Chapitre 11 - Charlie

Sydney m’avait proposé qu’on se revoie, mais seulement si ça pouvait être chez elle. J’avais accepté sans trop poser de questions. Heureusement, elle habitait à une dizaine de minutes de chez moi.

N’ayant pas le permis, je pouvais rapidement être réduite dans les choix, même si n’importe qui de ma famille était prêt à faire le chauffeur pour moi, mais je préférais éviter, surtout parce que je ne voulais pas qu’ils soient au courant de chacun de mes déplacements.

En arrivant sur les lieux, je fus assez surprise de tomber devant une maison aussi simple. Peut-être un peu trop. Le quartier ne m’inspirait pas vraiment confiance.

Je pris une longue respiration avant de m’approcher du perron et de sonner à la porte. Elle l’ouvrit au bout de quelques secondes, un petit sourire sur le visage. Elle m’invita timidement à rentrer et je m’exécutai.

— Désolée de te recevoir ici, mais je n’ai trouvé personne pour garder Brandon, m'annonça-t-elle en baissant la tête.

— Brandon ?

Elle me conduisit jusqu’à sa chambre où se trouvait un bébé de quelques mois dans un berceau.

J’apercevais enfin son enfant qui avait tout juste quelques mois. Je m'attendais à ce qu’il soit plus âgé. Et maintenant, je me rendais compte qu’elle avait dû tomber enceinte et accoucher alors qu’on échangeait par écrit à deux endroits totalement opposés du monde.

— Je le pensais plus âgé, lui fis-je remarquer.

Elle s’approcha du berceau pour le prendre dans ses bras. Le bébé était encore assoupi et il posa sa tête sur l’épaule de sa mère.

— Il y a des choses dont je ne t’ai jamais parlé en trois ans, lança-t-elle d’une voix grave.

— Est-ce que tu veux m’en parler ?

— Je sais pas... Mais il faut bien que tu finisses par le savoir.

— Non, pas forcément, répliquai-je assez fermement. Je peux rester dans l’ignorance autant que tu veux, quitte à ce que ce soit pour toujours.

Elle m’adressa un adorable sourire plein de reconnaissance et elle était à limite de pleurer. Malheureusement, je retrouvais cette expression assez régulièrement ces derniers temps. J’avais perdu l’habitude d’un entourage aussi perdu et aussi peu connecté aux autres.

Elle reposa son enfant et elle me proposa de boire quelque chose dans la cuisine. Assez simplement, on se contenta d’un jus de fruits. Peut-être qu’une autre fois, on aurait pu passer l’après-midi autour de quelques cocktails, mais l’alcool serait plus néfaste qu’autre chose aujourd’hui.

Elle me confia assez rapidement qu’elle peinait à tenir la tête hors de l’eau financièrement parlant. Elle accumulait les factures et les petits boulots. Et plus personne de son entourage ne souhaitait l’aider.

— Je peux le faire, affirmai-je soudainement.

— Non ! Je ne veux pas te demander ça !

— Tu as un enfant en bas âge, c’est normal que je t’aide. Et je ne veux absolument rien en échange.

— Mes parents auraient pu m’aider... Mais quand ils ont appris la vérité, ils m’ont abandonné. C’est pour ça que je vis ici...

Elle détourna son regard pour le balader dans la pièce tout en retenant violemment ses larmes.

Quand je l’avais connue, elle faisait partie du même milieu que moi. Nous participions aux mêmes évènements et nous partagions le même entourage. Désormais, elle avait tout perdu et à une vitesse fulgurante.

— Mon ex est mort avant la naissance du bébé. Il est mort parce qu’il prenait de l’héroïne. Il essayait d’arrêter encore et encore, mais ça a fini par le tuer.

Elle finit par laisser aller ses larmes et je m’empressai de prendre sa main fermement dans la mienne.

— Il voulait arrêter pour notre bébé. Mais il n’a pas pu. Ça a fini par le tuer... À chacun de ses sevrages, il replongeait. Quand il est mort, il était avec Blaine. C’est lui qui l’a vu mourir... et c’est probablement lui qui l’a tué en le faisant replonger.

Désormais, j’avais l’histoire dans son ensemble. Je comprenais ce grand puzzle où tout le monde manquait de pièces... sauf moi.

— Pourquoi tu dis ça ? m’enquis-je.

— Parce qu’il se drogue aussi...

— Comment tu le sais ça ?

— C’est ce qu’on dit, lâcha-t-elle d’une voix grave. Certains disent l’avoir vu traîner autour de groupes d'héroïnomanes anonymes.

Je savais qu’il avait fait ces démarches pour sa sœur. Même si ma sœur ne m’avait jamais confirmé d’elle-même qu’elle s’était droguée et était en plein sevrage, je croyais son frère. Il aurait très bien pu me mentir et tout mettre sur le dos de sa sœur, mais aucun d’entre eux n’aurait réagi ainsi.

— Ce n’est pas pour lui, la contredis-je d’une faible voix.

— Pardon ?

— Blaine ne se drogue pas. Mais il connaît des gens qui se droguaient.

— C’est lui qui t’a dit ça ? Pitié, ne me dis pas que tu crois à leur mensonge...

Ça me dévastait de voir que ces conflits avaient autant d’impact et que ça les empêchait à ce point de voir clair. C’en était absolument terrifiant.

— J'ai appris quelques trucs dernièrement. Je ne peux pas tout te dire, mais je peux t'assurer que Blaine ne se droguait pas. Je suis désolée... Je sais que c'est plus simple de trouver un responsable pour mieux vivre certains évènements, mais malheureusement, mis à part condamner la société, tu ne pourras pas y faire grand-chose...

Ses yeux étaient complètement remplis de larmes qui étaient sur le point de se déverser tel un torrent sur ses joues. Comme mon cousin, elle avait voulu trouver un responsable pour surmonter son deuil, c'était son moyen à elle de marchander avec la réalité. Désormais, elle s'en rendait compte et se prenait la réalité en plein dans la gueule.

— Il m'a avoué avoir essayé quelques fois quand ça allait mal... et après ce jour-là, il a jamais pu arrêter. Il avait peur d'être condamné à cause de cette merde et de ne plus jamais réussir à vivre. Finalement il avait raison...

Elle éclata en sanglots et je la pris aussitôt dans mes bras. Elle voulait articuler quelque chose à de multiples reprises mais ses larmes étaient bien trop fortes pour qu'elle puisse le faire. Alors, elle se laissa aller pendant de longues secondes avant de reprendre :

— C'étaient ses derniers mots avant son overdose. Il m'avait confié qu'il n'y arrivait pas et qu'il allait replonger. Il pensait même qu'il aurait dû mourir depuis bien longtemps... Et s'il avait provoqué son overdose ?

Elle releva sa tête pour plonger son regard dans le mien.

— J'en sais rien... Je ne le connais pas. Malheureusement, personne ne lui a parlé des solutions envisageables pour s'en sortir.

— Tu crois que c'est pour ça que Blaine traînait autour d'anciens héroïnomanes ? Parce qu'il aurait voulu que Wade le sache ? Parce qu'il aurait voulu lui donner de l'espoir ?

— J'en suis persuadée...

Je n'avais pas eu la confirmation, mais il se faisait bien trop ronger par la culpabilité pour qu'il en soit autrement. Désormais, tout était clair. Un peu trop même.

Dire qu'avant mon départ en France, je n'avais que des préjugés sur tout mon entourage. Je croyais aveuglément tout ce qu'on pouvait me dire et j'étais persuadée de connaître les coupables. Maintenant, je voyais à quel point il n'était pas aussi simple de distinguer les coupables que je le croyais. Peut-être même qu'il n'y avait jamais eu de coupables...

Peut-être même que si je n'étais pas partie pendant trois ans de tout ce bordel, je n'aurais jamais pu prendre autant de recul. Peut-être que je n'aurais pas cherché à nuancer les propos de chacun et que j'aurais juste détesté les Van Rossem sans les connaître... Qu'est-ce que j'aurais été triste.

Elle me prit de nouveau dans ses bras. Ses sanglots s'étaient atténués et elle reniflait régulièrement.

— Je m'en veux, finit-elle par dire dans un souffle. Des fois, je me demande si je préfère qu'il soit mort et peut-être en paix quelque part ou en vie même s'il était dans un sale état...

— Malheureusement, je pense qu'il n'a pas su assez tôt qu'il pouvait trouver la paix ici, déclarai-je en levant mon regard.

Ce genre de situations m'attristait au plus haut point, parce que je savais qu'on pouvait aider les personnes comme lui. Mais beaucoup avaient préféré abandonner ou les mettre de côté. On l'avait probablement condamné dès qu'il avait été placé dans la case "toxico".

— Et on ne doit pas se flageller parce qu'on n'a pas pu l'aider à temps. Malheureusement, ce qui est fait est fait... Mais on peut encore être maître de notre futur et de celui de nos proches.

Elle me relâcha et j'avais l'impression d'avoir illuminé un peu ses yeux.

— On va tout faire pour que ton bébé grandisse bien et je vais t'aider.

— Vraiment, ne te sens pas obligée...

— Je ne me force pas du tout. Au contraire. Je fais ça parce que tu es mon amie et que je tiens à toi.

Elle tenta de m'adresser un grand sourire, mais je sentais encore sa peine qui l'empêchait d'exprimer toute sa reconnaissance. Néanmoins, je n'avais pas besoin de plus. Je savais qu'au fond d'elle j'avais débloqué quelque chose de très lourd et qu'elle allait avoir besoin d'encore beaucoup de temps pour gérer tout ça.

Chaque chose en son temps...

 

*

 

En rentrant chez moi, je pus constater que toute ma famille était pleinement concentrée dans les préparatifs du repas de Noël. Comme d'habitude, nous resterions entre nous et aurions un repas assez modeste. Nous faisions rarement dans l'extravagance, même pour ce genre d'occasion.

Mes pères m'interpellèrent pour me demander si le menu me convenait. En trois ans, ils avaient atrocement peur que tous mes goûts aient changé. Heureusement pour eux, j'étais tout de même restée fidèle à moi-même. La seule chose qui avait changé dans ma vie était assez simple : j'avais laissé la dépression de côté. Mais je ne pourrais pas leur dire de sitôt. Parce que j'avais toujours fait de mon mieux pour le cacher.

Mon cousin me regardait toujours du coin de l'œil. Il m'en voulait encore. J'aimerais tellement qu'il abandonne ses préjugés, parce que c'était juste en train de détruire notre relation qui était jusqu'alors si fusionnelle. Ça m'attristait de le voir se renfermer à ce point. Et de l'autre côté, je pouvais le comprendre. Il venait de perdre sa mère et ce n'était pas maintenant que je pourrais attendre de la rationalité de sa part.

Ma famille me laissa rapidement vaquer à mes occupations quand ils eurent les réponses qu'ils voulaient. Je pus alors rejoindre ma chambre et constatai que Kayla m'avait envoyé un message dans la journée.

« Tu es libre demain après-midi ? »

« A priori, je n'ai rien de prévu. C'est quoi le plan ? »

Immédiatement après avoir envoyé mon message, je vis qu'elle était déjà en train d'y répondre.

« Toi, Blaine et moi. À la fête foraine de Santa Cruz. Du début de l'après-midi jusqu'au soir. »

Elle avait ajouté quelques smileys. Plusieurs souriaient et d'autres avaient un air aguicheur.

Je n'avais pas reparlé à Blaine depuis notre virée nocturne et je pensais probablement avoir plus de temps avant de le revoir. Mais j'étais stupide de croire que je ne l'aurais pas vu plus tôt. Malheureusement, notre choix était déjà fait quand on s'était embrassés à plusieurs reprises ce soir-là et qu'on avait beaucoup apprécié ça, peut-être un peu trop.

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