Chapitre 2

Notes de l’auteur : Merci à vous qui avez lu le premier chapitre. Ce récit est un peu "expérimental" pour moi, vos retours sont particulièrement appréciés. N'hésitez pas à insister sur ce qui "marche", ou pas.
NOTA: il vaut mieux lire sur ordinateur, l'écran smartphone est petit, ça limite la visibilité/lisibilité des échanges de Sms des personnages

    — Bonsoir So ! Criai-je à la petite brune qui s’affairait derrière le comptoir.
    Nous nous faufilâmes au fond de la salle où je retrouvai avec soulagement la petite table que j’aimais bien parce que les autres clients ne pouvaient pas passer derrière moi et trafiquer mon verre. Une minute plus tard, Sophie déposait une commande sur une autre table et venait nous voir.
    — Salut les filles ! Vous prenez quoi ? Comme d’hab ? Vous avez vu, je vous ai gardé la table !
    Béné hocha vigoureusement la tête.
    — Avec une planche s’il te plait ! Ajoutai-je en forçant la voix pour couvrir la musique.
    — Je vous fais ça et je reviens discuter si ça se calme, mais je peux rien promettre c’est la rentrée de la fac de médecine faut que je surveille ils vont se mettre dans des états pas possibles.
    Je serrai mon sac à main à m’en faire mal.
    — Alors ? dit Bénédicte en changeant de siège pour venir s’asseoir à côté de moi et voir la salle elle aussi. On oublie la tablée d’ados bruyants. Je serai ménopausée avant qu’ils aient fini d’avoir des boutons. Qu’est-ce que tu penses des deux à gauche ?
    Not much. I was way too busy making sure my hands were not shaking. I could hear the medical students so clearly I felt like I was now sitting amongst them laughing and singing.    I tried so hard to come back, breathe in, and pick up the thread of what Béné was saying that I felt a drop of sweat run down behind my ear.
    — … vu la fille avec lui je doute qu’il soit intéressé par une Guyannaise… Vic ?
    I forced my eyes up and turned to look at her.
    — Ça va ? Tu veux qu’on aille ailleurs ?
    Je secouai la tête et sortis un large sourire un peu mécanique à So qui nous déposait nos verres, une grande planche garnie et un panier de pain. Non, je m’étais juré de cesser de fuir ou de m’écraser pour que les autres soient contents. J’inspirai à nouveau fortement. Ma psy allait être fière de moi tiens.
    — Non, c’est bon, affirmai-je en saisissant mon mojito. Juste promets-moi de n’inviter personne à  notre table.
    Fidèle à elle-même, Béné me gratifia d’un sourire lumineux et promit.
    — T’inquietes, fit-elle en prenant son verre aussi. De toute façon, je fais la fière mais pour l’instant je ne me sens pas le courage de faire plus que regarder. Bon. A notre fin de garde !
    — Et à Mme Bertrand !
    Nous fîmes honneur à la planche de fromages.
    — Et sur l’autre table près des carabins ? Celui avec le cuir il a l’air pas mal.
    Je mis mes œillères virtuelles pour ne pas voir les étudiants et regardai le grand type en perfecto, qui buvait une bière avec deux autres hommes. C’était probablement le client le plus mal à l’aise du bar, moi exclue. Sauf qu’il avait une sorte d’expression sûre de lui sur le visage qui n’allait pas du tout avec le tapotement de son pied.
    — Perdu, tu veux dire. Il n’a pas l’air d’avoir envie d’être là.
    Bénédicte devait aussi avoir trouvé la scène curieuse parce qu’elle se pencha un peu vers moi et baissa le ton.
    — On se fait une partie de délit de faciès ? Je pense que c’est un avocat américain qui essaie de sécuriser une OPA hostile.
    Je m’étouffai un peu avec mon mojito, hilare.
    — Pas mal. Et si c’était un flic sous couverture ? L’autre avec le trench c’est le dealer de crack.
    Bénédicte s’apprêtait à répliquer quand Sophie vint se poser sur le tabouret en face de nous avec un coca.
    — Alors, vous allez bien ? Tu es rentrée cette année Béné ?
    — Oui ! J’ai réussi à avoir deux semaines. Ça fait du bien de revoir ma famille. Et toi ? Il a quel âge maintenant ?
    — Quatre ans, dit Sophie.
    Elle se redressa sur son tabouret, l’air smug, et posa la main innocemment sur son ventre.
    — Et bientôt il aura un petit frère ou une petite soeur.
    Nous trinquâmes à bébé Liam, que je continuerai à appeler bébé Liam même le jour où on me dirait qu’il entre au lycée, et au futur deuxième.
    Je jetai un oeil à mon téléphone qui vibrait et ouvris le message, une boule au ventre.
    Salut Vic, c’est Mathis, le TIC d’Evry.
    J’ai trouvé ton numéro dans l’annuaire des réserves.
    Tu peux m’appeler dès que tu as une minute ?
    Je suis sur un cas j’ai pas de légiste.
    Besoin d’un avis extérieur.

    — Je reviens, dis-je aux filles en finissant d’une tirade mon mojito, par sécurité.
    J’avais eu la chance de bosser plusieurs fois avec Mathis pour la réserve. C’était un type plutôt sympa. Et manifestement, il s’était souvenu que je ne répondais pas aux numéros inconnus.
    Je sortis dans la rue, trouvai un coin de porte un peu à l’écart où l’animation des bars dans la rue ne m’empêcherait pas d’entendre, et enfilai mes écouteurs.
    — Allô ? Fit la voix de Mathis.
    — Oui, Mathis ? Dis-je connement. C’est Vic. Tu viens de m’envoyer un message.
    — Ah top ! Merci d’avoir rappelé aussi vite. Je suis un peu coincé et je me suis souvenu que tu étais infirmière et américaine.
    — Euh, c’est gentil, mais je doute de pouvoir t’aider. C’est quoi ton problème ?
    — On a un client en garde à vue, deux morts inhabituellement propres et entiers dans une maison AirBnB, pas de légiste avant demain matin et une armoire à pharmacie blindée de trucs qui ne me disent rien du tout.
    — Et l’IRC ? Si je te dis quelque chose d’utile, comment tu vas faire pour le rentrer en procédure ?
    — Je verrai. L’important c’est de ne rien oublier parce dès qu’on aura vidé les lieux on aura plus aucun moyen de revenir vérifier. Et on a 48 heures pour trouver quelque chose. Je t’envoie des photos des médocs. Dis-moi ce que ça t’inspire. On a pas encore trouvé les ordonnances.
    Je regardai mon téléphone s’illuminer, déverrouillai l’écran pour voir les photos et zoomai par endroits pour lire les emballages.
    Wow. Somebody had trouble sleeping. Amongst other things. No doc in their right mind would prescribe all of that to one person, that looked like the perfect kill-your-kidneys combo.
     — Toujours là ?
    — Hum, yes, pardon oui. Ecoute, difficile d’en dire plus sans dossiers médicaux, mais vérifie que tout a bien été prescrit, parce que tout ça, ça fait beaucoup. Aux US il y a une étiquette sur chaque boite qui te dit qui a prescrit quoi et quand. Vérifie si tout vient du même docteur ou pas. Et regarde dans les téléphones, si ce sont des américains ils ont probablement une appli de leur mutuelle qui les aide à suivre leurs prescriptions et leurs rendez-vous.
    — D’autres idées ?
    — Vérifie les dates, certains de ces médicaments sont dangereux si périmés. Ce serait bien de savoir si ton client sait à quoi servent tous ces comprimés. Il y a des médicaments en double. Le Zolpidem c’est la même chose que le Ambien. Et regarde la législation sur l’import de médicaments, je pense pas qu’on ait le droit de rentrer en Europe avec autant de médicaments américains. Enfin en tout cas dans l’autre sens c’est interdit, sauf à se taper la pile de paperasse qui va bien.
    — Merci beaucoup.
    — J’espère juste que ça peut t’être utile.
    — Ca nous fait gagner du temps en attendant le légiste. C’est déjà beaucoup.
    Je lui souhaitai bonne soirée et retournai vers le Gamin.
    Une partie des jeunes étaient sortis avec leurs verres sur le trottoir, et le grand type en perfecto fumait une cigarette en leur tournant le dos. Je fis un détour que j’espérais discret pour atteindre la porte sans passer à portée de bras.
    ME TOUCHE PAS MERDEUX.
    Une migraine fulgurante me coinça à la porte, la main sur la poignée.
    Une hallucination.
    Je me retournai par réflexe, comme je l’avais fait à de multiples reprises, enfant, avant que ça ne finisse par convaincre ma mère que j’avais besoin de séances de pédopsychiatrie.
    Monsieur Perfecto avait bousculé un des carabins éméchés, manifestement parce qu’il lui avait renversé sa bière dessus.
    Je tâtonnais pour trouver la poignée de la porte sans oser lâcher des yeux la scène. Le mojito tentait de me convaincre de quelque chose qui ne me plaisait pas du tout.
    Monsieur Perfecto se passa la main dans le cou, me jeta un coup d’oeil embêté, puis sortit un paquet de mouchoirs pour s’essuyer.
    Ne vous inquiétez pas. J’ai été surpris c’est tout.
    Je lâchai mon téléphone et m’appuyai sur le montant de la porte pour ne pas tomber. La migraine disparut aussi vite qu’elle était venue.
    L’homme me regardait maintenant clairement et fixement.
    — M’dame ! Pardon !
    Mon cerveau se remit en marche poussivement.
    Je levai les yeux vers le jeune qui se tenait devant moi, manifestement dans l’intention de rentrer, me baissai sèchement pour ramasser mon téléphone en balbutiant des excuses, et me précipitai à l’intérieur derrière lui, glacée.

    — Il est vingt-et-une heures, on fait quoi, on rentre ou on prend autre chose ? Demanda Béné quand je me rassis après un bref tour aux toilettes où je m’étais copieusement arrosé le visage pour reprendre mes esprits.
    Je jetai un coup d’oeil dans le bar et par la porte vitrée, le poids rassurant de mon sac à main sur les genoux. L’homme au perfecto était revenu s’asseoir à sa table et ignorait les regards assassins des étudiants à côté.
    — Moi je peux, je suis en vacances.
    Et j’avais bien envie d’un deuxième verre après mon coup de stress.
    — Oh allez, dit Bébé en haussant les épaules. Soyons folles, pour une fois. La même chose ?
    J’opinai avec un sourire, et m’efforçai de cesser d’espionner la table de Monsieur Perfecto avant que l’un d’entre eux ne se fasse des idées. Son absence d’intérêt pour ma petite personne finit de me convaincre que c’était bel et bien une hallucination, et je me sentis rassurée.
    Enfin à peu près. Je n’avais pas eu d’hallucinations depuis des années. Je n’arrivais même pas à me souvenir des dernières, si ce n’est qu’elles étaient en anglais. C’était rassurant de retrouver quelque chose de connu, mais je n’avais pas envie de commencer à me demander pourquoi elles étaient revenues.
    Et je doutais grandement que l’hôpital apprécie qu’une de ses nouvelles infirmières-en-chef se mette à divaguer et avoir un comportement incohérent.
    Béné secoua une main devant mon visage pour attirer mon attention.
    — Tu as mis un moment dehors, c’était grave ? T’as l’air à l’ouest.
    — Ah, non non. Un collègue gendarme avait besoin d’un avis.
    J’eus soudain une idée.
    — Mais il y avait le type au perfecto noir dehors et il avait l’air louche il m’a fait peur. Vu que tu le vois dans le miroir tu veux bien me dire s’il cherche à nous regarder ?
     Mais le temps que nous sirotions nos deuxièmes cocktails, la tablée de Monsieur Perfecto paya et quitta le bar sans même qu’il ait un regard vers nous.
    — Tu sais, dit Béné les joues aussi rouge que son cocktail, je suis presque déçue. Quand tu m’as demandé de regarder j’ai cru que tu avais un ticket.
    Je ris, en partie à cause de l’alcool.
    — On aura d’autres occasions, lançai-je doctement en grignotant un glaçon au gout de menthe à l’eau.
     Nous prîmes congé de Sophie et nous dirigeâmes la direction de la ligne huit, bras dessus bras dessous, passablement plus enjouées que d’habitude.
    — Tu sais, finis-je par lâcher en me laissant tomber sur un siège de métro. Mathieu en pince pour toi. Et j’ai croisé sa mère une fois où j’étais en renfort aux urgences. Avec une mère pareille c’est forcément un type bien.
    Béné ouvrit la bouche en grand.
    — Vic ! Tu peux pas sortir ce genre de trucs comme ça comme si tu me demandais de t’échanger une garde !
    Elle se cacha derrière son téléphone, la lumière bariolée sur son visage ne camouflant que très mal son embarras.
    — C’est toi qui as insisté pour qu’on parle de mecs toute la soirée, bougonnais-je pour le principe, étant tout à fait d’accord que je n’aurai pas dû vendre Mathieu, et surtout pas parce que l’alcool m’était monté à la tête.
    Je m’excusai platement jusqu’à ce que Bénédicte se lève pour descendre à la station suivante, Opéra.
    — C’est bon, c’est bon, dit-elle en roulant des yeux. Ne recommence plus c’est tout.
    — Promis, dis-je saintement.
    — Message quand on arrive ! Lança-t-elle avant de sauter sur le quai.
    Je regardai défiler les stations en me laissant hypnotiser par les néons.
    Je n’avais jamais parlé à ma psy des hallucinations. Mais ce n’était pas l’idée de devoir lui en parler qui me stressait, c’était que si je voulais lui en parler, il allait falloir que je demande à ma mère de m’aider à me souvenir des détails. Et ça c’était un no-go. Je préférais encore devoir retrouver le contact de la pédopsychiatre de L.A.
    Je m’arrêtais au coin de la rue de Vaugirard pour répondre au « Maison ! » de Bénédicte, et enfiler mon tee-shirt par-dessus mon chemisier. On avait beau être encore mi septembre, c’en était fini des nuits à vingt degrés. Je tournai dans ma rue et m’arrêtais par habitude sous le porche du numéro 22 qui s’allumait automatiquement quand quelqu’un approchait des boîtes aux lettres.
    Evidemment personne ne tourna l’angle de la rue à ma suite. L’alcool devait redescendre, parce que je sentais revenir un début de migraine. Finalement l’éclairage automatique s’éteint, signe que j’étais restée bien plus longtemps que je ne le pensais, et je me dirigeai vers le 24 en me fustigeant de ma propre paranoia.
    Je sortis de l’ascenseur en envoyant à mon tour « maison X X » à Bénédicte, et glissai ma clé dans la serrure.
    J’allumai la lumière quand je me trouvai projetée contre le mur, une main gantée sur la bouche étouffant un cri de douleur. Ma tête se fendit en deux.
    Vous êtes quoi au juste ?

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
arcadius
Posté le 06/01/2024
Salut,

Un chapitre intéressant, mais la question finale fait bizarre (cependant peut-être que la suite l'explique). S'il y a des magiciens, en quoi une télépathe sort elle de l'ordinaire ?

à bientôt
Camille Octavie
Posté le 31/01/2024
Du coup, ma réponse à ton commentaire sur le chapitre 1 doit t'éclairer ;)

Le positionnement de la question finale était compliquée pour moi. Comme c'est une histoire "nano" à l'origine, je l'avais écrite complètement d'un trait, sans chapitrage, et le choix de couper ici ou pas m'a bien pris la tête ...

Je me note de tenter de mettre cette question au tout début du chapitre 3 dans la V2, pour tester !
arcadius
Posté le 31/01/2024
Salut,

Le problème que j'ai avec cette question n 'est pas qu'elle arrive à la fin, c'est potentiellement un bon cliffhanger. Ce qui me dérange, c'est qu'on suppose qu'elle est télépathe, donc sans plus de contexte la question semble bizarre (puisqu'on ne sait pas encore qu'il y a d'autres possibilités, tel que chimère (même si je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire, j'ai pas lu assez loin ^^;))

à bientôt
Camille Octavie
Posté le 01/02/2024
Ah ! je comprends je pense :) Peut-être aussi que c'est bizarre parce qu'il faut un peu de temps, en tant que lecteur, pour comprendre que en italique, c'est quand il y a une voix dans sa tête ?
Peux-tu me dire si tu pense que ça prend son sens au début du chapitre suivant du coup ? Ou si l'impression dérangeante reste trop longtemps ?
arcadius
Posté le 04/02/2024
Le fait que l'italique corresponde à la télépathie ne me pose pas de problèmes. La problématique que me pose cette question est "N'a-t-il pas déjà la réponse ?"

Au chapitre suivant, il est précisé "Les humains ne sont pas réceptifs à la télépathie.". Or s'il suppose qu'elle est télépathe, la formulation devrait être différente : "Pourquoi n'êtes-vous pas répertorié ?" (pose question, mais s'éclaircit rapidement) ou "pourquoi faites-vous semblant d'être humaine ?". Cela me semblerait mieux...
Camille Octavie
Posté le 05/02/2024
Merci pour toutes ces précisions, je me suis noté tout ça, je pense que j'ai des pistes pour améliorer dans la v2 :)
elinamrtn
Posté le 18/12/2022
Ce deuxième chapitre confirme ma première impression : cette histoire promet d'être véritablement géniale ! Quelques répétions (notamment "table" en début de chapitre) et seulement une toute petite faute de syntaxe ("je me dirigeai en direction de". Comme dirigeai et direction ont la même étymologie, j'aurais plutôt utilisé "je me dirigeai vers" ou "je pris la direction de") mais vraiment rien de méchant, je chipote totalement haha !
J'ai vraiment hâte de découvrir la suite et d'en apprendre un peu plus sur la protagoniste qui m'intrigue très sérieusement !
Camille Octavie
Posté le 18/12/2022
Rebonjour ! Mille merci pour ce retour ! Je note précieusement ces conseils j'intégrerait tout cela en réécriture ! Bonne lecture !
Vous lisez