Chapitre 4, Le Premier voyage

Par Melau
Notes de l’auteur : Après de longs chapitres d'introduction, on rentre dans le vif du sujet ! Bonne lecture, en espérant qu'elle vous plaise !

Un pantalon, pensa Richard MacHolland, ça aurait pu s’avérer bien pratique. Oui, très pratique même.

Richie se tenait devant la baie vitrée qui donnait directement sur l’arrière-cour où venait à l’instant de se poser le vaisseau spatial, faisant tomber dans un plop léger la chaise de jardin en plastique qui n’avait d’ailleurs rien à faire là. De là, toute personne – ou autre – qui se trouvait dans l’appareil devait avoir une belle vue : Richard debout, le dos arc-bouté tel un bossu, habillé d’un vieux boxer d’un gris délavé aux tâches plus que douteuses et d’un t-shirt sur lequel était inscrit le nom d’un bar quelconque. Jenna arriva en un temps record jusqu’à lui, tenant dans une main un verre et dans l’autre un torchon.

« Mon Richie, c’est quoi ça ? Pourquoi il y a ce… ce truc, fit-elle en désignant du menton le vaisseau spatial dont la trappe venait de s’ouvrir, dans notre jardin ? »

Avant même que son mari n’ait eu le temps de lui répondre, elle s’exclama en voyant le logo qui trônait sur le flanc de l’appareil :

« Mais ! C’est la police interstellaire ! Mon Dieu, Richie, mais qu’est-ce qui se passe ? »

L’esprit de Richard était totalement embrouillé. De son côté de la baie vitrée, le vaisseau spatial envahissait tout son champ de vision. De l’autre côté, Magalie Pierce, le nouveau lieutenant de la police interstellaire, avec son tout-nouvel-insigne-qui-brille accroché à la poitrine, avait une vue imprenable sur son nouveau consultant et celle qui devait être sa femme qui se tenait fièrement à ses côtés dans une robe de luxe bien trop courte et échancrée, dont le décolleté était à peine caché par l’un de ces tabliers de cuisine qui ne devrait être considéré comme rien d’autre qu’un bout de lingerie, un morceau de tissu qui suscite le désir sexuel. A ses côtés, le brigadier qui l’avait accompagnée semblait bien d’accord avec cette idée, tellement qu’un sifflement lui échappa et qu’il devint rouge comme…

« Une tomate. On dit une tomate. Si je parle du sable martien, on va encore me prendre pour une folle. Et pire encore si je parle des yeux d’un mec venant de Vénus… se réprimanda le lieutenant à voix basse. »

Magalie hésita encore avec une autre formulation. Et pourquoi par « rouge comme les yeux d’un lapin qui a la myxomatose » ? Au moins, ç’avait le mérite d’être drôle. Un peu flippant, certes, mais drôle.

Le lieutenant Pierce observait le couple MacHolland, avec un mélange d’intérêt et de patience forcée. Elle fit signe au pilote d’ouvrir la trappe et de faire descendre la rampe qui lui permettrait d’accueillir l’homme en caleçon qui venait de prononcer on ne sait quelle phrase qui avait tant étonné madame que celle-ci en avait lâché tout ce qu’elle tenait dans les mains, tapissant le sol de dizaines de minuscules morceaux de verre.

« Ils sont là pour moi, avait finalement répondu Richie sans détacher ses yeux du vaisseau qui s’ouvrait peu à peu, comme la gueule d’un animal gigantesque prêt à l’engloutir.

- Quoi ? s’étrangla Jenny. »

Un petit hoquet de surprise ponctua sa phrase et elle lâcha le verre qui explosa sur le carrelage à quelques menus centimètres des pieds nus de Richard. Elle fondit aussitôt en larmes et en excuses interminables. Ses joues étaient devenues rouges et lorsqu’elle voulut aller chercher un balai afin de tout nettoyer, elle glissa, tomba au ralenti et Richard ne fit rien pour la retenir, laissant ainsi sa femme se couper non seulement les chevilles à cause du verre mais également s’entailler les paumes de mains. Du sang vint colorer le verre transparent jusqu’à couler en minces filets sur le carrelage blanc. Richard MacHolland ne trouva rien de mieux à dire que :

« Non mais c’est pas vrai ! »

Ce que Jenny interpréta aussitôt comme un signe d’inquiétude de la part de son mari, alors qu’il s’agissait bien évidemment du contraire : il était complètement excédé par la bêtise de sa femme et son incapacité à faire deux pas sans tomber. Pourtant, c’était la seule chose qu’on lui demandait dans son métier à elle, marcher sur un podium et faire dix pas sans se casser la binette sur le sol devant tout le monde. Comme quoi, il n’y avait vraiment rien à en tirer de cette bonne femme.

« Ce… C’est rien Richie… Enfin, ça va aller… Tu… Tu devrais y aller, enfin, voir ce qu’ils te veulent… »

Au même moment, un garçon d’une trentaine d’années à la peau extraordinairement translucide – tant et si bien qu’on pouvait voir les veines bleuâtres, violettes et rouges parcourir leur chemin sous la peau de l’homme comme s’il s’agissait d’une banale carte routière – frappa contre la baie vitrée. Le bruit sourd fit sursauter Jenna qui, au lieu de se relever, égratigna encore plus ses mains et ses poignets en glissant encore un peu sur le carrelage. Richie abandonna dès lors l’idée de l’aider à se relever. Elle finirait bien par y arriver toute seule, et lui, il n’avait pas de temps pour ça. Il devait s’habiller et accueillir la police interstellaire.

Mais, où était donc passé ce fichu pantalon ?

« J’arrive, j’arrive, grommela Richard lorsque le brigadier toqua une seconde fois. »

Dans son boxer tâché, son t-shirt plus que sale, nus pieds et à peine lavé, Richard se fraya un chemin entre les morceaux de verre jusqu’à la baie vitrée qu’il fit coulisser d’un simple mouvement fluide de l’épaule. Il se fit la réflexion que si Jenna avait été à sa place, elle aurait été tout bonnement incapable d’ouvrir à la police qui n’attendait pourtant que ça. Cette idée le fit sourire, du genre de sourire malsain qu’il n’a que lorsqu’il se permet de penser du mal de sa femme. C’est-à-dire approximativement tout le temps.

« Oui ?

- Monsieur MacHolland Richard ?

- Lui-même.

- Votre présence est requise au sein de nos rangs pour une durée indéterminée, déclara le brigadier comme si cette phrase avait un sens quelconque aux yeux d’une seule personne dans l’univers tout entier.

- Comment ça ? demanda Richie, sachant pertinemment qu’il n’aurait rien dû répondre d’autre que « Très bien, je vous suis ». Mais il n’avait jamais su faire comme tout le monde, y compris lorsqu’il s’agissait de respecter les règles et les lois, officielles ou non.

- Veuillez me suivre, répondit calmement l’homme qui semblait avoir, au plus grand regret de Richie, l’habitude de ce genre de comportement.

- Laissez-moi le temps de m’habiller et d’aider Je…ma femme à…

- Veuillez me suivre, tout de suite, le coupa le brigadier tout en gardant un calme qui dérangea particulièrement l’architecte qui ne sentait plus à l’aise au sein de sa propre maison. »

Sans le moindre bruit et comme s’il volait et non ne marchait, le brigadier fit un pas à l’intérieur de la maison des MacHolland et posa sa main sur le bras de Richard. Il n’octroya même pas un regard à Jenna MacHolland avant de réitérer un ordre au mari de cette dernière, les yeux plongés dans ceux d’un bleu trop profond de Richard.

« Veuillez me suivre. »

Comme s’il n’était pas maître de lui-même, ce qui était en réalité le cas, Richard se déplaça mécaniquement et suivit le brigadier. Le froid à l’extérieur ne sembla pas le perturber, du moins ce fut ce que pensa Magalie Pierce qui ne voyait que trop bien l’effet produit par les pouvoirs du brigadier sur MacHolland et particulièrement sur ce qu’il y avait dans le caleçon de ce dernier. Richard parcouru les quelques mètres qui séparaient la maison où se trouvait toujours Jenna assise sur le sol au milieu du verre éclaté, saignant comme un porc qui se serait pris dans les barbelés. Il était pieds nus et ne grimaça pas lorsqu’il passa de la terrasse en brique à l’allée en gravier qui menait à la pelouse moelleuse sur laquelle le vaisseau était installé. Le brigadier ne lâcha pas Richard avant que celui-ci ne soit monté dans le véhicule de service et que le pilote n’ait remonté la rampe. A l’instant où, dans un bruit métallique qui vrille les tympans, la trappe se referma, le brigadier lâcha le poignet de Richard MacHolland qui reprit instantanément connaissance. Il secoua la tête, se tapa les cuisses à la recherche de son fidèle paquet de Camel qui auraient dû se trouver dans son pantalon.

Mais il n’avait toujours pas de pantalon. Donc pas de cigarettes.

Magalie Pierce qui avait observé toute la scène depuis la passerelle supérieure du vaisseau se pinçait fermement les lèvres pour ne pas rire. Un gloussement lui échappa cependant lorsqu’elle vit Richard regarder tout autour de lui comme un chiot apeuré qu’on vient de ramener à la maison pour la première fois et qui ne comprend rien à ce qui se passe. Lorsque le brigadier passa aux côté de son lieutenant, Maggie lui glissa un mot :

« Je t’avais pourtant dit d’y aller doucement avec lui. C’est un terrien, et c’est dur la première fois, insista-t-elle en faisant allusion aux pouvoirs de persuasion de l’homme. »

Ce dernier haussa les épaules avec désinvolture avant d’offrir un sourire malicieux à sa supérieure du genre qui voulait tout dire : Maggie n’avait pas le droit de dire à ses subalternes de secouer un peu les témoins, mais elle ne l’avait jamais interdit non plus. L’implicite, ah, quel cadeau !

« Monsieur Richard MacHolland ! s’exclama-t-elle d’une voix assurée pour capter l’attention du chiot apeuré qui avait préféré rester dans la soute du vaisseau plutôt que de suivre le brigadier jusqu’à la passerelle supérieure. Bienvenue, bienvenue ! »

Tout en accueillant son nouveau consultant sur l’affaire Grassier, Maggie descendit les quelques marches qui séparaient les deux niveaux du vaisseau. Le bruit de ses talons aiguille sur la ferraille résonnait dans le véhicule tout entier, assourdissant comme les battements du cœur humain dans la poitrine. Le lieutenant souriait. Elle espérait rendre convaincant ce sourire qu’elle offrait aux trois hommes qui l’entouraient, et particulièrement à celui qui venait de les rejoindre qui n’était toujours habillé que d’un vulgaire boxer et d’un t-shirt miteux au nom d’un endroit dont elle ne connaissait pas le nom mais dont elle se doutait qu’il s’agissait d’un bar au vu du verre de rhum ou de whisky qui trônait aux côtés de l’emblème centré sur le torse. Bon dieu, qu’elle avait mal aux pieds dans ces chaussures ! Magalie ne les avait acheté que le week-end précédent et prévoyait de les porter au cours de l’une de ces grandes occasions que pouvait être un mariage ou un anniversaire, mais cela ne l’avait pas empêché de vouloir les mettre pour venir au bureau ce matin. Et justement, elle avait prévu de garder les pieds sous le bureau, légèrement surélevés de manière à ne pas souffrir le martyr, mais le destin avait voulu lui donner cette promotion qui allait désormais l’obliger à se tenir debout avec un immense sourire, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, ou qu’elle ait les doigts de pieds réduits en bouillie au fond de ses escarpins flamboyants.

« Comment je suis arrivé ici au juste ? demanda Richard qui avait subitement récupéré toute sa tête une fois le brouillard qui couvrait les dernières zones de son esprit fut dissipé. »

Richard ne cherchait plus son paquet de Camel. Il savait qu’il était dans la poche droit de son pantalon lui-même posé à côté de son blouson de cuir, sur le pied du lit, dans la chambre qu’il partageait avec sa femme depuis déjà bien trop longtemps. Richard éprouva une pointe de nostalgie, non par rapport à Jenna qui avait dû se relever et soigner ses blessures seule, à vrai dire il n’y avait absolument pas pensé, mais pour sa veste en cuir qui lui manquait énormément à cet instant précis.

Pour une fois, ce n’était ni la beauté du vêtement, ni l’odeur du cuir ou encore le pouvoir fulgurant sur les femmes qu’avait la veste, mais c’était bien la chaleur qu’elle lui aurait procuré alors qu’il se trouvait à moitié nu dans un vaisseau spatial qui allait se mettre en branle d’une seconde à l’autre.

Richard allait être malade. Pas tout de suite. Pas en arrivant à destination, peu importe ce dont il s’agissait. Mais dès qu’ils allaient décoller et qu’il allait se retrouver dans l’espace. Il sentait déjà son estomac se soulever à l’avance, prêt à se tordre, à convulser et à faire remonter tout ce qui pouvait bien se trouver dedans.

« Vous vous trouvez dans la soute de l’un des vaisseaux spatiaux de la police interstellaire, répondit Magalie.

- Je ne demandais pas je me trouve, mais comment je m’y suis retrouvé, rectifia froidement Richard.

- Mon brigadier vous a mené à l’intérieur du vaisseau, vous l’avez suivi sans poser de question. »

Le lieutenant Pierce oublia, ou plutôt fit exprès d’oublier, de préciser que le brigadier en question n’était certainement pas terrien et que si Richard l’avait suivi sans poser de question c’était à cause d’un pouvoir psychique et d’une toxine qui embrouillait l’esprit et non par pure volonté.

« Oh, j’en ai oublié l’essentiel, s’excusa Magalie Pierce d’une voix mielleuse. Je suis le lieutenant Magalie Pierce, en charge de l’affaire sur laquelle vous êtes demandé comme consultant. Enchantée de vous rencontrer, monsieur MacHolland. »

La policière tendit la main à Richard qui l’attrapa sans broncher. La main de l’homme était froide, les doigts calleux et la poignée de main ferme. Les ongles de la femme étaient manucurés, la peau douce et la poignée de main ferme. L’échange était professionnel, impersonnel, agréable.

« Egalement, répondit Richie en lâchant la main du lieutenant et retenant l’envie de mettre sa propre main dans la poche de son pantalon comme il le faisait tous les jours au travail

- Nous allons vous trouver de quoi vous couvrir, le rassura Pierce comme si elle avait pu lire dans ses pensées. »

Richard la remercia d’un hochement de tête. Il ne savait pas où se mettre. Pour la première fois de toute sa vie, Richie n’avait qu’une seule envie : se réfugier dans un trou de souris et disparaître. Il ne savait ni pourquoi il était là, il ne se sentait pas à l’aise, et pourtant il devait montrer tout le contraire. Le personnage qu’il s’était construit au fil des années allait bien lui être utile. Papa n’avait pas été un astronaute. Mais Richie pouvait bien être un gros macho.

« Venez, suivez-moi. Nous allons bientôt partir. »

Richard obtempéra. Le lieutenant passa devant lui, se tenant le plus droit possible alors qu’elle gravissait les escaliers. Elle ne voulait laisser aucune chance à l’homme derrière elle de voir sa petite culotte. Hors de question qu’il jette un œil là-dessous. Alors qu’ils venaient à peine de monter sur la passerelle supérieure, le brigadier arriva avec dans les bras un pantalon et un blouson de cuir que Richie pouvait reconnaître entre milles : son blouson de cuir. Avec un sourire satisfait et sans chercher à savoir comment le brigadier avait pu récupérer ses affaires sans se faire retenir par les milles questions que Jenny devait se poser en ce moment, MacHolland attrapa le tout sans broncher. Le brigadier avait même pensé aux chaussures et aux chaussettes. Bon, par contre, pas de boxer propre ni de chemise. Tant pis. Richard haussa les épaules et rectifia son allure en observant son reflet dans l’une des vitres du vaisseau. Maintenant qu’il était habillé, Richard n’avait plus à fournir le moindre effort : ses vêtements et sa personnalité allaient de pair, le voilà redevenu lui-même en un instant. Comme par magie. Sauf qu’il ne s’agissait que du pouvoir du blouson de cuir et du jean qu’il avait porté toute la journée. Richard nota dans un coin de sa tête qu’il ne devrait plus porter de jean à l’avenir – trop compliqué à mettre en un temps record sans tomber à la renverse. Mais il avait réussi un véritable exploit en tenant debout tout en enfilant le pantalon bien trop serré qui plaisait pourtant beaucoup aux femmes. Et puis soudain lui revint à l’esprit la raison pour laquelle il avait opté pour un jean : il aurait dû se trouver dans un bar et non chez lui avec celle qu’il avait épousé – à son plus grand regret. 

« Venez vous installer monsieur MacHolland, déclara Pierce en prenant elle-même place dans un fauteuil à quelques pas du pilote qui n’avait jusqu’alors pas pipé mot. Je vous conseille de vous attacher, surtout s’il s’agit de votre premier voyage interstellaire, ajouta-t-elle sans relever le fait que MacHolland, sans surprise au vu de sa réputation, n’avait pas remercié le brigadier. »

Sans répondre à la gentillesse de Maggie, MacHolland prit place dans le siège à ses côtés. Il dut se faire violence pour ne pas atteindre le paquet qu’il sentait contre le haut de sa cuisse. Le paquet de cigarettes, bien sûr. Même si les jambes du lieutenant étaient affriolantes, Richard n’avait pas encore repris suffisamment ses esprits pour penser à ce genre de chose, à ce genre de paquet…

« S’agit-il de votre premier voyage Richard – je peux vous appeler Richard n’est-ce pas ? demanda Magalie après s’être attachée et s’être assurée que son nouveau consultant en avait fait de même.

- Effectivement, acquiesça l’architecte. Il m’est arrivé de travailler avec certaines figures de Mars ou Jupiter, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’aller voir par moi-même le résultat de mes idées.

- Mars dites-vous ?

- J’ai collaboré plusieurs fois avec la famille dirigeante, une famille royale si je ne m’abuse, confirma Richie.

- Les Grassier, très certainement, ou l’une de ces familles dont ils sont très proches.

- Je suppose, oui. Pourquoi parlons-nous d’eux ? »

Magalie n’eut pas le temps de répondre : le pilote annonça le décollage imminent et fit le compte à rebours. A cause du stress et sûrement aux derniers relents de toxine inoculée par le brigadier, Richard oublia la question qu’il avait posé à peine quelques secondes auparavant. Le décollage se passa à merveilles. De là où il se trouvait, Richard ne voyait quasiment rien d’autre que le ciel, le dos du pilote et le tableau de bord. Bien plus habituée à cette place, Magalie Pierce, quant à elle, voyait également le porche de la maison des MacHolland où se tenait Jenna, les bras croisés, le visage rougit par les larmes et les jambes colorées par le sang. Derrière elle, le verre n’avait pas disparu du sol mais un balai et une serpillère étaient apparus dans le couloir. Pierce ne dit rien et reconcentra son regard sur le pilote qui, avec des mouvements d’une fluidité étonnante, mettait l’appareil en branle. Le vaisseau se mit à trembler sous eux, comme font les vieilles voitures qui n’ont pas été démarrées depuis trop longtemps et qui peinent à se mettre en route. C’était impressionnant, et déjà Richard tenait fermement les accoudoirs de son siège, le souffle court. Le stress l’envahissait. Malgré ce qu’il était et qui il était, Richard n’avait pas confiance en ces appareils qui volaient. Il s’agissait d’ailleurs de l’une des raisons pour laquelle il n’avait jamais été directement sur un chantier à l’autre bout de la Terre – ou de la galaxie. Il essayait de restreindre ses voyages en avion au strict minimum, alors ce n’était pas pour monter dans un vaisseau spatial comme s’il s’agissait d’une attraction génialissime. Une pensée le réconforta cependant tandis que le vaisseau se mettait à s’élever doucement dans les airs et qu’il ne voyait plus la cime des arbres : peu importe la durée de ce voyage, une heure, une journée ou une semaine, mais pendant ce temps même s’il n’était pas rassuré – euphémisme pour ne pas avouer qu’il avait peur – Richard n’allait pas avoir à supporter Jenna MacHolland. Ses oreilles pourraient enfin se reposer. Enfin du moins après qu’elles se soient débouchées : le vaisseau prenait de plus en plus d’altitude et de vitesse par la même occasion.

« Accrochez-vous, lui conseilla Maggie Pierce tandis que le brigadier qui l’avait conduit à l’intérieur du vaisseau déambulait tranquillement alors que le véhicule était pratiquement à la verticale dans les cieux. »

Richie allait demander pourquoi, mais il n’en eut pas le temps. La vitesse du vaisseau spatial augmenta d’un seul coup, projetant l’architecte tout au fond de son siège. MacHolland serra les dents mais sa bouche partait dans tous les sens si bien qu’il ne sentait plus ses lèvres. Les trois premières secondes, Richard voulut regarder l’espace qui se profilait devant eux mais tout allait tellement vite qu’il comprit que garder les yeux fermés serait une bien meilleure idée. L’angoisse le prenait à la gorge, il avait du mal à respirer. Il se posait des questions idiotes, telles que : comment allait-il réussir à respirer une fois qu’ils auraient quitté l’atmosphère terrestre ? comment ses os faisaient-ils pour ne pas se rompre sous la pression qui était pourtant exercée dessus ? Puis il cessa subitement de penser à quoi que ce soit. Dans sa poitrine, son cœur arrêta de cogner comme s’il cherchait à s’échapper. Sa respiration redevint plus fluide. Le vaisseau ralentit, les ceintures se détachèrent automatiquement et le lieutenant Pierce se leva. Ce qu’elle vit lui demanda un effort surhumain pour ne pas rire : MacHolland avait littéralement changé de couleur. Bien blanc au départ, il ressemblait désormais à une palette de peinture usagée qui n’avait jamais été lavée. Ses joues étaient rouges, ses lèvres d’un bleu-violet intriguant et globalement son teint était verdâtre, un peu comme celui du smiley prêt à vomir qu’on voit dans les téléphones. L’architecte s’était agrippé tellement fort aux accoudoirs que les phalanges de ses doigts étaient devenues blanches et ses doigts bleuâtres. Magalie se retint difficilement de lui dire de respirer. Au lieu de cela, elle préféra :

« Vous pouvez vous lever. Déambuler dans le vaisseau fait généralement du bien. Et, ajouta-t-elle finalement, si vous avez la nausée, ce dont elle ne doutait absolument pas, vous pouvez descendre dans la soute. Vous devriez vous y sentir un peu mieux. »

Sans un merci, MacHolland se leva et se dirigea vers la soute. Il avait l’impression d’avoir bu un peu trop : il tanguait et les marches de l’escalier semblaient vouloir se dérober sous ses pieds. Cependant, il parvint à descendre. Il espéra ne pas avoir paru trop pressé, il ne voulait pas s’être ridiculisé. Il ne se rendait pas compte à quel point c’était déjà le cas avant-même qu’il n’y pense. Sans réfléchir à ce qu’il faisait, Richard sortit le paquet de cigarettes de sa poche et s’en grilla une après s’être appuyé contre la paroi de fer. Le brigadier mis Magalie Pierce au courant de ce que faisait l’architecte, ce qui ne la mit pas en joie. Après seulement quelques minutes à bord, MacHolland dérogeait déjà au règlement de base du vaisseau. Si son patron apprenait cela, le tout-nouvel-insigne-qui-brille allait lui être confisqué, elle pouvait en être certaine. Alors, elle prit son courage à deux mains et descendit dans la soute. Le tintement de ses talons sur les marches raisonna dans toute la soute si ce n’est dans tout le vaisseau, et pour autant MacHolland ne releva pas la tête. Il fumait, tirant une taffe et soufflant longuement après, tout en regardant le sol.

« Richard, appela Maggie pour signaler sa présence.

- Je ne me souviens pas vous avoir autorisé à m’appeler par mon prénom, lieutenant, déclara MacHolland avant de tirer une longue taffe sur sa cigarette et d’en faire tomber les cendres à côté de son pied.

- Il est vrai, mais je me le permets cependant. Vous vous sentez mieux ?

- Je vais très bien, merci.

- Tant mieux. Alors vous pouvez éteindre cette cigarette, n’est-ce pas ?

- Je préférerais la terminer, lieutenant, répondit l’architecte en relevant la tête pour finalement croiser le regard de son interlocutrice.

- Selon le règlement, à l’intérieur du vaisseau aucun membre d’équipage n’est autorisé à fumer. Question de sécurité, expliqua-t-elle.

- D’accord, répondit distraitement MacHolland en rallumant l’extrémité de sa cigarette éteinte seulement à moitié fumée.

- Puisqu’il s’agit de votre première fois à l’intérieur d’un vaisseau comme celui-ci et que vous n’étiez pas au courant du règlement, je ne vous en tiendrais pas rigueur.

- Je ne suis pas un membre de votre équipage, chère lieutenant, insista MacHolland, un air de défi dans la voix. »

Magalie Pierce s’avança sans hésitation vers l’architecte. Elle sortit de la poche de sa veste un badge qu’elle accrocha à la poitrine de Richie en ayant soin de ne pas le piquer avec la pointe de la broche. Ensuite, après avoir remis en place la veste de cuir de Richard qu’elle avait soulevée au préalable, Magalie se pencha, attrapa du bout des doigts avec délicatesse le mégot de Camel, le fit tomber par terre et l’écrasa avec la pointe de son escarpin sans quitter Richard des yeux.

« Maintenant, vous l’êtes. »

Sans attendre une quelconque réponse de la part du consultant, Magalie se frotta les mains fit demi-tour et intima :

« Suivez-moi. »

Richard la suivit sans rien dire, impressionné par le caractère de la femme qui devait être à peine plus jeune que lui de quatre ou cinq ans. Soudainement, ce fut non pas le paquet de cigarette mais bien l’autre paquet qu’il sentit nettement dans son pantalon. Allons, Jenny était à des centaines de kilomètres désormais, il n’était même plus sur la même planète qu’elle, leur mariage ne devait plus avoir la même valeur. Pris d’une bouffée de chaleur, il écarta les pans de sa veste puis se racla la gorge. Magalie Pierce qui ne s’était rendu compte de rien – ou du moins qui ne le montrait pas – attendait l’architecte devant une immense baie vitrée derrière laquelle l’espace entier se dessinait. Richard, une fois à ses côtés, en eut le souffle coupé. Jamais il n’aurait pu imaginer voir quelque chose d’aussi beau, impressionnant et respectable de toute sa vie. Oui, respectable était bien le mot : s’il y avait une seule chose dans sa vie qu’il respectait, ce serait l’espace. Sûrement pas Jenna.

« Où allons-nous ? demanda Richard.

- Là-bas. »

Magalie montrait une planète qui se devinait. De là où il se trouvait, Richard n’entrapercevait qu’une boule rouge, une grosse boule rouge. Il demanda :

« Mars ?

- Vous pourrez voir votre travail effectué là-bas, acquiesça le lieutenant. »

Richard ne se mit pas à sourire mais à rayonner : il n’aurait jamais cru cela possible. Magalie s’écarta de lui afin de le laisser observer pleinement l’espace qui les entourait dans lequel il n’avait jamais voyagé. Jusque-là, Maggie était contente : malgré la réputation de MacHolland, les choses se passaient plutôt bien. Elle lui conseilla de profiter du voyage, qu’ils en avaient pour une petite heure tout au plus et que bientôt il verrait son œuvre par lui-même. Richard resta donc debout, à observer le vide infini qui s’étendait devant lui, sans penser à rien. Même pas à sa femme. Même pas à Tristan qui serait seul au boulot demain et qui n’aurait pas été prévenu. Même pas à ce qu’il faisait ici.

En fait, si.

Il y pensait. Beaucoup même. Si bien qu’au bout de quelques minutes il se retourna et, sans préambule demanda à Magalie Pierce :

« Mais, au fait. Je fais quoi, là ? »

 

 

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Alice_Lath
Posté le 20/10/2020
Mmmh, je suis pas vraiment convaincue par ce chapitre
Je m'explique : le coup de Jenna qui se fait mal, perso moi ça m'a fendue le coeur. Personne n'en a rien à faire et y'a un côté "mais si c'est drôle, c'est de l'humour noir", sauf que nan, j'ai beau avoir beaucoup, beaucoup, beaucoup d'humour noir hahaha, là ça m'a juste gênée.
Pareil pour certains aspects du caractère de Richard : il panique, il fait assuré, il impose ses conditions, il se dégonfle, j'avoue que je ne sais pas trop sur quel pied danser avec lui, ni ce qu'il ressent vraiment à cette idée d'être embarqué par la police
Sinon, le chapitre se lisait très bien haha, mais voilà quoi, c'est surtout la partie de Jenna qui m'a embarrassée plus qu'autre chose.
Ah et aussi, je trouve dommage que la manifestation du désir de Richard, ce soit seulement une trique :/ je pense qu'il y a moyen de toucher un panel bien plus large de troubles amusants
Melau
Posté le 20/10/2020
Re !
Oui, je comprends que ça t'ait mis mal à l'aise, et j'en suis désolée. Le but n'est en aucun cas de te gêner au moment de la lecture. Je note une nouvelle fois tout cela, et dans une future réécriture j'atténuerai certainement le trait. Tu verras, c'est une de mes lourdes tendances dans un premier jet...

Encore merci de prendre le temps de me faire part de tes impressions. J'espère que malgré tout la suite te plaira un minimum !
Bc1960
Posté le 01/10/2020
J'adore tes personnages. Ce qui m'amuse c'est que tous les trois pensent à un moment donné à leurs pantalons. "Mais ,au fait. Je fait quoi, là ? " très bonne question .
Melau
Posté le 01/10/2020
Si seulement il y avait une vraie réponse... ou peut-être qu'il y en a une ! à découvrir !
merci pour ton commentaire :)
haroldthelord
Posté le 22/09/2020
Salut,
Tu n'utilises pas le bon tiret dans les dialogues avant je faisait la même erreur que toi pour un dialogue le bon tiret c'est celui-lä — appelé tiret cadratin.

J'ai trouvé une incohérence Macholland vit à la même époque que tes autres personnages et même si il n'a pas encore fait de grands voyages interstellaires, il sait à peu prés comment cela marche, il ne devrait pas s'interroger à ce point.
Melau
Posté le 22/09/2020
Hey !
Je sais bien pour les tirets cadratins, c'est juste que quand j'écris je ne m'embête pas à aller le chercher à chaque fois. Merci quand même ahah, je ne corrigerai cela qu'à la réécriture du texte.

Je vois ce que tu veux dire, mais je me permets aussi de t'expliquer mon point de vue qui pourrait expliquer les interrogations de MacHolland. Par exemple, à notre époque, on sait bien comment fonctionnent les avions, mais ça n'empêche pas que lorsqu'on en prend un pour la première fois on peut se poser des questions et appréhender l'envol. MacHolland a en plus de ça du stress, de l'incompréhension et une toxine dans le sang... Il n'est pas au meilleur de sa forme ! Je note cependant ta remarque pour que ça soit plus limpide et qu'il y ait moins d'interrogations.
Merci pour ton commentaire :)
Le Saltimbanque
Posté le 17/09/2020
Aaaaaaah l'intrigue se met en place... ou pas ?
Il faut l'avouer : ce chapitre n'a pas fait beaucoup avancer le shmilblick. Cest dommage.
Mais les premières interactions entre Magalie et Richard sont à la hauteur de mes attentes. Les dialogues sont un sans fautes. Jai adoré la manière dont Pierce règle le problème de clopes.
Aussi ce chapitre corrige un des défauts du précédents : l'exposition plate. Ici, les pouvoirs du brigadiers sont expliqués de manière fluide et efficace, bien ancrés dans la narration.
Un défaut de ce texte, et pour moi un defaut qui concerne l'ensemble de ton écriture, serait les répétitions. Il y a un peu trop de phrases, de moments qui répètent ce qui a déjà été dit. Le fait que Richard n'aide pas Jenna a se relever, le fait que Richard cherche ses clopes, ou la référence à son paquet... je pense qu'un peu de concision serait génial. Parce que la je chipote un peu hein.
Continue !
Melau
Posté le 18/09/2020
Contente d'avoir eu ton commentaire et ton avis sur ce chapitre !
Je prends bien note de tout ce que tu as dit sur les répétitions, mais comme tu l'as dit ça fait partie de mon style d'écriture : malheureusement, il va falloir t'accrocher, c'est ma marque de fabrique ahah !
En tous cas, je suis contente que le chapitre t'ai plu dans l'ensemble malgré le fait que l'action n'avance pas (je sais, un chapitre entier sur trois minutes de temps dans l'histoire, c'est un peu exagéré, mais il était essentiel à mon avis de bien faire une coupure entre la relation MacHolland / Jenna et MacHolland / Maggie).
Promis la semaine prochaine ça avancera un tantinet plus !
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