Chapitre 16 : Natia

-Nous arrivons à destination dans cinq minutes, annonça une voix dans les haut-parleurs. Vérifiez que vous n’avez rien oublié. La compagnie des trains de Vaganz vous souhaite un agréable séjour à Yotr.

Ewin avait déjà entendu parler de Yotr, mais il en savait bien peu dessus. En dépit de tout ce qu’il avait pu apprendre, il fut stupéfait par ce qu’il contemplait à travers la fenêtre du train. Rien. Il n’y avait rien dehors mis à part une étendue infinie de champs. À supposer que la ville était bien ici, au milieu des champs, elle devait être minuscule.

-On est vraiment arrivé ? Demanda-t-il à Magon.

Magon était son ami. Il le connaissait, depuis qu’il était petit et à sa connaissance il n’avait jamais eu d’autre ami. Son grand-père lui avait offert deux places pour le Gorun et Ewin avait logiquement décidé de se faire accompagner par Magon.

Il sourit et Ewin ne comprit pas pourquoi. Se moquait-il de lui ?

-Oui, on est bien arrivé. Regarde bien dehors, tu vas bientôt entrer dans la ville.

Les cheveux à ras et le nez cassé, Magon Otto était un jeune homme déjà endurci. Son père, qui était le Commandant des armées de Vaganz, lui avait imposé une éducation à la dure. Entre les exercices de maniement d’armes, les renforcements physiques quotidiens et les travaux pénibles, Magon avait adopté très vite une attitude de soldat. D’ailleurs, pendant qu’Ewin avait rejoint le Conseil, son ami avait commencé ses études à l’Ile du Crâne, qui est la cité étudiante militaire.

-Alors toujours rien ? S’esclaffa Magon à gorge déployée.

Ewin colla sa tête contre la vitre et accommoda ses yeux pour voir le plus loin possible. Il ne voyait rien qui pouvait se rapprocher d’un village et encore moins d’une ville aussi grande que l’était Yotr.

Soudain, le paysage changea brutalement. Ewin poussa un cri de surprise et recula violemment sa tête qui percuta la mousse du siège. Les champs avaient brusquement laissé place à une ville gigantesque. Des immeubles s’étendaient à perte de vue et semblaient toucher le ciel. De ce ciel gris et maussade, il y a à peine quelques minutes, s’était découvert un soleil radieux, qui battait les vitres des bâtiments de ses rayons. Des ascenseurs de verre se déplaçaient dans tous les sens, de haut en bas, d’avant en arrière, et même en diagonale. Tout semblait surréaliste.

-Hahaha !

Magon se tordait de rire devant la stupeur de son ami, qui se transformait petit à petit en admiration devant la fabuleuse ville qu’était Yotr.

-Comment… a-t-elle pu apparaître ? Balbutia le conseiller, qui n’en revenait toujours pas de ce qui se trouvait devant lui.

-Yotr est entouré par une bulle qui rend la ville invisible de l’extérieur.

Des passerelles de verre reliaient les différents immeubles à tous les niveaux. Des centaines d’hommes et de femmes, pressés, traversaient à toute allure le vide sur ces ponts de verre. On se serait cru dans une fourmilière, où chacun se concentrait sur ce qu’il avait à faire et ne portait aucun intérêt aux autres personnes qu’il croisait.

Le train décéléra à l’approche de la gare. Et les baies vitrées du tube s’ouvrirent devant les passagers. Ewin fut étonné de ne pas apercevoir de quai. À la place, les voyageurs montaient directement dans des ascenseurs, qui partaient ensuite dans toutes les directions possibles et qui étaient aussitôt remplacé par de nouveaux ascenseurs.

-Là, on est dans le quartier du hibou, expliqua Magon. Yotr se divise en huit quartiers, chacun symbolisé par un signe distinctif et par des couleurs.

Il désigna les hiboux gris bleu, dessinés sur les ascenseurs. Magon avait pris l’habitude de venir à Yotr tous les ans, toujours pendant la période du Gorun.

Le Gorun était le sport favori de Yotr, et même du pays tout entier, et tous les ans une compétition, dans laquelle huit équipes se rencontraient, se déroulait dans la ville.

-Allez, monte ! L’incita-t-il en entrant dans l’ascenseur. Avant toute chose, tu dois voir le stade.

Il marqua la destination sur l’ordinateur de bord de l’ascenseur avant de sortir deux T-shirt et deux écharpes de son sac.

-Tes nouveaux vêtements de supporter, dit-il en donnant le T-shirt et l’écharpe à son ami.

Ewin déplia le T-shirt. Il était entièrement noir, excepté un trèfle vert vif, qui occupait une bonne partie de la face avant du vêtement. L’écharpe, elle, était verte striée de bandes noires.

-Ce sont les couleurs de notre quartier ? Demanda le garçon en enfilant son T-shirt, même s’il avait déjà deviné la réponse.

Magon hocha la tête.

-À chaque fois que je viens ici, je viens dans le quartier du Trèfle.

L’ascenseur s’arrêta devant une demi-sphère gigantesque, sans aucune ouverture apparente. Aucune passerelle ne conduisait à cet étrange bâtiment, et même les ascenseurs l’ignoraient.

-Ah le voilà. C’est le seul endroit neutre de la ville. Il ne s’ouvre au public qu’une seule fois dans l’année, lors du Gorun.

-Neutre ?

-À Yotr, même les touristes doivent choisir une équipe qu’ils soutiendront. En plus de ça, tout le monde doit continuellement porter les couleurs de l’équipe qu’il soutient. Et il est conseillé de ne pas s’aventurer dans un quartier ennemi au sien.

Magon tira sur son T-shirt pour montrer l’écusson représentant un trèfle avant de continuer.

-Tu vois ce symbole ? Il faut toujours que tu le portes sur toi. Ici, c’est une question d’honneur. Et surtout, il ne faut sous aucun prétexte t’aventurer dans le quartier de la Chauve-souris, c’est notre plus grand rival.

-Que se passe-t-il si je m’aventure dans ce quartier ?

-Oh, tu préfères ne pas le savoir, crois-moi. Retiens juste d’éviter à tout prix ce quartier.

Ewin et son ami s’approchèrent du Stade. Tout autour de l’imposante structure, de grandes affiches montraient les joueurs des différentes équipes. Ils dépassèrent les affiches de l’équipe des Hiboux et de celle des Arcs avant de se retrouver face à celle des Trèfles. Sept joueurs étaient représentés dans leurs maillots verts. Trois étaient particulièrement imposants et corpulents. Un autre, très grand et mince se différenciait par la couleur noir de son maillot.

-C’est donc ça notre équipe, murmura Ewin à lui-même, impressionné.

-Le grand en noir, c’est notre gardien et aussi le capitaine de notre équipe. Les trois balèzes à côté de lui, ce sont les défenseurs. Ensuite, il y a nos deux coureurs et enfin l’intercepteur.

-Ah d’accord.

Ewin ne connaissait rien à ce sport, mais il devait admettre que la place qu’il occupait dans la ville attirait sa curiosité et il se promit d’apprendre les règles du Gorun le plus vite possible.

-Il se fait tard, allons à l’hôtel, suggéra Magon. Inutile de reprendre un ascenseur, nous ne sommes plus très loin.

Ewin écarquilla les yeux et fixa le ciel encore clair et ensoleillé.

-Ne te fie pas au Soleil. Il est artificiel. Il est presque dix heures du soir à ma montre, fit son ami avec amusement.

Les deux touristes se dirigèrent donc vers leur hôtel. Ils s’engouffrèrent dans un labyrinthe d’immeubles, chacun plus impressionnant que le précédent, et marchèrent jusque devant un immeuble insolite. Il ressemblait d’ailleurs plus à une pyramide qu’à un immeuble.

-Alors tu le trouves comment notre hôtel ? S’enquit son ami.

-Ça ? Notre hôtel ? C’est une pyramide. D’ailleurs, que fait une pyramide ici ? S’écria Ewin sans cacher sa surprise.

-Eh bien, si. C’est bien notre hôtel. C’est même l’hôtel le plus prestigieux du quartier du Trèfle. Ça a dû te coûter une petite fortune. Enfin à ton grand-père plutôt, remarqua Magon en tapotant l’épaule de son ami.

L’hôtel-pyramide était encore plus fastueux vu de l’intérieur. Toute la décoration était aux couleurs du quartier. De somptueux canapés de velours vert trônaient dans le hall d’accueil. Des portiers et des réceptionnistes aux costumes impeccables accueillirent les deux hommes avec courtoisie.

-Bonjour, messieurs. Que puis-je faire pour vous ?

Le jeune militaire s’approcha du réceptionniste et lui donna un document. Ce dernier, après avoir jeté un bref coup d’œil au papier s’empressa d’aller chercher une clé et deux tickets pour chacun.

-Bienvenue à la Pyramide, dit le réceptionniste avec cérémonie. Voici vos clés de la suite Olup. Il donna les clés, puis les tickets avant d’ajouter. Et voici tickets pour voir les matchs de Gorun, dans la loge de l’hôtel du stade. Maintenant si vous voulez bien me suivre, je vais vous faire visiter l’hôtel et vous montrer votre chambre.

Un bagagiste s’occupa de récupérer les valises des deux hommes et les apporta directement dans leur chambre.

L’hôtel comprenait une piscine, une salle de sport, une salle des spectacles ainsi qu’un cinéma dernier cri. Le luxe de cet hôtel rivalisait avec celui des plus beaux palais de Litury, mais les dépassait en modernité et en technologie. Chaque pièce était munie d’un panneau de sécurité à empreinte digitale, des robots s’occupaient de nettoyer chaque recoin en permanence et d’autres s’occupaient du bien-être des clients.

Le réceptionniste leur expliqua le fonctionnement de l’hôtel, puis les dirigea vers une nouvelle pièce.

-Voici l’âme de notre hôtel, dit-il avec fierté. Surtout à cette période de l’année.

Il ouvrit les portes massives qui ouvraient sur la pièce et écarta les bras pour montrer la splendeur de la salle. En entrant, la première chose que l’on voyait était les écrans géants disposés un peu partout. Une lumière tamisée donnait une ambiance particulière et d’agréables parfums vinrent effleurer les narines d’Ewin. Des hommes et des femmes se prélassaient dans de petits jacuzzis à l’eau verte vive. Des barmans confectionnaient des cocktails sophistiqués et des masseuses s’occupaient du dos des clients à l’aide d’huiles parfumées. Tout autour des jacuzzis, de confortables canapés et fauteuils avaient été installés en face des écrans géants. Mais ce qui attirait le plus de monde dans la salle était une estrade positionnée en plein centre.

Par pure curiosité, Ewin faussa compagnie au réceptionniste et alla rejoindre ce qui attirait tant de monde. Au fur et à mesure qu’il se frayait un passage dans la foule, il pouvait entendre de plus en plus distinctement la voix d’un homme.

-En ce moment même, nous accueillons le capitaine de notre équipe. Il a accepté de venir répondre à quelques questions de nos journalistes sportifs.

-Le gardien, se rappela Ewin en se remémorant la photo qu’il avait vue devant le Stade.

-Oui, c’est lui.

Magon, qui avait rattrapé le jeune garçon, lui montra deux sièges.

-De là-bas, nous pourrions à la fois entendre et voir l’émission, proposa-t-il. Ah oui, j’allais oublier, le réceptionniste nous a laisser les clés. Voilà la tienne, ne la perd surtout pas.

Ewin et Magon gagnèrent les deux sièges, depuis lesquels ils étaient confortablement installés pour suivre l’émission. L’interview venait à peine de commencer et les journalistes débutèrent en rappelant les règles du Gorun.

-Bonjour à tous ceux qui nous rejoigne en cette belle journée ensoleillée, s’exclama le journaliste aux cheveux verts en pétards. Je suis Ry, votre présentateur favori, et je suis aujourd’hui en compagnie de Feuy, mon collègue journaliste, et de Drahar, le capitaine du Trèfle.

Drahar, le gardien, s’avérait être encore plus grand que sur l’affiche devant le Stade. Il était calme et impassible et ne prenait pas part à la folie débordante de Ry ou de Feuy. Ce dernier, chauve et assez grassouillet, ressemblait à deux boules de tailles différentes que l’on aurait mis l’une au-dessus de l’autre avec deux petits bras qui ressortaient de chaque côté et qui gesticulaient dans tous les sens.

-Feuy, voulez-vous bien nous rappeler les règles du Gorun ? Demanda Ry, sans vraiment laisser le choix à son collègue.

Feuy se leva précipitamment de sa chaise et sautilla jusqu’à un tableau.

-Bien sûr. Tout d’abord, un match de Gorun oppose quatre équipes de sept joueurs. Il s’arrêta, tourna la tête vers Drahar. N’hésitez pas à faire quelques précisions pendant mon explication, Drahar. Puis il reprit son explication en gesticulant de plus belle. Le terrain comporte quatre camps, un pour chaque équipe, composé d’un but et d’une surface de réparation. Les quatre camps sont séparés par le rond central.

Il dessina un cercle et quatre rectangles sur le tableau en bondissant et agitant les bras pour ne pas perdre l’équilibre. Puis il reprit en parlant à toute allure.

-Chaque équipe doit placer son gardien devant ses buts et un défenseur devant chaque but adverse…

-N’oublions pas de préciser que les défenseurs n’ont pas le droit de toucher la balle ni de sortir de la surface de réparation, le coupa Ry avec son indémodable sourire forcé.

-Oui, oui, oui, balbutia Feuy en battant des bras si fort qu’il paraissait vouloir s’envoler. Les défenseurs ne peuvent que plaquer… plaquer. Sauf le gardien, bien sûr.

Il marqua une pause, reprit son souffle puis reprit de plus belle.

-Nous avons après les deux coureurs. Ce sont eux qui vont marquer les buts. Chaque but marqué dans le camp d’un adversaire fait gagner un point à l’équipe du buteur, et chaque but marqué depuis le milieu de terrain compte pour trois points à l’équipe. Et enfin l’intercepteur avec sa combinaison de camouflage. Il est là pour récupérer le ballon aux adversaires et faire des passes aux coureurs. Cependant, il ne doit pas sortir du milieu de terrain.

Ry remercia Feuy pour ses rappels sur les règles, qui se précipita vers son siège pour se rasseoir.

-Beaucoup de supporters disent que nous avons la meilleure équipe du championnat, partagez-vous cet avis ? Interrogea Ry à l’intention du gardien.

-Je n’aime pas m’avancer sur ce genre de sujet, mais nous avons dans notre équipe le meilleur coureur de la décennie, c’est indéniable.

-Oui, Rekan est vraiment impressionnant cette année. Il apporte de la folie et de l’envie dans l’équipe, ça se sent. Et vous, vous apportez l’expérience et la sagesse. Y a-t-il une équipe qui vous fait peur dans la compétition ?

-Il y en a plusieurs, mais celle dont nous nous méfions le plus est l’équipe de la Chauve-souris, réfléchit Drahar en se grattant le menton.

-En effet, leur défense est impressionnante, conclut Ry avec son rire exagéré. Et puis ils sont prêts à tout pour nous faire perdre.

Il se tourna ensuite vers les caméras en ébouriffant, de la main, ses cheveux déjà en bataille.

-Bien maintenant, voici la rubrique « Chiffre à gogo » ! S’écria-t-il en ouvrant le bras droit pour donner la parole à son collègue.

Caché sous la table, Feuy grignotait des gâteaux en cachette. Il se releva subitement en lâchant les boîtes et prit la parole la bouche pleine de biscuits.

-Ché décha à moi ?

Ry, qui avait perdu son sourire, en profita pour lui donner un coup de pied. Feuy en perdit l’équilibre et s’étala de tout son long par terre, renversant au passage une partie de ses gâteaux.

-Voilà l’émission est finie. Je vous remercie pour vos réponses Drahar. Et je vous souhaite de remporter ce championnat qui nous fait défaut depuis tant d’années, termina Ry en tordant la bouche pour sourire à la caméra.

Ry attendit que les caméras et Drahar s’éloignent pour laisser sa colère exploser. Son sourire avait définitivement disparu, et ses cheveux étaient littéralement hérissés sur sa tête.

-Tu ne peux pas te concentrer plus de cinq minutes ?

-Je pensais que j’avais le temps de faire une petite pause, rétorqua Feuy, qui avait eu le temps de se relever.

-Eh bien, non. Pas pendant l’émission, fulmina Ry. Et puis, arrête de manger ses cochonneries.

Son collègue l’insupportait, il n’avait pas le sens du travail bien fait. Tout ce à quoi il pensait était s’amuser et manger ses ignobles biscuits à longueur de journée. D’ailleurs, ils n’avaient pas l’air si mauvais, pensa Ry. Il se baissa et ramassa le paquet de biscuits.

-Confisqué !

L’autre eu une réaction pour le moins inattendu. Ses bras recommencèrent à battre l’air et il s’avança en sautillant vers Ry et la boite de gâteaux. Ce dernier s’enfuit en courant. Mais peu importait où il se réfugiait dans la salle, il se faisait toujours rattraper par son confrère journaliste. À jouer au chat et à la souris, Ry finit par se retrouver acculé dans un coin, avec devant lui, Feuy qui ne comptait pas le laisser partir avec la boîte de gâteaux dans les mains.

« Vite, réfléchis » pensa Ry en ouvrant ses yeux au maximum et tournant sa tête dans toutes les directions, comme si cela aurait pu l’aider à trouver une issue plus facilement. Mais aucune solution ne lui parvint. Il s’apprêtait à abandonner la boîte quand une idée géniale le submergea.

Devant les yeux exorbités et la bouche grande ouverte du journaliste chauve, dont les bras se mirent à gesticuler plus vite que jamais, Ry mit le reste de gâteaux dans sa bouche et avala le tout d’une seule traite.

-Nooon, s’écria Feuy. C’était mon dernier paquet.

Devant la détresse de son collègue grassouillet, le sourire narquois de Ry apparut de nouveau sur son visage.

-Oh, quel dommage, se moqua-t-il avec une voie mielleuse. En tout cas, ils étaient très bons.

Feuy s’éloigna alors en marmonnant des phrases incompréhensibles. Sûrement, des insultes, pensa Ewin qui avait assisté à toute la scène.

-Ces deux énergumènes seront nos présentateurs pendant la compétition, l’informa Magon. Ils peuvent paraître spéciaux, mais personne n’a une meilleure analyse des matchs que Ry. Et Feuy est l’encyclopédie humaine du Gorun. Il connaît tous les chiffres concernant ce sport.

« Ils sont spéciaux c’est le moins que l’on puisse dire », pensa Ewin en les regardant se chamailler comme deux enfants qui se disputent pour un jouet.

-Ça te dirait de te mêler aux habitants ce soir pour participer à la plus grande fête du monde ? Proposa son ami soudainement.

Ewin hésita, il se sentait fatigué. Le voyage et les derniers évènements l’avaient complètement vidé de ses forces. Il ne pensait plus qu’à une chose : son lit.

-Je ne sais pas trop, lui répondit-il. Je préférerais profiter de l’hôtel pour me reposer.

 Malheureusement pour lui, Magon ne l’entendait pas ainsi et il le convainquit d’aller manger dans un restaurant populaire du quartier de l’Arc. Le quartier de l’Arc est le quartier allié de celui du Trèfle et chaque année les habitants de ces deux quartiers fêtaient l’arrivée du Gorun ensemble.

Le quartier du Trèfle, calme et très riche se différenciait de celui de l’Arc. À peine les deux garçons avaient-ils franchis la limite qui séparait les deux quartiers, que des groupes de supporters les saluaient en les prenant dans leurs bras. Chaque groupe, mélangeant parfaitement les supporters des deux équipes, se dirigeait dans la même direction.

-Pourquoi vont-ils tous dans cette direction ? Demanda Ewin, intrigué, à son ami.

-Tu vas bientôt le découvrir.

Les habitations et les bâtiments du quartier de l’Arc étaient plus sobres et moins modernes que celui du Trèfle. Les immeubles, qui ressemblaient plus à des maisons entassées les unes sur les autres, étaient faits de brique ou de bois au lieu du verre qui caractérisait ceux du Trèfle. Dans chaque rue, il y avait des marchands de glaces, de crêpes, ou encore de boissons. Des jeunes hommes et jeunes femmes arrêtaient les passants en leur conseillant de venir manger dans tel restaurant ou de rentrer dans telle boutique.

Ewin se faisait piéger à chaque fois, et se retrouvait assis à la table d’un restaurant ou dans les rayons d’une boutique avant qu’il n’ait eu le temps de dire un seul mot, et Magon dû à maintes reprises revenir sur ses pas pour aller chercher le garçon. La progression à travers les rues du quartier se révéla être un vrai parcours du combattant.

-Nous sommes bientôt arrivé, l’encouragea Magon.

Devant eux, les supporters occupaient toute la largeur de la rue et avançaient tous ensemble dans la même direction en chantonnant quelques airs. Ewin se laissait porter par la foule, il se mit sur la pointe des pieds pour voir où ils allaient, sans réussite. Malgré son assez grande taille, il y avait toujours un drapeau, des bras levés ou des immenses chapeaux qui lui cachaient la vue.

Puis, la foule commença à se disperser et Ewin se retrouva debout sur une grande place entièrement pavé. Tout autour de lui, des restaurants avaient installé de longues tables, recouvrant l’ensemble de la place. Pourtant, malgré le nombre de tables qui avaient été installées, il manquait encore des places et certains supporters devaient se serrer pour laisser de la place à d’autres.

-Dépêche-toi ou nous n’aurons plus de place, le pressa Magon en le tirant par le bras.

Ils s’assirent entre deux groupes de supporters et sans qu’ils n’aient commandé, des serveurs vinrent déjà leur servir une abondante assiette et une boisson. Ewin voulut protester, mais son ami le retint discrètement.

-Ce soir, il n’y a pas de commande, tout le monde mange la même chose et boit la même chose, ça fait partie de la tradition.

-Mais, je ne sais même pas ce que c’est, protesta le garçon.

-Quoi, tu ne sais pas ce que c’est ? S’offusqua une voix à côté de lui.

Ewin tourna la tête et remarqua la fille, assise à côté de lui. Dans l’agitation, il n’avait pas fait attention à côté de qui il s’était assis. La fille, qui avait à peu près son âge, portait les couleurs de l’Arc. Ses sourcils brun dessinés se froncèrent. Puis elle se radoucit.

-Dans ton assiette, c’est un plat traditionnel de mon quartier, déclara-t-elle avec fierté.

Un bon morceau de viande rouge, dans lequel une petite flèche était plantée, sûrement pour indiquer la cuisson, était accompagné de divers condiments.

-Et ce que tu vas boire, c’est une infusion aux herbes, avec un peu d’alcool. On l’appelle la boisson de l’espoir. C’est la boisson traditionnelle de ton quartier, continua la fille. Ou plutôt, du quartier que tu as choisi, j’imagine que tu es un touriste ?

Les yeux noirs envoûtant de la jeune fille l’intimidaient. Où peut-être était-ce le fait que jusqu’à maintenant, très peu de fille de son âge lui avait adressé la parole. Ewin n’avait pas été à l’école comme tout le monde, ses parents lui avaient administré une éducation avec des professeurs particuliers. Le seul enfant qu’il avait connu et avec qui il s’était lié d’amitié était Magon.

-Euh… Oui. Ça se voit tant que ça ? Balbutia-t-il en reprenant ses esprits.

Elle lui sourit.

-Bah oui. Tu regardes tout avec les yeux d’un enfant qui découvre le monde, je m’en suis déjà douté quand tu t’es assis à côté de moi. Et quand tu as demandé ce que tu allais manger, ça m’a convaincu.

Elle sirota son verre.

-Et tu viens d’où ?

Ewin ne savait pas quoi lui répondre. S’il lui disait qu’il habitait dans un palais au cœur de Litury, la ville qui abritait les familles les plus riches et puissantes du pays, elle risquait de le regarder différemment. Il n’allait pas non plus lui dire que sa famille possédait de nombreuses demeures et qu’il n’avait donc pas vraiment de ville d’origine.

-Hoegar, répondit-il finalement.

-Connais pas.

-Mais je n’y habite plus. Depuis peu de temps, j’habite dans un petit village à côté de Litury.

« Pourquoi ai-je dit ça ? » Pensa le jeune garçon. Il aurait dû lui dire la vérité. Cependant, il se sentait loin de toute la richesse de Litury et il en avait honte devant la sobriété de tous ces gens. Pour une fois, les gens le considéraient comme un garçon ordinaire et ne le regardait pas en se disant qu’il était un Hoffenhelm.

-C’est vrai ? S’exclama-t-elle avec admiration. Litury, la ville aux onze palais ? Est-ce que tu y es déjà entré ?

-Euh… Oui. Une fois.

Elle soupira, puis regarda son assiette, attristée.

-J’aimerais tellement y aller. Mais pour l’instant, je ne suis jamais sorti de Yotr. Tu en as de la chance de pouvoir voyager, toi.

Soudain, le son des cloches retentit. Tous les supporters de la place se levèrent à l’unisson et commencèrent à chanter. Y compris la jeune fille à côté de lui. Voyant qu’il ne se levait pas, elle lui attrapa la main et l’obligea à se lever.

« Lève-toi et porte fièrement tes couleurs

Car elles représentent bien plus qu’un quartier

Elles définissent ta vraie famille de cœur

Crie devant tout le monde où tu es né

Arc/Trèfle

Arc/Trèfle

Arc/Trèfle

Saute haut et n’aie pas peur de tes couleurs

Retiens ton souffle car le Gorun arrive

Il n’y aura qu’un seul quartier vainqueur

Alors supporte ton équipe à tout prix

Arc/Trèfle

Arc/Trèfle

Arc/Trèfle »

Les gens se turent puis applaudirent en lançant leurs chapeaux et leurs écharpes en l’air. Il y eut même quelques boissons qui volèrent dans les airs et éclaboussèrent Ewin. Après cela, tout le monde se rassit pour finir son repas, légèrement refroidi.

-C’était quoi ça ? Demanda Ewin à sa voisine.

-Un chant de supporters, dit-elle comme si c’était évident.

Pendant le reste du repas, la jeune fille lui parla de Yotr et de la vie dans son quartier. Elle l’appelait « gamin », parce qu’Ewin la regardait avec « l’admiration et la curiosité d’un enfant qui découvre le monde », lui répétait-elle sans arrêt. Mais Ewin n’aimait pas ce nouveau surnom.

-Je ne m’appelle pas gamin, finit par s’agacer le jeune garçon. Je m’appelle Ewin.

En voyant le jeune garçon froncer des sourcils et plisser le menton, elle lui adressa un sourire au coin des lèvres qui le radoucit immédiatement.

-Ne t’inquiète pas, c’est un surnom affectif, précisa-t-elle sans que cela ne convienne pour autant au jeune garçon. Moi c’est Natia.

Un silence suivit. Natia s’attendait probablement à une réponse d’Ewin comme « Salut Natia », ou alors « C’est un beau prénom, Natia ». Mais Ewin ne sut pas quoi répondre. La jeune fille décida donc de briser le silence pour clore la discussion.

-Je suis fatiguée, je vais aller dormir. Si tu veux demain, je peux te faire visiter le quartier, lui proposa-t-elle. Je viens ici tous les après-midi, dit-elle avant de partir.

Ewin la regarda s’éloigner. Ses cheveux auburn tombants dans son dos et parfois venant cacher une partie de son visage, lui donnait un air mystérieux. Sans qu’il ne put dire pourquoi, cette fille l’avait piqué au vif et il avait envie de la revoir. Elle le considérait comme une personne normale, et non comme un enfant privilégié par la vie. Elle ne le jugeait pas, et cela lui plaisait. Il n’était pas obligé de faire attention à son image ou de retenir ses mots. Il se sentait revivre dans cette ville et en oublia ses responsabilités de Litury.

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DraikoPinpix
Posté le 23/04/2020
Un chapitre très sympathique. J'aime bien la construction de la ville de Yotr et toute l'ambiance dégagée. C'est cool de voyager avec tes personnages. En tout cas, j'ai aussi hâte d'en savoir un peu plus sur Natia :)
A bientôt !
clemesgar
Posté le 01/05/2020
Salut ;)
Tes commentaires sur mon monde me font vraiment plaisir. Natia est un perso très attachant je trouve (en tout cas dans mon imagination XD) Encore merci pour le temps que tu consacres pour m'aider dans mon écriture ;)
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