Partie six

*

En début de soirée, il y a seulement quelques heures, nous étions tous les trois ici, près de l'âtre. Oswald dépeçait les louveteaux après leur avoir tranché la tête. Vous l'avez encouragé : « Voilà de beaux trophées à rajouter pour notre tableau de chasse ! » Moi, je n'ai pas pu regarder. Tout ce sang, tout ce sang... Toute cette histoire me rendait malade !

Une fois la tête du louveteau accroché au mur, Oswald a nettoyé la table et nous avons dîné. Mon frère et vous, vous auriez dû vous réjouir ! Mais aucun d'entre vous n'a prononcé un mot. Je vous mettais mal à l'aise, n'est-ce pas ? Je n'ai rien mangé, je n'ai rien bu, mais mon regard désapprobateur s'est posé sur les nouvelles petites fourrures d'Oswald. Je sais, père, vous l'avez senti.

J'ai attendu, attendu que mon attitude vous devienne insoutenable. Puis ma voix a brisé le silence comme une pioche se plantant dans la glace :

« Tu n'aurais pas dû les tuer.

— Mais enfin, Isenwald, qu'est-ce que tu racontes ? Tu as vu les empreintes comme nous, non ?

— Elles étaient fausses, père.

— C'est absurde, petit frère ! Insinuerais-tu qu'elles ont été dessinées par l'un des nôtres ? Nous connaissons tout le monde, ici, alors dis-moi : selon toi, qui aurait les tripes pour commettre ces crimes, hein ? »

Silence. Je me suis de nouveau mordu, apportant à cette conversation un goût de rouille.

« Ce sont les loups qui ont fait le coup. » a répété Oswald.

Alors, comme pour illustrer ses propos, un hurlement déchirant a percé le silence de la nuit. Un hurlement de désespoir...

Oswald s'est redressé, alerte.

« Si on a tué les louveteaux, il reste forcément leurs parents ! »

J'ai frissonné.

La louve !

*

Oswald, après s'être saisi de son fusil, a claqué la porte derrière lui. Moi, je me suis enfermé dans la bibliothèque et j'ai fait les cents pas. Sur la grande table, le livre de l'aïeul était toujours ouvert sur le croquis de Fenrir. Je m'arrêtais de temps en temps pour le regarder, mais l'agitation me faisait reprendre la marche. Je m'arrachais les ongles en même temps que mon esprit galopait pour remettre en place les dernières pièces du puzzle.

Nous avions trois meurtres, père, trois meurtres où l'on a retrouvé les corps dans des situations similaires. Pourtant, les marques de morsures étaient différentes d'un cadavre à un autre. Quand on a découvert le corps de Jonna, il y avait des empreintes de loup à l'orée de la forêt, mais pas près de la dépouille. Le problème, c'est que trop de villageois s'agitait autours de la scène de crime ce jour-là, donc difficile de trouver et de préserver des indices. Pour Hallgrim, le contexte était encore différent : une morsure béante sur lui et sur sa brebis. Mais pas sûr, ici, que l'on ait affaire à un homme ou à un animal de la forêt. Seul un monstre, seule une créature comme Fenrir aurait pu faire autant de dégâts... Et puis il y a le corps de Leiv, trouvé ce matin. Ces petites morsures n'avaient rien à voir avec les traces retrouvées sur les deux autres. Et puis les empreintes... Quelle supercherie ridicule !

Tout cela est tellement confus père... Des meurtres qui se ressemblent, mais qui diffèrent. Des meurtres qui semblent réalisés par des loups, mais qui portent des traces d'imitation... Voilà les seules conclusions que je pouvais en tirer. Homme, bête ou monstre ? Pourquoi est-ce si difficile de les distinguer ?

Je me suis figé. Dans tous les cas, que le tueur soit homme, bête ou monstre, Oswald est en danger. Et il est parti seul, sans demander de l'aide, se croyant tout puissant. Et la louve... Aucun doute qu'il parviendrait à la tuer, s'il la trouvait.

Je me suis souvenu de son amour pour ses petits, de son regard implorant, à la clairière, de ce qu'elle cherchait à me dire.

Je devais empêcher ça, père, il le fallait !

Alors je suis sorti de la bibliothèque, j'ai pris mon manteau et un couteau, et j'ai quitté le manoir sous vos yeux consternés. Vous m'avez appelé, père, vous m'avez ordonné de rester, mais je ne vous ai pas écouté.

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Pouiny
Posté le 22/06/2023
Oulah, ça va mal finir. Depuis le début je me dis que le véritable meurtrier est Oswald pour une raison ou pour une autre, car sa lubie sur le fait que ce soit les loups au point d'embrigader tout le monde le rend suspicieux. Et puis il y a toujours le passage où il était couvert de boue de façon inhabituelle... Je garde l'idée dans un coin de ma tete mais je ne suis pas convaincue. J'espère que la louve ne sera pas tuée en tout cas ...
Nathalie
Posté le 24/01/2023
Bonjour M. de Mont-Tombe

Vous arrivez très bien à faire monter le drama. Vous parvenez à nous prendre aux tripes. Bravo !

Pas de correction. Soit il n'y en a pas. Soit j'étais trop accaparée par le texte pour les repérer !
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