ZERO

Il n’y a plus que le froid qui règne sur ce qui reste de la prairie, dans les tranchées, ce sont les morts qui aspirent toute la chaleur des vivants. Les obus qui dévalent le ciel pour s’écraser dans la boue font le bruit des feux d’artifices, mais aucune exaltation ne gagne les hommes. Les cœurs se vident, ils sont bien obligés.

Comment faire autrement ? Personne n’est fait pour la guerre, pas plus le tisserand que le policier ou l’ivrogne, ni même l’homme en soif de justice, ni même celui qui veut protéger son pays, sa femme et ses enfants.

Les Hommes n’ont pas été créés pour se battre, c’est la guerre qui le leur a appris, c’est la soif de pouvoir et de territoire, l’aspiration de grandeur.

Si l’homme ne rêvait que d’être petit, il ne se serait pas pris au jeu d’être trop grand. Personne ne peut être plus élevé que l’autre, c’est comme ça que les guerres naissent.

On imagine que chaque génération connaîtra sa guerre, ses morts et le sang qui coule à flot. Ce n’est que l’aube de cette guerre, et à nos yeux, à nous, Hommes du vingtième siècle, elle nous paraît comme plus grande que toutes les autres. Tout ce qui est déployé, les forces, les faiblesses de chacun. Tout ce qui est menacé, des familles, des pays, des peuples.

Ce n’est pas la première guerre que connaît notre triste planète, ce n’est pas le premier peuple qui craint à sa vie, mais celle-ci est faite d’un feu noir et hideux qui a grandi dans les braises des plus immondes des cœurs. Peut-être que plus nous avanceront sur l’échelle du temps, plus ces conflits deviendront grands. Mais pour nous, c’est celle-là, notre guerre, on a pas eu le choix. C’est la première grande guerre mondiale, et sur le front, chaque homme, en plus de penser à sa vie, espère que ce sera la seule.

Il ne sait pas de quoi sera fait le futur, et comment les pays seront dans dix ou vingt ans. A vrai dire, il s’en fiche bien. Il a d’autres choses en tête, et il espèce que ce sera pas du plomb. Parfois, quand il ne pleut pas des abus sur sa tête, que l’air qui respire n’est pas du poison et que les rats le laissent tranquille, il imagine un monde en paix, avec un vainqueur et un immense deuil à faire.

Il n’imagine pas qu’un autre ennemi plane sur le champ de bataille.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez