Chapitre 1 : Cera

Des petites touches de couleurs vinrent caresser le visage de la jeune femme, recouvrant son visage d'une douce chaleur. Le chant des oiseaux vint lui titiller les oreilles. Elle ouvrit les yeux sur les branches de bois et les feuilles de palmiers. Elle se leva et étira ses membres. Cera se sentait aussi légère qu'une plume. Le lit de sa colocataire était vide. Abandonnée. Il était rare pour Perry de se réveiller plus tôt qu'elle. Elle repoussa ses longs cheveux sombres derrière ses oreilles et débuta sa journée.

Cera commença par remplir les contenants d'eau. Seulement, sa mission fut obstruée par une douleur invisible à la main. Son regard parcourut sa peau, à la recherche du mal qui la rongeait. Elle tourna son poignet dans tous les sens et plia ses doigts à plusieurs reprises avant de reprendre la route. Elle continuait de ressentir une forme de dureté au niveau des doigts, comme si une seconde couche de peau gênait ses mouvements. La jeune femme prierait ardemment au repas. Le vœux de guérison pouvait être accordé par les Déesses si on le souhaitait suffisamment. La chasse risquait d'être compromise avec ce genre de blessure et ça, elle ne pouvait se le permettre.

Une brise d'air balaya ses cheveux. Elle posa les contenants près du feu pour regarder le ciel. Le soleil brûlait sa peau. Elle souffla et détourna les yeux. Ses camarades travaillaient autour du camp, chacune à sa tâche. Cera se dirigea vers le plage. Min attendait sur un rocher, les yeux rivés sur l'eau. Elle tenait à la main un harpon : la pierre était aussi acérée que celle de ses flèches. Concentrée dans son travail, son amie ne remarqua pas sa présence. D'un coup sec, l'arme traversa le rideau liquide. Un grognement frustré lui échappa.

La brune quitta le banc de sable pour revenir au camp. Elle emprunta un chemin marqué par l'histoire : des empreintes inconnues laissées dans l'écorce des arbres. Toutes celles qui étaient venues sur l'île avant elle avaient laissé leur marque. Un jour, Cera laissera sa marque. Elle parcourut des doigts l'une des entailles et essaya d'imaginer un instant le visage de ses prédécesseurs. Était-elle blonde ? Brune ? Quelles couleur était sa peau ? Comment a-t-elle fini sa vie ? Cera n'avait jamais affronté la mort. Elle en avait seulement entendu parler. Comment se déroulait l'ascension jusqu'aux étoiles ? Était-ce douloureux ? La jeune femme avait beaucoup de questions en tête.

Elle entendit au loin un sifflement provenant du camp : il était l'heure de manger.


 

*


 

Le poisson était absolument délicieux pour la guerrière qui n'avait pas mangé depuis plusieurs heures. Les faibles réserves de nourriture poussaient les habitantes de l'île à ne se nourrir qu'une fois par jour. Un maigre consensus pour ces femmes qui travaillaient une bonne partie de la journée. Il lui arrivait de se réveiller en pleine nuit tant la faim la faisait souffrir.

Cera s'installa plus confortablement contre le tronc de l'arbre. Son regard vogua d'une personne à l'autre. Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, ses paupières se baissaient. Elle ne serait pas contre une petite sieste...

Elle se réveilla au bout de ce qui lui semble être de simples minutes. Les muscles endoloris par la position assise, la jeune femme s'étira comme elle le put. Elle remarqua la position inclinée du soleil. Elle avait dormi plus longtemps qu'elle ne l'avait cru. La chasseuse se releva puis s'équipa de son arc. Elle allait faire un tour, histoire de se dégourdir les jambes.


 

Sur son chemin, Cera rencontra d'autres camarades armées. Elles cherchaient du gibier à abattre. Plus jeunes qu'elle ne l'était, ces nouvelles recrues étaient toujours en période d'apprentissage. A cet âge, on cherchait à débusquer des proies plus petites et plus faciles à abattre.

– Bon courage, les filles, leur adressa la brune d'un sourire.

– Merci, Cera.

Elles prirent toutes les trois des routes différentes. La chasseuse voulait aller plus loin aujourd'hui. Explorer des terres qu'elle n'avait pas l'habitude de rencontrer. Elle voulait sortir de sa zone de confort pour une fois. Et si la chance lui souriait, elle pourrait même rentrer avec une nouvelle proie sur le dos.

Avec ce nouvel objectif en tête, la jeune femme dépassa des arbres, contourna les gros rochers et évita les épines des fleurs les plus sauvages. Elle s'essuya le front à plusieurs reprises, tant la chaleur l’oppressait. Le feuillage ne parvenait pas à la protéger des rayons du soleil. Elle souffla et s'arrêta un instant. La sueur perlait son corps et sa propre odeur lui monta au nez. Un petit saut dans la rivière s'imposait.

Alors qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour, son regard capta une lumière rouge dans les feuillages. La chasseuse cligna des yeux. Elle se rapprocha de l'arbuste pour constater cet étrange phénomène. La membrane auquel elle appartenait bougea. Et la jeune femme sursauta. Elle saisit son arc et sa flèche, prête à tirer au moindre signe d'agression. L'objet ou l'animal sortait de l'ordinaire : Cera n'en avait jamais vu de pareil !

Elle remit son arc en place et commença à escalader le tronc de l'arbre. La chose ne portait aucune arme de visible, aucune griffe qui pourrait lui arracher la peau. Elle souffla sous l'effort et s'avança tête en bas sur la branche. Cera alternait mouvement des bras et mouvement des jambes. Elle fut bientôt récompenser de ses efforts en avisant la créature à l’œil rouge.

La brune dégagea les feuilles qui l'entourait pour l'aviser de plus près. Elle s'assit sur la branche quand la tension sur son corps fut trop intense. Sa main toucha nerveusement la chose : quelque chose de dur et lisse. Une sensation étrange pour elle. Il n'y avait pas de poil, pas de pouls. Pourtant, la créature avait bel et bien bougé sous ses yeux. Plus confiante, elle mit ses deux mains autour de sa silhouette et commença à tirer. La jeune femme resserra la prise de ses jambes pour éviter la chute. Ses efforts furent vain. La chose ne bougea pas d'un iota.

– J'aurai aimé te montrer au reste de la tribu. C'est dommage...


 

Cera rentra au camp, épuisée. Elle était déçue de ne rien rapporter de concret pour sa découverte. Accompagnée d'une poignée de ses camarades, elle se rendit à la rivière. Elle dénoua la peau de bête qui protégeait son intimité pour plonger sous l'eau. La chasseuse revint tranquillement à la surface puis repoussa ses mèches d'un mouvement. Ses muscles se déliaient à la fraîcheur de l'eau. Elle se sentait tellement bien.

– Vous avez entendu les rumeurs ?

– Lesquelles ?

– Perry et Luna se seraient rapprochées récemment...

– Mais je croyais que Perry était avec--

Leurs regards se dirigèrent vers Cera qui ne suivait qu'à moitié leurs échanges. Elle répondit cependant à leur curiosité.

– Nous sommes juste colocataires.

Il était courant pour les femmes de partager des relations plus qu'amicales dans le camp. La brune ne comprenait pas ce besoin d'intimité. Elle n'avait jamais éprouvé la moindre attirance pour qui que ce soit. Ce désir qu'éprouvaient les autres, elle ne le ressentait pas. Le lien qu'elle avait tissé avec ces femmes ressemblait d'avantage à de la camaraderie, à de l'amitié.

– Vous avez remarqué l’œil rouge dans les arbres ?

Sa question lui attira des regards étranges. Elle avait l'habitude de ce genre de réactions. Les mots de Cera parvenaient toujours à surprendre ses interlocutrices tant ils étaient incongrus. La jeune femme aimait provoquer la surprise. Elle maintenait un visage impassible afin de rendre la situation plus drôle à ses yeux. Elle finit par sourire pour détendre l'atmosphère.

– J'ai essayé de l'arracher à l'arbre mais pas moyen de le faire bouger.

– Un œil ?

– Oui. De la couleur du sang.

Les femmes discutèrent ensemble de sa découverte. Une grande partie d'entre elles avait du mal à croire à ses dires. La chasseuse était considérée comme quelqu'un d'excentrique. Un jour, elle leur avait raconté avoir rêvé d'une énorme créature poilue s'attaquant à elle. Ses cauchemars étaient tout aussi étrange que ses mots. Cera connaissait sa réputation auprès des autres. Et elle avait appris à en jouer.

Elle se lava les bras et les seins. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas pris le temps de se laver. La jeune femme se mit à genoux dans l'eau afin de peigner ses longs cheveux sombres. Ces derniers lui arrivaient presque sous les fesses. Contrairement à ses camarades, la brune aurait aimé avoir une chevelure plus courte et moins encombrante. Seulement, elles ne possédaient rien de suffisamment tranchant. Même les pierres les plus tranchantes ne parvenaient à bout de ses boucles.

Cera se redressa pour sortir de l'eau. Elle bascula la tête sur le côté pour essorer ses cheveux puis elle entreprit de nettoyer sa peau de bête. De la poussière et de la terre s'en détachèrent, et elle grimaça. Bien qu'elle soit réticente à l'idée de laisser sa peau toucher ce genre de tissu, elle le noua autour de ses hanches. Elle préférait les démangeaisons à la morsure des ronces.

La chasseuse revint seule au camp. Elle enjamba les divers végétaux et laissa son regard glisser sur les arbres. Elle espérait croiser l’œil rouge qu'elle avait vu un peu plus tôt dans la journée. Sa recherche fut bientôt récompensée. La créature était là. Dissimulée derrière les branches et les feuilles d'un arbre sans fruit, la lumière rouge paraissait presque invisible.

La jeune femme se mit au pied de l'arbre pour y poser ses mains. Elle s'apprêtait à s'élever pour attraper la première branche à sa portée quand elle entendit des cris. Ces cris, elles les entendit résonner dans sa tête. Une étrange impression de déjà-vu.

Cera courut. Elle courut vite, si vite qu'elle arriva sur le camp en quelques secondes. Le cœur sur le point d'exploser, elle laissa ses yeux absorber les destructions autour du camp : des huttes retournées, les outils disséminés un peu partout... Des empreintes sur la terre. Des empreintes monstrueuses. La brune releva la tête sur le paysage dévastée. Elle avisa les bois. L'arc en main, elle s'aventura dans la végétation dense pour retrouver les traces de la créature.

L'organe dans sa poitrine s'affola à la vue du sang. Son champ de vision captura l'image d'une main. D'un bras. D'une tête connue. Cera suffoqua. Perry était sur le sol. Immobile. Le regard éternellement fixé vers le ciel. Un sanglot secoua son corps. Elle essaya de se contenir, en vain : son amie était morte. Elle aurait voulu hurler sa tristesse au monde entier mais le monstre responsable de son décès, n'était pas loin. Elle le sentait.

La chasseuse sécha ses larmes d'un revers de main. Elle enjamba le corps de son amie pour retrouver son meurtrier. Elle se promit de venger Perry. Elle retrouverait le monstre. Et elle l'abattrait d'une flèche dans la tête. Cera serra des dents. Elle avait mal. Son cœur était fissuré. Elle avait partagé tellement de moment avec sa colocataire...

Elle orienta ses pas vers les grognements. La jeune femme mit sa flèche en place et tira sur la corde. Un seul mouvement de sa part et la créature rejoindrait les profondeurs de la terre. Elle se rapprocha. Lentement. Ses doigts sur la corde s'apprêtait à lâcher prise. Le bras tendu, elle visa la cruelle créature. La chasseuse avala difficilement sa salive en voyant le corps entre ses pattes. Elle avait eu le temps de faire plus d'une victime... Elle relâcha sa prise et observa sa flèche s'enfoncer dans le corps de l'animal. La bête grogna, furieuse d'être interrompue pendant son repas.

Cera tira une seconde flèche. Puis une troisième. Elle continua jusqu'à tomber à court. La jeune femme souffla lorsque Luna asséna le coup de grâce : la tête de la créature retomba mollement sur son torse. Elles avaient réussi. Mais à quel prix ? Son regard glissa sur la silhouette « endormie » de sa camarade.

La jeune femme s'effondra pour laisser libre court à son chagrin. Si seulement elle était arrivée plus tôt. Si seulement... Le flot de ses pensées fut interrompu par un étrange bruit. Elle releva la tête pour mieux écouter. Un bruit assourdissant qui se répétait en boucle. Qu'est-ce qu'il--

Une sensation de piqûre lui démangea le dos. Elle ne sentit pas sa conscience quitter le monde réel pour rejoindre celui des songes.

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