XXIV : Le chant du prince et le combat du chevalier

Par Jibdvx

Un silence angoissant avait accompagné l’apparition du prince. Les aventuriers ne savaient comment réagir devant cet homme splendide et son armée de statues. Pas d’attaque ou de marche inexorable des pantins de pierre, juste l’insondable regard de Milostivar les toisant comme un maître regarderait son chien. Une aura particulière émanait de sa personne, tout comme la colère intarissable de Neruda, le prince inspirait un respect tinté de crainte.

Sans un mot, mesurant chaque mouvement de son corps parfait, il descendit les marche, ponctuant ses pas d’un claquement de main, son sourire énigmatique s’élargissait encore. Il applaudissait et les statues firent de même sans que le moindre son ne s’échappe de leur paumes glacées. Dans un pantomime malsain mené par le prince, les aventuriers furent acclamés.

Arrivé au bout des marches, Milostivar abandonna son trident, qui resta en suspension dans les airs sans que rien ne le maintienne en place. Les applaudissements cessèrent et l’expression sereine du seigneur de Lubinapolis changea pour une moue légèrement contrariée, ses yeux maintenant braqués sur le gardien. Ce dernier tremblait toujours comme une feuille, il trouva malgré tout la force de se dresser sur ses jambes rachitiques pour venir s’agenouiller, la tête basse, devant son prince qui ne prêtait plus aucune attention aux six autres visiteurs. Anton échangea un regard avec Jambar dont l’expression crispée le persuada de ne pas intervenir. Ils regardèrent donc circonspects ces deux représentant d’une civilisation prétendument disparue. L’un, prostré devant la majesté de l’autre. Du bout de ces longs doigts pâles, le prince releva la tête de son sujet pour qu’il puisse le regarder en face. Les lèvres momifiées du gardien tremblaient et il aurait sans doute éclaté en sanglots s’il possédait encore de vrais yeux. Un échange muet avait lieu, à croire que le simple contacte du prince lui suffisait pour se faire comprendre. Ou alors parlait-il par l’esprit, comme les banshees du temple de Pentapolis ? Les doigts du seigneur descendirent sur le livre du gardien, serré contre sa poitrine squelettique. Soudain, comme si la couverture de l’ouvrage c’était spontanément embrasée, la momie lâcha brutalement son bien et resta les mains tremblante, ses prunelles brillantes toujours rivées dans le regard du prince. Puis, le corps ramassé du gardien se détendit. Ses épaules s’affaissèrent, ses bras retombèrent et une étrange quiétude envahie son visage.

— Qu’est-ce qu’ils foutent ? demanda Orm à Jambar.

— Préparez-vous, fut la réponse de l’employeur.

Un murmure, presque un souffle, s’échappa des lèvres jusqu’alors scellées de Milostivar. Tout ce que le groupe perçut fut un sifflement dans l’air et un éclair vert aussi furtif que rapide passa dans leur champ de vision. L’instant d’après, Emilia étouffa un cris. Le trident du prince s’était fiché dans le dos du gardien avec assez de force pour le soulever dans les airs. L’arme se tenait de nouveau droite comme un pic, la momie empalée en son sommet, ses membres ballants comme des fétus de paille. Ses yeux incandescents avaient laissé place à deux trous noirs sans vie. Au lieu de sang, une fine poudre grise s’échappait du corps desséché pour se rependre sur la couverture de l’immense livre, laissé au sol, en un petit monticule blafard. Avec une mine circonspecte, Milostivar s’accroupi, en prit un pincé et regarda avec intérêt les minuscules grains s’écouler entre ses doigts. Il poussa ensuite un profond soupire, ramassa soigneusement l’imposant manuscrit, l’épousseta et se tourna face au groupe, il tendit nonchalamment un bras en sifflant. Encore une fois, son trident fila à une vitesse monstrueuse pour retourner dans la main de son maître. À la fois médusés et choqués par la scène, les aventurier manquèrent presque d’apercevoir derrière les larges épaule du prince, le corps sans vie du gardien retomber violement sur le carrelage du palais… pour s’y briser en une dizaine de morceau de pierre verte.

— Nous voilà maintenant éclairé en ce qui concerne les statues, dit amèrement Sol.

Leur hôte fronça ses sourcils parfaitement épilés.

Intéressant. Voilà bien plusieurs siècles que mon domaine n’a pas reçu la visite des barbares du sud… 

Une voix suave au timbre profond résonna dans l’esprit des voyageurs avec un écho se répercutant jusqu’à leur poitrine. Elle avait quelque chose d’envoutant, comme si un brouillard douillet s’insinuait dans leur cerveau, une présence apaisante au premier abord, mais écrasante et dominatrice. Cette force émanait du Prince comme les vagues soulevées par une pierre jetée dans une mare. Avec une lenteur reptilienne, Milostivar s’approcha d’eux en les jaugeant un par un.

Je vois deux mages. L’un déjà vieux, l’autre dont la flamme vive de la jeunesse bout en elle. Si vivace, si belle…

La main d’Elio tremblait sur le pommeau de son arme mais impossible de dégainer. Il constata qu’il en était de même pour ses compagnons, immobiles, à fixer leur hôte avancer, pas après pas, sans les quitter des yeux.

Ses yeux, deux gouffres sombres dans lesquels l’attention d’Emilia était absorbée irrémédiablement. La jeune femme, tétanisée, sentait la volonté du prince l’envelopper toute entière. Emprisonner ses pensées dans un étau et scruter chaque recoin de son âme. Elle comprit ce qu’avait ressenti le gardien quelques secondes plus tôt. De l’admiration, une peur piquante tel un millier d’aiguilles minuscules lui transperçant la nuque jusqu’en bas du dos. Peu à peu le visage parfait du prince se changea, le cœur de la jeune femme s’emballa de terreur. Ce n’était plus un visage, mais un ovale blafard percé de trois énormes tourbillons noirs, deux trous sans fond où sa conscience se perdait petit à petit.

Un bourdonnement désagréable la tira un instant de sa torpeur, ses pensées fragmentées lui revinrent. C’était comme sortir d’un sommeil profond après un cauchemar, les yeux et l’esprit embués, un picotement à peine perceptible derrière le crâne… et toujours se bourdonnement insupportable qui allait crescendo. Un frisson électrique parcourut ses membres et la jeune femme fut jetée en arrière, le bourdonnement se dissipa en même temps que le brouillard glacial qui enserrait son esprit. Le visage cauchemardesque de Milostivar s’effaça pour reprendre forme humaine, à l’exception de ses yeux fous de rage et de ses dents aiguisés comme des rasoirs, serrées si fort qu’elles en grinçaient. Sol apparut dans son champ de vision, une lumière vive lui recouvrant les bras. La lumière se concentra dans ses paumes et un éclair fulgurant atteignit le prince en pleine poitrine. Le corps de ce dernier se contracta et bascula violemment en arrière, projeté à toute vitesse de l’autre côté du hall. Il heurta le mur de pierre verte avec une telle force qu’il s’y encastra, faisant voler plusieurs morceaux de briques couleur émeraude. Son expression n’avait cependant pas changer pour autant, pire, il regardait maintenant l’érudit avec une colère indicible. Son trident lui avait échappé et gisait au sol, inerte.

Les autres secouèrent la tête, les yeux vitreux. Quand Elio aperçut l’arme du prince gisant au sol, il dégaina son épée et bondit en braquant son arme sur le morceau de masque enchâssé dans le trident.

N’y pense même pas, “havietch“ ! cracha le prince, toujours dans son mur.

— Aucune idée de ce que ça veut dire ! cria le chevalier en abattant sa lame.

Il manqua sa cible de peu. Le trident glissa sur le carrelage jusque dans la main tendue de Milostivar qui finit par s’extraire du mur comme si de rien n’était. Les autres aventuriers se mirent en position défensive autour d’Emilia. Anton, conscient qu’il ne pourrait pas tenir bien longtemps avec ses blessures s’ils devaient combattre, décida de se placer en retrait auprès de la jeune femme. Le mercenaire jeta un coup d’œil anxieux en direction des escalier et, malheureusement, ce qu’il craignait arriva. Les statues se mirent à bouger. Avec sa lenteur caractéristique, la légion de pierre se mit en branle et fondait sur eux.

— Sol, Orm occupez-vous des statues, empêchez les d’approcher au maximum, ordonna l’ancien commandant. Elio et Jambar tâchez de nous débarrasser de sa seigneurie.

— Soit on lui coupe son soutient, soit on fait d’une pierre deux coup en l’éliminant, compris.

Le barbare hocha la tête et dégaina sa hache à double tranchant. Une ombre passa subitement sur son visage.

— Qu’y a-t-il ? demanda Sol, préoccupé.

— Je… J’ai oublié les sacs de vivres au bord du lac tout à l’heure… Le con.

— Une seule mauvaise nouvelle à la fois je vous prie, leur lança le chevalier.

L’érudit envoya une nouvelle décharge d’énergie brut qui fit voler en éclats plusieurs statues. Orm s’élança en faisant des moulinets avec sa hache avant d’en écraser le plat sur la première tête passant à sa portée. Malgré l’efficacité notable de cette méthode, le colosse préféra utiliser ses poings avant que son arme ne se brise. Il attrapa fermement une statue par l’un de ses bras et l’envoya voler dans ses congénères qui s’effondrèrent dans un fracas minéral.

— Orm, reculez ! invectiva Sol.

Le barbare fit un bond en arrière juste avant que les marches de l’escalier d’où descendaient les statues ne se soulèvent en crissant, secouées par une puissante onde de choc. La horde de pierre tomba à la renverse comme un jeu de quille. Certaines de ces monstruosité finirent écrasées par leur congénères, d’autres agitaient inutilement les mains, bloquées sous un amas de corps remuant à la façon d’une mer agitée.

Pour régner à jamais

Sourds mes sujets sont désormais.

Devant mon pouvoir ils se prosternent

Et acceptent la lumière de ma gouverne.

Jambar esquiva de justesse le trident acéré qui lui frôla le visage. Il empoigna deux couteaux de lancer, en garda un en main et projeta l’autre entre les deux yeux du prince. Derrière eux, un tintement d’acier retentit. Le trident avait continué sa route jusqu’à Anton qui avait levé Faucheuse juste à temps pour parer les pointes mortelles à quelques centimètres de son visage.

Serfs sans volonté.

Courtisans subjugués.

Un peuple beaucoup trop fier,

Les voici pantins de pierre.

— Encore un qui pousse la chansonnette ! s’exclama Anton.

Le mercenaire serra les dents sous l’effort pour retenir le trident. Milostivar tenait le livre du gardien ouvert dans sa main gauche. De la droite, il dévia le poignard de Jambar comme s’il avait s’agit d’un moucheron. Elio plongea sur lui et amorça un coup d’estoc vers le bras soutenant l’ouvrage. L’arme du prince siffla dans l’air et revint en tournoyant dans le dos de l’employeur qui, voyant le coup venir, effectua une pirouette en sautant juste au-dessus.

Ô spectre surgit du néant

Ô toi venu en conquérant

Vois ce que j’accompli en ton nom,

Vois comment j’use de ton don. 

Milostivar recula d’un pas, ne faisant même pas attention au coup d’Elio qui manqua sa cible. Le trident fila comme le vent sans s’arrêter.

— Elio attention ! hurla Jambar.

Le jeune homme ramena prestement son bras et pivota assez vite pour arrêter le trident entre la lame et la garde de son épée. Un duel s’engagea entre le chevalier et l’arme animée. Elio esquiva de peu un violent coup de manche dans la tempe, un nouvel assaut visa directement ses yeux et encore une fois, la lame argenté s’interposa. À chaque échange, le chevalier grognait sous le choc, le poids de son armure et de la fatigue pesait sur ses épaules.

Dirigeant juste, peuple docile

Voilà le prix de cette paix fragile.

Sous mon règne, elle s’épanouira.

Des cendres d’un empire, la gloire refleurira.

Jambar intervint, agrippant le manche du trident à la volée. Malheureusement pour lui, il ne réussit qu’à légèrement le ralentir et finit entraîné dans les airs par l’arme. L’employeur s’agrippa de toutes ses forces pour ne pas tomber. Le trident s’agitait en tous sens et fonçait sur les sculptures du plafond.

— Si tu tombes essaie d’atterrir sur lui ! C’est assez efficace, lui cria Anton.

Pendant ce temps, en dessous, Elio dirigeait de nouveau ses assauts sur le prince. Le jeune homme enchaînait ses attaques de plus en plus vite pour mettre son adversaire sous pression, le voir esquiver en permanence commençait à l’agacer.

Plus loin, Sol et Orm contenaient les statues tant bien que mal, le colosse en avait déjà fracassé plusieurs dizaine et se servait maintenant d’une jambe en pierre comme massue improvisée.

— Il incante un sort ! Ne le laissez pas finir ! lança l’érudit.

« Facile à dire, j’aimerais bien l’y voire… » pensa le chevalier presque à bout de souffle.

Jambar, toujours juché sur le trident en folie, vit un bas-relief s’approcher à toute vitesse dans son dos. Il prépara son saut et se laissa tomber sur la tête d’une sculpture en contrebas. Il s’agrippa ensuite au cou de la statue et pria pour qu’elle ne se mette pas à bouger. Fort heureusement, celle-ci resta de marbre. Rassuré que le trident ne l’ai pas pris pour cible, il ne lui restait plus qu’à trouver un moyen de descendre…

Elio ferraillait toujours. La sueur commençait à inonder son front mais, en dépit de son bras de plus en plus engourdi, ses attaques ne faiblissaient pas. Il sembla même au chevalier que son adversaire avait de plus en plus de mal à l’esquiver. Il concentra de nouveau l’assaut en direction de la tête de Milostivar, guettant une erreur dans la danse inhumaine du prince. Cette tactique porta ses fruits, le chevalier profita d’un mouvement un peu trop confiant pour dévier sa lame qui fila droit sur la gorge de son ennemi. Un sourire s’esquissa au coin de la bouche d’Elio. Cependant, son instinct lui hurla que quelque chose ne tournait pas rond. Ses craintes se confirmèrent quand, pendant une fraction de seconde, le regard hautain du prince croisa le sien. Ces yeux débordaient de mépris, d’arrogance… et de triomphe.

Serfs sans volonté.

Courtisans subjugués.

Libérés de leur prison charnelle

Ont trouvé dans la pierre, la beauté éternelle.  

À ces mots, le prince referma violemment le livre qu’il tenait toujours sur la lame du chevalier, sa pointe continua sur quelques millimètres avant de s’arrêter à un cheveux de sa cible.

— C’est pas vrai, enragea Elio.

Le trident, jusqu’alors disparu, retourna dans la main de son porteur, encore plus vite qu’auparavant.

— Maintenant, “h’miss“, tu vas mourir, cracha le prince.

— À vos souhaits, répondit le jeune homme. Mais ne compter pas en finir facilement avec moi.

Elio retira sa lame prisonnière des pages du gigantesque tome, recula d’un pas et commença à tourner autour de son adversaire en passant son épée de main en main.

Au même moment, l’amas de gravats qu’étaient devenu la horde de statue fut englober par une douce lumière verte. Les débris s’animèrent, parcourus d’éclairs de magie et s’élevèrent en une spirale verdoyante.

— J’ai un mauvais pressentiment, dit Sol.

Le tourbillon vert grandit encore, une forme se dessinait peu à peu au milieu de la poussière.

— C’est pas vrai… Vous vous foutez de m…

Un poing de pierre colossal frappa Orm de plein fouet. Le barbare fut éjecté sur plusieurs mètres avant d’atterrir lourdement sur le dos. Une statue géante les dominait de trois bons mètres, une poussière verte scintillante recouvrait son corps disproportionné. La créature leva de nouveau son bras avec la ferme intention d’écraser l’érudit. Orm se releva en grommelant, fit craquer les os de son cou, souffla bruyamment et partit comme une flèche. Sol invoquait déjà un nouveau sort quand l’énorme poings de la statue s’abattit sur lui. Un choc tonitruant secoua toute la salle.

— Maître !

Emilia, de nouveau sur pieds, vit son mentor disparaître dans un nuage de poussière verte. Anton se mordit l’intérieur des joues et serra plus fort la garde de son épée.

Lorsque la fumée se dissipa, ils constatèrent avec soulagement que le mage n’avait rien. Orm, ses deux bras tendus, avait retenu le coup. Chaque muscle du corps imposant du barbare apparaissait sous son armure de cuir, les veine de son large cou palpitaient à en éclater et ses dents étaient si serrées qu’elles en grinçaient.

Trop absorbé par sa confrontation avec le prince, Elio n’assista pas à la scène. La vitesse des coups de Milostivar était inhumaine. Le chevalier avait été préparé dès le plus jeune âge à affronter n’importe quel type d’arme, mais le prince était très loin d’être un adversaire ordinaire. Le moindre relâchement était fatal, c’est tout juste s’il arrivait à cligner des yeux sans rater un mouvement. Pas le temps de penser, une pointe meurtrière lui rasa l’épaule, Milostivar fit pivoter son arme en reculant pour frapper le chevalier au menton avec l’autre extrémité du trident. Elio releva la tête au dernier moment. Il sentit le déplacement d’air créé par le manche projeté à toute vitesse. Ce combat ne l’avantageait pas vraiment, déjà fatigué et avec moins d’allonge, Elio ne tiendrait pas encore longtemps. Il fallait tout donner. Brusquement, le prince sursauta, visiblement décontenancé. Saisissant l’occasion, le jeune homme porta une botte qui traça un long filet noirâtre sur le torse de Milostivar.

 

COMMENT OSEZ-VOUS ?

 

L’exclamation explosa dans l’esprit du chevalier qui vacilla en grognant de douleur. Milostivar balaya le sol de son trident, distrait et entraîné par son armure, Elio chuta en arrière. Il eut tout juste le réflexe d’interposer son épée quand trois sers d’acier fondirent sur son visage. Il dévia l’attaque et le trident s’enfonça de plusieurs centimètres dans le carrelage. Elio roula tant bien que mal sur lui-même pour se relever difficilement, éreinté. Plusieurs mèches de cheveux pendaient mollement devant ses yeux, la sueur l’inondait sous son armure, il avait atteint sa limite. Étrange, entre les volutes de brouillard de fatigue qui obscurciraient sa vue, il distingua deux poignards dépasser des omoplates du prince. Soudain, Jambar surgit d’au-dessus d’eux un nouveau couteau à la main.

— C’est moi votre adversaire maintenant, votre altesse…

L’employeur s’arc-bouta et se mit en garde.

Un rat de plus à exterminer. Voilà ce que tu es à mes yeux, “djiwoki“, siffla le prince avec mépris.

— Ne me jugez pas hâtivement. J’ai eu une petite discussion avec le gardien et ce que j’en ai tiré me donne pitié de vous, lâcha Jambar d’un ton venimeux.

Milostivar pointa son trident sur l’homme à la capuche avec une grimace de dégout.

Tu crois m’impressionner avec tes ruses de primate ? Je dépassais déjà vos plus grands guerriers dans ma vie précédente, aujourd’hui je suis l’égal d’un dieu pour un simple mortel de ton espèce.

— Vous vous trompez lourdement… Jetez donc un œil dans mon esprit, vous allez être surpris.

Le prince leva un sourcil intrigué.

Je dois admettre que tu me surprends. Soit. Je détruirais ta conscience au lieu de ton corps si c’est ce que tu veux.

Jambar ne broncha pas, le regard ténébreux de Milostivar plongea dans le sien et les deux antagonistes se toisèrent sans mot dire.

— Elio ! C’est le moment ! cria Anton au jeune homme.

Le chevalier tentait de son mieux de faire le tri dans ses pensées, ses muscles brûlant lui vociféraient leur douleur et ses jambe peinaient à le porter. Malgré tout, il raffermit ses doigts autour de son épée, déglutit pour ensuite avancer pas à pas en direction du prince.

Un nouveau fracas se fit entendre. Sol et Orm, toujours aux prises avec la statue géante venait difficilement à bout de celle-ci. Le barbare para un coup de pied du colosse et en profita pour lui assener un puissant direct dans la pliure du genou. Déséquilibrée, l’abomination se ramassa sur les coudes. Anton entraîna Emilia plus loin de la mêlée en continuant de fixer le duel mental entre Milostivar et son employeur. Sol saisit l’occasion et invoqua une colonne rocheuse qui s’écrasa contre la figure colossale de la statue. L’explosion de la pierre jetée contre la pierre leur déchira les tympan. La sculpture fut rejetée en arrière où Orm l’attendait.

— C’est le moment de tout donner ! Prends ça saloperie ! tempêta le barbare.

Un uppercut accueillit le géant au milieu du dos. Orm poussa un hurlement effrayant. Un craquement douloureux se fit entendre. Des fissures apparurent sur le corps minéral de la statue et son ventre explosa en une gerbe d’échardes verdâtres. Coupé en deux, son corps immense laissa retomber ses membres comme un pantin désarticulé. Orm se tenait au milieu des débris, le poing levé, ses épaule montant et s’abaissant au rythme de sa respiration haletante. Le barbare tomba à genoux, à bout de force.

Pendant ce temps, Elio avait atteint le prince, immobile, encore absorbé dans sa confrontation silencieuse avec Jambar. Le chevalier leva son épée et arma son bras pour plonger sa lame dans le cœur de Milostivar. Il n’eut malheureusement pas le temps d’aller au bout de son geste. Le prince sortit de sa torpeur en reculant précipitamment.

Mensonges ! Qui es-tu pour pervertir tes pensées à ce point ?      

La voix du prince trahissait de la colère mêlée de… peur. Il lâcha son trident qui tomba en tintinnabulant.

— Affrontez la vérité, Milostivar, traître à l’Empire ! Confier le Grand Livre des incantations au gardien aura été votre dernier acte de bon sens avant de sombrer dans la folie.

Les yeux gris acier de Jambar transperçaient le prince.

— Menteur ! Immonde créature ! Comment peux-tu me tenir tête ? Je suis tout puissant ici ! je suis un di…

Un bruit de poterie brisé, suivi d’un bref éclaire lumineux interrompit le prince dans son monologue. Elio, son épée serrée à deux mains, se tenait au-dessus du trident, un léger filet de fumée montant de là où était enchâssé le morceau de masque, désormais brisé. Milostovar porta subitement la main à son torse d’où s’écoulait un liquide poisseux et noir là où la lame d’Elio avait tranché.

— Misérable ! articula-t-il. Je vais te faire payer, je…

Un couteau de lancer atteignit le prince au ventre, puis un deuxième, en plein cœur. Milostivar s’effondra, vomissant son sang noir sur les dalles aigue-marine de son palais.

— Avez-vous une dernière parole, votre majesté ? demanda ironiquement Jambar.

Le prince leva sur lui deux yeux désormais vitreux. Sa peau d’ivoire prenait peu à peu une teinte couleur d’algue, ses membres musculeux se raidirent comme paralysés.

— Si une fraction de ce que j’ai vu est vraie, tu sais qu’avec ma mort l’Empire s’éteindra à jamais. J’allais le sauver, c’était mon devoir… mon destin.

Vous avez choisi votre destin en pactisant avec le Seigneur Noir, dit Jambar impassible.

Le prince se laissa glisser sur le dos, hoquetant des flots de liquide noir.

J’ai fait le nécessaire pour que l’Empire survive, en as-tu fais autant ?

Désormais complètement tintée de vert, la peau du seigneur de Lubinapolis se craquela et s’évapora en une fine poussière vert terne. Avant de disparaître totalement, le prince souffla :

La ville a sombré

Afin que survive pour l’éternité

L’impériale lignée.

La ville a sombré.

Un silence lourd tomba sur le hall du palais, méconnaissable après la bataille. Jambar récupéra ses dagues dans les restes effrités du prince. Il les épousseta, se retourna pour constater l’état du groupe et déclara en soupirant :

— Bien. Sinon Orm, à propos des sacs de provisions…

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Isapass
Posté le 23/06/2021
Génial ! Le plus beau combat depuis le début (et pourtant les autres étaient déjà pas mal !). On lit en apnée, c'est trépidant, il se passe plein de trucs, et tu parviens quand même à rester clair. Tous les mouvements et les placements sont faciles à visualiser et la tension est palpable.
Et en plus, tu arrives à insérer une petite blague de temps en temps, sans pour autant gâcher le rythme... Vraiment, chapeau !
Par contre, on est pas près d'en savoir plus sur Jambar : le mystère s'épaissit encore. Mais là, pour la première fois, je me suis demandé si Jambar était bien du côté des gentils, vu que le prince lui dit que l'empire disparaitra avec lui. Ou alors il y a quelque chose de pourri dans l'empire et Jambar veut trancher le mal et repartir sur de nouvelles bases ? Bref, il y a de quoi se poser trouze mille questions !
Bravo encore pour ce tour de force !
Jibdvx
Posté le 23/06/2021
Et des réponses à ces questions, il y en aura. Promis X) Ça me fait tellement plaisir d'avoir un retour si positif pour ce combat ! J'en avais mal aux sourcils à force de les froncer pendant l'écriture... Merci encore pour ta lecture !
Cathie
Posté le 01/05/2020
Beaux combats, on s’y croirait... et pourtant, je n’aime pas la violence et n’en regarde pas en vidéo ou film. Mais tu as réussi de véritable chorégraphie.
Ce prince m’a beaucoup intrigué, est ce qu’on en saura un peu plus ? Un spin off peut-être. C’est que cette ville souterraine et aquatique est fascinante.
Quant au sac de provision.... belle trouvaille.
Flammy
Posté le 13/01/2020
Coucou !

J'ai vraiment beaucoup aimé ce chapitre ! Le combat était vraiment très bien retranscrit, avec des trucs dans tous les coins, des actions partout mais pourtant pas mal de visibilité, c'était vraiment super =D Pour ça vraiment, félicitations !

Jambar et toujours ses kilos de secret ='D Il faisait clairement parti de l'Empire, est-ce qu'il s'agissait de quelqu'un d'important ? Style famille impériale ou autre ?

Pour Orm, cette brute est surpuissante xD Mais bon, il a oublié les vivres, et ça c'est scandaleux !

Quelques coquilles :

"en prit un pincé " une pincée
"Il poussa ensuite un profond soupire" soupir
"mais un ovale blafard percé de trois énormes tourbillons noirs, deux trous sans fond " Si c'est percés de trois tourbillons, pourquoi il n'y a que deux trous ?
" se bourdonnement insupportable" ce
"n’avait cependant pas changer pour autant" changé

Pluchouille zoubouille =D
Jibdvx
Posté le 14/01/2020
Scandaleux en effet ! Merci beaucoup pour tes correction et ton super commentaire. Les combats sont tellement galère à rendre en détail sur le papier, lire ta réaction me fait très plaisir !
Des kilos de secrets ? Des BROUETTES ENTIÈRES ! AHAHAH ! Important il l'est ça c'est sûr oui.
UnePasseMiroir
Posté le 30/12/2019
J'ai tout bouffé cet après-midi (sans laisser un seul commentaire, shame on me) : franchement, ton histoire est géniale ! Toujours cette trame grave et même dramatique alliée a une légèreté qui donne plusieurs fois envie de rire... Tes personnages sont bien moins cliché que ce qu'ils laissent paraître au début, et j'apprécie beaucoup cette évolution ! L'intrigue elle même a dépassé la vague quête contre un hypothétique seigneur des ténèbres... Bref j'ai été agréablement surprise par la tournure prise par l'histoire. La cité engloutie et son prince en particulier m'ont intéressée ! J'ai trouvé le passage avec le gardien très triste et touchant. Et les descriptions que tu fais des lieux m'ont beaucoup plus, notamment quand la cité sort de l'eau, ce passage m'a vraiment marquée ^^
Est-ce que une suite est prévue ? Bon courage le cas échéant, et en tout cas, bravo et merci ! ❤️
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