VI – Discussion embarrassante

Par Akiria
Notes de l’auteur : Hi 👋🏼
J'ai repris l'écriture de cette histoire, j'y vais doucement.
Je reste ouverte à toute remarque, critique. Le but est de m'améliorer et d'avoir une histoire qui tient la route 😅
Bonne lecture.

Fin de soirée, je suis invité dans les appartements de Monsieur Saule, il m’accueille couvert d’un long peignoir brun, une flute de champagne à la main. Il porte une expression joviale sur le visage, j’en déduis qu’il est satisfait de cette journée.

La porte se referme silencieusement derrière moi, j’avance. Comme à mon habitude, je me dirige vers son canapé. Ça le fait sourire, je reste impassible, je détourne le regard et remarque un plateau noir ovale planant près de mon épaule. Je récupère les encas de ce drone discret et mon verre de champagne. Je sens ses yeux sur moi. Il doit comprendre que plus rien ne m’impressionne maintenant. Je m’installe en fixant la moquette vert bouteille du mur d’en face.

Là d’où je viens, très peu ont les moyens de s’offrir les deniers produits technologiques. Alors à mon arrivée, tel un enfant, je ne cessais de m’extasier en découvrant toutes ces innovations. Il en riait et me taquinait dessus. 

Chez moi, le confort est presque inexistant. À la perte de mes parents, il y a cinq ans dans un accident de la route, l’état a récupéré notre maison, nos terres et y a fait construire les infrastructures de la nouvelle ligne de train léger. Cela faisait des années qu’ils cherchaient à nous dégager, je me demande encore si leur mort est accidentelle. 

Ils ne se sont pas du tout souciés de nos vies, de notre devenir, que valent-elles ? Pourquoi se préoccuper de souches positives ? 

Ils m’ont refusé un prêt pour mes études en robotique, car j’étais déjà à 56 %. Par contre, j’avais le droit à une aide sociale, pour me nourrir et couvrir mes soins de santé primaire. Pour se loger, ce n’était pas compliqué, on avait le choix avec ma sœur, beaucoup d’habitations vides n’avaient pas encore été détruites. 

Je trainais dans des zones dangereuses, mais non sécurisées à la recherche de machines à réparer et à revendre. Je me suis formé seul, avec persévérance sans relâchement. Je n’attendais rien de cet État lâche et égoïste laissant crever son peuple à petit feu. On se sent pour la plupart abandonnée par ces derniers gouvernements en place, la priorité est donnée aux nouvelles générations. Je suis encore jeune, je voudrais qu’ils s’intéressent aussi à moi. Les élites restent terrées dans leurs bunkers de luxe et envoient leurs robots bricoleurs, agriculteurs s’occuper du pays.

J’ai eu le temps de beaucoup réfléchir ces dernières années et j’ai fait aussi quelques découvertes surprenantes dans les dossiers de recherches de mon défunt père qui était médecin et chercheur. La plus grande découverte était d’apprendre que ma sœur jumelle était une souche négative. J’ai aujourd’hui réussi à intégrer le centre des essais dans lequel il travaillait, je ferai mon maximum pour faire évoluer la science, mais surtout à profiter de ce qui m’a été retiré, le confort. Être proche de la mort et miséreux ne fait pas de moi un être en manque d’intelligence et d’ambition.

– Toujours pensif ? dit-il en refermant son écran qu’il visionnait pendant que mon esprit voguait dans mon pauvre passé.

– Je réfléchissais… me justifié-je 

Il a comme toujours ce sourire espiègle sur les lèvres, il s’assoit près de moi et pose sa main vigoureusement sur ma cuisse. Dérouté, je lève subitement les yeux vers les siens.

– Tu penses à SS71 ?

– Pas vraiment…

– À moi ? À nous deux ? s’amuse-t-il.

– Non plus.

Il rit doucement.

– Je t’offre une dose ?

– hum, je veux bien, dis-je en hochant de la tête. 

Il me remet sa coupe de champagne alors que j’ai les mains pleines, il se lève et se dirige amusé vers un long buffet à la forme arrondie à quelques mètres en face de nous. Je baisse la tête et prends une grande inspiration que je dégage en soufflant lentement.

À défaut d’avoir trouvé un antidote, un traitement a vu le jour après d’énormes tests et essais, en l’occurrence dans ce centre, un projet sur lequel mon père a travaillé. Toutefois, l’accès à ce traitement est réservé comme toujours à l’élite, aux plus fortunés, et est vendu principalement à l’étranger. Il est bien trop cher pour une personne comme moi. Malgré le salaire qu’il me verse aujourd’hui, je ne peux pas me le fournir, donc je n’ai pas honte d’accepter. 

Trois semaines que je suis ici, deux semaines qu’il me le propose tous les soirs. Parfois je me demande s’il se sert de moi comme un rat de laboratoire, continue-t-il les essais sur moi ? Je m’en moque très franchement, car j’ai bien constaté que ma toux s’était calmée, mes plaques sur la peau ont légèrement disparu. Mes douleurs musculaires sont moins pesantes, je réussis enfin à passer des nuits complètes sans être réveillé par tous ces maux. Mes doigts sont beaucoup plus souples, ce qui me rend plus agile dans mes conceptions.

Sortent discrètement d’une pièce, deux autres plateaux métalliques, ils arrivent à ma hauteur. Je me débarrasse de mon verre sur lequel je n’ai pas posé mes lèvres et les encas que j’ai juste pris le temps de humer. Je regrette sur le moment de ne pas profiter de cette nourriture. 

Saule revient, toujours avec le même sourire sur le visage. Il s’installe de nouveau près de moi, il tient une minuscule boite blanche. Un faible cliquetis se fait entendre à l’ouverture, il récupère de son intérieur de velours noir une mini seringue rectangulaire opaque ne laissant pas apparaitre le fond du produit. Il retire de ma main son verre et le pose sur le plateau.

Je lui présente mon cou et ferme aussitôt les paupières.

Je sens l’objet frôler ma peau, je reste serein. Je me suis habitué à ce petit pincement lorsqu’il presse dessus, je ne grimace plus. J’expire, c’est fini.

– Je t’aurais bien proposé de passer la nuit avec moi, mais je suis en déplacement demain, dit-il tout naturellement en rangeant soigneusement la seringue après l’avoir nettoyée.

– Tu sors ? demandé-je avec beaucoup trop d’enthousiasme, les yeux écarquillés.

Il éclabousse un rire bruyant, ce qui me met mal à l’aise. Je baisse aussitôt la tête.

– Oui, la météo nous le permet. Je dois visiter certaines usines et… d’autres centres d’essais, dit-il tendrement en constatant ma gêne. J’aurais aimé que tu m’accompagnes, mais ce n’est pas possible, hein ?

– Comment je vais faire pour… euh… tu sais ?

– Le traitement ?

– Oui.

Il me tend la boite, je le fixe stupéfait.

– Une seringue, 7 doses, il en reste 6. À prendre toutes les 24 h, pas avant. Je reviens dans quatre jours.

– 4 jours… c’est long.

– Tu vas me manquer aussi.

Je suis encore une fois surpris, se moque-t-il de moi ou est-il sincère ? Pourquoi s’intéresse-t-il autant à moi ? Je ne réponds pas et préfère contempler cette boîte. Je sais bien qu’il a de nouveau remarqué mon embarras. Il attrape sa flute logée sur le plateau qui lui est resté posé sur la longue table basse en bois clair et épais en forme de goutte d’eau. Il boit une première gorgée, puis une deuxième.

– Veux-tu aller dans la chambre ?

– Très drôle… Euh… je vais rentrer. Faut que je prenne des nouvelles de ma sœur.

– Bien sûr… Hey ! Fais-moi confiance, on ne lui fera rien de mal. 

– Et mon neveu ? Je pourrais le voir quand ?

Il se racle la gorge et reprend une lichette de champagne avant de me répondre.

– Comme je te l’ai déjà dit, il n’est pas dans ce centre. Et… tu n’as pas l’autorisation de sortir de l’établissement pour le moment. Tu es nouveau et les essais sont en cours, tu vas devoir être patient.

– D’accord.

Je n’avais pas reposé cette question depuis notre première rencontre. Je comprends, en effet, que j’ai vais devoir faire preuve d’énormément de patience, mais ma sœur bien plus.

– Tu as pu intégrer les résultats des tests de SS71 sur le prototype ? me demande-t-il l’air concentré.

– Pas encore, il en ressort beaucoup d’empathie, c’est ce que vous voulez ?

– Ce que nous cherchons c’est qu’elles s’entendent rapidement. Plus sa personnalité lui ressemblera, plus elle sera en confiance. Donc peu m’importe ce qui ressort.

– Je n’arrive pas à comprendre là où vous voulez en venir avec elle, vous avez son sang, ses ovocytes, un échantillon de sa moelle… tout ce qui…

– Tu n’as pas à le savoir… m’interrompt-il. Je te l’ai déjà dit, tu n’as pas à t’inquiéter.

Il se redresse et prend un visage plus sérieux.

– Mais… euh… je…

– Contente-toi avec Karl de perfectionner nos machines autant dans leurs structures que dans leurs fonctions. L’équipe technique attend vos résultats.

Il termine son verre et le pose sèchement sur le plateau inactif. Il attrape un de mes petits fours et l’engloutit d’une bouchée. Il se lève et resserre son peignoir. La lumière se tamise progressivement. Je saisis qu’il est temps pour moi de partir.

– D’accord. Alors… Je te laisse, merci.

– Ne t’approche pas de sa zone pendant mon absence, elle ne doit pas te croiser, compris ?

– Je sais…

– Je préfère te le rappeler, sinon je serais bien obligé de te retirer tes autorisations d’accès.

Je me sens blessé, son changement de ton me déplait. J’aimerais par fierté reposer sa boite, mais je la resserre plus fort contre moi. Je lui tourne le dos prêt à m’éclipser, mais il me retient par le bras.

– Alors je n’aurais droit à rien ? Pas même un sourire ?

J’avale amèrement ma salive et je me mets face à lui dégageant l’air dans mes poumons que j’avais stocké trop longtemps. Ses grands yeux bruns me dévisagent, il me relâche et cette fois c’est lui qui se détourne de moi.

– Bonne soirée, lance-t-il en s’éloignant.

Je ne réponds pas et m’en vais avec une sensation étrange. Pourquoi son attitude me perturbe ? Attend-il que je lui offre mon corps pour le remercier de tous les services qu’il me rend ? Toutes ses avances qu’il me fait depuis quelques jours me reviennent à la figure, je les ai toujours ignorées, mais je prends conscience qu’il espère surement une gratification. Je préfère imaginer cela que de croire qu’il puisse développer des sentiments pour un type de mon rang.

J’ai sacrifié ma sœur c’est suffisant, je serai le pantin de personne.

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