Chapitre 15 : La biche

Notes de l’auteur : Et voilà le dernier chapitre ! Je suis toute émue... c'est vraiment un gros bébé que j'aime, ce bouquin. Je pense que je vais poster l'épilogue tout de suite puisqu'il n'est pas très long.

— Tu n’as pas le droit !

Lohan préféra fuir plutôt que d’en entendre davantage. Il revint à la réalité, anxieux. Sa vengeance semblait insignifiante, d’un coup. Sa haine, illégitime. Son refus, cruel. Il serra les dents jusqu’à les faire grincer, ses poings martyrisaient les rênes de Nuit. Mais il ne pouvait pas quitter les côtés d’Adhara. Il ne pouvait pas.

— Ça ne va pas ?

Il affronta entre ses mèches noires le regard inquisiteur de la princesse.

— Je n’ai pas l’habitude de ne rien faire pendant une bataille, c’est tout. Ça me rend nerveux.

Son amante haussa un sourcil.

— Pourtant c’est toi-même qui a demandé à ne pas participer aux combats. Je n’ai toujours pas compris pourquoi, d’ailleurs.

— Parce que cet endroit est dangereux pour toi.

— Je ne suis pas aussi fragile que mes dentelles le laissent penser, répliqua-t-elle avec dédain. Tu le sais, pourtant.

Il ne répondit rien et détourna la tête. Son regard angoissé attaqua les troncs et les broussailles qui se trouvaient devant lui. Non, il n’avait pas voulu jouer les gardes du corps pour protéger Adhara. Il avait demandé cela pour éviter d’avoir à tuer la famille d’Asha. Il se mordit la lèvre. Ce simple fait était déjà une trahison envers la rébellion.

— C’est étrange, on dirait que le feu de Maxima s’étend, commenta Adhara.

Elle fixait l’horizon allumé de flammes, loin devant elle. Ses sourcils blonds s’étaient rapprochés.

La princesse, entourée de sa garde, était condamnée à l’attente. Elle recevait des nouvelles du front et adaptait la tactique si besoin, mais son cheval semblait prendre racine, ce qui l’irritait au plus haut point. Lohan aussi avait le plus grand mal à rester en place. Surtout depuis que la douleur d’Asha cisaillait ses sens spirituels.

Il jeta un bref regard à son Sanctuaire.

 

La terre s’était ouverte en deux et ne cessait de trembler, le vent hurlait toujours, transportant des nuées de cendres congestionnées. Le soleil d’Asha était presque invisible dans la tourmente. Sa lumière pâle peinait à l’atteindre.

Lohan eut envie de marcher vers cette lueur incertaine mais il se contint. La Sylvienne n’avait rien à faire ici, il fallait qu’elle parte. Elle devait comprendre une bonne fois pour toute qu’il n’était pas son allié.

Soudain, le soleil s’éteignit. Le jeune homme sursauta. La lumière de l’astre clignota brièvement avant de se taire Une obscurité dense et douloureuse s’abattit sur son Sanctuaire. Il perçut une brisure, une déchirure en lui. Comme si on venait de le poignarder. Il n’eut pas besoin de plus pour comprendre.

 

Lohan ouvrit brusquement les yeux sur la forêt, d’épaisses gouttes de sueur dégringolaient de son visage. Sa respiration haletante soulevait son torse à un rythme effréné, augmentant la douleur.

Au même moment, un soldat à cheval arriva au grand galop, visiblement affolé.

— Madame, il faut retirer nos troupes ! s’écria-t-il.

— Et pourquoi donc ? siffla la princesse.

— Maxima le Brasier est décédée !

Le visage d’Adhara, d’ordinaire opalin, devint livide. Sa bouche s’entrouvrit dans un murmure inaudible. Lohan, lui, manqua de tomber de selle. Les pensées s’enchaînèrent sans qu’il ne puisse en tarir le flot.

Si Maxima était morte, l’incendie était incontrôlable. Si l’incendie était incontrôlable, Asha — ou plutôt son corps — risquait d’être consumée.

Lohan enfonça violemment ses talons dans les flancs de Nuit qui bondit en avant avec un hennissement de protestation.

— Où tu vas ?! lança Adhara. Eh ! Lohan !

Il l’entendit encore crier son nom, mais il était déjà loin. Courbé sur l’encolure de sa jument, il meurtrissait sauvagement sa lipe.

Maxima est morte, Maxima est morte, se répéta-t-il. Il s’en voulut de n’avoir pensé qu’à Asha. Le Brasier avait été l’une de ses plus proches amis. Il se rendit compte qu’il ne parvenait pas à palper la réalité de sa mort. Il sentit ses yeux le piquer malgré lui. Il souffla rageusement, ce n’était pas le moment d’être sentimental.

Le feu était proche, il l’arrosait de sa chaleur et de sa fumée. Lohan pressa encore Nuit qui slalomait entre les troncs au risque de se tordre une cheville. Il savait où aller. Il ne se l’expliquait pas, mais il le sentait.

Il caressa les flancs du brasier, sa jument était rendue nerveuse par la proximité de l’incendie. Les flammes pouvaient presque lui lécher la robe.

Enfin, Lohan aperçut le corps.

Enfin…

Il sauta de selle, et alors qu’il accourait, ses jambes cessèrent de le soutenir. Il tomba à genoux face au visage horrifié d’Asha. Tout autour, des traces de lutte. Et du sang, du sang partout. L’odeur ferreuse parvenait même à percer celle de la fumée. Asha était allongée sur le dos, sa cape noire cachait une partie des blessures, mais le constat était néanmoins terrible. Son torse n’était plus qu’un amas de chair retourné où ne substituait plus la moindre parcelle de peau intacte.

Le regard de la défunte était sans commune mesure. Ses prunelles vitreuses renvoyaient l’image d’une profonde trahison, d’un mal abyssal. Elles se jetèrent sur Lohan, l’agrippèrent, l’écorchèrent. Elles lui hurlaient sa faute. Comment, comment, comment, mais comment avait-il pu la laisser seule, la rejeter, l’abandonner ?

Lohan perdit conscience de son corps. Seule une sensation demeurait, celles des larmes brûlantes qui dévoraient ses joues. Il tendit des doigts tremblants vers Asha, effleura sa joue.

— Pardon… bégaya-t-il.

Il était vide, de force et de convictions. Il était creux et coupable.

Il fallut que Nuit lui donne un coup de tête pour le sortir de sa torpeur livide. Il lutta contre son corps pour se redresser et attraper celui d’Asha. Ce dernier n’était pas réellement froid, mais il lui sembla glacial et affreusement flasque. Il le chargea sur sa montre sans cesser de pleurer. Le feu les entourait, Nuit tournait en rond sans trouver d’ouverture. Lohan laissa une quinte de toux lui secouer la poitrine. Il lança un regard désespéré aux flammes cruelles qui rampaient vers eux.

Ils étaient pris au piège.

 

*

 

Assez.

Assez de larmes, assez de sang. Assez de cris, assez de lames.

Assez de peine, assez d’horreur. Assez d’injures, assez de haine.

Assez de la souffrance rance de ceux qui meurent, de l’exaltation aveugle de ceux qui blessent.

Assez, assez des pleurs d’enfants, des Lien tranchés, des familles déchirées.

Assez de l’héritage écarlate que l’on nous a légué.

Assez.

 

 

Moïa sentait contre son oreille les battements affolés du cœur de Kaëm. Comme tous les Teacs, il fuyait avec son petit groupe, avec pour mission supplémentaire de la porter. Depuis le début de la bataille, tous avaient perdu au moins un proche. Les visages étaient barbouillés de larmes, les yeux de tristesse et de peur. La douleur s’était faite plus grande encore quand une aurore surnaturelle était venue affiner leurs perceptions et leur donner de nouveaux pouvoirs qu’ils ne pouvaient pas utiliser. Ils étaient en effet bien trop loin pour venir en aide aux Hekaours. Ils subissaient en silence la rupture de trop nombreux Liens, s’éloignant d’une démarche douloureuse de leurs pairs qui périssaient. Kaëm tremblaient de tous ses membres, Moïa se sentait secouée comme des graines dans un toki-toki. Fiévreuse, elle n’avait pas moins conscience de sa tribu agonisante. Elle partageait un Lien puissant avec chacun de ses membres. Ce n’était pas des guerriers qui étaient en train de mourir. C’était ses enfants.

La vieille femme maudit les rebelles, ses ancêtres qui avaient établi ce monde injuste, et son corps affaibli qui l’empêchait d’être aux côtés des combattants. Mais ce qu’elle haïssait par-dessus tout était la haine elle-même. Ni les rebelles, ni ses ancêtres, ni son enveloppe décharnée ne valaient la peine qu’elle ressente ce qu’elle avait toujours détesté.

— Pose-moi par terre, s’il te plaît, souffla-t-elle à Kaëm de sa voix frêle.

Il s’immobilisa et la dévisagea, surpris.

— Mais enfin, nous sommes presque arrivés à la prairie, nous ferons une pause là-bas.

Ses yeux rougis mirent Moïa au supplice.

— Ce n’est pas une pause que je cherche. Pose-moi par terre.

— Tu ne peux pas tenir debout…

— Pose-moi par terre. S’il te plaît.

Le jeune homme obéit, inquiet. Les autres membres de la troupe s’arrêtèrent et se tournèrent vers eux. Bon nombre étaient des enfants qui, en larmes, se demandaient encore d’où leur venait cette douleur cuisante dans la poitrine.

Les pieds nus et squelettiques de Moïa palpèrent l’humus avec autant de plaisir que de difficulté. Ses jambes n’étaient plus que des bâton rachitiques qui tremblaient sans pouvoir soutenir son poids de plume. Elle s’appuya sur le bras de Kaëm avec une grimace. Elle se tourna vers la bataille, invisible dans la nuit mais éblouissante dans le Monde Invisible. L’aurore planait toujours au-dessus d’eux. Moïa n’avait jamais goûté au Silh avec autant de précision. Elle sentait qu’elle pouvait exécuter sans peine les enchantements les plus complexes et les plus puissants. Mais ce fut un sort d’un nouveau genre qui vint susurrer ses possibilités à son oreille.

Moïa inspira difficilement. Elle avait froid, si froid. Ses poumons la brûlaient, les vertiges l’enserraient.

Tout cela disparut en un instant.

Elle s’immergea pleinement dans le Monde Invisible. Elle se détacha presque totalement de son corps de chair, retenue par un filin spirituel qu’elle aurait pu effacer sans mal. Mais elle avait encore s’attacher à cette carcasse abîmée. Encore un peu.

On dirait que tu as besoin de moi, chantonna une voix mélodieuse.

Merci d’avoir répondu à mon appel, cher Esprit.

J’ai toujours été là, fit le totem. Tu ne t’en étais juste pas rendue compte.

Ce timbre doux, à la voix grave et aiguë à la fois, était à peine audible. Pourtant, la puissance qui en émanait était sans égale. Moïa n’avait jusqu’alors jamais véritablement cru à l’existence d’Esprits conscients. Elle se rendit compte qu’elle était infiniment soulagée de s’être trompée.

Tu n’es pas une vue de mon esprit malade, j’espère, plaisanta-t-elle.

— Ça, c’est à toi d’en décider.

Moïa chassa le doute qui lui venait et durcit sa détermination.

— Cher Esprit, j’ai besoin de ton aide, et cela avant que je ne meure.

— Mon aide, vraiment ? Pourtant tu as l’air de très bien te débrouiller toute seule.

-—Comment ça ?

L’Esprit sembla se rapprocher. Il formait une singularité indéfinissable dans le Silh.

— Tu n’as rien à me demander, Mosha. Fais-le simplement. Sache juste que tout a un prix.

La vieille femme comprit alors. Ses yeux laissèrent filer quelques larmes dans le monde tangible.

— Merci.

— Ne me remercie pas, s’il te plaît.

La présence étrange se fit plus grande, elle semblait danser en arabesques gracieuses et indolentes.

À tout à l’heure, souffla-t-elle.

La perception de l’Esprit se délita rapidement, comme de l’eau qui file entre les doigts. Néanmoins, une trace persistait. Moïa se saisit de cette empreinte, une nouvelle énergie l’embrasa. Sur son ventre fripé, la silhouette de la biche s’illumina et se détacha de la peau. Elle forma un spectre émeraude opalescent qui se mit à galoper sous les yeux effarés des autres Sylviens. Bien vite, la biche solitaire devint troupeau. Les silhouettes éthérées filèrent en direction de la bataille, laissant dans leur sillage une ondée sibylline.

Moïa projeta son regard dans le Silh. Les biches parvinrent vite sur les lieux des combats. Un grand incendie sévissait, ceux qui n’étaient pas déjà morts devaient affronter les flammes. La vieille femme serra les dents, elle concentra le Silh, déjà sous forme d’un énorme fleuve au courant puissant. Les cervidés se multiplièrent encore. Ils se séparèrent en deux groupes. Le plus grand alla affronter le brasier. Les biches se jetaient dans les flammes et les aspiraient dans le Silh, éteignant l’incendie dans le monde tangible. L’autre groupe se glissa auprès des Sylviens blessés. Les animaux spectraux effleurèrent de leurs naseaux les Hekaours qui guérirent presque instantanément de leurs blessures. Moïa voulut aussi soigner leurs ennemis, mais la pensée qu’ils puissent les attaquer de nouveau la retint. Ce choix creusa la tristesse de son cœur.

C’est bientôt fini, se promit-elle avec autant de soulagement que de terreur.

Les biches continuaient leur œuvre, repoussant le feu et la mort. L’Arsalaï rouvrit les yeux sur la forêt et le visage émerveillé de Kaëm.

— Tu es incroyable, Moïa.

Elle s’accorda un sourire.

— Venez, venez mes enfants. Faites-moi un câlin.

Intrigués mais reconnaissants, les membres présents se jetèrent dans ses bras. Elle aurait aimé étreindre toute sa tribu, mais elle manqua cruellement de temps. Ses petits esprits d’aurore avaient presque achevé leur labeur.

— Je vous aime, souffla la vieille femme.

Elle laissa son corps s’effondrer, triste de voir les visages soulagés se tordre en expressions atterrées. Ils secouaient sa carcasse vide, en larmes. Elle aurait voulu les rassurer, mais elle n’avait plus prise dans le monde tangible. Elle s’éloigna d’eux et leur vision se dissipa dans le Monde Invisible.

Elle poussa un profond soupire. Son âme avait naturellement pris la forme de son corps.

Elle avait envie de se laisser aller au Silh, mais elle n’en avait pas fini avec cette guerre.

Que fais-tu ? s’enquit son totem.

— Désolée, mais il faut régler ça.

Elle pointa l’incendie qui s’était transformé en esprit primitif et ravageur. Il dévorait et secouait tout le flux, mettant en danger les âmes de ses habitants.

Je vois, dit la Biche. C’est ton choix. Adieu, Mosha.

— Adieu. Et merci.

— Ne me remercie pas…

Le filet de voix de l’Esprit se dilua. Moïa bondit vers les flammes irréelles. Elle ouvrit les bras et étreignit le brasier. Elle absorba toute l’énergie furieuse qu’il contenait. Son âme fut embrasée et émiettée, mais la vieille femme ne s’arrêta pas.

Elle disparut, morceaux par morceaux, malgré la douleur infinie que lui causait cette nécrose intangible. Elle disparut, aucune trace ne subsista d’elle. Simplement une certitude.

Elle avait sauvé ses enfants.

 

*

 

Que c’était dur à dire. Que c’était humiliant. Adhara avait pourtant peaufiné son plan pendant plusieurs semaines pour en chasser toutes les imperfections. Mais elle avait échoué à prévoir ce qui allait arriver. Les pouvoirs soudains des Sylviens, la mort de Maxima, cet incendie que le vent poussait vers elle. Si elle ne voulait pas perdre toutes ses troupes, elle devait se retirer maintenant. C’était pourtant le moment où elle aurait eu besoin d’une victoire éclatante ! Il fallait absolument qu’elle affermisse son contrôle sur la Faction Argentée, elle devait briller pour l’Ogival.

— Madame ?

Le soldat attendait l’ordre, tendu à se rompre. Adhara ne daigna pas lui accorder un regard. Elle lança en direction du brasier toute la haine qu’elle était capable de ressentir — ce qui n’était pas peu dire. L’abandon brusque de Lohan n’avait rien arrangé. Il était de plus en plus étrange, il fallait qu’elle y remédie. Le désir d’émancipation qu’il manifestait était des plus irritants.

— Madame ? reprit le rebelle.

Elle manqua de lui brûler les yeux, mais se contint juste à temps. Elle n’allait pas abîmer un soldat de plus. Elle descella difficilement les lèvres. L’amertume de son orgueil blessé déborda dans son ton sans qu’elle ne puisse la retenir.

— Sonnez la retraite.

L’ordre fut bien vite reprit, il se dispersa, se répandit. Le cor résonna trois fois, annonçant aux oreilles les plus lointaines que l’assaut était abandonné. Adhara se mit à mordiller nerveusement son pouce déjà bien entamé. Le goût de son propre sang avait le don de l’apaiser.

Une fois sûre que son ordre était bien transmis et que ses troupes suivaient le schéma de retraite pré-établi, elle fit faire volte-face à son cheval. Pas question de rester une seconde de plus dans cette forêt miteuse.

 

 

L’armée rebelle se réunit aux abords de Beagal. Les pertes étaient nombreuses, mais bien moindre que ce à quoi s’attendait la princesse. En effet peu après son départ, l’incendie avait été éteint par les maléfices des Sylviens, évitant à leurs ennemis blessés quelques immolations. Compte tenu du coup qu’ils avaient portés aux démons, le bilan de la bataille n’était pas si négatif. Mais Adhara ne se contentait pas du médiocre. Elle se fichait des anonymes qui avaient péri par dizaines, ce qu’elle voyait, c’était la perte considérable que représentait Maxima. Sans compter que Lohan n’avait pas eu la délicatesse de reparaître depuis la veille. À croire qu’il était mort.

Conan aussi était porté disparu, mais finalement, ça arrangeait bien les affaires de la princesse. Elle n’aurait pas pu cacher très longtemps qu’il était à l’origine de l’attaque de la Cité des ombres, et alors, elle aurait dû l’écarteler en place publique. D’ordinaire, elle ne boudait pas ce genre d’évènement, mais tuer un jeune prometteur, quel gâchis. Une mort naturelle était préférable. Après tout, ce n’était pas pour rien qu’elle l’avait placé à l’avant-garde malgré son inexpérience.

— Allons-y, lança-t-elle à ses lieutenants qui transmirent l’ordre.

Elle talonna Prince. Elle allait tirer des conclusions de cette demi-victoire, de manière à ce que la prochaine fois qu’elle croiserait la route de ce peuple d’arriérés, elle puisse avoir le plaisir de tous les exterminer.

 

*

 

Un hennissement joyeux retentit, Lohan tourna la tête. Le cheval d’Asha rejoignit Nuit au galop. Il tendit des naseaux inquiets vers le corps de la jeune femme que l’Ombre maintenait contre son torse. Ce dernier avait décidé de s’éloigner vers les montagnes pour éviter toute rencontre fâcheuse.

La veille, alors que le jeune homme se croyait perdu, d’étranges créatures éthérées étaient venues le libérer des flammes. Il avait failli succomber à leurs émanations toxiques, ce n’était pas passé loin.

Un soleil timide se levait sur la forêt. Il caressait doucement les feuilles des arbres, révélant leur vert éclatant. Les oiseaux chantaient comme si la nuit précédente n’avait pas été une parade d’horreur. Lohan se sentit comme étranger dans ce monde paisible. Le pas de Nuit était nonchalant malgré sa croupe au poils roussis.

Asha remua contre Lohan. Aussitôt, le calme s’évanouit derrière les battements affolés de son cœur. La jeune femme ouvrit lentement les yeux. Ses joues avaient repris des couleurs, mais ses prunelles demeuraient vitreuses. Ses lèvres pâles ne s’ouvrirent pas, son regard alla simplement se perdre dans le ciel, y jetant une amertume qu’il ne lui connaissait pas.

Il n’osa pas rompre le silence de la Sylvienne, lui-même se sentait infiniment lourd. Elle demeura silencieuse, elle semblait encore morte. Le zénith vint les écraser de sa chaleur étouffante sans qu’elle n’esquisse un mouvement. Lohan fit faire une pause à la petite troupe. Flaé les suivait timidement, aussi silencieux que sa cavalière.

Ce ne fut que quand Lohan allongea Asha à terre qu’elle murmura quelque chose d’inaudible.

— Pardon ? fit-il, gêné.

— C’est Conan… répéta-t-elle un peu plus fort.

Ses yeux restaient verrouillés sur le ciel comme s’ils voulaient s’y noyer.

— C’est Conan qui m’a tuée.

Lohan se figea. Il la fixa sans savoir comment réagir.

— Tu avais raison, continua-t-elle d’une voix atone. Il a changé.

— Je… je suis désolé.

— Ce n’est pas ta faute.

— Si. Si c’est ma faute. Et je t’ai abandonné cette nuit. Je suis désolé.

— Ce n’est pas grave voyons…

Le visage d’Asha se tordit dans un rictus brouillé de larmes. Il comprit qu’elle avait voulu esquisser un sourire rassurant, mais pour une fois son masque s’était fissuré. Elle parut se rendre compte qu’elle ne faisait que grimacer car soudain, elle se brisa. Des sanglots jaillirent, de même qu’un flot de larmes irrépressibles. Elle s’agrippa à Lohan, le maintint dans un étau glacial. Il sentit les pleurs venir, il ne chercha pas à les retenir. Quelques larmes se faufilèrent sur ses joues, mais ce n’était rien comparé à l’océan que déversaient les yeux d’Asha. Ses lamentations se transformèrent en cris, en hurlements. Elle resta accrochée à lui, rugissant sa peine en une voix déchirée. Il l’étreignit comme il put, assailli de souffrance mais déterminé à ne pas fuir, cette fois. Asha se calma peu à peu, ses sanglots se turent à la nuit tombée.

Alors, le visage rouge et fripé, elle se lova au coin du feu que Lohan venait d’allumer. Flaé vint chercher des caresses qu’elle lui procura d’un air distrait.

Lohan lança son regard ardent dans les flammes. Il osa enfin dire que ce son cœur lui hurlait.

— Je vais quitter la rébellion.

Asha lui jeta un bref regard, son expression se durcit.

— Ne le fais pas.

— C’est ma décision, ce n’est pas à cause de toi.

— Je m’en fiche, ne le fais pas.

— Pas la peine de t’inquiéter je…

— J’ai besoin d’un allié dans le camp des rebelles.

Il sursauta, serra les dents. Elle se mit à le fixer de ses iris insondables.

— Je veux t’utiliser pour parvenir à mes fins, dit-elle d’une voix étrange.

— Ça ne te ressemble pas de dire ça.

— Peut-être.

Il resta silencieux, Asha reporta son regard sur son cheval.

— C’est d’accord, finit-il par déclarer. Mais uniquement parce que j’ai une dette envers toi.

Elle ne répondit pas. Il se sentit troublé devant cette froideur inhabituelle. Mais après tout, il la méritait.

— Où est Eryn, au fait ?

— Chez Clervie.

Il sursauta.

— PARDON ?

— Tu as très bien entendu.

— Mais c’est de la folie, enfin !

— On a beaucoup parlé, il s’est passé des choses. Je lui fais confiance.

— Mais… mais comment peux-tu ?! Tu fais trop confiance aux gens, Asha. À Clervie, même à moi… tu devrais t’éloigner de ceux qui t’ont fait du mal.

— Ça s’appelle fuir.

— Peu importe, tu mérites mieux que ça ! Pourquoi es-tu venir me voir, hier ?

— Parce que je te faisais confiance.

— Tu n’aurais pas dû.

— Peut-être.

Il laissa tomber ses mains sur ses genoux, rendant les armes.

— Comment peux-tu faire confiance à un type comme moi ? souffla-t-il.

— Parce que je t’aime.

Il sursauta de nouveau et leva des yeux ronds vers Asha. Elle lui accorda enfin un regard, accompagné d’un sourire livide.

— Je suis stupide, hein ? murmura-t-elle.

Lohan eut le plus grand mal à calmer le rythme effréné de son cœur. Il était brûlant.

— Pas autant que moi, finit-il par déclarer d’une voix chevrotante.

 

*

 

Conan se cacha dans les broussailles, tentant de respirer le plus silencieusement possible. Des cheveux bruns ébouriffés masquaient en partie son visage poupon et sale. Un sourire ingénu faisait remonter ses oreilles, il fouillait la forêt du regard dans l’espoir de repérer Asha.

— Je t’ai trouvé !

Conan sursauta violemment et fit volte-face vers la fillette.

— Mais comment t’as fait ?! s’exclama-t-il, à la fois admiratif et déçu.

— Ton odeur, lui confia la petite Asha avec un sourire.

— Mon odeur ? Je pus tant que ça ?

— Non, mais tu ne sens pas comme la forêt.

Il se renifla, circonspect.

— Si tu le dis…

Asha, l’adulte, émergea de la nuit sereine de son souvenir. Elle marcha droit sur le jeune Conan. Elle s’effondra face à lui et l’étreignit avec force. Des sanglots secouèrent sa poitrine, lourds, douloureux. Un vent irréel vint soulever ses cheveux noirs et effacer la vision du petit Conan et de son amie.

Asha broya l’herbe tendre de son Sanctuaire, l’inondant de larmes. Un silence pesant planait sur sa petite clairière où ne subsistait que six chats. Les étoiles paraissaient plus pâles que jamais.

 

 

 

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Guimauv_royale
Posté le 19/04/2022
Coquilles
- La lumière de l’astre clignota brièvement avant de se taire (.)
- Madame, il faut retirer notre troupes ! (Nos)
1-
- Il le chargea sur sa montre (monture ?) sans cesser de pleurer.
- Assez de l’héritage écarlate que l’on nous a légués. (Légué)
- Ses jambes n’était plus que des bâton(s)
- Elle s’immergea pleinement dans le Monde Invisibles. (Invisible)
- Mais elle avait (devait ?) encore s’attacher à cette carcasse abîmée.
- -—Comment ça ? (Y a un tiret en trop et un espace qui manque)
- Le pas de Nuit était nonchalant malgré sa croupe au (aux) poils roussis.
- Il osa enfin dire que ce (ce que) son cœur lui hurlait.
- Pourquoi es-tu venir (venue) me voir
2-
3-

Remarques
1- Il tendit des doigts tremblants vers Asha, effleura sa joue. (C’est bizarre soit “et effleura” soit “effleurant”)
2- — Peu importe, tu mérites mieux que ça ! Pourquoi es-tu venir me voir, hier ? (Le changement de sujet était un peu trop brutal)
3- Asha, l’adulte, émergea de la nuit sereine de son souvenir. Elle marcha droit sur le jeune Conan. Elle s’effondra face à lui et l’étreignit avec force. (Le repetition du “elle” est lourde j’aurais mis un. Truc comme “et s’effondra face à lui l’étreignant avec force” ou autre chose mais c’est bizarre sinon)
AudreyLys
Posté le 27/04/2022
Merci !
Alice_Lath
Posté le 12/08/2020
Aaaah, Adhara l'ambitieuse, comme toujours hein. Et j'ai hâte de voir la fin de ce premier tome de DE, en tout cas, le final était grandiose, un excellent moment, vraiment ! Cette bataille était superbe et la suite promet de l'être tout autant !
Y'a juste toujours le couple Lohan-Asha dont je suis pas fan, être unis par un viol, c'est vraiment pas mega mega cool comme début de relation et un peu dérangeant pour moi, mais après tout hein
Bwef, en tout cas, très très bon chapitre, jubilatoire à souhait, t'as géré! Puis le coup des Esprits, ayayaya, bien trouvé, puis la mort de Moïa en protégeant tous ses enfants jusqu'au bout, c'était juste du tonnerre, juste dingue
AudreyLys
Posté le 12/08/2020
T’es une Adhafan décidément x) En fait ce chapitre c’est la fin du tome, l’épilogue c’est autre chose.
Mais faut pas ramener leur relation à ça enfin x) forcément dit comme ça ça fait pas sain
Merciiii <3
Par contre pourquoi le coup des esprits c’est bien trouvé ? Je trouve ça nul moi x)
(*^▽^*)merciii
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