Chapitre 4 : Priam de la Maison Emrys

Notes de l’auteur : Vous l'aurez compris, Cera s'en sort très mal dans sa nouvelle vie ^^

Sa nouvelle acquisition n'avait pas tardé à le rejoindre. Allongé dans son bain à remous, Priam contemplait les moulures au plafond. Des corbeaux qui tournaient autour d'une proie d'exception, une colombe. Il sentait son regard brûler de curiosité à son encontre.

L'héritier de la Maison n'avait jamais rencontré une femme pareille. Une sauvage... Il avait déjà eu l'occasion d'en entendre parler dans les salons et dans l'arène mais il ne s'y était jamais réellement intéressé jusqu'ici. La vie de ces femmes était diffusée sur les chaînes privées qui se passaient de consentement. Filmées à leur insu, elles ne réalisaient la supercherie que trop tard...

Priam admirait désormais les bulles qui cachaient une partie de son corps. Il aurait pu s'offusquer de cette politique du voyeurisme seulement, certains combats ne pouvaient être gagnés. Son influence ne pouvait sauver tout le monde. Puis, il avait des batailles plus importantes à mener. Il avait des objectifs à atteindre et cette femme pourrait bien en être la clef.

Isolée de la ville, elle ne connaissait rien de la vie en « société » ou des hommes en général. Sur les îles LUX, le terrain n'était peuplé que de femmes, des femmes qui rivalisaient de beauté, selon ses rivaux. La brune à ses côtés n'était pas désagréable à regarder. Il aurait été tenté de la charmer si une autre n'avait pas pris possession de son cœur des années plus tôt. Pour chasser la tristesse, le jeune homme s'adressa à elle :

- Dix t'a-t-elle expliquée ton rôle ?

- Pas vraiment. Je sais jusque que tu m'envoies à la mort.

- Je vois qu'il y a deux ou trois petites choses à régler.

« Pour commencer, je suis ton Maître. Dans la pyramide hiérarchique, je suis plus haut que toi, tu me dois donc le respect et par conséquent, me vouvoyer.

Ensuite, lorsque tu t'adresses à moi, ne me regarde pas dans les yeux. C'est malpoli. C'est une question d'étiquette.

Lorsque je donne un ordre, tu dois OBEIR, rajoute-t-il en insistant bien sur le dernier mot. Tu ne tiens pas à savoir quelle punition nous donnons à celles et ceux qui n'obéissent pas. »

Cera frémit à sa dernière remarque. Le regard de l'homme était devenu plus froid. La jeune femme savait reconnaître le regard d'un dangereux prédateur. Elle ne chercherait pas à le provoquer. D'abord connaître le terrain et ses limites.

- Comment connaissez-vous ma langue ? Peu d'entre vous...

- Devrais-je préciser que les questions intempestives sont interdites ? Cela relevait pourtant du bon sens... Aurais-je engagé un gorille sans cervelle ?

Priam doutait beaucoup des capacités intellectuelles de sa treizième lionne. Son physique et son regard l'avait poussé à enchérir dans cette salle de vente, mais peut-être avait-il été aveuglé par cette beauté exotique à la peau caramel et aux yeux sombres... Il restait un homme après tout.

- Je ne sais pas ce qu'est un « gorille » mais je peux t'assurer que je ne suis pas « sans cervelle », répondit-elle avec toupet.

L'héritier soupira, las. Il frictionna ses bras avec du savon avant d'adresser un regard à la belle étrangère.

- Tu viens non seulement de me tutoyer et voilà que tu croises mon regard... Une mouche s'en tirerait mieux.

Le visage rouge de honte, Cera chercha à répliquer. Qu'avaient-ils tous contre elle aujourd'hui ? Après Dix, voilà que le Maître s'acharnait sur elle ! Elle n'avait pas demandé à être ici. Elle s'intéressa plutôt aux autres meubles de la pièce, et l'un d'entre eux retint particulièrement son attention. Elle faisait face à son double. Elle s'avança vers elle-même, par pure curiosité. Ses cheveux étaient bien plus bouclés qu'elle ne le pensait ! La chasseuse toucha ses joues, son nez... Elle remarqua même un grain de beauté qui embrassait sa lèvre supérieure. Son reflet était bien mieux renvoyait que sur l'eau de la rivière. Cera se trouvait assez jolie.

- Treize. Ramène-moi une serviette.

La jeune femme prit presque aussitôt l'objet demandé pour le donner à l'homme qui avait quitté sa baignoire. Elle suivit bien malgré elle l'acheminement d'une goutte le long de son torse, captivé par sa structure musculaire si différente de la sienne. Elle appréciait beaucoup ses pectoraux qui paraissait si ferme.

Priam ignora sciemment ses attentions pour nouer la serviette autour de ses hanches et revenir à sa chambre. Il serra inconsciemment les poings en voyant ses vêtements joncher le sol. Il prit en sa possession un petit boîtier qui trônait sur sa commode et composa un numéro à deux chiffres avant de sélectionner la mesure punitive. S'il voulait la dresser, il devrait y mettre les sanctions appropriées. Son pouce fut à peine enfoncé que Cera ressentit une décharge lui secouer le corps. La sensation d'être dépossédée de son corps ne la quitta plus.

- C'est la deuxième et la dernière fois que je te donne cet ordre. Va déposer mes vêtements dans la trappe, ordonna-t-il en montrant du doigt l'emplacement de ladite trappe.

Par excès de zèle, et de fierté, la jeune femme refusa. Elle ne voulait pas devenir l'esclave de qui que ce soit. Elle reçut une seconde décharge, bien plus violente que la précédente. Les membres engourdis, le victime était tombée à genoux, les yeux larmoyants. Priam, lui, suivit cette scène sans s'en émouvoir. Ce monde-ci ne lui ferait pas de cadeau et elle devait vite s'en rendre compte.

Cera porta sa main à son cou. Le collier qui lui coupait la trachée n'était pas à simple but décoratif. Il renfermait un véritable cadeau empoisonné. La jeune femme n'était pas dupe. L'homme continuerait à la torturer jusqu'à ce qu'elle plie. De mauvaise foi, elle prit ses vêtements pour les déposer à l'endroit voulu. Elle devait économiser ses forces si elle pouvait espérer échapper à cet endroit.

- Maintenant que tu es disposée à m'écouter, je vais t'expliquer ce que j'attends de toi.

L'héritier s'assit sur son lit tandis qu'il progressait dans ses explications.

- Tu vas combattre en mon nom et en celui de la Maison. C'est le juste tribut pour ton achat, ton logement et ta nourriture. Si tu gagnes, tu pourrais même gagner plus qu'un repas par jour.

- Et ma Liberté alors ?

- Tu peux la gagner si tu y mets le prix juste..

Priam aimait cette flamme dans ses yeux, cette même flamme qui l'avait poussé à enchérir. Avec elle, il se voyait facilement conquérir la Fosse aux lionnes. S'imaginer à la tête de l'arène le remplissait d'idées sombres. Il découvrirait enfin la vérité sur cette histoire...

- Ou je peux juste m'enfuir.

Le jeune homme soupira devant sa bêtise. La bataille était loin d'être gagnée...

- Si tu quittes la propriété sans mon autorisation, le collier que tu portes te fait exploser la cervelle. Est-ce que tout est clair, Treize ?

- Je m'appelle Cera, rectifia-t-elle avec un toupet admirable.

- Et je suis ton Maître, rétorqua-t-il en envoyant une nouvelle décharge.

Cette femme sera plus difficile à dresser qu'il ne l'aurait imaginer. Il voyait bien cette absence de peur à son égard, une chose qu'il trouvait absolument déstabilisant. Beaucoup lui ont raconté le pouvoir de son regard : un gris ombragé qui marquait l'attention et imposait le respect. Il n'avait jamais eu de mal à se faire obéir de ses assistantes. Treize se montrait être une véritable épine dans le pied. Elle ne lui laissait plus le choix.

Priam appuya sur un bouton du boîtier et convoqua son homme de confiance :

- Brill, j'ai besoin de toi dans ma chambre.

Il relâcha l'appareil et commença à se vêtir d'un costume similaire à celui qu'il arborait plus tôt. L'homme noua un à un les boutons de sa chemise noire et releva à peine la tête pour s'adresser au nouvel arrivant.

- Conduis-là au puits, ça devrait lui changer les idées.

Cera fut saisi au collet et ne put rien faire pour se défendre contre ce géant à la peau d’ébène. Elle fut entraîner à l'extérieur, pestant contre cette brute qui la soulevait sans dépenser le moindre effort. La jeune femme réserva un dernier regard noir à Priam avant de disparaître derrière la porte. Perchée sur son épaule, elle vit le moment où le sol blanc devint verdoyant. Une brise d'été balaya ses cheveux et caressa sa peau. Le soleil régnait en maître dans les Cieux.

- ..tête sous l'eau... furent les seuls mots qu'elle comprit avant d'être jetée dans une bouche sombre.

Ses cris se répercutèrent contre les murs de sa nouvelle prison. Sa longue chute fut amortie par un bassin d'eau pas plus haut que son buste. Le choc passé, elle se releva pour évaluer les parois qui l'éloignaient de sa liberté. La surface lisse de sa prison ne lui promettait aucun point d'appui. Elle ne pourrait pas remonter. La jeune femme s'adossa au mur, le regard levé vers le ciel. Au moins, pouvait-elle l'admirer autant qu'avant...


 

***


 

Priam laissa son regard vagabondé à travers le carreau du véhicule. Les arbres de sa propriété disparurent au profit des bâtiments colorés de la ville. Des publicités en tout genre recouvraient ces structures qui semblaient toucher le ciel. L'homme n'en appréciait pas la vue. Il exécrait cette ville et tout ce qui s'y rapporte. Seules ses fonctions le faisaient revenir dans cet endroit.

Paradise Island. L'île du Paradis. Priam l'associait davantage à l'Enfer. Un lieu où toutes les interdictions devenaient possibles. L'héritier détourna les yeux en voyant une énième femme se faire emmener dans l'une des nombreuses rues sombres de Paradise. La fréquence de ces scènes ne parviendrait jamais à enlever le dégoût et la honte qu'elles lui invoquaient.

Priam n'avait pas grandi dans cet environnement dépravé. Plus jeune, il vivait à la campagne entouré d'une famille plus ou moins aimante. Il avait apprécié son quotidien, aussi court fusse-t-il. Il se souvenait encore de ses fugues dans les champs lorsque les coups de son père devenaient trop violents pour son corps d'enfant. Ses courses à travers les champs de blé restaient à ce jour les plus beaux souvenirs de son enfance, sans oublier sa rencontre avec Eléane, une rencontre qui avait finie d'illuminer le reste de ses journées. Tout était tellement plus simple avant... pensa-t-il amère. Les poings serrés, il essaya d'oublier cette journée qui avait fait basculer son existence. Il essaya d'oublier le sang versé et l'odeur de la mort. Priam ne tenait plus à revoir ces corps renversés sur le sol de sa cuisine...

L'héritier de la Maison releva la tête lorsque sa porte fut ouverte de l'extérieur. Il adressa un signe de tête à son chauffeur avant de s'aventurer dehors. Le masque bien en place, il se dirigea vers l'entrée du « Gentlemen's ground », un pub réservé à l'élite galléanaise. A l'heure actuelle, il n'était plus question d'aristocratie ou de royauté, le système reposait seulement sur le pouvoir financier de chaque individu. Le sang n'avait plus d'emprise sur cette nouvelle société où seuls les plus forts et les plus riches dominaient. Aujourd'hui, même un homme possédant le sang d'un Roi ne valait plus rien s'il était fauché. La loi du marché l'emportait sur les titres du passé.

Un homme vint à sa rencontre. La moustache taillée et le visage figé en un sourire hypocrite, le Maître des lieux accueillit le nouvel arrivant avec révérence :

- Monsieur Emrys, Monsieur Monteberg et Monsieur Pierce vous attendent dans la suite Émeraude.

Bien qu'il soit en retard, Priam suivit le propriétaire avec une nonchalance de circonstance. Les hommes qu'il devait rencontrer avaient plus besoin de lui qu'il n'avait besoin d'eux. Sa Maison donnait plus de poids dans la balance du marché. Il devait jouer intelligemment ses cartes pour obtenir d'eux les informations qu'il attendait.

Ses pieds foulèrent le marbre blanc du couloir et ses yeux ne s'attardèrent que quelques secondes sur les photographies de célèbres hommes politiques. Parmi elles, il vit une image de son « grand-père », un homme parti trop tôt selon son « père ». Son attention glissa sur chaque portes serties d'une pierre précieuse. Son hôte le laissa devant la porte comportant en son centre un émeraude. Il entra pour faire face à deux hommes qui discutaient autour d'une petite table sur laquelle reposés une bouteille de Martini et trois verres, dont deux à moitié vides.

En les voyant se lever pour le saluer, Priam se dit que ses projets allaient bien se dérouler.

- Monsieur Monteberg, Monsieur Pierce, salua-t-il en rejoignant le dernier fauteuil. Je m'excuse pour mon retard, j'avais des affaires importantes à régler.

- Nous avons entendu dire que vous reveniez du Paradis perdu. Vous avez fait de bons achats ? Lança Monteberg, un homme au ventre gras et aux yeux gourmands.

- Je vois que les langues se délient. Je devrais peut-être penser à changer de masque à l'avenir.

- Un autre masque ne pourrait dissimuler votre prestance, Monsieur, susurra l'autre vipère en lui proposant un verre.

- Votre nouvelle acquisition semble tout à fait remarquable et bien portante. Serait-ce votre nouvelle lionne ? Demanda le bonhomme aux joues rouges.

Une « lionne ». Elle avait tous les atouts pour en devenir une, oui.

- Je ne sais pas encore ce que je vais en faire. J'ai surtout été captivé par sa beauté, elle pourrait faire une poule de compagnie tout à fait honorable, énonça Priam avec un sourire grivois.

- Oh je vous comprends, Monsieur. J'ai moi-même récemment acquis une poulette des plus exquises. Une femme du Sud absolument succulente...

- Du Sud ? Répéta le plus jeune en lui lançant un regard de connivence.

- Oui ! Une poulette aux yeux et à la peau sombre.

L'héritier but son verre d'une traite. Cette femme n'était pas celle qu'il recherchait. Il demanda à son autre cible :

- Et vous, Pierce ? Des achats récents ?

- Non et c'est à ce propos que je tenais à vous contacter... La Maison Pierce...

Priam le laissa déblatérer sur sa situation d'une oreille distraite. Ces hommes ne lui seraient peut-être pas aussi utiles qu'il ne l'espérait. Il encouragea son vis-à-vis malingre à poursuivre son monologue.

« Les Baltimore convoitent nos terres. Ils ont déjà fait mainmise sur celles des Lagostini et bientôt, nous devrons leur céder. Nous espérons pouvoir compter sur votre influence pour cesser ces ambitions malhonnêtes. On les soupçonne même de comploter avec les terres de Bruyères...

La Maison Baltimore... Priam avait déjà rencontré les individus qui constituaient cette Maison. Il n'avait jamais éprouvé la moindre suspicion les concernant. L'héritier trouvait leurs présences presque insignifiantes.

- Et qu'attendez-vous de moi exactement ?

- Une alliance. Les Baltimore n'oseraient jamais employé des méthodes discutables avec vous à nos côtés.

Ils employaient donc des menaces... Le jeune homme réfléchit à la proposition et aux avantages qu'il pourrait en tirer. Ses deux interlocuteurs ne détenaient aucune richesse ni aucun prestige. Accepter ne lui promettait aucun bénéfice. Dans l'immédiat. Il pouvait cependant implanter ces hommes invisibles dans la fosse. Il avait besoin d'oreilles discrètes.

- Que me proposez-vous en échange ? Demanda-t-il en laissant l'alcool tournoyer dans son verre.

- Vous êtes proche du gouverneur de Galléan. Si les Baltimore complotent avec les terres de Bruyères-

-Qu'est-ce que j'ai à y gagner ? Reformula Priam d'une voix plus dure.

Il n'en avait rien à faire de ces guerres politiques. Il n'avait qu'un seul et unique objectif en tête : la retrouver. Et il utiliserait le moindre pion à sa disposition pour arriver à ses fins.

Devant le regard froid du jeune homme, Monteberg et Pierce se sentirent mal à l'aise. Ils ne s'étaient pas attendus à faire face à un négociateur aussi coriace en arrivant ici. Priam Emrys n'était rien de plus qu'un gamin à leurs yeux or, ce gamin révélait peu à peu son attitude de prédateur. Il avait davantage l'allure d'un requin que celui d'un poisson inoffensif. Ils appréhendaient désormais les conditions de cette alliance.

- Vous recevrez une partie des bénéfices--

- Je veux votre coopération. Votre temps aussi. Je veux des yeux et des oreilles. Partout. Mais je veux surtout votre silence.

Le ton qu'il employait ne laissait aucune place à la réplique ou à la protestation. Ces hommes accepteraient le rôle qu'il leur attribuerait. Ils deviendraient ses pions dans cet immense jeu d'échec.

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