Chapitre 29

Par Mimi

 

-       Je ne l’ai pas vue ce matin, a déploré Simone. Je ne sais pas pourquoi elle ne veut pas vous voir…

J’ai haussé les épaules en m’asseyant devant mon petit-déjeuner. J’avais ma petite idée sur la question. Elle avait tout simplement cru que le petit mot qu’elle m’avait envoyé suffirait à me dissuader. J’en étais venue à cette conclusion en me levant ce matin, après m’être difficilement rappelée de l’endroit où j’avais dormi et des évènements de la veille.

-       Elle doit être dans la forêt. Elle passe ses journées entières dans la forêt. Je ne sais pas où, exactement, mais si vous y allez, peut-être qu’elle voudra bien vous parler.

Ça semblait en effet être la meilleure option. J’ai siroté le jus de chaussette que Simone me servait en guise de café.

-       J’irai chercher votre mari à la gare si vous voulez, a-t-elle proposé en prenant place face à moi. À quelle heure arrive son train ?

-       Onze heures moins dix, ai-je répondu. C’est bien aimable de votre part.

-       Pas de quoi. J’espère que vous réussirez à la faire aller mieux. Je ne serai pas toujours là pour l’accueillir et pour m’occuper d’elle. C’est fâcheux qu’elle soit en si mauvais terme avec ses parents. Enfin, je crois que c’est surtout de son côté que ça coince.

Je n’ai pas répondu, je n’en savais rien. L’idée que Carole ait pu avoir des parents ne m’avait pour ainsi dire jamais effleurée. Le fait de lui découvrir une grand-mère relevait déjà de l’exploit. Encore une question qui s’ajoutait à la liste déjà longue.

J’ai quitté la maison de la grand-mère Martin pour prendre la direction de la forêt toute proche, qui se trouvait à l’extrémité de la rue. Je n’avais pas la moindre idée de la direction à prendre, et Simone n’avait pas su me renseigner. J’ai donc suivi les sentiers balisés, pour éviter de me perdre et revenir à l’heure pour le déjeuner.

Je me suis arrêtée à l’entrée du sous-bois pour laisser le temps à mes yeux de s’habituer à la pénombre. Je doutais de pouvoir retrouver Carole entre les arbres, malgré le silence, elle devait connaître la forêt comme sa poche. Cependant, je n’avais jamais été aussi proche d’obtenir des réponses à toutes mes questions. Si j’étais rassurée de la savoir en vie, sa grand-mère m’avait confirmé ce que j’avais supposé : Carole n’était pas au mieux de sa forme. J’avais besoin de savoir pourquoi. Je n’avais en revanche aucune idée de ce que j’allais pouvoir faire pour l’aider…

J’ai avancé sur la sente en regardant autour de moi, mais comme je m’y attendais, je n’ai pas vu la moindre trace de Carole. Le soleil au-dessus de moi rendait les feuilles translucides. J’ai consulté ma montre et je me suis décidée à rebrousser chemin.

Les neurones accaparés par Carole, je n’avais même pas pensé à Phil et au fait que j’allais le revoir dans les minutes qui suivraient. Je me demandais quelle serait ma réaction, tant je me posais de questions qui ne le concernaient pas directement. J’étais plus curieuse de comprendre ce qui arrivait à Carole, pourquoi elle avait un comportement aussi contradictoire, et pourquoi elle semblait tant attachée à Phil. Peut-être était-ce bien de la jalousie.

Je me suis extirpée des bois avec soulagement. Le bourdonnement de mes réflexions avait quelque chose d’assourdissant dans cette atmosphère paisible et pesante. J’avais eu l’impression de séjourner dans un monde auquel je ne pourrais jamais appartenir. J’ai regagné rapidement la maison de Simone, en inspectant les environs autour de moi, comme si je m’attendais à voir Carole surgir de derrière une poubelle. Je suis arrivée devant la porte de la grand-mère, et au moment où j’allais manifester ma présence, le battant s’est ouvert violemment, et Phil est apparu tout entier dans l’encadrement, les yeux écarquillés.

J’ai sursauté - c’était là son but, évidemment - et il n’a pas pu rester immobile plus longtemps. Nous avons éclaté de rire au même instant en tombant dans les bras l’un de l’autre. J’avais complètement oublié de réfléchir à combien j’étais heureuse de le revoir. En fait, je ne me croyais pas capable de le relâcher après qu’il m’ait sauté au cou.

-       Comme vous nous avez manqué, Madame Arceau, a-t-il soufflé dans ma nuque.

J’ai fermé les yeux. Je m’étais rarement sentie aussi bien. Phil a fini par quitter ma clavicule et m’a embrassée très fort, comme rarement il le faisait. J’ai à peine eu conscience de tous mes doutes qui s’envolaient à mesure que notre étreinte se poursuivait. J’aurais pu rester des heures sans rien faire d’autre que le tenir contre moi. Même la porte qui a claqué quelque part dans la maison m’a laissée de marbre.

-       Marion, a chuchoté Phil. On ne va pas pouvoir rester là, on fait des courants d’air…

Je me suis arrachée de lui à regrets, et à la place, je l’ai admiré. Il me semblait encore plus beau que la première fois que je l’avais vu, dans ce train de grande ligne, à ranger les gobelets en plastique et les sacs papier avant l’heure du déjeuner. Il avait un peu vieilli mais il n’avait rien perdu de ce qui le rendait si atypique. J’étais fière d’être aimée par lui, après le départ catastrophique qu’avait eue ma tentative d’approche.

-       Allez, dit Phil, une main fermant la porte, l’autre me poussant par la taille vers le fond du couloir. On nous attend dans la cuisine. Tu lui as parlé ? a-t-il murmuré juste avant de passer la porte.

La réalité est revenue avec toute la tristesse qu’elle transportait. J’ai fait non de la tête. Phil a pincé les lèvres, l’air inquiet. J’ai articulé silencieusement : « Cet après-midi. ». Il a acquiescé et nous sommes entrés dans la pièce.

Madame Martin emmenait le plat à salade sur la terrasse où la table avait été mise. Nous l’avons suivie, bras dessus bras dessous, jusqu’à l’estrade ensoleillée où nous attendait un homme longiligne qui me faisait un peu penser à Carole. Il avait les cheveux longs et blonds, un peu bouclés. D’autres filles que moi l’auraient trouvé beau garçon. J’ai deviné qu’il s’agissait de Fred.

-       Bonjour Marion, c’est bien ça ? m’a-t-il lancé en se levant.

-       C’est moi, ai-je timidement répondu.

Sans lâcher Phil, je me suis assise face à lui, évitant de l’encourager à poursuivre la conversation. Carole m’en avait déjà trop dit à son sujet. Simone a commencé à servir la salade :

-       Je suppose que vous ne l’avez pas trouvée ce matin ? a-t-elle adressé à la cantonade, bien qu’il fût certain que c’était à moi qu’elle parlait.

-       Non…

-       Ça ne m’étonne pas, avec cet ahuri dans les parages, m’a-t-elle confié en se penchant vers moi.

Elle parlait de Fred, qui avait visiblement tout entendu.

-       Pardon madame, pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ? a-t-il demandé avec un drôle de sourire, mi-figue mi-raisin.

Elle m’a destiné un clin d’œil, avant de reprendre son service.

- Disons qu’on m’a pas mal parlé de vous, a-t-elle éludé. Des pignons ?

 

 

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Fannie
Posté le 02/04/2020
Bon. Carole continue ses simagrées. Heureusement que Phil est arrivé et que notre couple favori a droit à de belles retrouvailles. Simone a l’air de faire ce qu’elle peut pour Carole, comme assise entre deux chaises, entre ses efforts pour tenter de la comprendre et une certaine résignation. Son attitude envers Fred démontre qu’elle l’a déjà jugé sans lui laisser sa chance. La suite de l’histoire nous dira si c’est mérité ou non. Mais j’ai une certaine compassion pour lui parce que ça m’est arrivé ; c’est pénible quand quoi que tu fasses, c’est toujours mal interprété parce que les gens ont un a priori négatif envers ta personne.
Coquilles et remarques :
— après m’être difficilement rappelée de l’endroit où j’avais dormi et des évènements de la veille [rappelé l’endroit (...) et les évènements]
— en si mauvais terme avec ses parents [termes]
— qui s’ajoutait à la liste déjà longue. [Si tu dis « la liste », il faut ajouter un complément : la liste de qqch ; autrement, il faut dire « une liste ».]
— pour éviter de me perdre et revenir à l’heure pour le déjeuner. [Cet enchaînement est bancal ; je propose « pour éviter de me perdre et afin de revenir à l’heure pour le déjeuner », histoire de ne pas multiplier les « pour ».]
— Je doutais de pouvoir retrouver Carole entre les arbres, malgré le silence [J’enlèverais la virgule.]
— Je suis arrivée devant la porte de la grand-mère, et au moment où j’allais manifester ma présence, le battant s’est ouvert violemment, et Phil est apparu tout entier dans l’encadrement, les yeux écarquillés. [Il faudrait déplacer la première virgule après « et », de manière à mettre « au moment où j’allais manifester ma présence » entre deux virgules. / Pour éviter d’avoir un deuxième « et », je propose « puis Phil est apparu », « s’est ouvert violemment sur Phil qui est apparu », ou « s’est ouvert violemment, laissant Phil apparaître » ou encore « s’est ouvert violemment, laissant apparaître Phil ».]
— J’ai sursauté - c’était là son but, évidemment - et il n’a pas pu [Il faut des tirets longs.]
— de le relâcher après qu’il m’ait sauté au cou [« après qu’il m’a sauté » ; il faut un indicatif]
— Je me suis arrachée de lui à regrets [à regret]
— Allez, dit Phil, une main fermant la porte, l’autre me poussant par la taille vers le fond du couloir. On nous attend dans la cuisine. Tu lui as parlé ? a-t-il murmuré juste avant de passer la porte. [Passé composé : « a dit Phil ». / Ce n’est pas judicieux de placer deux incises dans une même réplique. En l’occurrence, il faudrait la diviser en deux : « – Allez, dit Phil, une main fermant la porte, l’autre me poussant par la taille vers le fond du couloir. On nous attend dans la cuisine. » / (À la ligne) « Juste avant de passer la porte, il a murmuré : » / (À la ligne) « – Tu lui as parlé ? »]
— Madame Martin emmenait le plat à salade [emportait]
— a-t-elle adressé à la cantonade, bien qu’il fût certain que c’était à moi qu’elle parlait. [La concordance des temps est parfaitement correcte, mais le subjonctif imparfait est trop châtié pour ce style de narration. Je te propose de contourner le problème : « même s’il était certain ».]
— a-t-elle éludé. Des pignons ? [Elle n’a pas éludé ses propres paroles, mais la question de Fred. Cette incise ne fonctionne pas. Je te propose donc de la supprimer et d’ajouter cette mention dans la phrase qui introduit ses paroles : « Elle m’a destiné un clin d’œil, avant de reprendre son service, éludant la question. » / (À la ligne) « – Disons qu’on m’a pas mal parlé de vous. Des pignons ? ».]
— D’ailleurs, « destiner » n’est pas adéquat pour un clin d’œil, ce qui va t’amener à changer plusieurs verbes pour éviter une répétition. Je propose, en remontant : « Elle m’a adressé un clin d’œil » / « a-t-elle lancé à la cantonade » / « m’a-t-il dit en se levant » / « Allez, a repris Phil, une main fermant la porte ».]
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