Chapitre 21

Par Mimi

 

-       Vous êtes sûre que Carole ne vous en avait jamais parlé ? ai-je répété alors que l’auto d’Anne descendait la piste qui conduisait au plus important regroupement de chalets du hameau.

Anne ne répondait pas. Elle secouait la tête de temps en temps, les yeux rivés sur la chaussée. D’apparence, elle était concentrée sur sa conduite, mais je sentais qu’elle se démenait pour essayer de retrouver d’où lui venait cette familiarité avec cette commune.

-       Non. Je crois qu’il ne s’agit que d’une coïncidence. Et plus d’un âne s’appelle Martin…

J’ai tressailli. Elle s’est brusquement tue et a gardé le silence quelques secondes. Un nom très commun qui avait déjà fait se fourvoyer Madame Leblois.

-       Je voulais dire que ce ne doit pas être le seul patelin du pays à s’appeler La Cordière.

J’avais bien compris, mais l’expression qu’elle avait employée m’a bizarrement affectée, comme si ma quête consistait à faire sortir Carole de l’anonymat de son nom si commun. En fait, ça n’avait pas de sens et probablement pas autant d’importance pour Carole, mais je me rendais compte que peu de mes réflexions signifiaient quelque chose ces temps-ci. N’empêche que j’avais enfin trouvé l’endroit de la carte postale. M’accrocher à cette idée n’avait finalement pas été une chose absurde, même si elle ne menait à rien au final, elle signifiait forcément quelque chose que Carole avait voulu exprimer.

Nous nous sommes enfoncées dans la vallée en suivant les panneaux qui nous guidaient vers le hameau. Je revoyais le soir où Phil m’avait tendu l’enveloppe, dans le restaurant, des semaines auparavant, et à ma première impression. J’avais vite repéré le noyau d’habitations entouré par les arbres. Maintenant, je ressentais l’impression bizarre d’être déjà venue par ici, comme si j’avais été miniaturisée à l’intérieur de la photographie.

-       Je ne me souviens pas être allée à La Cordière, a déclaré Anne alors que la voiture poursuivait sa course sur la départementale ombragée. Je ne connais personne ici, je n’ai jamais fait de balade dans le parc des massifs gris…je ne pense pas avoir jamais eu l’occasion d’emprunter cette route.

-       Ce n’est pas grave, nous avons seulement besoin de nous renseigner un peu pour le moment. Vous n’avez qu’à me déposer au village et repartir, comme ça vous ne vous mettrez pas trop en retard. J’ai mon sac, je peux me débrouiller maintenant.

Anne a acquiescé en repassant la seconde. C’était le dernier virage avant les habitations. La route débouchait sur une petite place bordée de quelques maisons. Les parages étaient déserts. Anne a garé la voiture sur le parking et a coupé le moteur.

-       Voilà ce que je vous propose. Ne perdez pas plus de temps et retournez à Sainte-Marie, vous y serez plus tôt que prévu et ce n’est pas plus mal. Quant à moi, je vais essayer de trouver ce qu’il y a à trouver ici. Ça ne me dérange pas de dormir dehors, je chercherai un endroit suffisamment abrité en cas de pluie.

-       Vous avez de quoi dormir ici, a dit Anne avec un sourire, après m’avoir laissée finir. Il y a un gîte d’étape visiblement.

Elle a désigné d’un mouvement de tête le panneau indicateur planté derrière moi.

-       Très bien, ai-je souri à mon tour, un peu rassurée par la tournure que prenait la situation.

-       Faites ce que vous avez à faire. Vous n’aurez pas besoin de moi ? Je peux revenir vous chercher demain soir, vers dix-huit heures.

-       Entendu.

Je suis sortie de la voiture, j’ai récupéré mon sac dans le coffre et j’ai fait signe à Anne lorsqu’elle a quitté le petit bourg.

J’ai commencé par consulter le plan de la vallée, un peu délavé, qui trônait sur un écriteau au centre de la placette. J’ai repéré un circuit qui montait en altitude. Je me suis dit que j’aurais une belle vue d’ensemble de la vallée depuis là-haut. C’était un bon moyen d’entamer mes recherches.

J’ai suivi les traits jaunes qui marquaient une rue adjacente. L’ascension allait être rude, surtout à cette heure proche de midi. J’ai rempli ma gourde d’eau fraîche à la sortie du village, à une fontaine ancienne qui m’a fait m’interroger sur la densité de population dans les environs. Je n’avais croisé personne depuis mon arrivée ici. Une fois de plus, je me suis demandée ce que signifiait cet endroit pour Carole. Plus j’avançais sans voir le moindre indice d’une quelconque vie dans La Cordière, plus je doutais découvrir quelque chose à cet endroit.

Je suis montée patiemment en surplomb du village. J’ai même dépassé la limite des arbres et j’ai vu le soleil disparaître derrière les pics de l’autre côté de la vallée. La pente, bien que plus escarpée, m’a semblé moins difficile que celle qui menait à l’hôtel du Chêne Vert. Je m’arrêtais souvent pour reprendre mon souffle et observer le paysage. Il était encore tôt quand je suis arrivée au belvédère qui signait la fin de la grimpette. J’ai mis ma main en visière pour observer ce qui aurait pu être inhabituel autour de moi.

Le fond de la vallée était barré de nombreux pierriers alors que mon côté était colonisé par la végétation. J’étais encore très loin des crêtes. Les montagnes semblaient s’élancer infiniment vers le ciel, leurs sommets inaccessibles. Je me suis assise dans l’herbe sèche, contre la pente, et je me suis reposée là, pas pressée de redescendre tant le panorama était apaisant.

Quelques soient les raisons qui avaient poussé Carole à choisir ce paysage pour m’envoyer son mot de remerciement, je comprendrais exactement pourquoi. La nécessité de trouver des indices ne me paraissait plus autant urgente. Le temps s’était arrêté pendant mon ascension et là encore, alors que j’admirais ce tableau de la nature depuis mon perchoir.

Il y a quelques jours, je n’aurais jamais pensé pouvoir grimper si haut aussi spontanément que c’était arrivé. Une autre Marion vivait dans mon corps. Une Marion bien plus intrépide, impulsive et volontaire. Elle était sans doute également plus sujette au découragement que l’ancienne, mais cette dernière n’avait jamais vraiment connu de situations telles dans sa vie antérieure. J’ignorais s’il s’agissait d’un tempérament passager qui disparaîtrait dès que je rentrerai à la maison ou si j’avais changé de façon définitive. Je ne savais pas si je préférais l’ancienne ou la nouvelle Marion. Pour l’instant, je tenais à atteindre l’objectif que m’avait donné Phil. J’aurais certainement pu faire n’importe quoi pour Phil.

Je suis redescendue alors que la lumière commençait à se faire rare. Mes pieds butaient contre les pierres. Je prenais toutes les précautions du monde pour ne pas tomber. Ç’aurait été trop bête de finir comme une crêpe dans un si bel endroit. J’aurais eu l’impression de gâcher le paysage.

 

 

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Fannie
Posté le 29/03/2020
Durant cette promenade, Marion prend conscience de ce côté plus intrépide, impulsif et volontaire de sa personnalité qui se manifeste actuellement ; mais je pense que ce n’est pas une nouveauté. Elle l’a déjà manifesté en se lançant dans cette aventure. Le fait qu’elle évoque « une nouvelle Marion » indique résolument le caractère initiatique de ce récit.
Une nouvelle fois, j’ai le sentiment que tu nous balades. Puisque Marion s’accorde une pause pour admirer le paysage, je trouve que ce serait bien que tu nous donnes de quoi le visualiser. La description succincte de ce chapitre ne le permet pas vraiment.
Coquilles et remarques :
— D’apparence, elle était concentrée sur sa conduite [En apparence]
— même si elle ne menait à rien au final [en définitive, en fin de compte (« au final » est une expression grammaticalement fausse que j’ai déjà relevée précédemment) ; d’ailleurs, comme il y a déjà « finalement » dans la première partie de la phrase, ce serait bien de trouver un autre adverbe, par exemple « même si elle ne menait à rien dans l’immédiat » (qui aurait le mérite de laisser l’espoir que par la suite, elle trouve un nouvel indice).
— Vous avez de quoi dormir ici, a dit Anne avec un sourire, après m’avoir laissée finir. Il y a un gîte d’étape visiblement. / Très bien, ai-je souri à mon tour [Virgule avant « visiblement ». / Comme « ai-je souri » n’est pas un verbe de parole ni un verbe qui évoque la parole, je te propose de mettre ici « ai-je dit en souriant » et, dans l’incise précédente « a annoncé Anne (ou a indiqué Anne) avec un sourire ».]
— je me suis demandée ce que signifiait cet endroit [demandé ; le pronom réfléchi « me » est COI]
— plus je doutais découvrir quelque chose à cet endroit [de découvrir / pour éviter la répétition du mot « endroit », je propose « en ce(s) lieu(x) » ou « dans ce coin »]
— Quelques soient les raisons qui avaient poussé Carole [Quelles que soient]
— ne me paraissait plus autant urgente [plus aussi urgente]
— cette dernière n’avait jamais vraiment connu de situations telles [Je dirais « de telles situations ».]
— qui disparaîtrait dès que je rentrerai à la maison [rentrerais ; conditionnel présent pour exprimer une action future dans un récit au passé]
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