Chapitre 9 : Le guide

Après avoir mangé, Lucy avait décidé de se coucher. Elle voulait retourner au refuge, mais savait qu’elle se perdrait avant d’avoir parcouru la moitié du chemin. Et puis elle ne voulait pas non plus laisser Ajaruk seul.

- Je vais te mener à la Maät, avait-il dit. Près d’elle, tu seras en sécurité.

La jeune fille avait baissé la tête. Elle ne voulait pas.

- Qu’est-ce que la Maät ? avait-elle demandé.

- Une femme qui possède tous les totems.

- C’est… c’est à dire ?

- Tu devrais dormir maintenant. Je monte la garde.

Elle avait compris qu’elle n’en tirerait rien de plus et s’était emmitouflée, résignée, dans son épaisse couverture en peau de phoque. Elle avait vite sombré dans le sommeil.

 

Elle se réveilla doucement, bercée par le crépitement du feu. Lorsqu’elle leva les yeux vers Ajaruk, elle vit que celui-ci s’était assoupi contre son ourse, également endormie. Elle sut tout de suite que quelque chose clochait, car jamais il n’aurait cédé à la fatigue en étant de garde.

Elle sursauta en entendant un frémissement derrière elle. Elle fit volte-face, le coeur battant la chamade.

Une jeune femme apparut face à elle. Vêtue d’une simple robe bleu ciel, ses cheveux étaient noués avec divers rubans colorés, qui laissaient s’échapper dans un complet désordre la majorité de sa chevelure de jais. Ses yeux d’un bleu profond, à la fois clair et sombre, la dévisageaient avec douceur.

- Tu es… Katharina ? murmura Lucy, figée de stupeur.

L’apparition eut un grand sourire.

- Enchantée, Lucy ! s’exclama-t-elle.

La pâleur de son visage angélique était seulement troublée par un grain de beauté sur la pommette gauche.

- Mais… tu es vivante ?

Le rire de Katharina s’éleva, pareil à un joyeux carillon.

- Bien sûr que non, tu es en train de rêver.

Elle glissa vers Ajaruk, aussi légère qu’un souffle d’air. Elle s’agenouilla près de lui et caressa avec une tendresse infinie sa joue anguleuse.

- Il est mignon, tu ne trouve pas ? dit-elle. Quand il est éveillé il parait si sévère, mais quand il dort… on dirait un enfant.

Elle déposa un baiser sur les lèvres de l’indien, et celui-ci sourit imperceptiblement.

- Bien ! s’exclama-t-elle en se redressant subitement. J’aimerais te poser une question, White Lucy. Veux-tu suivre Ajaruk et rejoindre la Maät, ou retourner au refuge ?

La jeune fille, interdite, hésita.

- Je… je ne veux pas laisser Ajaruk seul… mais… mais j’aimerais revenir auprès de Martha et des autres.

- Bien ! Dans ce cas, je vais t’aider.

- Co… comment ça ?

- Si tu veux retrouver Martha, suis le loup.

- Mais… quel loup ?

- Celui que tu verras demain. C’est une louve, en fait. Enfin, peu importe. Suis la et elle te mènera aux explorateurs.

La jeune femme sibylline se pencha sur Lucy pour lui déposer un baiser sur le front.

- Bonne chance, souffla-t-elle.

- Non, attend Katharina…

Mais elle sentit le doux engourdissement du sommeil la gagner, et elle sombra dans l’inconscience.

 

Lorsqu’elle se réveilla réellement, Ajaruk fixait les flammes en silence.

La jeune fille fut tentée de lui raconter son rêve, mais n’en fit rien.

- Tu veux que je te remplace ? proposa-t-elle. Tu devrais te reposer toi aussi.

L’indien pivota lentement la tête vers elle, sans répondre.

- Je ne vais pas m’enfuir, ne t’inquiète pas, fit Lucy. Je ne sais même pas où aller.

Il parut réfléchir et finit par hocher raidement la tête.

La jeune fille s’assit près du feu qui lui rappelait tant le refuge. Lorsqu’elle tourna de nouveau la tête vers son compagnon, ses yeux fermés et son immobilité lui firent penser à une statue de bronze.

 

L’aube commençait à poindre lorsqu’il se réveilla.

- Mettons-nous en route, dit-il. Nous allons profiter des trois heures de jours pour avancer au maximum, après il nous faudra continuer dans l’obscurité.

La jeune fille hocha la tête, l’esprit occupé par l’étrange rêve qu’elle avait fait. Elle devait suivre le loup. Et si cela n’avait été qu’un rêve ? C’était bien plus probable. Pourtant, quelque chose lui disait que ce qu’elle avait vu était bien le fantôme de Katharina.

Suivre un loup…

L’image de Wolfheim emporté par ces fauves la fit serrer les dents. S’allier à ces créatures lui semblait être une trahison.

Si je vois un loup, c’est que ce n’était pas un rêve. Espérons que ce ne soit pas une coïncidence en tout cas.

 

Lucy et Ajaruk avançaient derrière Oka, qui aplanissait de ses énormes pattes la neige pour rendre le chemin plus praticable. La manteau blanc scintillait sous les rayons du soleil, et la nature était plongée dans un silence ponctué par moment d’infimes frémissements.

- Ajaruk… est-ce que je peux te poser une question ? demanda timidement la jeune fille.

Il tourna vers elle un visage sévère, elle eut l’impression d’être coupable de quelque chose.

- Oui ? fit-il d’une voix sèche.

Elle prit son courage à deux mains.

- Comment… comment as-tu rencontré Oka ?

La mâchoire de son interlocuteur sembla se crisper. Il la transperça son regard d’acier.

- Pourquoi veux-tu savoir cela ? s’enquit d’une voix plus dure.

- Je… je ne sais pas… parce que ça m’intrigue… pour faire la conversation…

Oka tourna la tête vers les deux humains et souffla bruyamment.

Ajaruk soupira.

- Puisque tu es d’accord…

Il planta son regard métallique dans celui de Lucy.

- Je l’ai rencontrée alors que j’étais âgé de onze ans. Depuis une semaine, je préparais la nuit, en cachette, un cadeau pour la cérémonie de passage à l’âge adulte mon frère aîné. Je m’étais construit un abris dans la forêt bordant le campement, car c’était l’automne et il faisait déjà froid. Une nuit, je me suis endormi en accomplissant mon travail, trop fatigué par ma journée. J’ai été réveillé par un grondement et une forte odeur de fumée. J’ai vu de la lumière rouge au travers des arbres, j’ai entendu des cris. Je me suis précipité à la lisière du bois. J’ai alors vu mon village en feu, et les membres d’une autre tribu assassiner les miens. J’étais terrorisé, alors je n’ai pas bougé. Ce n’est que lorsque j’ai vu la silhouette de ma mère se faire transpercer que j’ai réagi. Du coin de l’œil j’ai vu des survivants s’enfuir vers la forêt, plus à l’est. J’ai tenté de les rejoindre, mais je ne les ai pas trouvés. Je me suis effondré au creux des racines d’un sapin, en larmes. Je ne sais pas si je m’étais évanoui ou endormi, mais quand je me suis réveillé, une douce chaleur m’enveloppait.

Ajaruk marqua une pause. Il marchait en fixant un point invisible en face de lui, les sourcils si froncés qu’ils semblaient de rejoindre sur son front.

- J’étais blotti contre Oka. J’aurais dû avoir peur, mais quand j’ai croisé son regard, j’ai su qu’elle ne me voulait aucun mal. J’ai su qu’elle avait perdu elle-aussi des êtres chers. J’ai su que je pouvais avoir en elle une totale confiance. Voilà.

Lucy baissa la tête, il semblait contrarié.

- Merci de m’avoir répondu… et désolée de t’avoir posé la question. Tou… toutes mes condoléances pour ta famille, même si je sais que c’est un peu tard…

- Ne t’excuse pas, dit-il. Si je te l’ai racontée, c’est que je le voulais bien.

Oka s’immobilisa soudain, et il faillit heurter son imposant postérieur.

L’ourse se mit à gronder. Elle se dressa sur ses pattes arrières, du haut de ses neuf pieds, pour renifler l’air.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Lucy.

L’anima gronda encore une fois et se remit sur ses quatre pattes.

- Elle sent des loups, fit Ajaruk.

Le rythme du cœur de Lucy s’accéléra. Elle se mit à scruter le couvert des arbres. Lorsqu’elle vit une ombre agile se glisser entre deux sapins, elle cria.

Ajaruk la poussa entre lui et Oka et sortit son arc.

Des silhouettes nébuleuses évoluaient à l’ombre des sapins. Elles s’approchaient doucement, presque timidement, effectuant de grand cercle autour du petit groupe.

Oka rugit en guise d’avertissement, le pelage hérissé.

Mais les loups se rapprochaient. Ils finirent par revêtir des contours bien nets. Leurs yeux clairs fixés sur leurs proies, ils attendaient, à l’abris des sapins, de passer à l’action.

Lucy, perdue, se demandait quel loup elle devait suivre. Elle doutait de plus en plus. Après tout, étant donné l’immensité du territoire de ces animaux, il y avait fort à parier qu’il s’agissait des mêmes que ceux qui avaient tué Wolfheim.

- Ohé !

La jeune fille entendit cette voix lointaine l’appeler, tel un écho à peine audible. L’espace d’un instant, elle crut apercevoir du coin de l’œil une silhouette humaine agiter les bras. Mais à la place se tenait un loup, dressé au sommet d’une bute un peu plus loin. Il la fixait intensément de ses yeux argentés, elle fut certaine que c’était lui, son guide.

Elle serra les poings, le menton tremblant, et décida de tenter le tout pour le tout. Elle s’élança vers l’animal, esquivant le bras surpris d’Ajaruk qui tenta de la rattraper.

- Lucy !

Mais un aboiement furieux le retint. Les loups avaient jailli du couvert des arbres pour l’encercler, lui et Oka. Grondant et montrant les crocs, ils l’empêchait de retenir la jeune fille qui fonçait tête baissée vers la bute.

- Lucy ! Qu’est-ce que tu fais ?!

Oka se mit debout et rugit en fouettant l’air de ses énormes pattes griffues. Mais la meute ne se laissa pas intimider, resserrant son étreinte autour du duo, sans pour autant attaquer.

Lucy gravit la pente enneigée avec difficulté et arriva face au loup. Celui-ci hocha la tête comme pour la saluer. Il reporta son regard sur sa meute. L’indien, tout en menaçant quelques fauves de son arc, avait observé toute la scène. La jeune fille se tourna vers lui, essayant de lui faire comprendre d’un simple regard ce qu’elle était en train de faire.

Il comprit et abaissa légèrement son arme, comme s’il avait reçut un coup invisible. Les loups autour de lui grognaient mais ne faisaient pas un geste vers lui. Oka aussi sembla comprendre.

Ajaruk fixait Lucy, et dans ses yeux la dureté avait disparu.

Puisque tu y tiens tant, sembla-t-il dire.

Il se détourna d’elle avec amertume pour scruter cette fois le loup. Ce qu’il trouva dans les iris de l’animal sembla le bouleverser.  Son arc lui échappa des mains, il baissa la tête.

Un instant passa.

Lorsqu’il la releva, ce fut pour crier à Lucy :

- Au revoir !

Elle eut un sourire incertain.

- Au revoir !

Le loup fit volte-face pour s’enfoncer dans les bois. La jeune fille le suivit en courant, espérant qu’un jour elle reverrait l’indien et son ourse.

 

 

 

 

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Helios Croc
Posté le 20/12/2019
Joli chapitre !! C’est un loup ou une louve qui guide ?dans le rêve c’est une et après c’est un ;)
Je trouve qu’elle se jette un peu aisément dans la gueule du loup mais ça peut faire partie du mystère.
AudreyLys
Posté le 21/12/2019
Merci ! C’est une mais Lucy ne fait pas vraiment la différence ^^
Oui, c’est une décision un peu rapide ^^’
Sorryf
Posté le 27/02/2019
J'aime beaucoup ce chapitre ! Katarina a trop la classe dans le rêve !
 
 
Ajaruk... bb... viens me faire un calin :-(
deux petits détails sans importance à quoi j'ai pensé :
 
 
- Aja-choupi qui prépare un cadeau d'anniversaire pour son grand-frère : ce serait le bon moment pour mettre un peu d'exotisme en remplaçant l'anniversaire par une cérémonie indienne, genre passage à l'age adulte, initiation shamanique, je sais pas, je connais rien du tout aux moeurs amérindiennes, mais "anniversaire" ça m'a paru trop occidental, peut-être à tort.
  
 
- Si Aja-love avait 11 ans, Oka devait être tout bébé ! Donc c'est elle qui devrait se blottir contre lui et pas l'inverse <3
 
 
Et je termine sur un truc qui me dérange un peu : pourquoi Ajaruk ne mène pas Klein a la Maat ? Pouruqoi n'y emmener que Lucy ? Je pensais que meme Ajaruk galérerait a la trouver, mais en fait pas du tout, donc il refusait volontairement d'y guider l'expédition ??? 
 
 
Tu connais mon amour pour Aja (je parle que de lui dans ce com, lol)... pourtant je suis contente que Lucy soit retournée avec la team ! yeah o/ !
<br />
AudreyLys
Posté le 27/02/2019
Je suis conte qu'il t'ai plu^^
 -Oui j'y ai pensé moi-aussi. Je vais mettre une cérémonie de passage à l'âge adulte, puisque c'est le genre de truc commun à à peu près toutes les cultures tribales
-Alors, non, Oka était déjà adulte. C'est juste que maintenant elle est un peu vieille, mais les ours polaires peuvent vivre jusqu'à trente ans. À cette époque, elle venait de perdre ses oursons
Il le dit dans le chapitre précédent, il a appris les projets de Klein pour la Maät, et c'est pour ça qu'il a quitté l'expédition. Donc, oui c'était volontaire.
Si je connais ton amour Ajaruk ? Hum... "bb" "Aja-choupi" "Aja-love".... Nan. Connais pas. T'es contente même si on revoit plus Ajaruk après ?  
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