- VI -

Devant la mine inquiète de Laëtitia, il fallait que Bell se justifie :

― Je pars à peine quatre jours. Le temps d'aller chercher l'eau, et je reviens. Ce n'est pas le bout du monde.

― De toute façon, j'imagine qu'on ne peut pas te faire changer d'avis.

― Non.

― Si je t'enferme, avec des tartes à la violette ?

― À la fin, je n'aimerais plus ça.

― Bon alors, montre-moi ton sac. Donc, tu as besoin d'une fiole, c'est bon, d'un pull bien chaud. Je t'en ai mis deux. Tu as la cape, les vêtements de rechange, la gourde, le piquenique, ça c'est pour les premiers soins et la toilette. Je t'ai mis une pince à épiler. On ne sait jamais. Un briquet, un couteau. Tu es sure que ça te suffit ?

― Oui, je suis sure. Merci, Laëtitia.

Bell s'amusait à la voir virevolter dans sa robe vert d'eau. Les chats dessinaient des cercles autour d'elle sans savoir à quoi s'attendre. Crapouille restait aux pieds de Bell et commençait à avoir le tournis à force de suivre Laëtitia des yeux.

― Tu as assez à manger ?

― Oui.

― Tu reviens tout de suite après ?

― Oui.

― Si tu croises une sorcière, tu ne lui adresses pas la parole et tu passes ton chemin comme si de rien n'était.

― Et si c'est elle qui m'adresse la parole ?

― Tu lui réponds poliment, et tu passes ton chemin comme si de rien n'était.

― D'accord.

― Il y a autre chose. Je voudrais rencontrer ton ami à quatre pattes.

Bell se sentit soudain mal à l'aise, coupable d'avoir cédé à la tentation de dévoiler, avec un peu d'orgueil, peut-être, sa rencontre avec le loup. C'était une rencontre si récente, si fragile, qu'elle avait peur de l'avoir abimée en la révélant ainsi. Et s'il ne souhaitait pas qu'elle tente de lui présenter quelqu'un, s'il s'enfuyait pour ne plus revenir ? Et si Laëtitia prenait peur et lui demandait de s'éloigner de lui ?

― Oh, tu es sure ?

― Je te laisse pas partir, sinon, ajouta Laëtitia d'une voix tendre, en voyant les traits doux de Bell se décomposer subitement.

― C'est que... c'est pas un lapin.

― Je me doute bien que c'est pas un lapin, fit Laëtitia avec un demi-sourire.

― Et peut-être qu'il va pas te plaire et qu'il osera pas se montrer...

― Qu'est-ce que tu racontes ? dit Laëtitia en replaçant affectueusement une mèche de cheveux qui dansait sur le front de Bell.

Et comme Bell sentait ses yeux piquer et s'embuer, sans comprendre, elle détourna la tête. Laëtitia la prit dans ses bras et la berça sans rien dire, d'abord. Bell n'avait le souvenir d'avoir été prise que dans les bras d'oiseau d'Elena, et dans ceux de sa gouvernante, quand elle était petite. Cette pensée fit rouler une larme sur sa joue, qu'elle écrasa sur l'épaule de Laëtitia. Au bout d'un moment, Laëtitia chuchota :

― Je te promets que je lui ferai pas peur et que je ne jugerai pas. Tu me fais confiance ?

Bell secoua la tête et Laëtitia déposa un baiser sur son front, léger comme un papillon.


 


 

― Attends là, je vais voir si je peux le trouver.

Bell et Laëtitia avaient traversé le pont qui enjambait la rivière et s'étaient arrêtées à l'orée de la forêt. Bell chuchotait inutilement, et Laëtitia se contenta de sourire pour ne pas faire de bruit. En s'enfonçant dans la forêt, Bell appela :

― Loup ?

Quelque chose remua sous les frondaisons. Bell s'approcha. Le loup était couché derrière un buisson. Quand elle s'approcha, il eut un sursaut et se releva en montrant les crocs. Bell recula. Elle se demanda s'il s'agissait bien du loup qu'elle avait rencontré la veille. C'en était peut-être un autre. Celui qu'elle avait connu, peut-être, l'avait oubliée. Peut-être était-il parti. Mais il y avait toujours le foulard rouge, défait, qui pendait de la patte du loup et qui le gêna quand il se releva. Il le renifla, d'un air intrigué, puis plongea ses yeux d'or dans ceux de Bell, sans rien dire.

― C'est Bell. Tu te souviens de moi ?

Le loup resta immobile encore un temps. Ses oreilles se tournaient et se retournaient vers l'endroit où Laëtitia attendait, hors de vue et silencieuse.

― Tu as amené quelqu'un ?

Sa voix était tendue par un accent de reproche qui voilait son inquiétude. Bell s'assit lentement en face de lui et tendit la main vers sa patte blessée. Il eut un nouveau mouvement de recul, puis la laissa faire. Elle resserra le foulard autour de sa patte avec des gestes doux, pour ne pas lui faire mal.

― C'est Laëtitia. Elle m'a hébergée, cette nuit. Elle est gentille, elle veut juste te rencontrer. Tu peux lui faire confiance.

― Pourquoi tu lui as parlé de moi ?

Bell voulut caresser sa tête, l'endroit de la joue où les poils étaient un peu longs et qu'elle aimait bien, mais le loup s'éloigna avant qu'elle ne le touche. Ce geste lui brisa le cœur, mais elle essaya de ne pas le montrer.

― Je suis tellement contente de t'avoir rencontré. Alors quand elle m'a demandé si je voyageais seule, ça m'a échappé, et j'ai dit que j'avais un ami qui m'accompagnait, et elle veut te voir. Mais si tu ne veux pas, je lui dirai seulement que tu es parti.

En disant cela, Bell avait détourné le regard. Elle ne s'était pas aperçue, au moment où le loup avait déclaré qu'il viendrait avec elle, qu'elle avait d'emblée accepté sa présence, et s'était attachée à lui sans s'en rendre compte. Elle respira un grand coup pour faire passer sa peine, quand une grosse tête grise et douce vint se déposer sur sa tempe. Son souffle saccadé réchauffait la peau de son cou et une partie de son visage. Bell l'embrassa entre les deux yeux, et replaça son visage face à celui du loup, passant sa main à travers les longs poils de sa joue.

Le loup finit par se glisser, duveteux, entre le buisson et le bras de Bell. Elle le regarda trotter maladroitement vers Laëtitia, qui s'accroupit en le voyant arriver. Elle parlait à voix si basse que Bell ne l'entendait pas. Elle prenait garde de bien regarder le loup dans les yeux, et le loup restait assis face à elle, tournant le dos à Bell. Elle se demandait si Laëtitia parlait au loup, et s'il lui répondait. Elle n'avait pas vu que Laëtitia portait le moindre talisman, mais peut-être cela lui avait-il échappé. Pour ne pas les déranger, Bell resta près du buisson, à les observer tous les deux. Avec des gestes consciencieux, Laëtitia sortit de la poche de sa robe une petite boite, et le loup tendit sa patte blessée. Après un temps, Laëtitia se pencha sur le côté pour regarder Bell et lui sourit. Bell comprit qu'elle pouvait revenir auprès d'eux.

― Ça, ça va l'aider à cicatriser. Matin et soir jusqu'à ce que ça aille mieux, d'accord, tous les deux ? dit-elle en regardant alternativement Bell et le loup, et en tendant la pommade à Bell, avec le foulard rouge.

― C'est une pommade spéciale ?

― Très, très spéciale ! siffla Laëtitia en laissant planer un air de mystère, tandis que Bell rangeait la boite dans son sac. C'est du miel.

― Tu es rassurée ?

― Je pense, en effet, que tu es entre de bonnes pattes. Ça ne t'empêche pas de faire attention à toi, conclut Laëtitia en serrant à nouveau Bell dans ses bras. Il va falloir que vous contourniez Pélanges pour rejoindre la route de l'autre côté, reprit-elle. Pas question de traverser le village. Tu peux passer pour un gros chien si on te voit de loin, mais inutile d'attirer l'attention, ajouta-t-elle en adressant un clin d'œil au loup.

― Tu vas me manquer.

― Toi aussi, ma chérie. Faites attention à vous, et revenez vite. Tous les deux.

― Merci pour tout.

Elle fit un dernier signe à Laëtitia avant de quitter le village, et suivit le loup afin de contourner le village, sa cape sur les épaules et son sac sur le dos.

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!Brune!
Posté le 28/10/2023
Bonjour Claire,
C'est toujours un régal de suivre Bell et son ami dans leur pérégrinations. C'est émouvant de voir que la jeune fille s'est attachée la tendre complicité de Leatitia ; une femme au grand coeur et aux multiples talents. D'ailleurs, rien ne m'étonne de celle qui cuisine de succulentes tartes à la violette, pas même qu'elle puisse communiquer avec un loup ;-)
À très bientôt !
PS : le fiston va bien, toujours le nez dans les bouquins et (j'espère) la tête, un peu, dans les étoiles ! C'est très gentil à toi de prendre des nouvelles ;-)
Baladine
Posté le 30/10/2023
Bonjour Brune !
Merci encore de prendre le temps de me lire et de commenter ! Je pense à une millième réécriture pour ce livre, alors tes retours sont précieux.
A très vite, bonnes lectures à toi et à ton fiston !
Eska
Posté le 23/01/2023
Bonsoir Claire,

Trois jolis chapitres qui viennent de passer, doux et réconfortants comme cette rencontre avec Laëtitia !

Tu sèmes des petits mystères ici et là, nous laisse entrevoir une conversation sans nous y convier. J'ai apprécié le clin d’œil au petit chaperon rouge qui se finit sur une touche d'humour réussie :)

Peu de choses à dire en définitive, à part que tu prends ton temps, et que c'est évidemment agréable à lire !
Baladine
Posté le 25/01/2023
Merci Eska pour ta lecture et ton retour ! Et oui, vous n'êtes pas conviés à cet échange entre Laëtitia et le loup (mais au fait, Laëtitia parle aux animaux ou pas ?). Le narrateur a beau peut-être tout savoir, rien ne l'oblige à tout dire, ni à tout montrer. C'est son petit côté espiègle.
MichaelLambert
Posté le 19/12/2022
Bonsoir Claire !
Quelle plaisir de retrouver Bell, son ami loup et l'intrigante Laetitia qui se révèle plus douce et bienveillante que ce que je craignais. C'est un beau chapitre de transition et de transmission !
A bientôt pour la suite !
Baladine
Posté le 22/12/2022
Bonjour Michael ! Merci pour ta lecture, je suis contente que ça te plaise jusque là !
A bientôt !
Nathalie
Posté le 02/12/2022
Bonjour Claire May

Et les voilà reparties, mais avec du matériel cette fois.

Proposition de correction :

quelle écrasa sur l'épaule de Laëtitia → qu’elle
Bell et Laëtitia avait traversé → avaient
Baladine
Posté le 03/12/2022
Très important, le matériel!
Merci encore pour les coquilles!
Hortense
Posté le 01/09/2022
Bonjour Claire,
Laëtitia confirme qu’elle n’est pas une personne ordinaire et loup ne s’y trompe pas. Que peuvent-ils bien se raconter en catimini ? Des forces bienveillantes veillent sur Bell et je trouve que cela est plutôt de bon augure.
Une question me vient, Bell a disparu de chez elle depuis quelques temps déjà, personne ne se met-il donc à sa recherche ?
Quelques remarques et suggestions :
- et l'observait sans ciller : l’observa
- Elle respirait un grand coup : respira
- qui s'accroupit dans sa robe : dans sa robe ne me semble pas nécessaire et cela sonne un peu bizarre.
- lui tournant le dos : tournant le dos à Bell ? il me semble qu’il faut préciser sinon c’est un peu ambigu
- Laëtitia sortait de la poche : sortit
- Je vous propose de commencer à faire le tour du village d'ici : si elle dit : partez de derrière la maison ou quelque chose du genre il me semble que c’est plus clair ?
C’est toujours un plaisir, à bientôt
Baladine
Posté le 02/09/2022
Merci encore, pour tes retours et les coquillettes !
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