéter ?

- Tu ne survivras jamais à ce qui t'attend.

- Ça, je pense que c'est à moi d'en juger.

Cera s'éloigna mollement de l'espace d'affrontement. Elle n'avait pas encore récupéré les pleines capacités de ses sens. L'une de ses mains vint tâter la blessure afin d'en mesurer l'échelle. Une grimace barra son visage : l'homme avait vraiment bien visé ! Il avait manqué de peu son nez mais sa joue et une partie de sa mâchoire n'avaient pas été épargnées par son poing.

En temps normal, la chasseuse aurait contesté un tel résultat. Le mot « défaite » n'entrait pas dans son répertoire de connaissance. Tel un animal en chasse, elle ne lâchait plus sa proie jusqu'à ce que cette dernière abdique. Cette fois-ci, sa volonté de vaincre n'était pas au rendez-vous. Elle voulait simplement se reposer, c'était tout ce qu'elle souhaitait.

Cera ne se souvint pas du chemin jusqu'aux dortoirs. Elle ne prit même pas conscience du moment où elle s'assoupit.

La jeune femme fut réveillée le lendemain matin par Dix qui ne cessait de l'appeler et de la secouer. La victime grogna avant de se redresser sur son coussin. Elle avisa son agresseuse qui ne manqua pas de lui décocher une sale remarque :

- Il t'a pas loupé le bougre.

La brune gémit en sentant ces longs doigts appuyer sur la plaie. Elle repoussa son toucher pour constater les dégâts à l'aide d'un miroir.

Sur l'île, le meilleur moyen pour percevoir son reflet était l'eau des rivières. L'image était si floue que les femmes y percevaient une vague idée de leur propre visage. Elles s'imaginaient mentalement l'apparence qu'elles pouvaient véhiculer grâce aux descriptions qu'elle se donnaient entre elles. Mais grâce à ces miroirs, Cera pouvait enfin coller un visage à ce qu'elle était. Une femme brune à la peau hâlée dont les yeux sombres rappelaient sa nature de prédateur. Une marque décolorait son teint cuivré en une nuance de violet et agrandissait son visage de quelques millimètres. Elle avait l'air ridicule.

- Ça fait mal en plus, gémit-elle en sentant les petits picotements sous sa couche de peau.

- Tu devrais appliquer ça, c'est de la pommade.

Dans sa main, Dix lui donna un tube emballé dans un étrange matériel. En voyant son air ahuri, la jeune femme retira le capuchon et lui demanda de donner sa main. Elle y versa une larme que Cera appliqua aussitôt sur l'hématome. La fraîcheur de la crème lui fit beaucoup de bien. La chasseuse trouva l'odeur étrange. Chimique.

- Tu peux en mettre autant de fois que tu veux mais n'en abuse pas non plus.

La brune s'apprêtait à en demander plus jusqu'à ce la voix de son Maître résonne dans la pièce. Son regard tomba alors sur le collier de Dix qui diffusait une petite lumière rouge.

« Il faut que tu fasses venir Cédric à la salle d'entraînement. Envoies la sauvage en même temps. »

- Tu l'as entendu ? Va à la salle.

Cera souffla puis fit demi-tour. Elle en avait assez de toutes ces règles. « La sauvage ». Ils n'avaient décidément que ce mot à la bouche. Elle s'appelait Cera. La poigne de Dix l'empêcha cependant de faire le moindre pas supplémentaire :

- Est-ce que tu t'es lavée ? Ou brossée les dents ?

Cette fois-ci, bien qu'agacée, Dix prit le temps de lui apprendre quelques règles d'hygiène en lui montrant notamment comment se laver les dents, comment appliquer du déodorant ou encore, quel produit utiliser pour se laver le visage. Cera en apprit plus en l'espace de dix minutes que pendant les deux jours qui avaient suivis son arrivée.

La jeune femme se dirigea donc vers la salle d'entraînement avec une impression de propre et de fraîcheur. Elle ressentait toujours les arômes de menthe dans sa bouche, et elle aimait beaucoup. Quand elle arriva près du ring, elle se remémora la scène qui s'était déroulée quelques heures plus tôt et rougit aussitôt de honte. Elle avait été battue en l'espace de quelques minutes, si ce n'est moins ! Cera avait été la chasseuse de son clan. Elle avait décroché son titre avec beaucoup de hargne et de fierté. Une fierté qu'elle voyait aujourd'hui piétinée par cet homme dont elle ne connaissait pas le nom.

- Tu as appliqué de la pommade ? Demanda Cédric en arrivant près d'elle.

- Oui.

- Bien. Maintenant, passons aux choses sérieuses. La défaite d'hier, tu l'oublies. Maintenant, tu te concentres pour tes futurs combats dans la fosse aux lionnes.

- Comment ça se passe exactement ? Je n'ai aucune idée de la durée des combats ou encore des armes utilisées...

- Il n'y a pas de durée. La première femme au sol a perdu. Les armes changent selon le bon vouloir du public.

Cédric s'exprima lentement pour qu'elle comprenne bien chacun de ses mots. Il l'invita à le suivre dans une pièce à part où un petit écran était accroché sur un mur. Cera avait déjà eu l'occasion de voir cette chose lors de sa venue à la Maison. Elle diffusait des personnes ou des objets qui bougeaient à l'avant d'un fond coloré. La jeune femme avait été impressionnée de voir une telle scène à son arrivée. Elle n'avait pas osé poser de questions à Dix quant à cet appareil.

- Je vais te montrer quelques extraits de la fosse.

Cédric appuya sur une nouvelle télécommande. Cera eut un mouvement de recul, pensant qu'il allait déclencher le mécanisme qui entourait son cou. A la place, l'écran noir fit apparaître une image. La chasseuse la contempla, hypnotisée par cet aperçu du réel. Sa fascination se transforma rapidement en horreur devant la suite des images.

Elle vit deux femmes s'avancer l'une vers l'autre, une épée à la main. Des cris résonnaient partout dans l'arène. L'excitation de la foule s'opposait morbidement au calme du combat. La spectatrice vit l'une des guerrières se jeter sur l'autre, la pointe de son arme vers l'avant, accompagnant son audace d'un cri. Un cri qui résonna longtemps dans l'arène avant d'être brutalement interrompu par la riposte de sa concurrente. Sa lame lui trancha la gorge. Cera détourna le regard pendant que la guerrière expirer son dernier souffle. Elle n'entendit plus que les acclamations du public.

- Ça fait toujours ça au début.

- Je ne veux tuer personne.

- C'est ta vie ou la leur. Si tu n'entres pas dans l'arène avec cette idéologie là, tu n'y arriveras jamais.

- Pourquoi doit-on en arriver là ? Je ne comprends pas. On peut juste blesser-

- Le public ne veut pas voir des fins heureuses où tout le monde sort vainqueur. Il veut une gagnante.

Pour Cera, ce monde prit soudainement des teintes plus sombres. Ces inconnus attendaient d'elle des choses dont elle n'était pas capable. Elle n'était pas prête de laisser son humanité pour satisfaire le bon plaisir de certains hommes. Des monstres. Voilà ce qu'ils étaient.

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