Chapitre 5, Les Martiens

Par Melau
Notes de l’auteur : Salut, salut ! Je voulais juste insister sur une petite chose : les remarques sexistes, grossophobes, sexuelles, peut-être même racistes que vous pourrez trouver non seulement dans ce chapitre mais également dans tous ceux à venir, ne sont pas à prendre pour argent comptant. Evidemment, Richard est un personnage très noir avec un humour particulier. Encore une fois, n'oubliez pas que tout ceci n'est que provocation et stéréotype, avec un tantinet de réalisme ... !
Sur ce, bonne lecture !

La planète Mars était un endroit où il faisait bon vivre et dont nous rêverions tous d’être les habitants. Bienveillance, harmonie et patience étaient la devise de chaque martien, y compris des dirigeants. Du moins, en apparence.

« Bienvenue, bienvenue ! »

Alors que le vaisseau ne faisait que de se poser sur la planète rouge et que le pilote venait à peine de faire descendre la rampe, déjà, ils étaient accueillis tels des rois. Le tapis rouge n’était pas déplié – cela n’aurait servi à rien, le sol était déjà entier de cette couleur que ce soit par le sable ou bien par l’argile – mais c’était tout comme. Sur Terre, un tel accueil n’était réservé qu’aux hautes sphères politiques : les richissimes businessmen, les rois, les présidents de la République, les dirigeants des plus grandes entreprises mondiales. Beaucoup d’hommes, peu de femmes, en somme un cercle d’arrogance et de faux-semblants. C’était pourtant à ce genre de vie qu’aspirait MacHolland, ainsi il se sentit tout à fait à son aise dès qu’il eut posé le pied sur le sol martien. Toutes ses inquiétudes s’étaient envolées, il ne pensait qu’à une chose : rencontrer la famille royale et voir de ses propres yeux le travail accompli par la T&R Corporation à pas moins de 78 millions de kilomètres des bureaux de l’entreprise. De plus, son travail, ses idées devenues de véritables constructions, ici, sur Mars, c’était tout ce qui lui permettait de garder un lien avec la Terre. Lui qui n’aurait jamais pensé quitter la grande planète bleue, il ne se voyait déjà plus y retourner.

« Je suis Friedrich Grassier, se présenta l’homme qui les attendait à quelques mètres du vaisseau, accompagné par une femme d’une cinquantaine d’années qui ne devait être autre que son épouse. »

Magalie Pierce fut la première à s’avancer. Dans le vaisseau, avant de descendre, elle s’était patiemment observée dans le miroir : cheveux parfaitement coiffés, jupe lissée, blaser fermé et non froissé, et un insigne éclatant sur la poitrine, du côté gauche. Elle était prête à rencontrer un roi et une reine, quand bien même elle ne s’attendait pas à ce que ce soit eux qui les accueillent directement à l’atterrissage. Contrairement au brigadier qui les accompagnait mais surtout à Richard, Maggie avait reconnu au premier coup d’œil les personnalités qui se trouvaient à quelques mètres d’eux à peine. Elle s’inclina dans une longue révérence, geste que l’architecte n’imita pas. Il n’avait pas compris qui se trouvait devant lui – personne ne l’avait mis au courant, Maggie allait se le faire entendre une fois rentrée au poste – et de toute manière, il ne s’en préoccupait pas le moins du monde. Il essayait surtout de comprendre où se trouvaient les autres personnes de cette planète. Il devait bien y avoir d’autres habitants que ce Friedrich et la petite bonne femme qui se tenait à ses côtés ?

« Faites la révérence MacHolland, lui souffla le brigadier après lui avoir flanqué un coup de coude dans les côtes. »

L’intéressé retint un soupir. Il n’avait pas envie d’obéir, mais il le devait bien. Il ne savait pas de quoi ces gens étaient capables. Après tout, avec les martiens, on ne savait jamais à quoi s’attendre… Leur réputation les précédait, et de loin. Richie se força et bascula le torse vers l’avant, fixant le sol durant quelques secondes. Lorsqu’il se redressa, le couple s’était retourné, Maggie à leurs côtés et le brigadier le toisait avec une expression d’amusement collée sur le visage. MacHolland venait de se faire rouler dans la farine par ce petit homme aussi haut que large. Il allait le payer, c’était certain.

« … vous êtes sûre de cela, lieutenant ? »

De là où il se trouvait, MacHolland n’arrivait à entendre que des bribes de la conversation. Il se demandait sincèrement ce qu’il faisait là. Le temps du trajet, qui menait à une destination encore inconnue de l’architecte, ce dernier observa ce qui se trouvait autour de lui. Escorté par le brigadier, il ne pouvait pas s’éloigner de plus de quelques pas avant de se faire rappeler à l’ordre. Au bout de la troisième fois, Richie se dit qu’il valait bien mieux rester dans le rang et simplement regarder.

Le paysage qui, à l’atterrissage, n’était que désert et désolation se transformait petit à petit en une ville. Richard ne cherchait plus les habitants de la planète : la vie grouillait littéralement à chaque recoin de Mars. Partout où il tournait la tête, son regard se posait sur quelque chose. Enfant qui jouait à la balle, maison blanche modeste, fontaine, sable rougeoyant aux rayons du soleil, une femme enceinte surveillant un enfant en bas-âge qui jouait dessinant des formes abstraites dans la boue. Richie se fit la réflexion qu’il aimait ça. Voir les gens heureux, apparemment insouciants, tranquilles.

« Je suis justement ici pour récupérer… »

MacHolland ne parvint pas à entendre la fin de la phrase de Pierce. Il souffla le plus bruyamment possible, espérant se faire remarquer par ceux qui le devançaient. Rien n’y fit : ils continuèrent d’avancer tous les trois en rang sans prêter attention au terrien qui les suivait, essoufflé comme un bœuf. Le brigadier se tourna vers lui, un sourire narquois planté sur les lèvres :

« Pas habitué à marcher ? »

Richard n’avait pas la force de répondre. S’il ouvrait la bouche, ce devait être pour respirer. S’il voulait parler, alors il tomberait dans les pommes, il en était sûr. Le brigadier renchérit :

« Je n’avais jamais vu quelqu’un prendre la couleur de cette planète. Tu essaies de te fondre dans le paysage ? »

MacHolland ne releva pas l’utilisation du tutoiement de la part du gros bonhomme qui se moquait ouvertement de lui. Il était bien trop concentré sur ses pieds : un pas après l’autre. Les jambes devenaient de plus en plus lourdes à soulever. Il ne se sentait pas capable d’aller plus loin.

« Si c’est le cas, c’est réussi ! »

Le brigadier lui colla une tape dans le dos et le dépassa avec aisance. Il ne transpirait pas. Même pas une petite goutte sur le front. Pas d’auréole sous les aisselles. Pas d’essoufflement. Richard se sentit immédiatement humilié. Au moins, à Chicago, on le prenait au sérieux. Peut-être qu’il rentrerait, finalement…

« Pardon ?! »

Le cri suraigu de la petite femme à la droite de Friedrich Grassier fit redresser la tête à MacHolland. Il manqua de tomber dans la seconde suivante après avoir trébuché sur un petit rocher qu’il n’avait pas vu. Ses yeux quittèrent le paysage et ses pieds pour se concentrer sur la femme dont il venait d’entendre la voix pour la première fois.

Tout comme le brigadier, celle qu’il devinait être Madame Grassier était à l’image de ce bon vieux labrador que Richard avait eu étant gamin : une table basse aussi haute que large. Habillée d’une longue robe vert émeraude, la femme se tenait droite, avançait d’un pas léger et ne se préoccupait que d’une chose : la discussion entretenue avec Magalie Pierce. Le regard de Richie se posa plus lourdement sur le lieutenant, déviant vers les fesses merveilleusement moulées sous la jupe. Lui qui ne croyait pas en Dieu, il le remercia tout de même par la pensée d’avoir fait en sorte que Maggie porte cette tenue aujourd’hui. Les talons qu’elle portait rehaussaient ses jambes et les affinaient. Ainsi, elles paraissaient interminables et disparaissaient sous le vêtement. L’architecte en lui se dit qu’il aurait bien aimé voir jusqu’où ces fondations s’étendaient… L’homme, quant à lui, ne voulait rien d’autre que voir ce qui se passait sous la jupe. Il tapota alors le paquet de Camel dans sa poche et revint à la réalité. Il reporta son attention sur Madame Grassier. Plus il regardait cette petite femme, plus il se disait que sa taille n’allait pas avec la place qu’elle devait tenir. Au fond, elle avait l’air grande. Impressionnante. Richard ne savait pas comment se tenir face à elle, s’il devait lui accorder sa confiance immédiatement ou si, bien au contraire, il devait s’en méfier comme de la peste. Ou le choléra, Richard avait un doute sur l’expression. Ses longs cheveux bruns étaient nattés, une partie relevée en un chignon très princier, le tout couronné d’un fin diadème brillant de mille feux. Ou plus exactement de mille diamants. Oui, clairement, il n’avait pas n’importe qui devant lui. Le lieutenant avait bien évoqué la famille Grassier dans le vaisseau, mais Richard ne savait pas à quoi cela pouvait bien correspondre.

« Qui c’est ? glissa l’architecte à l’oreille du brigadier. »

Sous le regard interrogateur de l’homme, il désigna d’un geste de la tête le couple qui évoluait aux côtés de Maggie. Le brigadier ouvrit la bouche pour répondre, mais cela ne servit à rien : Richard eu sa réponse en voyant le bâtiment vers lequel ils se dirigeaient. Droit devant eux, une tour immense se détachait du paysage. Un gigantesque parc luxuriant jonché de fontaines et de luminaires l’entourait. Il ne fallut pas longtemps à l’architecte avant de reconnaitre son travail. Le travail d’une année entière, celui qui aurait pu être l’œuvre d’une vie pour un quelconque architecte autre que lui. Richard se targuait d’être le meilleur ? Il avait bien raison, la preuve était devant lui. La tour était en réalité un demi-cylindre derrière lequel s’étendait une galerie d’art conçue pour que la lumière illumine parfaitement chaque tableau, chaque photographie exposée. Plus loin encore, de l’autre côté de la galerie, la troisième partie du bâtiment se profilait. En forme de coquille de pétoncle entrouverte au creux de laquelle se tenait une perle, renfermant elle-même le palais royal. Ce dernier était la plus belle réussite de Richard. Chaque parcelle du bâtiment avait été étudiée. MacHolland avait travaillé spécialement pour l’occasion avec l’un des meilleurs architectes d’intérieur qui avait fait le voyage depuis Neptune pour le rencontrer et mettre au monde ce qui se trouvait dans l’esprit du terrien. Leur travail avait porté ses fruits d’une manière plutôt exceptionnelle selon Richard : le palais royal était de toute beauté.

« Les Grassier. Le roi et la reine. »

Richie avait à peine écouté le brigadier. Il ne lui apprenait rien qu’il ne savait déjà : définitivement, ils n’avaient pas n’importe qui devant eux. Tel un enfant désobéissant, l’architecte fit quelques pas sur le côté afin de mieux appréhender le bâtiment. Le coquillage tout de verre reflétait tantôt le sable rouge, tantôt le ciel à peine une teinte plus claire. Il semblait disparaître, se fondre dans le paysage. Sous un certain angle, Richard était persuadé que l’enveloppe disparaissait totalement et qu’il ne restait plus que la perle comme en lévitation couverte d’une peinture nacrée aux reflets tantôt cuivrés, tantôt argentés, tantôt dorés. Les reflets du soleil tombaient sur les murs ne laissant bientôt plus le choix à Richie de détourner le regard et de baisser la tête. Le brigadier l’attendait, les bras croisés sur le torse et les pieds écartés. L’architecte eut un mouvement de recul en s’apercevant que, à travers la personne du brigadier, il pouvait entrapercevoir ce qui se trouvait derrière le brigadier. Un frisson lui parcourut l’échine. Il détourna vivement le regard. Il avait remarqué dans le vaisseau que l’homme avait une drôle de couleur de peau. Mais à ce point ? Absolument pas. Certes, on voyait les veines aussi bleues que violettes qui saillaient sous le derme, mais de là à être quasiment transparent ? Le phénomène était trop étrange pour l’esprit de Richard, tant et si bien qu’il préféra se rapprocher à grands pas de Magalie et du couple royal qui discutaient calmement sous le porche de la tour à demi-cylindrique qui s’élevait dans les cieux à perte de vue.

« Rien ne nous prouve qu’elle ait été tuée. »

Alors que Richard avançait, le sourire aux lèvres et sûr de lui, lorsqu’il entendit les paroles de Magalie, son attitude changea du tout au tout. Il était refroidi. Ni le lieutenant ni le brigadier ne l’avaient encore mis au courant de ce qu’il faisait ici. Magalie avait refusé de lui donner les raisons qui faisaient que sa présence était requise. C’est pour une affaire, voilà tout ce qu’elle avait su lui dire. Ça n’avançait pas à grand-chose. Apprendre que l’affaire était en réalité un meurtre, ça avait de quoi secouer. Richard ne savait désormais plus comment réagir : devait-il présenter ses condoléances aux Grassier ou rester silencieux aux côtés de Pierce ? Il opta pour la seconde solution, plus facile à vivre et à mettre en pratique. L’architecte se mit dans l’ombre du lieutenant – au sens propre comme au figuré.

« Sa pastille lui a été arrachée, elle pourrait être n’importe où, expliqua le lieutenant avant d’insister, en vie. »

Magalie retint un soupire. Un tic en devenir, très certainement. Ses pieds la faisaient souffrir. Décidément, malgré la promotion, ce n’était pas sa journée. Persuader les Grassier qu’il y avait de l’espoir pour leur fille tenait de l’impossible. Ils étaient absolument certains l’un comme l’autre que Sindy était morte.

« C’est ma fille, je le sentirai si elle était encore en vie. »

La voix froide de la reine n’avait pas étonné Magalie. Elle savait que cette femme ne montrait pas ses sentiments. Opalina était – tout comme la précieuse dont elle tenait le prénom – une femme aussi froide que la pierre, dure et en même temps impressionnante par sa beauté et sa prestance. Du haut de sa cinquantaine plus que bien avancée, on ne lui donnait pourtant pas plus de trente ans. Ses yeux verts de la même couleur que sa robe brillaient toujours de cette lueur particulière mêlant vivacité, curiosité et surtout malignité. Pourtant, ce n’était pas pour son rôle ouvert dans la société martienne que la reine Opalina était connue, mais bien pour ce qui se passait en privé. Les Grassier étaient rois et reines de génération en génération depuis près de huit siècles. Jamais le peuple ne s’était soulevé. Jamais une révolution de la noblesse n’avait éclaté. Jamais, et ce pour une simple raison : tous les opposants au parti royal disparaissaient du jour au lendemain. A la cour royale, sur Mars, les poisons et les meurtres étaient aussi courants que la bonne parole et les sourires.

« Souhaitez-vous visiter le palais ? »

Le roi avait subitement décidé de changer de sujet, comme si le sort de sa fille ne l’intéressait guère. Ne pouvant se permettre de décliner la proposition, Magalie hocha simplement la tête. Derrière elle, la présence de Richard pesait. Il n’était pas là à sa place, elle commençait à regretter de l’avoir embarqué dans toute cette histoire. L’architecte n’aurait appris la nouvelle du décès de sa stagiaire qu’en arrivant au travail le lendemain matin. Peut-être qu’il ne s’en serait même pas rendu compte. Là, Maggie se rendait compte qu’elle avait totalement bousculé la vie des MacHolland, et surtout de cet homme qui, pour la première fois de sa vie, ne savait pas comment se comporter en société. Elle le mettait mal à l’aise, dans une situation qu’il n’avait pas choisie, et il était obligé de tout supporter sans rien dire.

« Suivez-moi. »

Une fois entrés dans le bâtiment, Opalina s’excusa et s’en alla par une petite porte qui permettait de monter dans les étages de la tour. Un problème d’ordre public, avait-elle expliqué. Le lieutenant n’avait pas cherché à en savoir plus. Elle la remercia pour son accueil chaleureux de la manière la plus cordiale possible. La reine eut l’air d’apprécier et partit sans jeter un regard à qui que ce soit d’autre que le lieutenant de la police interstellaire.

« Léopold, garde un œil sur monsieur MacHolland s’il te plait, il ne faudrait pas déclencher un incident diplomatique ici à cause d’un terrien, même s’il est à l’origine du palais, ordonna Magalie à son brigadier qui suivait déjà l’architecte à la trace.

- Bien lieutenant.

- Et garde l’œil bien ouvert. N’oublies pas où on est. »

Cette fois, Léopold ne fit qu’hocher la tête, l’air grave. Tout comme le lieutenant, il connaissait les histoires sous les apparences de planète parfaite que proposait Mars. Ici, un mort au détour d’un couloir, c’était pareil qu’avoir un nez en plein milieu de la figure.

« Venez, suivez-moi. Nous allons commencer par la galerie d’art. »

Magalie obtempéra, un sourire collé sur les lèvres. Son expression contrastait avec celle concentrée du brigadier et encore plus avec l’insouciance collée au visage de MacHolland. Lorsqu’ils pénétrèrent tous ensemble au cœur de la galerie qui, selon le roi, était la plus belle pièce du palais en son entier, Magalie fut soufflée par l’immensité de l’endroit. De l’extérieur, le demi-cylindre couché sur le sol ne payait pas de mine avec ses trois mètres de large et ses deux mètres de haut. Mais de l’intérieur, tout était différent. L’espace semblait trois fois plus grand. De plus, alors que depuis l’extérieur on ne pouvait rien voir, depuis l’intérieur du bâtiment on pouvait absolument tout voir. Le lieutenant se tourna machinalement vers MacHolland et Léopold pour vérifier qu’ils suivaient bien tous les deux, sans rien toucher et surtout sans s’écarter du passage ouvert par le roi. Bien que MacHolland fut l’architecte, les Grassier avaient bien pu faire installer des pièges partout dans le sol et dans les murs. Magalie déglutit. Et s’il y avait du poison sur les murs ? ou sur les œuvres ? pensa-t-elle. Après tout, cela ne serait pas étonnant. Le couple royal devait être capable de tout pour sauvegarder sa collection.

« N’hésitez pas à vous approcher pour voir de plus près ! Certaines œuvres sont étonnantes. Les couleurs et les formes viennent à changer selon la perspective, expliqua le passionné. »

Le lieutenant n’osa pas. Pourtant, elle vit que les dires du roi étaient vrais : lorsqu’elle passa près d’une œuvre inspirée du cubisme, la couleur bleue lui sauta aux yeux. Pourtant, quelques secondes plus tard, Magalie se tourna vers MacHolland qui venait de cogner un socle sur lequel reposait un vase orné de chinoiserie, elle vit que le tableau avait changé de couleur : du bleu, c’était désormais le rouge-orangé qui dominait la peinture. Elle se retint de gronder Richard comme elle l’aurait fait avec un enfant. Ce dernier ne prit pas la peine d’excuser son geste malencontreux. Il contourna le piédestal et reprit le cours de sa visite guidée.

« Ceci, fit Friedrich en s’avançant vers un mur recouvert d’armes diverses, est ma plus grande fierté. »

Pierce le suivait à la trace. Son regard se posa machinalement sur les armes à feu qui étaient de toute beauté : certaines dataient probablement de plusieurs siècles, si ce n’est de presque un millénaire. Elles étaient dans un état de conservation absolument incroyable. Aux côtés des pistolets reposaient des armes aujourd’hui moins courantes : des haches, des massues et toutes sortes de couteaux de chasse, de dagues et autres tranchants. Plus elle observait les armes, plus Maggie se rendait compte de la richesse des Grassier : non seulement elles étaient vieilles et bien conservées, mais surtout elles étaient magnifiques. Du genre qu’on ne voyait qu’en photo dans les livres ou, si on avait un peu de chance, dans certains musées – mais la plupart ne conservaient que des fac-similés. Les manches des armes étaient tous différents non seulement par leur décor - tous sculptés, ils étaient ornés par des motifs tantôt floraux, tantôt animaliers, certains représentaient même de véritables scènes mythologiques ou guerrières – mais également par leur matière. C’était là le plus intriguant pour la jeune policière qui ne connaissait que les bons vieux manches en plastique dur, parfois couverts de cuirs pour le confort – même si ce n’étaient que les vieux qui faisaient cela.

« Approchez-vous, l’invita le roi. »

Cette fois-ci, Magalie ne se le fit pas dire deux fois. Elle hésitait à toucher les armes. A ses yeux, les plus belles étaient celles dont les manches étaient couverts de nacre : ils scintillaient aux rayons du soleil et brillaient de milles couleurs différentes. D’autres étaient tout aussi beaux : cuivré, en cuir, en os. Il y en avait de toutes les sortes et pour tous les goûts. Le lieutenant leva ensuite les yeux vers le mur : là étaient accrochées les plus grosses pièces – des armes lourdes et longues tels les fléaux d’armes, un espadon ou une masse immense à l’embout doré à l’or fin. Ses yeux s’arrêtèrent sur un emplacement vide. Remarquant son regard insistant, le roi réagit :

« Celle-ci est partie sur Jupiter si je ne m’abuse. Nous l’avons prêtée à un musée pour quelques semaines. Ils faisaient une exposition sur les armes terriennes, vous savez comme leurs jeunes sont incultes là-bas, ajouta-t-il avec une pointe de mépris. »

Maggie hocha simplement la tête, feignant de comprendre l’allusion du roi. Celui-ci enchaina :

« En échange, ils ont proposé de restaurer la lame qui était émoussée et de nettoyer l’ivoire, alors nous avons accepté. »

Se contrefichant des explications, Magalie se remit dans le milieu de l’allée, faisant comprendre au roi qu’ils pouvaient désormais avancer. Derrière eux, Richard et Léopold s’étaient arrêtés devant une baie vitrée. L’art ne semblait pas les intéresser, mais ce qui se passait dehors par contre oui. Le lieutenant feignit une quinte de toux, signe de rappel à l’ordre pour les deux hommes. Seul Léopold réagit et la rejoignit. L’architecte, lui, était en train d’hésiter à se griller une bonne clope, il ne comprenait pas qu’il était attendu. Ou alors, il faisait mine de ne pas comprendre. D’un signe de tête, Magalie fit comprendre au brigadier de secouer les puces à leur consultant. Le petit homme obtempéra, l’air tout à fait mécontent.

« Pouvons-nous visiter les appartements de Sindy ? Il y a peut-être des indices sur un ennemi qui l’aurait déjà menacée ou sur une personne susceptible de lui avoir fait du mal, suggéra Pierce. »

En la voyant comme ça, personne ne pourrait penser qu’il s’agissait de son premier jour en tant que lieutenant de la police interstellaire. Pourtant, c’était bien le cas.

« Nos gardes ont déjà fouillés ses affaires, vous n’y trouverez rien. »

La reine Opalina se dressait de toute sa hauteur depuis l’autre côté de la galerie, coupant l’herbe sous le pied à son mari qui s’apprêtait à répondre et qui, à la place, dut rester la bouche ouverte prêt à gober les mouches. Madame Grassier s’approcha. Ses talons tintaient sur le sol, résonnants dans tout le bâtiment. Léopold se fit la réflexion que l’acoustique était merveilleuse. La femme déambula entre les vases, les statues et autres œuvres d’arts qui constituaient la galerie, le tout avec une aisance presque surhumaine, presque magique. Arrivant à la hauteur de son mari et du lieutenant, son air était passé de pincé à complètement froid. Un frisson parcourut l’échine de Pierce lorsque la reine se mit à parler. Sa voix résonnait dans tout l’espace, cristalline.

« La nuit va bientôt tomber ici. J’aurai aimé pouvoir vous accueillir pour la nuit, mais nous organisons un banquet en compagnie des personnalités de Neptune. Vous comprendrez bien qu’il m’est impossible d’annuler à la dernière minute, susurra-t-elle telle un serpent.

- Bien sûr, acquieça le lieutenant. J’aimerai cependant revenir d’ici quelques jours afin de visiter les appartements de votre fille, insista-t-elle. Vos gardes sont peut-être passés à côté de quelque chose, bien que je ne doute pas de leur professionnalisme.

- Cela devrait pouvoir…

- Ce sera difficile. »

La reine coupa le roi. Ce dernier baissa la tête et se mit en recul. Sa femme dirigeait, c’était évident.

« Pas que je ne veuille pas, enchaina Opalina Grassier, comprenez-le bien. Il s’avère simplement que selon nos traditions, une famille endeuillée ne doit voir personne. Imaginez un peu l’impact qu’aurait un non-respect de nos ancêtres de la part de la famille royale ? »

Maggie n’eut pas le cœur de lui répéter une énième fois que Sindy n’était peut-être pas morte. Au lieu de cela, elle attendit que la reine reprit son monologue, ce qui ne mit pas longtemps à arriver :

« Vous devrez attendre quelques jours avant que nous n’ouvrions à nouveau les portes du palais. Mais sachez que si ma fille avait un ennemi quelconque, il ne serait pas martien. »

La reine continua, débitant ânerie sur ânerie, allant jusqu’à faire preuve de xénophobie envers certains peuples d’autres planètes. Magalie arrêta de sourire. Elle écoutait gravement les paroles d’Opalina Grassier, sans partager ses idées. De plus, en tant que policière, elle n’avait pas le droit à ce genre de préjugés. Par le passé, trop de problèmes avaient été créés à cause d’histoires de couleur de peau, principalement sur Terre, ou de pouvoirs, sur des planètes telles que Jupiter ou Vénus. C’était trop idiot, et surtout trop dangereux. Magalie n’avait pas envie d’incarcérer la mauvaise personne, ni pour sa première affaire ni jamais.

« Je vous recontacterai personnellement lorsque vous pourrez venir, termina la reine. J’y tiens. »

Sur ce, le couple royal congédia le lieutenant, son brigadier et son consultant. Une fois à l’extérieur de la forteresse qu’était le palais, Magalie se permit enfin de souffler.

« Plus jamais je ne veux avoir affaire à cette femme, je ne lui fais pas confiance, déclara-t-elle.

- Elle a l’air sympa, la contredit l’architecte. »

MacHolland observait Maggie tout en marchant vers le vaisseau, un air de bienheureux et de défi collés sur le visage. Après quelques heures à peine passées avec cette femme, il sentait déjà qu’il pouvait se permettre de la mener à bout : au vu de son statut, elle ne pourrait rien lui faire. Jamais. Elle n’aurait le droit que de lui faire la morale, et Richie en riait d’avance.

De retour dans le vaisseau, Magalie demanda au pilote de décoller aussitôt. Elle ne voulait pas rester plus de temps qu’il ne le fallait sur la planète rouge. Richie n’eut même pas le temps de s’asseoir dans son siège, ni même de s’accrocher quelque part que déjà la soucoupe s’élevait dans les airs. L’épisode ne dura que quelques secondes, mais Richard ne pouvait pas nier qu’il avait eu la trouille. Comme s’il avait été convenu par un accord implicite, le pilote sortit de l’atmosphère martienne et resta en vol stationnaire à quelques kilomètres de Mars. Depuis l’endroit où il se trouvait, Richard pouvait voir la planète rouge sur laquelle il marchait à peine quelques minutes plus tôt. Dans son esprit, il retraça toute son aventure depuis qu’il avait reçu le fameux coup de fil passé par Léopold, jusqu’à leur départ de Mars dans un vaisseau spatial – chose qu’il n’aurait jamais cru possible. Soudain, deux questions lui vinrent à l’esprit.

D’abord : où étaient les femmes ?

Il ne posa que la seconde à voix haute :

« Mais au fait, les martiens sont pas censés être verts ? »

Et en entendant la remarque de l’architecte, Magalie Pierce ne put cette fois pas se retenir d’éclater de rire.

 

 

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Alice_Lath
Posté le 21/10/2020
"rendu compte. Là, Maggie se rendait compte" => Ptite répétition ici haha
Sinon, c'est un bon chapitre haha, j'ai bien apprécié le lire et découvrir le fonctionnement que tu imagines pour Mars. Un point qui m'étonne pourtant : si le couple royal a commandé un palais à Richard, je pense qu'il doit au moins connaître leur nom haha et généralement, dans ce type de cas de figure, l'architecte et le commanditaire (ici le couple royal) se réunissent pour discuter de ce que chacun imagine, du budget etc. Dans ce niveau de luxe, c'est essentiel de faire du sur-mesure à partir des demandes expresses du client
Bref, en dehors de ce point qui me perturbe un peu haha, j'ai bien aimé découvrir la reine, et Leopold commence à gagner un peu plus d'importance, c'est cool pour lui huhu on peut dire que l'on peut lire à travers lui comme dans un livre ouvert
Melau
Posté le 22/10/2020
Coucou !
Ah merci pour la répétition, je vais changer ça !
Pour le reste, tu auras remarqué que je pousse toujours très loin (manifestement trop) pour laisser passer le ridicule : après, ici, à mon avis, rie n'empêche que le couple royal ait demandé à son architecte particulier de s'occuper du projet en lien avec MacHolland ? J'y réfléchirai, tu n'es pas la seule à avoir relevé ce point.
Ah j'avoue, pas bête cette idée de lire en lui comme dans un livre ouvert x)
Merci pour ton commentaire !
Bc1960
Posté le 01/10/2020
Je trouve tes chapitres de plus en plus prenant.Et oui la question les martiens ne sont ils pas verts ?et ou sont les femmes? Sacré Richard . J'aime ce chapitre , Continue comme ça
Melau
Posté le 01/10/2020
ah ça... sacré Richard, c'est bien l'expression qu'il faut quand on pense à lui !
merci :)
haroldthelord
Posté le 30/09/2020
Bonjour,

Bienveillance, harmonie et patience

Jolie planête ! C'est ça la réputation de Mars : sur Mars, les poisons et les meurtres étaient aussi courants que la bonne parole et les sourires.
Melau
Posté le 01/10/2020
Hey !
J'espère que le chapitre t'a plu :) et je ne sais pas si ce que tu as voulu relever était selon toi une incohérence ou non, mais la contradiction était voulue (pour montrer que les apparences sont trompeuses) ! J'espère que la suite te plaira !
haroldthelord
Posté le 01/10/2020
salut

aucune incohérence juste une petite remarque et j’ai bien aimé ce chapitre.
Melau
Posté le 01/10/2020
oh d'accord ! alors rendez-vous au prochain chapitre que je vais poster dans la journée ! :)
Le Saltimbanque
Posté le 28/09/2020
C'est drôle, en lisant ce texte j'étais vraiment prêt à te donner le même reproche que le dernier chapitre : une impression de lenteur et de stagnation, que beaucoup de choses sont dites mais peu sont accomplies.

Pourtant je trouve ce chapitre bien mieux réussi que le précédent. Déjà tu as réussi à me faire lire des longues descriptions du décor (qui d'habitude sont mes bêtes noires) et à me faire passer un bon moment. C'est très efficace, vivant, on voit bien le décor au fur et à mesure que tu le décris, et tu donnes une vraie ambiance au texte.

Pierce et MacHolland... on va dire qu'ils ont pas eu beaucoup d'interactions importantes. Léopold reste dans l'ombre, c'est dommage. Je suis sûr que lui et Richard peuvent vraiment avoir de superbes échanges.

LES stars de ce chapitres étaient bien évidemment le couple Grassier. J'ai a-do-ré ces personnages : des serpents à peau humaine qui se moquent du sort de leur fille et ont un sourire creepy. J'avais justement peur d'assister à une scène clichée de "l'enquêteur va voir la famille de la victime en pleurs pour visiter la maison de ladite victime", et là j'ai été agréablement surpris.

Mes griefs seraient des pipotages (?) sur certains passages en particulier. Le "on aurait pas pu dire que Pierce était lieutenant depuis une journée" : perso de mon point de vue on aurait carrément pu dire que c'était une débutante ! Elle manque de tact et de diplomatie en parlant avec les Grassier, elle amène MacHolland dans le pire des endroits pour... pour quoi exactement ? Pour qu'il inspecte la chambre de la victime ? Depuis quand les policiers font ça ? Richard a-t-il un passé d'enquêteur badass ou de génie avec un haut QI ?

Richard parait dans ce chapitre comme... un mec assez stupide. Comment ça il ne reconnait pas le couple royal de Mars ??? Les personnes les plus importantes de toute la planète ??? Les mêmes personnes à qui il leur a fait construire ce qu'il reconnait comme une de ses plus beaux bâtiments ?? Enfin, même en voyant Pierce faire la révérence ne peut-il pas au moins comprendre qu'il est en face de personnages très importants ?

Aussi, le passage de xénophobie. Très déçu ici. J'attendais vraiment de voir comment tu allais écrire un monologue aussi odieux avec la truculence de ton écriture et un personnage comme Mme Grassier. Mais à la place je trouve que le paragraphe est très creux et inutile, peu inspiré, ne donnant que des faits assez banals. Quel était le but de ce passage ? Montrer que Pierce n'est pas une personne avec des préjugés racistes ? Qu'il s'agit d'une policière intègre ? On savait déjà tout ça. Pour moi, c'est une opportunité manquée pour exploiter tes talents d'écritures.

On finit sur une très bonne réplique de MacHolland. Donc je suis toujours chaud patate pour la suite. J'ai hâte de voir comment les Grassier vont intervenir dans l'intrigue, ce qui est arrivé à leur fille, à quoi va servir Richard dans cette affaire...
Continue !
Melau
Posté le 01/10/2020
Coucou !
Merci pour ton commentaire (que j'attends toujours avec impatience quand je poste un chapitre, à vrai dire !). Je suis contente que tu sois toujours prêt à lire la suite malgré les déceptions que tu peux avoir vis à vis du texte.

J'avoue que j'ai largement trop forcé le trait sur la bêtise et le côté inculte de Richard ! J'essaierai de corriger tout ça lors d'une future réécriture, merci beaucoup de me l'avoir fait remarquer.
De même pour tes deux autres remarques. Je t'avoue que je ne m'en rends pas compte quand j'écris que je peux faire des passages très niais : j'écris totalement comme ça me vient, je n'ai pas de plan, et ça se ressent parfois.

Aussi, je tiens à te prévenir quant à l'avancée de l'enquête : c'est à la fois le sujet principal et un sujet largement secondaire (tu parles d'une explication, je sais bien x)). Toujours est-il que l'enquête ne va pas avancer d'un seul coup, mais promis les relations entre Richard et Pierce, ainsi que celles entre Richard et Léopold seront bien plus développées dans les prochains chapitres.
D'ailleurs, en parlant de ça, je vais aller poster le chapitre 6 de ce pas !
Merci encore une fois pour ton commentaire, en espérant que tu accroches encore durant les prochains chapitres ! :)
Le Saltimbanque
Posté le 01/10/2020
aaaaaaaaaaaaah je vois. Si l'intrigue policière est secondaire, alors la plupart de tes cliffhangers de fin de chapitre envoient malheureusement le mauvais signal. Puisque cela finit surtout sur des interrogations capitales sur l'enquête, cela donne sacrément l'impression que celle-ci est très importante.

Enfin, je dis ça, mais dans ce chapitre tu as fini plutôt sur une interaction de PIerce et MacHolland, ce qui correspond mieux à tes objectifs d'écriture. Continue comme ça.

Content que mes commentaire soient utiles ! Moi aussi je prends plaisir à lire tes textes et à les commenter !

Bon, c'est pas tout ça, mais je vais lire ce chapitre 6 moi...
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