Chapitre 25

Par Mimi

 

Je me sentais si fatiguée. Le roulement du train sur les rails me berçait. Je disparaissais progressivement dans le siège défoncé, immobile en regardant le paysage accidenté qui défilait à travers la fenêtre. Je me voyais engloutie par le dossier, comme j’avais vu Carole se faire avaler ce soir d’hiver où elle était revenue.

Avant mon départ pour ce village perdu, je n’avais pas pris le train depuis des années. C’était une aberration pour quelqu’un dont la vie s’était construite autour de deux personnes qu’elle avait rencontrées grâce réseau ferroviaire.

Le contrôleur était passé depuis longtemps. La gare de Cluy-en-Versois n’était plus qu’un lointain souvenir. J’étais épuisée par tout ce que j’avais accompli ces dernières semaines, à commencer par le voyage aller-retour vers Sainte-Marie. J’avais refusé qu’Anne me conduise à la station. Je tenais à faire le trajet moi-même, j’ignorais pourquoi exactement. De plus, je voulais ramener mon vélo à la maison. Après tout, il m’avait suivie et même véhiculée pendant cette aventure après avoir attendu son heure pendant des années, et l’énigme voyait sans cesse revenir des bicyclettes de son espèce ; il ne pouvait que m’être utile. Je m’étais de nouveau arrêtée dans le gîte qui avait connu la première nuit de mon périple. Je n’avais pas bien dormi ; une armada de cyclistes survoltés occupait les lieux.

Malgré toute cette fatigue accumulée, mes paupières lourdes et toutes les réflexions qui s’étaient mises en repos dans ma tête, mon corps se maintenait en éveil et je ne comprenais pas pourquoi. Il n’y avait pourtant aucune raison de ne pas s’endormir ; le wagon était totalement vide et dans quelques minutes, j’allais retrouver Phil - et Fred, mais je n’étais pas si pressée de le rencontrer.

Le train traversait la forêt à présent. Les sommets étaient toujours visibles à l’arrière-plan. Je ne connaissais pas cet endroit et je m’en fichais. J’avais connu tant de nouveaux paysages ces derniers temps que j’étais incapable de faire la place pour un autre, comme saturée. La ligne des collines ondulait à l’arrière-plan. S’il y avait bien quelque chose que je retiendrais de ce voyage lorsqu’il serait terminé, c’était qu’aucune montagne ne ressemblait à une autre. La citadine que j’étais ressortait toute chamboulée de l’incroyable défilement de paysages inédits qu’elle avait connu.

Cependant, même en fermant les yeux, je me suis rendu compte que je savais exactement où j’étais. J’ai rouvert les paupières pour contredire cette impression. Je ne me trompais pas. Ce que j’ai observé en revenant à moi s’enchaînait au déroulement que j’imaginais une seconde auparavant, de la manière la plus naturelle du monde. J’ai essayé d’y trouver une explication ; de toute façon, j’étais épuisée. Après avoir retourné le problème dans tous les sens, j’ai bien fini par me rendre à l’évidence : j’étais déjà venue par là.

Cette constatation a eu le même effet que si on m’avait plongée dans l’océan Arctique. J’étais bel et bien réveillée. J’ai posé mes mains sur l’appui de fenêtre et j’ai collé mon nez à la vitre, prête à saisir en passant le moindre indice qui se présenterait. Dans un virage, j’ai vu s’approcher un quai anormalement court et une gare désaffectée. Deux filles ont alors traversé le wagon d’un bout à l’autre, leur sac se balançant sur leur épaule. Pétrifiée, je n’ai même pas immédiatement remarqué que le train ralentissait. Je me suis tenu la tête, comme si l’une d’elles m’avait heurtée, alors que j’étais hors de portée de l’allée centrale.

Sans réfléchir, je me suis levée, j’ai traîné mon sac derrière moi et je suis arrivée sur la plateforme de sortie au moment où les portes s’ouvraient. Je ressentais cette même impression qu’avait eue Anne en tournant subitement sur la route qui menait à la vallée de la Cordière. Je ne savais pas encore si j’allais descendre et si cet endroit avait réellement un quelconque rapport avec Carole ou s’il n’était que ressemblant à l’endroit où je l’avais rencontrée, mais il ne me suffisait plus que d’un minuscule détail, débordant d’anodin, pour me faire sauter la marche vers le quai.

-       Encharet, a grésillé la voix déformée du contrôleur.

 

Mon cœur aurait pu s’arrêter de battre, et je n’aurais rien senti. Le train aurait pu me rouler sur le crâne sans que l’explosion de mon cerveau ait quelque incidence sur l’état lymphatique que je traversais en déposant une à une mes affaires sur le quai. Les deux baroudeuses m’ont aidée à descendre mon vélo, probablement conscientes du fonctionnement au ralenti de mon corps. Le train est reparti dans un boucan d’enfer et je me suis rappelée, enfin, de l’endroit où j’étais. La pancarte fixée sur le lampadaire, défraîchie et de travers, a réapparu après le passage de la dernière voiture.

-       Encharet, ai-je lu d’une voix lointaine.

-       Encharet, m’a confirmé l’une des deux filles. C’est bien là que vous deviez descendre ?

Le regard tourné vers le quai, je nous revoyais, Carole et moi, dans notre jeu de course-poursuite, et échangeant quelques mots, silencieux depuis ma position. J’avais l’étrange sentiment d’être exactement au bon endroit. Je me suis finalement tournée vers celle qui me parlait.

-       C’est bien là, ai-je dit en lui souriant. Merci de votre aide. Dites-moi, est-ce que le village est loin d’ici ?

La fille a regardé rapidement vers mon vélo.

-       Oh oui, en trente minutes, vous y êtes.

-       Tant que ça ? Mais pourquoi construire une gare ici s’il n’y a rien alentour ?

Les deux copines se sont regardées, puis ont éclaté de rire.

-       Vous avez raison, mais ça grimpe un peu jusqu’à la ville. Ici, c’est le seul endroit qu’ils ont trouvé pour ne pas avoir trop de problèmes avec la pente.

Décidément, les patelins étaient isolés dans ce pays. Pour changer de sujet, j’ai désigné la route qui longeait le quai.

-       Donc, je dois partir par là…

J’ai montré la direction dans laquelle mon client m’avait conduite au volant de sa voiture. Je voyais toujours Carole, qui prenait un chemin s’enfonçant dans la forêt, mais je l’ai gardé pour moi. Pas question de leur laisser penser que je voyais des fantômes…

-       Oui oui, c’est le bon chemin ! a repris la plus bavarde des deux. Si vous êtes courageuse, avec votre vélo, vous pouvez passer par la forêt, il y a un sentier, qui grimpe dur, mais qui raccourcit un peu.

-       Qu’est-ce qui vous amène à Encharet, madame ? est intervenue l’autre.

-       Je viens rendre visite à quelqu’un, ai-je éludé.

-       C’est rare de voir les gens s’arrêter ici. D’habitude, ils ne sont que de passage.

J’ai omis de lui dire que j’avais été l’une d’eux, il y a des années.

-       Est-ce que vous sauriez où habite Carole Martin ?

Elles se sont consultées du regard, mais je connaissais déjà la réponse.

-       Non, ça ne me dit rien. On peut vous accompagner si vous voulez.

J’ai pensé à Phil et à Fred qui m’attendraient à Villemont dans moins d’une heure. J’ai pensé à Anne et à son éclair de lucidité. J’ai pensé à Marion, sous les tonnes de pierres qu’elle avait dérangées, et j’ai pensé à Carole qui s’éloignait de la gare, son vélo roulant à côté d’elle.

- D’accord. Allons-y.

 

 

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Fannie
Posté le 30/03/2020
Est-ce qu’elle cherche vraiment Carole à Encharet, ou est-ce une sorte de pèlerinage ? Ça va être dur pour notre pauvre Marion épuisée et dans un état second de grimper la pente, que ce soit à vélo ou à pied. On dirait que le fait de se trouver dans un coin perdu rend les gens plus serviables ; j’ai souvent constaté ça dans la réalité.
Coquilles et remarques :
— pour quelqu’un dont la vie s’était construite autour de deux personnes qu’elle avait rencontrées [pour quelqu’un dont la vie s’était construite autour de deux personnes rencontrées ; grammaticalement, on ne peut pas mettre « elle » pour quelqu’un, mais si tu es assez audacieuse, tu peux mettre « quelqu’une » et garder « elle »]
— et l’énigme voyait sans cesse revenir des bicyclettes de son espèce [Je ne comprends pas ce passage.]
— j’allais retrouver Phil - et Fred, mais je n’étais pas si pressée de le rencontrer [Il faut un tiret long.]
— d’un minuscule détail, débordant d’anodin [Curieuse formulation ; normalement « anodin » est un adjectif.]
— et je me suis rappelée, enfin, de l’endroit où j’étais [et je me suis rappelé, enfin, l’endroit où j’étais ; on se rappelle qqch (et pas de qqch), donc pas d’accord]
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