Chapitre 5

Par Alexis

« Le peuple a besoin de héros, de personnes sacrifiant leur vie pour les sauver. »

    - Jegan Balrug, fondateur de l’Ordre Blanc

Balan considérait l’Ordre Blanc comme des héros et après chaque bataille, le peuple acclamait ses héros. Au fil des années, les monstres se faisaient moins nombreux pourtant, Trevor et ses hommes reçurent autant de fleurs que leurs prédécesseurs. Dès qu’ils eurent franchi les portes de la ville, une foule d’une vingtaine de personnes les accueillit. Des sifflements et des cris résonnèrent dans toute la ville et des gardes durent escorter l’Ordre.

Trevor ouvrait la marche et prenait soin de saluer chaque groupe. Derrière lui, Jorgen rit aux sifflements de quelques dames.

— Remettez votre casque, capitaine ou vous allez attirer toutes les femmes de Balan.

Trevor éclata de rire. Trevor était d’une nature souriante et le sourire qu’il ne cessait d’arborer était des plus charismatiques. Cet homme à la mâchoire carrée et aux yeux d’un brun des plus clair était très souvent admiré. Depuis son enfance, la même coiffe brune ornait sa tête. Et même après quarante-six hivers, il n’eut aucune ride, pour son plus grand bonheur.

Ses hommes aimaient le charrier sur son physique attirant. Seul Olric, perdu dans ses pensées, ne rit pas. Les curieux voulaient fêter leur victoire mais aucun ne se souciait de la perte de Wyatt. Le jeune soldat soupira.

— Profite, lui dit Jorgen. Wyatt aurait voulu qu’on fête cette victoire.

— Je sais, souffla Olric. Mais c’est dur…

— C’est aussi dur pour nous, petit.

Jorgen préféra cacher sa peine ; la ville était heureuse alors il partagea cette joie. Bien que plus jeune que son capitaine, Jorgen semblait plus âgé. Les années passées dans une forge ridèrent son visage sans oublier de muscler son corps. Ses bras et ses jambes étaient plus épais que n’importe quel soldat : malgré sa petite taille, il imposait le respect.

— Papa !

Jorgen se tourna vers un petit garçon aussi roux que lui et lui sourit. Brom, son fils, n’était âgé que de six ans et déjà il l’admirait. Jorgen lui ébouriffa les cheveux alors que Brom s’était jeté dans ses bras.

— Où est ta mère ? Me dis pas que t’es venu seul ?

Il chercha sa femme du regard sans la voir avant de lâcher une série de jurons. Olric, amusé, ne put s’empêcher de rire. Il observa le père et le fils. Brom avait un visage plus rond et des yeux plus clairs.

— Je peux venir avec toi ? demanda Brom.

— Viens mais faudra que je te ramène.

Sur leur chemin, la foule devenait plus petite. Les acclamations et applaudissements se calmèrent et Olric repensa à Wyatt. Il renifla. Leur victoire avait un prix : une vie. Nul ne pensait à mal en célébrant leur retour mais Olric ne parvenait pas à sourire.

— Messires ! appela soudainement un tavernier barbu. Venez quand vous le voudrez, la première hydromel sera gratuite pour vous !

— Nous viendrons ! lança Trevor.

Trevor lui sourit puis détourna la tête. Derrière se sourire se cachaient diverses préoccupations. Des pensées qui lui glaçaient le sang. Depuis des mois, ils chassaient des criminels et non des monstres. Ceux-ci disparaissaient petit à petit et il n’avait pas vu de basilic depuis des années. Et aujourd’hui, il en affrontait un mais ce n’était pas tout : il avait reçu des missives d’autres membres de l’Ordre. Des monstres revenaient aux quatre coins du pays. Cette nouvelle le fit frémir.

— Capitaine ?

Songeur, il n’avait pas entendu Olric. Il le sortit bien vite de ses pensées.

— Tout va bien ?

— Oui, je devrai vous parler une fois rentrés.

Son visage fermé contrastait parfaitement avec la joie qui inondait les rues. Olric ne voyait que bonne humeur dans les regards des habitants. Pourtant, son capitaine n’avait rien d’heureux et ce n’était pas la mort de Wyatt qui l’empêchait de sourire. Une chose le troublait.

Après cette longue marche, ils arrivèrent face à la Citadelle. Jadis, Jegan Balrug vit grand, très grand. La hauteur de cet édifice circulaire imposait en chacun, un fort respect. Le Premier fit construire, au centre d’une colline, un fort de pierre ; il voulait que tous puisse le voir et que le temps lui-même n’en vienne à bout. C’était chose faite. Jamais la Citadelle ne dut être rénovée. Les lourdes portes de bronze comme les tuiles noires surpassèrent les siècles avec le reste. Mais l’Ordre décida d’honorer les plus grands. Ainsi, de nombreux visages sculptés ornaient le bâtiment.

Olric jeta un regard au visage de marbre de Jegan et suivit les autres. Ses yeux s’écarquillèrent. Face à eux se tenaient quatre lanciers aux armures d’un métal aussi bleu que le ciel. Leurs plastrons arboraient fièrement le cerf de Balan : symbole de royauté, de loyauté et de courage. Tous les quatre entouraient un homme aussi âgé que couronné d’or. Face à sa couronne resplendissante et ornée de mille bijoux, ils s’inclinèrent. Le roi Hector IV s’était déplacé en personne au sein de leur citadelle. Ils comprirent l’urgence de la situation. Situation si pressante que le roi s’était permis de consulter d’autres membres de l’Ordre. Ainsi, plusieurs personnes se trouvaient assises autour de cette longue table en bois.

— Installez-vous, messieurs, leur intima le roi.

Olric s’assit et le fixa. La dernière fois qu’il le vit, sa barbe grise n’était pas aussi longue et aussi fournie. Quant à ses rides, elles se faisaient bien plus nombreuses. Malgré son âge avancé, le roi restait en pleine forme. Et de ses petits yeux bruns se dégageait une vigueur intense.

— Majesté, que nous vaut votre visite ? demanda Trevor.

— Balan connait certains troubles, souffla-t-il.

En un regard jeté aux autres membres, Trevor comprit la gravité. Certains tremblaient de peur tandis que d’autres semblaient blêmes. Quand bien même certains n’étaient pas effrayés, le choc se lisait toutefois dans leurs yeux. Trevor soupira.

— J’ai reçu des rapports des avant-postes de l’Ordre Blanc. Sur les onze, savez-vous combien ont combattu des monstres.

— J’ai reçu sept missives dans la semaine, lâcha Trevor.

Ses doigts tapotèrent le bois de la table, le stress venait d’agripper son corps. Cette table qui connut divers banquets et beuveries accueillait une bien sombre ambiance. Tous ressentaient cette atmosphère lourde qui s’était installée. Olric déglutit, il ne s’était jamais senti aussi mal à l’aise. Son regard balaya la pièce ; Trevor et le roi se fixaient et semblaient angoissés. Jorgen passa plus d’une fois sa main dans sa barbe, signe qu’il était remonté.

— Si je compte les deux rapports de ce matin plus le vôtre, nous arrivons à dix. Vous êtes douze à combattre les monstres. Vous étiez douze à avoir presque stoppé vos activités…

Un long silence glacial s’installa entre ces murs. Tous comprirent la même chose. Le roi ne fit qu’exprimer cette terrifiante pensée commune.

— Je crains que les monstres ne soient de retour.

Même si tous s’étaient attendus à cette déclaration, elle eut l’effet d’une bombe qui secoua leurs corps tout entier. Personne n’osa parler hormis leur capitaine.

— Il est pourtant mort…

— D’après les rapports de mes espions, la dynastie de Conmore nous avait caché une prophétie. Le prince noir doit revenir et un élu le tuera.

Piotr se leva d’un bond et, hors de lui, frappa son poing contre la table.

— C’est insensé ! s’écria-t-il

Piotr était leur ainé à tous et les années passées à combattre étaient gravées sur son visage. De multiples cicatrices barraient sa tête et ses bras ; des marques laissées par les monstres. Monstres qu’il tua chaque fois. Plus que de la colère, c’était de la rage qui le rendait rouge.

— J’ai passé ma vie à buter ces saloperies et vous m’dites que Conmore a caché une telle chose ?

— Piotr ! s’énerva Trevor. N’oublie pas à qui tu t’adresses.

— Ce n’est rien, temporisa le roi.

Hector IV fixa un instant ce guerrier. Son crâne dégarni orné d’une crête aussi brune que sa barbe tressée lui donnait un aspect cruel. Et son œil vitreux ainsi que les cicatrices coupant sa mâchoire en disaient long sur le danger qu’il eut côtoyé.

— Je comprends votre réaction. Conmore n’aurait pas dû nous cacher une telle chose.

— En trente-trois ans de métier, c’est du jamais vu, pesta Piotr. Je jure que je fendrai le crâne du Prince Noir en deux !

— Je suis ravi d’apprendre que vous le combattrez, souffla Hector.

— Nous n’y arriverons pas seuls, soupira Trevor. L’armée du Prince Noir dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Nous pouvons tuer des basilics mais un golem ou une wyverne ?

Le capitaine se leva et souffla. Il tournait en rond, cherchant une solution de secours.

— Jegan Balrug n’avait que cent hommes et il est parvenu à protéger le pays, répliqua le roi.

La mention de son prédécesseur laissa Trevor sans voix. Il y a des siècles, Jegan Balrug sauva Balan à l’aide de cent soldats et fondèrent les prémices d’un ordre qui, aujourd’hui, n’était plus que l’ombre de lui-même. Les Cent affrontèrent des monstres plus terrifiants les uns que les autres. Ils battirent la Citadelle. Le roi les anobli. Ils s’étaient formés sur le terrain, pourchassant les monstres en guise d’entrainement. Et maintenant, tout était différent. Les monstres ayant disparus, l’Ordre Blanc s’était affaibli.

— L’Ordre de Jegan est en déclin, cracha Trevor. Nos membres savent tuer un criminel mais un basilic n’a rien à voir avec un homme. Il suffit de voir Wyatt… Sous Jegan, aucun n’aurait ôté son casque.

— Les enseignements de Jegan ont perduré, répondit Hector. Il suffit de tout apprendre à nouveau, vous en sentez-vous capable, capitaine ?

Trevor soupira. Il n’avait guère le choix. Ses ancêtres avaient côtoyé le Premier, sa famille s’était battue contre ces bêtes, son père lui-même l’avait formé. L’Ordre était dans son sang.

— L’Ordre Blanc a juré de protéger Balan.

Le roi afficha un faible rictus, satisfait de cette réponse. Plus il regardait Trevor, plus il repensait à son père. Cette détermination et cette loyauté étaient propre à sa famille.

— Majesté, accordez-moi des soldats et j’en ferai des chasseurs de monstre.

Le roi hocha la tête.

— Je vous donnerai cinq-cents hommes au cours de cette année.

Olric n’en revenait toujours pas. Les monstres revenaient et l’Ordre allait de nouveau briller. Son âge d’or qui était pourtant révolu allait revenir. Du déclin, ils retrouveraient leur grandeur d’antan.

— J’ai aussi une autre mission à vous confier. Je vais offrir ma fille au fils du roi Eril X. Un mariage permettra d’unir nos royaumes. Avec l’augmentation des monstres, j’aurais besoin d’une escorte la menant à Conmore.

— J’enverrai quelques hommes, quand devrons nous partir ?

— Demain. Je suis navré de vous avertir aussi tard, je ne pouvais prévoir l’arrivée des monstres.

 

*

— Tout ce que je dis, c’est que c’est d’la folie, râla à nouveau Piotr.

Trevor soupira avant de porter son hydromel à ses lèvres. Depuis qu’ils étaient rentrés dans cette taverne, Piotr n’avait cessé de se plaindre.

— Bois et tais-toi, lui lança son capitaine.

Suite à cet ordre, Jorgen éclata de rire. L’ancien forgeron n’en était pas à sa première pinte et déjà l’alcool le rendait plus joyeux. Trevor espérait qu’il en soit de même pour son équipier.

Dès qu’il rentrait dans cette taverne, il n’espérait qu’une chose : décompresser. Rare étaient ceux qui aimaient cette ambiance festive et cette odeur de bière. Trevor, lui, appréciait cet endroit. Car même si le parfum lui-même pouvait rendre ivre, le barde apportait joie et bonne humeur.

Soudain, la porte claqua. Ils se tournèrent, Olric arrivait. Du regard, il les cherchait : la taverne était bondée et on ne s’entendait plus. Tous parlaient et riaient fort dans cet endroit et, si Trevor ne lui avait pas fait signe, Olric ne l’aurait pas retrouvé

— Et dire que demain, on part pour Conmore, souffla-t-il.

— Vous n’êtes pas tous obligés de venir, commenta Trevor.

— T’en fais pas, Helena savait très bien que je risquais de partir longtemps, le rassura Jorgen avant de boire à nouveau.

— Quant à moi, mes parents attendent juste des lettres, expliqua Olric.

Jorgen rit à nouveau. Le fait de savoir qu’Olric envoyait chaque semaine une lettre à sa famille l’amusait toujours. Le jeune soldat venait d’un petit village non loin de Balan et pourtant, il ne cessait d’écrire ces courriers.

— Et moi, je n’ai pas de famille, lança Piotr avant de finir sa pinte d’une traite.

Trevor soupira. Envoyer ses hommes aussi loin de Balan le dérangeait mais savoir qu’ils acceptaient le rassurait.

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