Chapitre 4

Par Mimi

Phil avait ri lorsque je lui avais raconté mon aventure le soir à son retour, et j’avais ri encore plus. Il m’a dit que j’avais eu raison de l’inviter chez nous, qu’il aurait aimé la poursuivre aussi pour savoir qui se cachait derrière ce globe-trotter à deux roues.

Moi, je n’étais pas sûre qu’elle reviendrait. Je repensais au drôle d’air qu’elle avait eu lorsque je m’étais présentée. Etait-elle partie depuis si longtemps pour être étonnée par si peu ? Elle avait dit qu’elle était sur les routes depuis toujours. C’était sans doute une façon de parler, elle ne pouvait pas avoir voyagé toute sa vie de la sorte, il y avait bien un endroit qui lui servait de port d’attache… un endroit pour ne pas devenir folle, ou au moins pour ne pas se retrouver seule en hiver… Plus j’y pensais, plus j’en doutais. J’en venais même à me demander pourquoi elle avait pris le train pour un si petit trajet alors qu’elle avait son vélo avec elle.

Le temps passait et j’ai fini par ne plus m’inquiéter de quoi que ce soit concernant Carole. Notre petite vie se poursuivait le plus normalement du monde, nous commencions à ressembler davantage à un vieux couple d’amoureux transis qu’à deux bons amis en collocation, mais ce changement m’effrayait moins maintenant qu’il était bien avancé et plutôt réussi.

Je dormais dans le train. Je ne perdais plus mon temps à observer les changements de personnalité chez les gens dès qu’ils circulaient sous les caténaires, je rattrapais le sommeil en retard de mes longues veillées à attendre que Phil rentre de son travail.

Mon existence coulait paisiblement à côté de celle de Phil. Nous étions à bord d’un aller simple pour une destination que nous ne connaissions pas encore, en tout cas, je lui avais promis de ne jamais l’emmener à Encharet… Nous n’avions jamais songé à nous installer ailleurs. Phil disait qu’il avait déjà trop de kilomètres à son compteur pour envisager une telle chose, que nous avions tout ce qu’il nous fallait là où nous étions. De mon côté, je voyageais beaucoup et je me voyais mal habiter autre part. J’avais le sentiment d’avoir trouvé ma place et je ne voulais plus la quitter.

C’est un mardi soir en plein hiver, que Carole a réapparu. Lorsque Phil a ouvert la porte pour répondre à son coup de sonnette, il s’est longuement tenu immobile sous le linteau. Comme la personne sur le seuil ne se présentait pas, je me suis approchée. J’ai eu peine à reconnaître la longue silhouette emmitouflée sous son gros sac de voyage et ses jambes nues. Elle tenait son vélo de travers, toujours de la même façon, elle ne disait rien.

-       Carole, ai-je chuchoté à Phil en posant une main sur son épaule pour l’écarter de l’entrée.

Phil a pris le cycle de Carole au passage et l’a aligné aux nôtres contre le mur alors qu’elle pénétrait dans la maison d’une démarche lente et bancale. Je l’ai guidée à l’intérieur en la tenant par le bras. Elle n’a rien dit, pas même quand je l’ai assise de force et lorsque Phil l’a débarrassée de son sac qu’elle avait posé sur le tapis et retenait par une bretelle pour l’empêcher de basculer sous son propre poids. Elle n’a même pas expliqué comment elle était arrivée là. Elle sirotait la tisane que je lui avais servie assise tout au bout du sofa, comme si elle avait peur qu’il ne l’avale tout entière si elle s’enfonçait trop dans le rembourrage.

Phil nous a rejointes après avoir déplié le lit de la chambre d’ami, supposant probablement à juste titre qu’elle resterait dormir ce soir. Je n’avais aucun moyen en tête pour faire démarrer la conversation. Je pensais au temps qui s’était passé depuis cette rencontre dans le train, à toute la route que ses jambes avaient dû avaler dans l’intervalle, aux heures supplémentaires de la solitude qui l’accaparait dans le moment présent. Peu de choses avaient changé pourtant, j’avais toujours la même adresse, elle était toujours en vadrouille avec son vélo et son immense sac à dos pour seule compagnie.

-       Tu as gardé mon adresse, ai-je affirmé, espérant qu’elle ne ferait pas qu’acquiescer et développerait un peu.

-       Oui.

Elle a observé le fond de sa tasse vide comme si elle espérait la voir se remplir de nouveau en toute autonomie. Phil s’est levé et le lui a pris des mains pour la ravitailler. Carole a suivi son mouvement, presque étonnée de le voir si serviable, comme s’il était une erreur de la nature. Lorqu’il a disparu dans la cuisine, elle a dévié son regard éteint sur moi.

-       Tu m’avais donné ce morceau de papier, ç’aurait été malpoli de ne pas passer. Je ne risquais rien, c’était ta carte de visite, il y avait l’adresse de ton agence d’assurances au dos. Je t’aurais retrouvée.

Ce n’était pas la réponse que j’espérais, mais j’ai décidé de m’en contenter. Je supposais que c’était sa façon à elle de me dire qu’elle avait été agréablement surprise ce jour-là, même si elle ne l’avait pas vraiment montré.

Phil est revenu avec l’infusion de Carole. J’ai remarqué qu’il souriait comme un bienheureux alors qu’il se rasseyait. Il se balançait d’avant en arrière se tenant le genou, en équilibre sur son fauteuil, et dévorait des yeux Carole qui étudiait de nouveau le fond de sa tasse. J’avais rarement vu Phil aussi émerveillé, et pourtant, l’admiration était chose courante chez lui.

Bien que plus mince que dans mon souvenir, notre invitée gardait une beauté sauvage et ténébreuse et l’élégance de sa silhouette interminable. Je l’enviais presque, malgré son regard perdu, son teint cadavérique. Nous n’avons pas parlé de tout le reste de la soirée, sauf lorsqu’il a fallu lui montrer son lit. Elle a refermé la porte derrière elle en disant à demain et nous sommes allés nous coucher à notre tour.

Avant d’éteindre la lumière, Phil m’a demandé si je m’attendais à la voir débarquer ici un jour lorsque je l’avais poursuivie hors du wagon. J’étais incapable de répondre à cette question. J’avais le sentiment que ce n’était pas de moi que venait cette initiative de lui parler. J’avais obéi à une pulsion, je n’avais pas vraiment réfléchi à ce que je faisais sur le moment. L’idée de lui laisser notre adresse avait surgi dans mon esprit sans que je ne l’aie invoquée. J’ai donc simplement répondu à Phil :

 - Bien sûr. Il faut s’y attendre lorsqu’on invite quelqu’un chez soi.

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Fannie
Posté le 16/03/2020
Enfin Carole réapparaît, à un moment où Marion ne l’attend probablement plus vraiment, où son souvenir a été relégué en arrière-plan. Elle semble être d’une timidité maladive, peut-être aussi mal à l’aise dans son corps ; ou je me fais des idées ? La réaction de Phil qui l’observe d’un air émerveillé me semble étrange, et à la place de Carole, je me serais sentie encore plus mal à l’aise, d’autant plus que cette attitude est difficile à interpréter.
Coquilles et remarques :
— Etait-elle partie depuis si longtemps pour être étonnée par si peu ? [Était-elle / la répétition de « si » est-elle volontaire ?]
— C’est un mardi soir en plein hiver, que Carole a réapparu [Il faudrait enlever la virgule ou mettre « en plein hiver » entre deux virgules. (C’est les deux ou aucune.)]
— Elle sirotait la tisane que je lui avais servie assise tout au bout du sofa, [Je mettrais une virgule, autrement il y a ambiguïté sur qui est « assise tout au bout du sofa ».]
— Je n’avais aucun moyen en tête pour faire démarrer la conversation. [Le verbe « démarrer » est intransitif (sauf lorsqu’il signifie détacher les amarres) ; je propose entamer, commencer, lancer la conversation.]
— Peu de choses avaient changé pourtant, j’avais toujours la même adresse, elle était toujours en vadrouille [Il faut mettre la virgule avant « pourtant » (elle n’est pas nécessaire après) / la répétition de « toujours » est-elle volontaire ?]
— Phil s’est levé et le lui a pris des mains pour la ravitailler [la lui a prise ; on parle de la tasse]
— Lorqu’il a disparu dans la cuisine [Lorsqu’il]
— notre invitée gardait une beauté sauvage et ténébreuse et l’élégance de sa silhouette interminable [La présence des deux « et » est dérangeante ; je propose « ainsi que l’élégance » ou « tout comme l’élégance ».]
— Elle a refermé la porte derrière elle en disant à demain [Il faudrait peut-être mettre « à demain » entre guillemets.]
Mimi
Posté le 21/03/2020
Haha oui, un personnage singulier je pense ! Mais ne t'inquiète pas, leurs relations vont se réchauffer !
Merci !
Rimeko
Posté le 12/06/2017
Coucou Mimi !
Depuis le temps que j'entends parler de cette histoire, il fallait bien que je m'y mette... Les HO ont été la parfaite motivation !
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Quelques suggestions :
Chapitre 1 : « - Ah oui ? Vous prenez souvent le train ? lui ai-je demandé, par . » Il manque visiblement un mot :D
Chapitre 3 : - « C’était vague, mais je comprenais exactement ce qu’elle voulait dire, je m’en était même doutée lorsqu’elle m’avait renversée (bousculée?) dans le train » Le terme paraît un peu excessif.
- « Je voyais une fille, cette fille m’intriguait, je lui courait (courais) après »
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Si je n'avais pas été pressée par le temps (marathon de lecture toussa toussa), j'aurais bien continué sur ma lancée... J'ai été intriguée, vraiment, par cette histoire. C'est bizarre, je crois que j'ai aimé mais mon impression dominante en repensant à ton récit c'est de la curiosité. J'irai bien fouiner plus avant.
Le ton est fluide, avec cette narration en « je » qui nous permet de nous rapprocher de ton héroïne, et avec quelque chose de plus profond derrière... En tous cas, j'aime bien cette simplicité avec laquelle tu dépeins ce récit. Marion est attachante, avec sa sensibilité... je me reconnais bien dans son rapport aux trains, c'est drôle, même si je n'oserai jamais aborder des inconnus comme elle fait ! Même si avec elle ça a l'air d'être bénéfique.
J'ai hâte d'en savoir plus sur Carole, et sur la suite des événements... Je reviens dès que possible !
Mimi
Posté le 12/06/2017
Hello Riri ! Merci d'être passée (même si ça fait super longtemps et qu'à ma grande honte je n'avais pas vu…)
Merci pour tes remarques, je crois les avoir corrigées effectivement, mais je vérifierai quand même ;-)
Et merci pour tes compliments <3 Bisous :-) 
Jupsy
Posté le 09/04/2016
Phil est-il séduit par Carole ? C'est amusant parce que j'ai l'impression que je suis incapable de définir la relation entre Marion et Phil. Elle est spéciale tout simplement. Je pense que ça ferait plaisir à Phil que je sois incapable de dire autre chose, de savoir exactement s'il est un simple coloc pour Marion ou davantage. A côté de ça, je ne m'attendais pas à voir Carole passée, vraiment pas. Pourtant elle est là, et elle sert une raison assez étonnante. Tout ceci est bien mystérieux et je dois t'avouer que je suis curieuse d'en apprendre davantage. Cette histoire me fait l'effet d'une pelote que l'on ne peut s'empêcher de dérouler même si l'on sait que ce n'est pas comme ça qu'on est censé l'utiliser ! Bref, je poursuis avant de me mettre à dire des choses totalement incohérentes ! <br />
Mimi
Posté le 09/04/2016
Ooooh non, continue, j'adore le tricot !!! Merci pour le compliment ! (en tout cas, je l'ai pris comme un compliment !!!)
J'adore Phil. Je crois que c'est un de mes seuls personnages pour lequel je ne me suis inspiré de personne, probablement seulement de mon idéal masculin :P (si Torv lit ça, je suis morte xD). Et d'habitude, je ne m'attache jamais trop à mes personnages, mais lui je l'aime bien...
Seja Administratrice
Posté le 16/08/2013
Hmhm, elle intrigue, ta Carole. 
Parce qu'on veut évidemment savoir pourquoi elle traine sur les routes, ce qui l'a poussée dans cette voie, ce qu'elle pense, pourquoi elle est venue. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Bon, je compte sur toi pour apporter quelques réponses un de ces jours, donc je vais attendre bien sagement. En tout cas, tu es mon coup de coeur du moment *o* Mais manque de temps oblige, je me dois de faire un pause dans ma lecture. J'espère reprendre vite vite :)) 
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