Chapitre 3 : Au fond de l'armoire [1/2]

Notes de l’auteur : Pour des raisons pratiques et permettre une lecture plus agréable ce chapitre se découpera en plusieurs parties.

[Chapitre relu]

Amélia et Azriel s’amusaient à regarder la Toupie-sauteuse de l’adolescent rebondir sur les murs en faisant des pirouettes quand quelques coups furent frappés à la porte. Celle-ci s’ouvrit sur le visage lumineux d’Emily qui entra dans la pièce avec M. George et une autre domestique.

– C’est bientôt l’heure du dîner, annonça joyeusement Emily en s’approchant du lit où étaient installé les deux héritiers. Mme Azura nous a demandé de venir vous aider à vous préparer avant l’arrivée des invités.

– Des nuisibles tu veux dire, grimaça Amélia.

– Mademoiselle ! s’exclama M. George, outré.

Mais il fut le seul à s’en offusquer. Emily et Azriel, eux, éclatèrent de rire. Il sembla même à Amélia que la toupie ensorcelée avait sauté plus haut que d’habitude en l’entendant.

Le regard de l’adolescente coula du majordome jusqu’à la jeune fille cachée juste derrière lui. Plutôt menue, la peau pâle et de longs cheveux bruns tressés, elle semblait toute petite dans le dos du grand et élancé M. George. Silencieuse et la tête baissée, elle se glissa hors de son ombre sans se faire remarquer et s’empara bien vite du plateau repas laissé à l’abandon dans un coin avant de disparaître dans le couloir sans une œillade en arrière.

Cette jeune fille avait pris tellement soin de ne pas croisé son regard en se cachant d’abord derrière le majordome lancé dans l’un de ses monologues, puis derrière son épaisse frange, qu’Amélia n’avait même pas pu voir de quelle couleur étaient ses yeux. Elle observa un moment l’endroit où la jeune fille se tenait quelques instants plus tôt, perplexe. 

Amélia releva les yeux vers le majordome et pointa un doigt vers la porte qui venait de se refermer.

– Qui était-ce ? le coupa-t-elle calmement.

Prit au dépourvu et un peu perdu, M. George regarda Amélia un instant avant de se tourner vers la porte de la chambre.

– Elle s’appelle Lise, expliqua Emily. Elle est nouvelle, il lui faudra un moment pour s’adapter, je pense.

– Elle est quoi ?

– Amélia ! gronda son frère.

– Quoi ? Elle avait l’air toute timide, j’ai bien le droit de me demander à quel peuple elle appartient, non ?

– Ça ne se demande pas.

– Ose me dire que tu ne t’es pas posé la même question toi aussi, le rabroua-t-elle en plissant les yeux.

Il y eut un silence, puis Azriel soupira.

– Tu as gagné. Alors ? demanda-t-il finalement.

– Elle est humaine.

– Et c’est ma filleule, ajouta M. George en regardant la porte comme si elle risquait de revenir. Je crains qu’elle prenne plus de temps que prévu pour s’adapter. La pauvre est d’une timidité maladive et Mme Azura l’intimide beaucoup.

– Comme nous tous.

Amélia asséna un coup de coude dans les côtes de son frère. Il fit mine d’être offensé avant de se fendre d’un sourire.

– Bon, d’accord, notre mère peut vraiment faire peur quand on n’y est pas habitué.

– Pourquoi travaille-t-elle ici ? demanda Amélia en fixant son regard sur le vieux majordome. Elle est un peu jeune, pourquoi n’est-elle pas à l’école ?

M. George soupira bruyamment, faisant trembler sa moustache. Azriel plaqua une main sur la bouche de sa sœur pour l’empêcher de poser plus de questions et adressa un regard navré au majordome.

– Ne faites pas attention à ses questions, M. George. Vous n’êtes pas tenu de répondre, ce ne sont pas nos affaires, ajouta-t-il avec un regard lourd de reproches sur sa sœur.

Il retira sa main et Amélia put reprendre son souffle.

– Pardon.

– Ce n’est rien, répondit M. George avec un faible sourire. Maintenant, si vous vouliez bien aller vous préparer gente dame, je crains que votre mère ne se remette à crier sur tout ce qui bouge si vous n’êtes pas – tous les deux – prêts quand ses invités arriveront.

– Bien chef ! s’exclama Azriel avec un salut militaire.

Amélia se releva et embrassa son frère sur la joue. Elle lui dit au revoir et quitta la pièce avec Emily. Une fois dans l’obscurité du couloir, les deux jeunes filles se dirigèrent vers la chambre de l’adolescente quelques mètres plus loin. Elles passèrent devant de nombreux portraits aux toiles animées dont les sujets les saluèrent bien bas. Amélia leur répondit avec un sourire poli.

Les toiles vivantes, comme il y en avait tant dans le manoir, étaient monnaie courante avant l’arrivée des appareils photos créés par les humains. Il s’agissait de simple peintures – le plus souvent des portraits – qui prenait vie une fois terminées. La magie résidait dans la toile, parfaitement ordinaire, mais traitées alchimiquement par un procédé complexe. Le secret de leur fabrication était, du reste, jalousement gardé par les plus grands maîtres de potions.

Néanmoins, animer des personnages n’était pas leur seule qualité. En effet, les toiles vivantes étaient connues pour leur capacité à résister au temps. Ainsi, une toile qui semblait presque neuve pouvait avoir plus de cent ans et avoir subi les intempéries sans jamais voir sa peinture s’écailler. Malheureusement, et malgré leur popularité, le traitement de ces toiles magiques revenait très cher et seuls les gens les plus aisés pouvaient s’en offrir. Le manoir Moonfall en comptait d’ailleurs des centaines un peu partout, dont les personnages se baladaient souvent de cadre en cadre pour se chuchoter des rumeurs d’un bout à l’autre de la demeure.

Amélia aimait bien ces tableaux animés. Elle et son frère s’en étaient fait de véritables amis au fil du temps. Elle aimait tout particulièrement celui de son arrière-arrière-grand-mère, une certaine Magdalena Moonfall qui aimait presque autant s’amuser à jouer des tours que la tante Luvenia. Elle éprouvait également un certain ressentiment envers son arrière-belle-fille, Azura, et trouvait son comportement envers Amélia des plus abjecte. La vieille dame adorait tout particulièrement la faire tourner en bourrique, avec la complicité des nombreux autres tableaux de famille.

Et pour cela, grand-mère Magdalena savait y faire !

Ses faits d’armes ne manquaient pas. C’était elle qui, par exemple, avait organisé leur fuite en allant de tableau en tableau quand Azura Moonfall les avait découvert en train de préparer une nouvelle farce au précepteur de la jeune fille. Une véritable chasse à l’homme avait alors débuté dans les couloirs du manoir et tous les tableaux, sans exception, étaient bien décidés à rendre folle la maîtresse de maison en lui donnant de fausses indications quand il lui prenait l’envie de leur crier dessus.

Magdalena Moonfall était également à l’origine de nombreuses farces orchestrées par Amélia et Azriel. Elle leur avait appris à utiliser certains passages secrets du manoir pour fausser compagnie à leurs professeurs et les avait presque encouragés à en créer de nouveaux. Si elle ne les assistait pas dans certains de leurs plans, elle n’y restait jamais très longtemps étrangère.

Arrivée devant sa porte, Amélia s’arrêta devant le dernier cadre du couloir. La peinture à l’intérieur semblait très ancienne et très abîmée, ne laissant entrevoir qu’une vague silhouette noire sur fond ocre qu’elle pensa d’abord être une illusion d’optique. Pourtant, en y regardant de plus près, Amélia aurait juré y voir une ombre bouger. Mais ce qui interpella le plus l’adolescente, ce fut qu’elle ne ressemblait en rien aux autres toiles vivantes qui peuplaient le manoir. Pourtant, Amélia ne pouvait s’ôter de la tête cette certitude qui lui disait qu’il s’agissait bel et bien d’une peinture magique.

Et d’ailleurs, que faisait une toile aussi abimée ici ? Sa mère ne l’aurait jamais laissé traîner là s’il ne s’agissait pas d’une peinture magique. Mais alors, par quel malheur avait-elle bien pu être détérioré au point qu’il lui fut impossible d’en discerner ne serait-ce que les contours ?

– Amélia ? Tu viens ?

La jeune fille se détourna du cadre pour voir Emily à la porte de sa chambre. Son amie l’interrogea du regard. Amélia se tourna une dernière fois vers le tableau défraîchit, parfaitement immobile et terne, plus perplexe que jamais.

– J’arrive.

La sorcière aurait aimé en savoir un peu plus sur la toile décrépite qu’elle venait de quitter.

Une fois dans la chambre, cependant, le mystérieux tableau lui sortit complètement de la tête. Accrochée à la grande armoire d’acajou de la jeune fille se trouvait la plus horrible robe de bal qu’Amélia n’ait jamais vu. Elle grimaça devant la tonne de froufrous et de dentelles en trop ainsi que sur sa forme peu adaptée au moindre petit mouvement et au corset qui – même depuis l’entrée – ressemblait à une machine de torture.

La porte derrière elle se referma et Emily se posta à son côté.

– Je croyais que ma mère avait parlé d’une robe de bal, fit remarquer la sorcière en penchant la tête de côté, mais la robe avait toujours le même aspect. Pas à une tenue de clown. Quoique… il faudrait vraiment haïr un clown pour le forcer à porter une horreur pareille.

Emily laissa échapper un rire. Amélia se tourna vers elle et la fusilla du regard avant de faire quelques pas vers la robe. 

– Ma mère a vraiment des goûts lamentables, dit-elle en soulevant du bout des doigts un morceau d’étoffe. On dirait presque qu’elle joue à la poupée avec moi.

Après réflexion, la grimace d’Amélia se fit plus dégoûtée encore.

– Non, en fait, elle joue vraiment à la poupée avec moi.

La jeune fille imaginait sans mal le sourire tremblant de son amie et le rire qu’elle essayait vraisemblablement de retenir. En se retournant, Amélia la vit se mordre la joue. La sorcière fit la moue.

– Ce n’est pas drôle Emily !

N’y tenant plus, la fée éclata de rire en se tenant le ventre. Amélia, les joues rouges de honte, se retourna vers l’extravagant vêtement. Il n’y avait pas de doute sur sa provenance, et c’était une très belle robe, vraiment – tous les modèles des Wilkins étaient magnifiques – mais ce n’était définitivement pas le genre de robe qu’Amélia pourrait porter de son plein gré ! Elle ne voyait d’ailleurs qu’un acteur de théâtre pour porter cette chose. Combien y avait-il de couche de tissu au juste ? Était-ce bien une deuxième armature en métal qu’elle apercevait, là, juste sous les jupons ?

La sorcière finit par soupirer. À côté d’elle, Emily reprenait doucement son souffle, essuyant quelques larmes aux coins de ses yeux.

– Je te revaudrai ça, grinça-t-elle les dents serrées.

– Mais oui, sourit Emily en soulevant les pans de la robe. Une fois que tu auras mis cette chose, pas avant.

– Tu rigoles ? ironisa Amélia avec mauvaise humeur. Seul un fou voudrait mettre une horreur pareille. Ou ma mère, ajouta-t-elle au bout d’un instant.

Emily se mordit la joue pour ne pas exploser de rire à nouveau. Mais cette fois, Amélia ne put retenir un sourire.

– Quelle chance tu as, soupira-t-elle finalement en se laissant tomber dans l’un de ses fauteuils, tes robes à la mode féerique m’ont l’air bien plus confortable. C’est ta mère qui te les fabrique, non ?

Emily décrocha la robe de son cintre et commença un étrange ballet de tissus, de fils et d’aiguilles. Amélia ne se lassait jamais de la regarder travailler. Son amie avait un don pour la couture. Chacun de ses gestes étaient précis, réguliers et d’une incroyable délicatesse. Son habileté et sa patience étaient impressionnantes.

– Oui, sourit Emily en s’attaquant aux coutures du corset, les fées sont très douées de leurs mains. Et comme la plupart des vêtements et des bijoux vendus dans les commerces de la Grand-rue sont trop chers, nous les fabriquons nous-même.

L’adolescente finit de modifier la robe en un tour de main et la tendit devant elle, admirant son travail.

Les multiples jupons avaient perdu de leur volume indécent, les armatures de métal gisait non loin et le corset semblait s’être vidé de ses baleines d’acier. Fière de son ouvrage, Emily replaça la toilette sur son cintre pour l’étudier, ajoutant quelques petites retouches çà et là.

– Qu’en penses-tu ? demanda-t-elle en se tournant vers son amie. Elle est mieux, non ?

– Mille fois mieux, répondit Amélia dans un soupir admiratif en s’approchant de la robe. Elle est magnifique, merci Emily.

La fée se contenta de sourire, jaugeant son travail les bras croisés.

– Je pense quand même la modifier encore un peu, dit la fée, pensive. Il faudrait remonter le tissu ici… peut-être enlever encore un peu de dentelle là… Et ces perles n’ont décidément rien à faire à cet endroit ! Tu sais quoi ? finit-elle par dire en se tournant vers son amie. Je vais simplement t’en fabriquer une autre, ça ira plus vite.

– Tu es sûre ? Tu sais, ce n’est pas si grave. Elle n’est pas trop mal et puis c’est juste pour aller au théâtre, ce n’est pas comme si c’était vraiment important.

Mais Emily semblait survoltée. Et, en découvrant les étoiles qui brillaient dans ses yeux, Amélia ne sut quoi dire.

– J’insiste. Tu verras, dit-elle en se frottant les mains, je vais te concocter la plus belle robe de soirée que tu n’aies jamais vue.

Amélia voyait déjà les rouages de son esprit se mettre en marche.

– Je n’en doute pas, sourit-elle pour toute réponse.

– Bon, maintenant il est temps de te préparer, annonça soudainement la fée en plongeant dans l’armoire de la sorcière.  

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MarenLetemple
Posté le 04/12/2021
Voici les quelques coquilles (je veux terminer le chapitre pour un commentaire plus approfondi) :
« Néanmoins, animé des personnages n’était pas leur seule qualité.” -->animer
« Là aussi, un sort d’agrandissement de l’espace avait été jeté pour lui permettre de ranger le plus de vêtement possible.” -->vêtements
« Amélia aurait adoré pouvoir porter pareils bijoux sans être fusillé du regard par sa mère.”-->fusillée
M. de Mont-Tombe
Posté le 20/04/2021
Encore un très bon chapitre, malgré quelques coquilles. J'ai hâte de voir comment va se passer ce dîner ! J'ai encore une petite réserve sur le "trop de détails" de l'épisode de la robe, qui pourrait, je pense, être plus synthétique.
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