Samedi 12 Octobre

Par Aude JB

Ambre venait de passer les deux dernières heures à boire au rythme imposé par Anna et Mélis dans le but de la préparer à parler à Thomas. Malgré toute la nourriture qu’elle avait ingurgitée, elle se sentait de plus en plus nauséeuse. Elle avait demandé à plusieurs reprises aux filles de ralentir la cadence pour ne pas vomir. Toutes ces plaintes avaient été vaines et elle se retrouvait avec un énième verre de vodka pomme. Elles n’avaient pas revu Thomas depuis qu’il les avait quittés sur le toit. 

- Sérieux les filles arrêtez ! Je vais vomir si je continue comme ça.

A priori les filles faisaient semblant de ne pas l’entendre à cause de la musique. Mélis se mit à faire de grands gestes quand elle aperçut Thomas sortant de la cuisine. Ambre en profita pour poser son verre au milieu des milliers d'autres abandonnés sur une table basse. Elle se demanda comment Sophie allait faire pour nettoyer puis se rappela qu’avec toute la thune familiale, elle avait sûrement engagé des gens pour le faire pour elle. Sa tête et son estomac étaient en train de jouer à la toupie, elle avait juste envie de s’asseoir, de dormir, d’arrêter cette putain de musique et de s’entendre respirer. Mais à priori le sort en avait décidé autrement. Le DJ venait de lancer Pookie d’Aya Nakamura ce qui lui avait valu de se faire percer les tympans par ses deux amies. Elles avaient, en effet, réussi à sortir un son encore plus strident que la musique. Elle vit Mélis et Anna agripper Thomas et ses copains pour les faire danser avec elles. Ambre se sentait partir, mais n’avait même plus le courage de s’opposer aux filles et à ce connard de destin. Pourquoi était-elle encore là ? Pourquoi elle n’avait pas envoyé balader les filles ? Pourquoi ne voulait-elle pas les blesser ? Elles finiraient par l’abandonner de toute façon. Elle se sentit subitement tomber au ralenti, les yeux fermés, seulement bercer par la sensation de la chute. Elle était prête pour le choc comme si elle l’avait attendu toute sa vie. Mais rien ne vint, la douloureuse rencontre avec le sol ne se produisit jamais. À la place, elle sentit quelque chose de chaud et sentait bon. Extrêmement bon, comme Thomas. Elle voulait en profiter, se plonger dans ce parfum et en profiter jusqu’à la nuit des temps. Encore une fois Monsieur Destin avait d'autres projets pour elle. Elle se sentit soulever du sol pendant que le refrain cognait dans sa tête, Pookie faisant de douloureux rebonds dans son cerveau. Elle entrouvrit les yeux et vis Thomas qui la portait à moitié dans les escaliers. Elle avait vraiment parcouru tout ce chemin ? Pourquoi Thomas avait l’air si inquiet ? Le con ! Elle ne valait vraiment pas la peine qu’on s’inquiète pour elle. Il suffisait de la pousser dans un coin et de la récupérer avant de partir, et encore ! Elle sentit subitement un courant d’air frais sur son visage. 

 

Paris mon amour ! Elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Pourquoi Paris la rendait-elle si émotive ? Thomas la posa sur l’un des canapés et essuya ses larmes. Ambre avait l’impression qu’il était en train de lui parler. Est-ce qu’il pouvait fermer sa gueule ? Sa jolie petite gueule ! Elle avait besoin d’écouter Paris pas lui ! Il finit par se taire et s’asseoir à côté d’elle. Il avait simplement posé sa main sur la sienne et semblait attendre. Au bout de ce qui semblait être une éternité de nouvelles voix firent leur apparition. Ambre reconnu celle des filles au travers de son semi-coma. Ho et ça se mettait à gueuler ! Elle fit un effort surhumain pour comprendre le sujet de la dispute, mais au final la seule voix qu’elle arrivait à décrypter était celle de Thomas. 

- Bande de malades … lui avait fait boire quoi ?

Cris

- Mauvaises potes … Irresponsables

Cris

- Cassez-vous… M’occupe d’elle

Ambre voulait juste que les cris cessent, ils recouvraient le son de Paris. Elle rassembla le peu de force qui lui restait pour ouvrir les yeux. Les filles et le groupe de Thomas étaient là. Ils avaient l’air à la fois inquiets et énervés. Pourquoi ? Ils devraient être en train de profiter de la fête de l’autre connasse de Sophie ! Pourquoi elle détestait autant Sophie ? Elle devait se concentrer pour ne pas se laisser entraîner par le flot de ses pensées. Elle capta le regard de Mélis et baragouina un vague je vais bien, allez danser. Les cris reprirent de plus belle, mais cette fois ils semblaient lui être destinés. Elle en avait marre, pourquoi personne ne voulait fermer sa gueule. Elle se vit, plus qu’elle ne se sentit, se mettre debout et leur répliquer.

- Je vais bien, besoin d’être seule.

A priori cela avait réussi à convaincre tout le monde. Tout le monde sauf Thomas. Il la tira gentiment par le bras pour la faire s'asseoir et lui dit sur un ton sans appel.

- Je reste avoir toi, repose-toi un peu.

Il se décala et fit doucement glisser Ambre pour qu’elle s’allonge la tête sur ses genoux. 

- Essaye juste de pas vomir sur mon pantalon, il est neuf

Ils rirent silencieusement avant qu’Ambre ne s’endorme bercée par l’odeur de Thomas et sa main qu’il passait lentement dans ses cheveux. Une belle mort cette soirée. 

 

***

 

Ambre se réveilla une bonne heure plus tard la tête toujours posée sur les genoux de Thomas. Sa main était toujours sur ses cheveux, mais elle ne la berçait plus. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour faire le point, mais le monde s’obstinait à rester flou. Elle bougea doucement la tête pour regarder autour d’elle. Thomas avait les yeux rivés sur son téléphone et la soirée battait toujours son plein. Les mouvements d’Ambre lui firent lever les yeux de son téléphone.

- La Belle aux Bois Dormant est de retour.

Il avait un large sourire et il semblait soulagé. Elle voulut lui répondre, mais sa bouche était mille fois trop pâteuse. Thomas avait dû comprendre parce qu’il se mit à rire et l’aida à se relever avant de lui tendre une bouteille d’eau. 

- Sophie a insisté pour aller t’acheter une bouteille d’eau à l’épicerie. A priori le valet n’iras faire les courses que demain.

Ambre failli s’étouffer en avalant de travers. Elle gazouilla. 

- Me fais pas rire quand je bois

- Sorry

Il était tellement beau quand il souriait. Elle se sentit fondre de l’intérieur. Jamais elle ne mériterait un mec comme ça. 

- Il est quelle heure ? T’es resté avoir moi tout ce temps ?

Il checka rapidement son Apple Watch

- 3h20, t’a fait une bonne sieste. Et ouais ! T’es ma pote, je n’allais pas t’abandonner 

Ambre ne savait pas quoi répondre. La situation était encore plus difficile avec lui. Elle était prête à être manipulée et abandonnée par les filles, mais lui…. Cette idée était bien plus douloureuse. Peut-être parce qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de fantasmer sur une éventuelle idylle. Elle et lui main dans la main dans Paris, rendant jalouse toutes les filles de la promo. Mais dans ces fantasmes, Ambre était, bien évidemment, mince et belle. Un véritable top model. C’était impensable pour elle que Thomas puisse l’apprécier avec son physique actuel. Ce n’avait même jamais effleuré son esprit. 

- Tu me laisses un peu de temps pour reprendre mes esprits ?

Elle préférait mettre un terme à la conversation avant de rougir ou de dire quelque chose qu’elle pourrait regretter. Il se leva doucement avant de s’étirer un peu et de lui tendre ses lunettes.

- Ça marche, je vais en profiter pour aller aux toilettes et prendre de la bouffe, t’es toujours hyper pâle.

Elle lui sourit en retour et il s’éloigna. Elle sortit son téléphone de son soutien-gorge après avoir remis ses lunettes. Le monde devenait enfin net, pas trop tôt. Elle passa quelques minutes sur les réseaux avant de se tourner vers la vue. Elle inspira un plein poumon et vida sa tête pour se concentrer sur le paysage. Ses pensées divaguaient passant de la fac, aux filles à Thomas. Elle se parlait à voix haute comme à son habitude. Même si elle essayait de garder cette étrangeté pour chez elle. Quelqu’un toucha son épaule en plein milieu de sa déclaration d’amour imaginaire à Thomas. C’était sa spécialité. Inventer des scénarios pour tout et n’importe quoi. C’est uniquement dans ce genre de film qu’elle était capable d’exprimer sa véritable personnalité et ses sentiments. Malheureusement, la surprise ne l’avait pas empêché de finir sa phrase.

- Moi aussi je t’aime

Elle sursauta et se tourna vers la personne qui venait de la toucher. Évidemment, comme si tout n’était pas déjà assez compliqué, elle se trouva nez à nez avec Thomas une assiette en carton pleine de pizza. Il était définitivement surpris. Il se mit à rire puis rapidement son sourire s'évanouit devant le regard terrorisé et honteux d’Ambre. Elle tenta de se rattraper, mais n’arriva pas à articuler quelque chose d'intelligible. Thomas étant manifestement très mal à l’aise. Il hésita puis lui dit tout doucement, comme à un enfant qu’on ne veut pas brusquer.

- Désolée Ambre, je t’aime beaucoup 

Il hésita avant d’oser finir sa phrase.

- Mais pas comme ça

Ambre se détesta avec une violence assez rare même pour elle. Si elle avait pu se hara-kiri elle l’aurait fait sans hésitation. Elle avait chaud, elle avait peur, elle avait envie de pleurer. Il n’y avait pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que Thomas était tout sauf heureux de cette nouvelle. Il commençait à avoir pitié d’elle. Tout, mais pas ça, Ambre ne se sentait pas capable d’accepter sa pitié. Tout le monde, mais pas lui. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir ce regard et hocha mollement la tête. Elle le vit s'asseoir à côté d’elle.

- Je … Heu … Je te considère juste comme une amie.

Ambre osa enfin lever les yeux vers lui. Elle n’aurait jamais dû ! Elle ne voyait que de la peine et une forme de pitié dans les yeux de Thomas. Les larmes se mirent à couler sans qu’elle ne puisse rien y faire. Elle ne voulait pas pleurer, mais les larmes continuaient à couler comme animé par une volonté propre. Elle voulut baisser les yeux pour échapper à son regard, mais Thomas l’attrapa par la main. 

- Je suis vraiment désolée, Ambre, je voulais pas te blesser

Comment ? Comment osait-il ? Comment osait-il la regarder comme ça ? Faire semblant d’éprouver de la peine pour elle ? La toucher après lui avoir brisé le cœur ? Elle aurait sans doute eu moins mal s’il s’était contenté de rire et de l’envoyer dans les roses. Mais là ! Il avait pitié d’elle. Pitié de cette pauvre forme de vie sans intérêt. Elle se sentit bouillir, elle voulait qu’il la lâche, qu’il arrête de faire semblant. Elle avait l’impression de prendre feu, littéralement. Si elle avait pu le marquer au fer chaud pour qu’il n’oublie jamais la douleur qu’elle pouvait ressentir à cet instant, celle qu’il était en train de lui infliger. 

- Putain ! 

Thomas avait retiré sa main d’un coup et était en train de fixer sa paume.

- Mais qu’est-ce que tu m’as fait ?

Il avait l’air complètement paniqué. Ambre commençait à être perdue. Elle n’avait rien fait, c’est lui qui était en train de la faire souffrir. Il lui mit subitement la paume de sa main sous le nez et balbutia.

- Comment ? … Pourquoi ?

Ambre eu un choc. La paume de Thomas avait brûlé, mais pas de façon homogène ou naturelle. La brûlure dessinait le prénom d’Ambre. La plaie n’était pas belle à voir et suintait. Elle se mit à paniquer. Elle n’avait pas pu faire ça. C’était tout simplement impossible. Et comment ? Par magie ? Ridicule. Elle était en train de se noyer dans ses pensées. Il fallait fuir, vite, loin. Comme elle l’avait fait avec la femme en seconde peau grise. Elle se leva précipitamment et faillit perdre ses lunettes. Elle vérifia rapidement si elle avait son téléphone et son mini sac contenant sa Navigo et ses clefs. Comment avait-elle fait pour ne pas le perdre et le garder à l’épaule ? Elle se ressaisit, ce n’était vraiment pas le moment de penser à ça. 

- Désolé Thomas… Je dois y aller.

Elle partit sans attendre de réponse. Cet événement l’avait fait dessoûler d’un coup et elle commençait à réfléchir de façon rationnelle. Plus de métros donc il fallait prendre un Uber. Le commander dans la cage d’escalier et pas dehors. Envoyer un message aux filles après avoir commandé le Uber. Elle entendit Thomas l’appeler au moment où elle s’engouffrait dans les escaliers. Elle accéléra la cadence dans le couloir aux boules lumineuses et poussa toutes les personnes qu’elle croisa dans le deuxième escalier. Elle voulait à tout prix éviter qu’il ne la rattrape. Fuir, fuir, fuir. Elle prit le temps de reprendre son souffle une fois la porte de l’appartement claquée derrière elle. Elle ne s’accorda que deux secondes avant de dévaler les escaliers en courant. Elle faillit se tordre la cheville à cause des talons, mais ne voulait pas prendre le risque d’être rattrapé parce qu’elle avait voulu enlever ses chaussures. Une fois un bas de l’immeuble, elle allait sortir son téléphone pour commander son Uber quand elle entendit Thomas crier en haut des escaliers

- Putain Ambre ! Reviens !

Elle aurait tout donné pour se télétransporter chez elle, loin de lui, de cette soirée. L’alcool avait décidé que c’était le bon moment pour commencer à dangereusement remonter. Elle se sentait mal, acculée comme une proie. Elle ne voulait pas affronter Thomas ou la marque sur sa main. Dieu si tu existes, c’est maintenant ou jamais. Elle l’entendit descendre les escaliers à toute vitesse. Elle se sentait traquée, c’était devenue une question de vie ou de mort. En une fraction de seconde, elle décida qu’il valait mieux être dehors seule dans le froid, sans sa veste qu’elle avait bien évidemment oublié là-haut, plutôt que de laisser Thomas l’attraper. Elle voulait être chez elle, dans sa chambre, nue devant sa fenêtre, enroulée dans sa couverture un pot de glace dans les mains. Elle tira de toutes ses forces sur le battant de la double porte cochère et s’engouffra dans la rue.

 

***

 

Elle s’attendait à atterrir dans la froide nuit parisienne, mais au lieu de ça elle se trouvait devant une porte dans une cage d’escalier. Il lui fallut plusieurs secondes et battement de paupière circonspect pour qu’elle réalise qu’elle était devant la porte de son appartement. Comment ? L’alcool n’avait pas pu lui faire oublier le trajet ? Ça n’avait aucun sens ? La nausée la ramena à la véritable urgence. Rentrer chez elle et aller discuter avec les toilettes. Sa mère avait le sommeil très lourd. Elle ne prit donc aucune précaution en rentrant dans l’appartement. Elle ferma la porte à double tour, retira ses chaussures avec soulagement, posa son sac et se dirigea aux toilettes, son téléphone toujours dans la main. Elle se fit vomir en enfonçant deux de ses doigts dans sa bouche. Elle n’avait pas de temps à perdre ce soir pour attendre que tout cela se fasse naturellement. Elle passa ensuite dans la salle de bain pour se démaquiller, se doucher et se brosser les dents. L’écran de son téléphone n’arrêtait pas de s’allumer. Anna, Mélis et Thomas l’appelaient à tour de rôle. Elle ne leur répondu qu’une fois dans sa chambre et par message. Elle leur envoya un message groupé « Je vais bien, je suis chez moi, je vais dormir ». Elle envoya également une photo de son réveil affichant la date et l’heure. Elle connaissait assez Mélis pour savoir qu’elle allait vouloir une preuve. Et les filles s’étaient largement foutues de sa gueule quelques heures plus tôt en voyant son réveil Lilo & Stitch. Elle mit son téléphone en ne pas déranger et le mit à charger. Elle n’avait plus envie de sa glace. Son estomac lui faisait payer ses excès et elle était bien trop fatiguée. Elle se glissa nue sous sa couette et s'endormit instantanément. Elle se mit à rêver qu’elle brûlait au fer toutes les personnes dont elle était capable de se souvenir du nom et du visage. Elle passait d’une époque à une autre en traversant des portes cochères, son fer toujours brûlant en main.

 

***


Ambre se réveilla aux alentours de 13h la tête toujours dans le brouillard. Elle décida qu’elle n’avait pas envie de penser aux événements de la vieille, mais de passer la journée au lit. Elle alla récupérer une boite de céréales dans la cuisine avant de retourner dans son lit pour les manger à la même la boîte en regardant pour la millième fois New Girls entre deux siestes. Elle ignora tous les messages ou les appels qu’elle pouvait recevoir et avait même fini par aller poser son téléphone sur son bureau. Elle se décida à éteindre sa télé vers minuit pour aller se coucher. Cette fois-ci, elle ne rêva de rien et c’était un réel soulagement.

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