Chapitre 2 - La fosse du Culte

Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Attention : Elicia et la Cité des Damnés contient des passages pouvant choquer la sensibilité de certaines personnes, notamment par des descriptions graphiques d'actes violents.
Je vous remercie pour votre compréhension

La troupe s’arrêta devant une arche disloquée, bâtie à partir de divers débris provenant des bâtiments environnants : piliers de bois, murs de pierres, statues ornementales, meubles, etc… Tout cela créait l’impression que l’édifice était constamment sur le point de s’écrouler, tout en étant solide sur ses fondations. Les mutants qui portaient les caisses de malepierres s’arrêtèrent un instant et posèrent leur fardeau au sol, le temps de reprendre leur souffle avant de s’engager dans le tunnel qui leur faisait face. Konrad, Elicia et Cherulim, quant à eux, restaient silencieux. La jeune femme était pensive. Depuis l’invocation, les voix s’étaient calmées, revenant au volume d’un doux murmure la félicitant et l’encourageant à toujours s’engager plus loin sur cette voie. Machinalement, elle passa la main gauche sous sa tunique et frotta son épaule droite. Le matin même, elle avait vu que la tâche écarlate s’était étendue jusqu’à cette articulation. La Soupirante lui avait assuré que c’était un don des Dieux Sombres, une preuve que ses actes les satisfaisaient.

 

Cela était somme toute préférable. La jeune femme avait entendu parler de ce qui arrivait à ceux qui déplaisaient… Ou, pire encore, étaient fort appréciés… Leurs corps se déformaient et ils devenaient de grotesques amas de chair et de muscles à l’esprit dérangé et subissant une souffrance sans fin. Leur agonie perpétuelle ne pouvait être abrégée que par la mort. L’idée qu’elle puisse subir un sort similaire était effrayante, au-delà des simples mots. Elle se raffermit et inspira profondément, avant de pénétrer sous l’arche, suivie par Cherulim. Les mutants reprirent les caisses et les suivirent, leurs pas emboîtés par celui de Konrad.

 

Le tunnel dans lequel la troupe s’engagea était jonché de débris, la plupart repoussés contre les murs. La Soupirante avait expliqué à Elicia que cela était le fait de son Culte qui, suite à la chute de la Comète, avait aménagé cette place forte souterraine afin d’en faire sa base d’opérations. Un son sourd s’élevait des profondeurs, au fur et à mesure que la troupe s’y enfonçait. Semblable à un battement de cœur, il rythmait les pas, et les respirations se retrouvaient peu à peu synchronisées avec le son. Enfin, ils parvinrent à une immense salle, éclairée par de multiples torches et d’immenses vasques desquelles émergeaient des flammes de multiples couleurs. Les batteurs de tambours, ainsi éclairés, ressemblaient à des démons tout droits sortis des illustrations que la jeune femme avait pu consulter autrefois. Avec des gestes synchrones, ils frappaient les peaux tendues devant eux, produisant le son lancinant qui avait accompagné la troupe dans sa descente. Au centre de la salle se trouvait une fosse tâchée de sang séché, surplombée par une estrade sur laquelle se trouvaient deux personnes : le Magister et la Soupirante.

Le Magister était un homme de haute taille, le visage caché par une cagoule lui donnant l’apparence d’un bourreau. De sa main droite, il tenait un grand bâton terminé par une roue de carrosse légèrement dentelée pour lui donner l’aspect de la Sombre Etoile du Chaos. Il avait passé sa main dans sa ceinture, à la façon de certains riches marchands de la Cité. À côté de lui, installée sur un trône, se trouvait une femme vêtue dans une étrange tenue : un voile lui cachait le visage, mais laissait passer une corne bleuâtre, ses robes blanches étaient arrangées de façons complexes et ses gants de riche facture feraient pâlir de jalousie certaines nobles dames d’Altdorf. Elle faisait ainsi penser à une mariée à la noce. Sur ses genoux était posée un orbe sombre aux reflets pourpres. Devant eux, autour de la fosse, des mutants et autres cultistes dégénérés se prosternaient en vive succession, donnant l’impression d’assister à une marée humaine.

L’un d’entre eux vit arriver la troupe d’Elicia et se leva, avant de déclamer d’une voix forte :

 

« L’Augure et le Saint Guerrier sont de retour ! Aaaaaaaah… »

 

« Aaaaaaaaaah… » firent les autres suppliants, tout en s’écartant du chemin de la troupe, non sans continuer leurs mouvements. Un chemin s’ouvrit devant eux et ils avancèrent jusqu’à se trouver en face du Magister et de la Soupirante, uniquement séparés par la fosse. Élégamment, la jeune femme inclina la tête en direction de la « mariée », avant de désigner Cherulim :

 

« Soupirante, comme vous pouvez le constater, j’ai rempli ma mission ! »

 

Les suppliants derrière elle poussèrent un autre cri d’extase. Le Démon s’approcha pesamment, sur l’injonction de la jeune femme, afin que son interlocutrice puisse l’observer. Le Magister broncha et se renfrogna.

 

« Et, comme preuve de ma bonne volonté, j’offre ceci au Culte ! »

 

Elle fit un signe à sa troupe. Les mutants s’approchèrent et déposèrent trois lourds coffres devant eux avant de les ouvrir, dévoilant la malepierre qui y était stockée. Des murmures de stupéfaction et d’appréciation se firent entendre dans la foule. La Soupirante se pencha en avant et prit la parole d’une voix chaude :

 

« Je suis bien aise, Augure. Il est bon de constater que certains ici parviennent à remplir le rôle qui leur est donné, sans faillir. »

 

Elle ne désigna personne nommément, mais la façon dont sa tête se tourna imperceptiblement en direction du Magister valait tous les mots du monde. Les jointures des mains de ce dernier blanchirent nettement, tandis qu’il serrait son bâton de toutes ses forces, la bouche pincée.

Elicia prit cela comme un signe, intuition confirmée par les voix. S’avançant jusqu’au bord de la fosse, elle prit une grande inspiration et éleva la voix :

 

« Peut-être, Ô Soupirante, serait-il temps de revoir à la hausse à qui accordez-vous votre confiance, ne pensez-vous pas ? »

 

Si les batteurs continuaient à jouer du tambour, les propos d’Elicia firent taire les autres suppliants. La rage déformait les traits du Magister et elle crut qu’il allait briser son bâton tant il le serrait à trembler. Un son étrange leur fit tourner le regard en direction de la Soupirante, pour la voir s’agiter et convulser sur son trône. L’inquiétude se lut sur les visages… Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’elle était en train de rire. Elle se balançait sur son trône, en proie à l’hilarité la plus complète. Voyant cela, le Magister poussa un cri de rage et pointa Elicia du doigt :

 

« Raaaah ! J’en ai assez ! Ce n’est pas une petite catin arriviste qui va commencer à mettre mon autorité en doute ! Tu es allée trop loin et tu vas payer pour cela, sale garce ! » Il se tourna vers la Soupirante et reprit la parole. « Je vais m’occuper personnellement de son cas. Cette insolente va cesser son petit jeu ici et maintenant ! »

 

La Soupirante ne répondit pas. Elle avait cessé de rire quand il avait élevé la voix. Sa seule réaction fut un mouvement du poignet signifiant « Allez-y, entretuez-vous » adressé au Magister et à Elicia. L’homme sauta dans la fosse et se débarrassa de sa robe, dévoilant un ventre adipeux au point d’en être distendu. Il fit quelques moulinets de son bâton, tout en injuriant la jeune femme. Cette dernière savait que, malgré son apparence, il n’était pas à prendre à la légère. Se retournant, elle murmura un ordre à Cherulim, qui fit un pas en arrière tandis qu’un mutant tendait à Elicia un ikwa gravé. À son tour, elle sauta dans la fosse tandis que les cultistes s’assemblaient et braillaient insultes et encouragements aux deux combattants qui se jaugeaient du regard. La Soupirante fut rejointe par Konrad, qui frappa de son poing son bouclier afin de faire cesser les clameurs. Il leva le bras et édicta les règles du combat :

 

« Ce combat sera donc un combat à mort, où vous userez de toutes vos ressources. Combattez ! »

 

En poussant un hululement guerrier, le Magister fit tournoyer son arme et frappa en direction d’Elicia, qui para de peu le coup à l’aide de son propre bâton. Elle rejeta rapidement ce dernier afin de manier pleinement son arme… Avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’un piège. Le sort que lui envoya son adversaire était brutal, la submergeant dans une vague de brutalité. Des piques de douleurs s’enfoncèrent dans son cerveau et elle poussa un hurlement strident avant de tomber à genoux, vomissant sous le choc. Le Magister s’approcha avec la souplesse et la dangerosité d’un loup. Il plaça l’une des pointes ornant son bâton sous le menton d’Elicia et la força à lever la tête en sa direction. L’expression sous son masque était des plus hideuses : un mélange de perversité malsaine conjugué à la sadique cruauté, le visage de celui qui avait le pouvoir et savait en abuser pour obtenir ce qu’il souhaitait.

 

« Ça fait mal, hein ? Héhéhé… Et ce n’est que le début… Oh, ne t’en fais pas… Je n’ai jamais voulu un combat à mort. Je souhaite juste te briser… Et finir ce que j’ai commencé quand tu es arrivée en ces lieux. »

 

Ce fut au tour d’Elicia de hurler de rage et elle se releva en sabrant l’air de son arme, détournant le bâton de sa gorge. Sautant en avant, elle fendit l’air de son arme, lacérant le torse de son adversaire avant de lui flanquer un coup de pommeau en plein visage. Le Magister recula sous l’assaut, la main sur la tête. Il tendit de nouveau son bâton et, une nouvelle fois, Elicia fut stoppée net. L’attaque était bien plus brutale que la première fois et elle s’effondra en pleurs, souillée. Il s’approcha d’elle et l’attrapa par la robe.

 

« Je recommencerais autant de fois qu’il le faudra, jusqu’à ce que tu ne sois plus qu’une coquille pratiquement sans conscience… Je t’en laisserais juste assez pour que tu te rendes compte de ce qu’il t’arrive… Puis, je finirais ce que j’ai commencé… »

 

Elle parvint à rassembler assez de force pour lui cracher au visage. La gifle qu’il lui flanqua fut si violente, si retentissante, qu’elle s’effondra au sol comme un pantin désarticulé.

Il se plaça au-dessus d’elle et commença à tripoter sa ceinture d’une main, étranglant sa victime de l’autre.

 

« Je vais te prendre comme une bête sauvage, ici et maintenant. Et cela recommencera tous les jours, toutes les nuits. Puis, quand j’aurais été lassé de ta compagnie, je te jetterais en pâture au Culte. »

 

Autour de la fosse, certains cultistes hurlèrent leur appréciation et poussèrent des cris d’animaux, en signe d’assentiment. Le Magister parvint à déboucler sa ceinture et le reste de ses effets tombèrent, dévoilant ses jambes grêles. D’une main, il arracha la chemise d’Elicia et palpa son sein, un sourire malsain sur les lèvres… Jusqu’à ce qu’il remarque l’expression de sa victime. Elle n’était pas brisée. Elle n’était pas en pleurs, ni effrayée. Mais elle souriait… De la même façon que lui ce qui, couplé à la fureur qui brûlait en ses yeux, lui donnait une apparence démoniaque.

Il la frappa.

 

« Pourquoi tu souris ? »

 

Il la frappa de nouveau. Le regard ne cillait pas, restait concentré.

 

« POURQUOI TU SOURIS ? »

 

« Parce que j’ai quelque chose que tu n’as pas. »

 

« QUOI ? »

 

« Un démon. »

 

Cherulim, qui s’était glissé derrière-lui, tendit le bras gauche et, d’un geste à la fois doux et précis, sectionna ce qui faisait de lui un homme. Il ne prononça aucun mot, aucun son ne s’échappa de ses lèvres tant le choc était violent. Elicia se releva, essuya sa bouche et lui cracha un mollard ensanglanté au visage. Agrippant de toutes ses forces son ikwa, elle zébra l’air et l’éventra. Il tomba à genoux, ses entrailles s’échappant par la plaie, respirant en hoquetant.

 

« Cherulim ? »

 

« Maîtresse ? »

 

« Le dîner est servi. »

 

Les membres du culte détournèrent le regard, horrifiés, tandis qu’Elicia avançait jusqu’au centre de l’arène, avant de lever les bras en signe de victoire.

 

« Je revendique le titre de Magister, gagné légitimement au combat. »

 

« NON ! ELLE NE LE PEUT ! »

 

Un homme s’était penché au-dessus de la fosse, qu’Elicia reconnut comme l’ancien bras droit du Magister.

 

« ELLE A UTILISE UN DEMON POUR TUER EVRAN ! C’EST DE LA TRICHE, C’EST – »

 

Il fut brutalement interrompu par la hache que lui envoya Konrad en plein visage. Le corps de l’homme fut parcouru de secousses, il tituba puis tomba dans l’arène. Konrad sauta à son tour et se réceptionna dans un fracas métallique. Sans un mot, il passa devant Elicia, posa un pied sur le corps de celui qu’il venait de tuer et retira sa hache, qu’il nettoya sans un mot avant de la replacer à sa ceinture. Il revint auprès de la jeune femme et s’adressa à la foule.

 

« Ce combat était un combat à mort, où chacun devait user de toutes les ressources dont il disposait. Elicia a bel et bien invoqué un démon dans le corps d’une humaine, démon qui obéit à tous ses ordres. Elle a donc usé des ressources qu’elle avait à sa disposition. » Il prit la main d’Elicia et la leva. « Par sa victoire, Elicia devient donc Magistère du Culte ! »

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