Vers le bord du vide

Par Sebours
Notes de l’auteur : Comme prévu, la première première partie du chapitre a été déplacée (et modifiée). Elle se trouve dans le chapitre précédent. Le chapitre est encore un peu long. Il y aura sans doute des coupes à effectuer. A moins que vous trouviez le temps d'exposition indispensable pour créer une ambiance.

Après la première guerre des Sept, tous les dragons avaient été exterminés au cours des batailles. Seul restait Brodisdag, le champion des rouges d’Abath-Khal. Sans femelle, la race était condamnée à l’extinction. Cess-Khal, le dieu du temps, prenant conscience de la longue solitude qui attendait la bête, l’égorgea pour lui éviter ce calvaire. Nunn n’imaginait pas que ses fils, les sept dieux qu’il avait façonnés à son image puissent être si cruels et implacables.

Pris d’un immense chagrin, le créateur de toutes choses se mit à pleurer pendant un siècle en contemplant les carcasses des dragons se décomposer. Les larmes de Nunn tombaient sur les montagnes, formant des rivières. Suivant la pente, ceux-ci se regroupaient pour bientôt créer des fleuves qui se déversaient au bord du bouclier monde pour engendrer la mer annulaire. Pour montrer à tous que chaque décès le touche, Nunn créa alors la pluie. Depuis elle est le symbole de son deuil de tous les morts.

Puis Nunn bâti sept îles au bout de la mer annulaire, à la limite du néant qui entourait l’e bouclier-monde. A chacun des Sept, une île fut attribuée et chacun des Sept y fut assigné. Les Sept devaient à présent agir depuis ces confins, entourés d’une mer de larmes leur rappelant leur cruauté.

« Les larmes de Nunn » extrait de La bible des servants dragons d’Abath-Khal

Le capitaine passa deux jours à définir son projet avec son second et son nouvel ingénieur, puis un grand banquet fut organisé la veille du grand départ du chef du clan de Udgog. Le géniteur royal passa ensuite la nuit à féconder l’ensemble des femelles du village car il ignorait la durée de sa prochaine absence. Ces orques noires comme l’ébène n’engendreraient qu’un sang impur, mais qu’importe, une armée n’avait pas seulement besoin de champions, elle nécessitait également de simples soldats obéissants.

Contrairement à son voyage dans l’inframonde, le périple pour rejoindre le Maître permettait de prendre un destrier. Ce fut donc sur le dos de son cheval de guerre que Gal entama son trajet. Avec le rhinocéros, le cheval-tonnerre était le seul animal capable de porter les cent cinquante à deux cent cinquante kilos d’un orc. Udgog se trouvait dans partie intérieure de la couronne de massifs formant Orcania, à la frontière du royaume elfe. La destination se trouvant vers l’extérieur du bouclier monde, le capitaine commença par traverser les montagnes par des vallées et des cols qu’il connaissait par cœur pour les avoir parcourus à multiples reprises au cours de sa formation militaire. La chevauchée entre les pics dura une semaine et demi, jusqu’à Klaralk, un village accolé à un fortin, sorte de miroir de Udgog. A son arrivée, Gal fut chaleureusement accueilli par son cousin Kral, le capitaine de ce poste avancé car sa venue était toujours synonyme de raids et de pillages. Les orcs se réjouissaient d’autant plus de cette perspective en cette longue période de paix imposée par Nunn. La soirée fut donc à la fête et la bière coula à flot.

Le capitaine Gal détenait un blanc-seing permanent du roi Orokko qui l’autorisait à lancer des raids de sa propre initiative alors que ce privilège appartenait aux généraux. La manœuvre fut similaire aux fois précédentes. Les troupes déferlèrent de manière désordonnée au vrombissement des trompes et des cris gutturaux. Très vite, six escouades se formèrent pour rayonner sur les territoires ennemis. Deux groupes descendirent la vallée pillant les comptoirs des gnomes. Deux autres s’avancèrent dans les marécages, terrorisant les fées. Les deux derniers pénétrèrent dans la forêt, traquant les satyres pour les égorger. L’avancée, bien que rapide, toujours plus avant dans les territoires ennemis dura plus d’un mois. L’objectif final du raid était de regrouper les escouades sur la côte pour capturer des dryades.

En parallèle de la fureur des combats, Gal avançait discrètement jusqu’à la mer annulaire. Profitant du désordre ambiant, presque invisible, le capitaine se déplaçait en silence à la lisière de la forêt longeant la vallée secondaire du fleuve Orlant. Soudain, à deux cents mètres devant lui, un satyre en fuite se cacha derrière un gros chêne, craignant apparemment une menace à l’intérieur des fourrés. Le géniteur royal sorti lentement sa fronde puis dans un geste vif comme l’éclair atteignit sa victime à la tête, l’assommant sur le coup. Il s’approcha de sa proie, descendit de cheval-tonnerre puis ligota le fuyard inconscient.

Tandis qu’il achevait son dernier nœud, un orc arriva, stupéfait de se retrouver nez à nez avec l’initiateur de ce raid. « Capitaine Gal ! Que faites-vous seul ici ? Nous vous croyons avec une autre escouade. »

Gal se devait de trouver une explication crédible afin de ne pas éveiller les soupçons de son interlocuteur concernant sa destination. « Rrrr ! Je suis votre groupe depuis Klaralk. Ainsi en retrait, à la lisière de la forêt, je traque les satyres qui vous échappent en se dirigeant vers la vallée. Rrrr ! J’ai aussi l’opportunité de m’occuper des gnomes qui se dirigent vers la forêt, chassés par le groupe de Kral. »

Le soldat s’interrogeait sur la curieuse manière de procéder du capitaine. « Pourquoi ligotez-vous ce pleutre ? La valeur d’un guerrier s’évalue au nombre de ses victimes ! »

« C’est exact soldat. Rrrr ! Mais je suis chef de guerre. Pour décider, j’ai besoin d’informations. Et un macchabée ne fournit aucun renseignement, au contraire d’un prisonnier. Rrrr ! Ne pas soldat, je l’égorgerai après l’avoir torturé pour lui extorquer tous les secrets de son peuple ! » Le capitaine appuya ses mots d’un regard sadique fort convaincant. Il fallait à présent faire partir cet encombrant congénère. « Rrrr ! En tout cas, soldat, je note ton abnégation à traquer tous vos adversaires. Rrrr ! Comment vous appelez vous ? »

« Kran, mon capitaine. »

« Rrrr ! Tu es un bon élément. Je signalerai ton attitude exemplaire à vos supérieurs. A présent, soldat Kran, aide-moi à charger ce satyre sur la croupe de mon cheval et rejoignez votre escouade. Rrrr ! Les combats ne t’attendront pas. »

L’orc obéit aux ordres de son supérieur, satisfait des explications qu’il lui avait fournies. Gal se retrouva à nouveau seul, avançant silencieusement sur la frontière des territoires des gnomes et des satyres. Lorsqu’il reprit conscience, le prisonnier tenta de se débattre, mais les nœuds coulants pratiquer par le chef de guerre de Udgog provoquaient un étranglement progressif, croissant à chaque mouvement brusque. Au bord de l’étouffement, le satyre cessa toute tentative de libération. Bien entendu, Gal avait consciencieusement bâillonné sa victime, le silence constituant son allié principal. C’est pourquoi il ne lui adressa pas la parole pendant les deux jours et les deux nuits qui suivirent. Avançant d’un pas lent mais régulier, le capitaine rattrapait son retard sur les troupes orcs lorsque celles-ci s’arrêtaient pour mettre à sac les villages qu’elles rencontraient. A l’aube du troisième jour, Gal distingua un nuage de poussière s’élevant du fond de la vallée, signe distinctif qu’une charge de cavalerie se déroulait. Un comptoir allait être bientôt attaqué à environ un kilomètre. Les gnomes tentaient de fuir, poursuivis par les guerriers orcs. Le géniteur royal accéléra le pas pour profiter de l’aubaine. Un quart d’heure plus tard, il dressait une embuscade, armé de sa masse, à proximité des échauffourées. On ne voyait plus son destrier, caché à l’abri dans un bosquet. De la zone d’habitation montaient le fracas des armes d’acier, les cris de fureur des pillards et les lamentations de leurs victimes. Rapidement, les gnomes tentèrent de se disperser pour fuir les combats, et deux individus s’approchèrent dans sa direction. Gal méprisait ces êtres vils qui refusaient toujours de se battre, favorisant toujours le marchandage et la plume à la guerre et l’épée ! Mais il devait prendre sur lui pour ne pas les exécuter. Le capitaine laissa courir les deux fuyards jusqu’à la lisière de la forêt, tout en se déplaçant tapis dans l’ombre. Au moment où ses victimes pénétraient dans les sous-bois, l’orc surgit. Il envoya un coup de masse en pleine tête de l’adversaire le plus proche, qui s’affala sous la violence du coup. Le second stoppa net sa course, pétrifié de surprise et de peur. Tel un grand prédateur sûr de sa force, Gal avança d’une démarche lente en roulant des épaules. Le gnome tenta d’engager un pourparler en langue orque. « Laissez moi partir. En échange, je vous donnerai tous ce que vous dési... » Le pleutre n’eut pas le temps d’achever sa phrase, assommé par un coup de poing marteau. Une fois ses deux proies ligotées et mis en croupe, le capitaine se remit à l’affût juste à temps pour repérer un troisième gnome se dirigeant dans sa direction. Le fuyard allait rentrer dans la forêt trois cents mètres sur sa droite. A l’abris des arbres, le guerrier se précipita au point de rencontre en prenant garde d’être demeurer le plus silencieux possible. Il arriva légèrement en surplomb de sa victime et bondit sur elle. La lutte fut brève. Après quelques coups échangés à terre, manquant cruellement de puissance, l’orc saisit le gnome par les pieds et le projeta contre le tronc d’un grand chêne. Le capitaine de la garde se releva, se dirigea vers son adversaire et constata qu’il était inanimé. Lorsqu’il le saisit pour l’emmener au camp, une douleur aiguë explosa dans son abdomen. Portant une main à son ventre, il découvrit un couteau planté dans ses viscères. Le chef de guerre enrageait. S’il ne participait pas aux raids, c’était pour éviter de se blesser et compromettre sa mission. Et un stupide Gnome venait de le poignarder !

Gal se trouvait physiquement diminué. Il devait agir méthodiquement et rapidement pour ne pas se mettre davantage en danger. Le capitaine empoigna le manche et arracha l’arme plantée dans son ventre. Il égorgea ensuite l’immonde pourceau cause de sa blessure car il puiserait trop dans ses réserves pour le déplacer. De plus cette vengeance atténua légèrement sa douleur. Il marcha ensuite à pas mesurés jusqu’à sa monture et dans un effort démesuré enjamba son destrier. Gal lança alors son cheval avec l’objectif de s’éloigner au maximum des combats. Le fier guerrier serra les dents, avançant tout en maintenant un point de compression sur l’entaille jusqu’à son seuil de tolérance à la douleur.

Au crépuscule, une dizaine de kilomètres séparaient le cavalier meurtri du comptoir gnome. Dans l’impossibilité technique autant que stratégique de faire un feu, le capitaine devait profiter des derniers rayons de soleil pour se soigner avant de dormir. Il mit donc pied à terre et fit descendre sans ménagement ses prisonniers. Heureusement, sur les conseils du Maître, il emportait toujours une sacoche remplie du nécessaire pour effectuer les premiers soins. Le blessé prit une aiguille et du fil pour recoudre sa plaie. Il appliqua ensuite un onguent puis un cataplasme. Il termina ses soins avec un bandage autour de son torse. Gal vida alors la moitié d’un outre d’eau tant il était assoiffé puis sombra dans le coma, épuisé par ces efforts.

Le capitaine se réveilla à l’aube. Avait-il dormi toute la nuit ou plusieurs jours, impossible de le déterminer avec certitude, mais la douleur encore intense sur son flan fournissait un élément de réponse. Après s’être désaltéré, il abreuva brièvement ses trois prisonniers puis les questionna en langue elfique. « Rrrr ! Que mangez-vous ? Êtes-vous carnivores ou herbivores ? »

Le premier gnome capturé se trouvait dans l’incapacité d’articuler un mot. Le coup de massue lui avait fracturé la mâchoire. C’est donc son congénère qui répondit apeuré. « Nous autres gnomes, nous satisfaisons de ce que nous trouvons. Viande ou légumes, nous nous adaptons aux circonstances. »

Le satyre ne répondant pas, Gal lui donna un coup de pied en reposant sa question. « Rrrr ! Et toi, qu’est-ce que tu manges ? Réponds chien ! »

Le prisonnier s’exprima dans sa langue étrange, d’un ton suppliant. « Blaoug ! Maglaboug ! Frruittiagamaladrala ! »

Le gnome intervint. « Il dit qu’il est désolé, qu’il ne parle que le satyre. Et que cela ne sert à rien de le taper pour ça. »

« Rrrr ! Si tu parles sa langue, traduit ma question ! »

Le gnome obtempéra et retranscrit la réponse du satyre. « C’est un herbivore. Il se nourrit principalement de feuilles de chênes. »

Gal opéra un rapide repérage des environs puis s’empara de la hachette lui servant à faire du petit bois pour le feu. Il se dirigea auprès d’un jeune chêne et en coupa une grande branche qu’il rapporta aux prisonniers. Déposant le feuillage à leurs pieds, il les prévint. « Rrrr ! Restaurez-vous tant que je vous en laisse le temps ! » Sur ces mots, l’orc sortit de sa sacoche des tranches de lard enroulées dans un linge. Après les avoir ingérés en mastiquant consciencieusement, il soigna sa plaie et changea son bandage. Ceci étant fait, le capitaine décida qu’il fallait reprendre la route. Il bâillonna à nouveau ses prisonniers. Puis Gal les relia les uns aux autres par une corde et leur expliqua ce qu’il attendait d’eux. « Maintenant que vous êtes conscients, vous allez me suivre en marchant. Rrrr ! A la moindre tentative de fuite, je vous égorge comme des porcs ! Compris ? » Le satyre ne parlait pas l’elfique, mais le ton de son tortionnaire suffit à lui faire comprendre le sens de l’intervention.

Le fier guerrier orc se mit en selle et la petite troupe débuta son périple. Pendant trois jours, le voyage se déroula calmement, s’arrêtant simplement pour dormir. Au milieu du quatrième jour, le capitaine ordonna une halte car la forêt prenait fin. Devant eux s’étendait le territoire côtier des dryades. Un de leurs petits ports de pêche plongeait dans la mer à environ trois kilomètres sur la droite de leur position. Gal dressa un camp de fortune, sur un petit promontoire idéalement placé pour voir l’arrivée des escouades orcs. Sachant que l’attente pouvait s’avérer longue, il commença à placer des collets dans les alentours. Puis, après avoir lié les jambes de ses prisonniers, il partit chasser avec son arc. Le capitaine n’eut aucun mal à débusquer et abattre des proies dans cette forêt. En effet, sur le territoire des satyres, les animaux n’arboraient aucune crainte car ils ne connaissaient aucune menace et aucun prédateur important. Le géniteur royal revint au camp avec un beau lièvre et deux grands oiseaux. Il les dépeça puis les dévora crus, se délectant de leur sang encore chaud. Ses prisonniers se trouvaient dans une position inconfortable, à plat ventre, les mains nouées dans le dos, ce lien étant relié à leurs pieds par un nœud coulant. Ainsi contraints, une évasion relèverait du miracle. Gal enleva leurs bâillons et déposa devant les captifs des feuilles de chêne. Il méprisait tellement ces deux peuples de lâches qu’il les nourrissait littéralement comme du bétail. De toute façon, ils ne valaient guère plus. S’ils étaient encore en vie, s’était par la volonté du Maître. Après un quart d’heure, le capitaine bâillonna à nouveau ses otages puis tenta de dormir.

Gal attendit cinq jours pour voir déferler deux escouades orcs en provenance de la vallée. En pleine nuit, à la lumière de la lune, Kral menait en silence ses troupes sur le dos d’un immense étalon alezan. Les dryades commandant à l’élément liquide, l’attaque se devait d’être rapide, quasiment chirurgical, pour les empêcher de rejoindre la mer et d’annihiler l’offensive. Une ligne d’archer se forma entre les habitations et le rivage. Tous les autres guerriers se placèrent devant les portes des logements. Au signal du chef de guerre, tous les soldats pénétrèrent dans les huttes, égorgeant les individus qui y dormaient. Bien sur, quelques dryades parvinrent à s’enfuir dans les échauffourées, mais elles étaient froidement abattues par les archers avant d’atteindre la mer. En quelques minutes, il ne restait qu’une poignée de survivantes de leur peuple, plaquées au sol par de puissants soldats. Kral mit pied à terre, s’avança lentement, ses troupes formant un cercle autour de lui et des victimes qui se débattaient avec l’énergie du désespoir. Elles savaient ce qui allait se passer avant même que la foule ne se referme sur elles. Les géniteurs royaux possédaient deux privilèges principaux. Ils arboraient le titre de chef de guerre leur permettant de guider les troupes au combat, et ils étaient les seuls en capacités de se reproduire. Comme les stratèges orcs avaient constaté l’impact psychologique du viol sur les peuples ennemis, cet acte de guerre était à présent également dévolu aux géniteurs royaux. Les officiers rouges s’adonnaient d’ailleurs de bonne grâce à la fécondation des peuples adverses. Cela leur permettait d’affirmer leur primauté dans la horde et semait des bâtards, source potentielle de conflits dans les autres nations.

Ressortant de la mêlée en remontant ses braies, Kral proféra alors sa sentence. « Ligotez-moi ces catins sur la place du village ! Elles pourront raconter à leurs congénères à quel point les orcs sont impitoyables sur le champ de bataille et supérieurs à leurs mâles dans leur couche ! Ensuite, videz-moi ce misérable village de toutes ses richesses ! Nous partons à l’aube ! » Les guerriers scandèrent le nom de leur chef puis entamèrent la mise à sac du petit port de pêche. Au lever du soleil, les chaumières n’étaient plus que tas de cendres lorsque la petite armée partit vers d’autres conquêtes.

Une fois le théâtre des opérations déserté, Gal ramassa ses effets, apprêta ses prisonniers et s’extirpa de sa cache. Au cours de ces quelques jours d’attentes l’orc avait cicatrisé. Il ne ressentait presque plus aucune gêne et se trouvait suffisamment en forme pour mener sa mission à bien. Il se dirigea donc vers le port de pêche dévasté, suivi de son destrier et de ses otages. La troupe hétéroclite s’avança jusqu’au ponton où les bateaux étaient amarrés. Le capitaine choisi une frégate maniable sur laquelle il emmena ses prisonniers. Il sortit ensuite des fers qui se trouvaient dans la sacoche de cuir qu’il portait sur son épaule. Il enchaîna les pauvres bougres à un anneau métallique par les pieds.

L’orc redescendit à terre, retournant au centre du village. Il s’arrêta devant les dryades attachées. Les gnomes et le satyre ne comprenaient pas pourquoi leur tortionnaire agissait de la sorte. Voilà des jours qu’il s’attachait à demeurer invisibles aux yeux de tous et il se montrait face à des êtres commandant à l’élément liquide. S’il les embarquait, elles se révolteraient et le tueraient. S’il les laissait, il devait les égorgées pour qu’elles ne puissent raconter qu’elles l’avaient vu. Dans le regard des dryades se lisait un mélange de surprise et de peur panique. Leur instinct de survie leur indiquait que ce que l’orc leur réservait dépassait de loin les atrocités qu’elles venaient de subir. La parole restant leur dernier rempart, elles l’invectivèrent. « Que viens-tu faire ici, fils de chien ! Tes semblables sont déjà passés. Ils ont tout pris, nos richesses, les vies de nos semblables et notre virginité ! Tu ne retirerais aucune gloire à nous tuer. Qu’est-ce que tu veux, sale charognard ? Tu es un marchand d’esclaves ? Passes ton chemin ! Nous commandons l’élément aquatique. Si tu nous emmènes sur le bateau que tu es en train de voler, nous te crèverons comme un porc. » Sans un mot, Gal sortit son poignard et commença à égorger les pauvres malheureuses. Il prit néanmoins soin d’en conserver deux vivantes. Celles dont il avait vu le visage dans ses rêves. L’oniromancien fouilla ensuite dans sa sacoche et en extirpa un bocal. Dans le récipient en verre, une dizaine de sangsues se débattaient. Le guerrier rouge ouvrit le pot puis disposa les petites bêtes gluantes sur le dos, la nuque et le cuir chevelu des jeunes filles. Au contact de la peau, les parasites se plantèrent vigoureusement, arrachant des cris de douleurs aux pauvres victimes. Au bout de quelques minutes, les deux dryades plongèrent dans un sommeil léthargique. Le pourpre capitaine chargea ses deux nouvelles prisonnières sur la frégate et dessella sa monture. Comme il ne pouvait pas emmener son cheval de guerre à bord, il tapa ensuite sur sa croupe. Son destrier avait suivi un dressage d’élite dans les haras du roi Orokko. L’équidé rentrerait avec certitude à Udgog pour attendre son maître.

Gal remonta sur le bateau et leva l’ancre. Il mit cap sur l’Est, s’engageant dans un long périple. Le capitaine avait choisi son navire avec soin. La cambuse de la frégate débordait de provisions et de nombreux tonneaux d’eau potable remplissait la cale. Aux dernières lueurs du crépuscule, il enleva les bâillons de ses prisonniers pour les nourrir et les abreuver.

Le gnome bavard profita de ces instants pour tenter de découvrir le but de son tortionnaire. « Pourquoi nous emmènes-tu en mer ? Tu es un vendeur d’esclaves ? Les orcs ont peur de l’eau et n’ont pas de bateaux, alors comment peux-tu naviguer ainsi ? Et comment fais-tu pour contrôler les dryades ? »

L’orc se montra peu diserte. « Rrrr ! Pour qui te prends-tu, sale gnome fuyard ? Ici c’est moi qui pose les questions ! Rrrr ! Tu parles quand je te le demande ! » Il appuya son invective d’une énorme calotte. Le guerrier écarlate se complaisait dans le silence au cours de ses périples. Ainsi il se focalisait entièrement sur son objectif. De plus, refuser le dialogue limitait les possibilités d’emprise et de manipulation par l’ennemi. Cette leçon, il la tenait de la bouche du Maître lors de son apprentissage. Durant deux mois la frégate naviguât plein Est. Durant deux mois, aucune terre ne pointait à l’horizon. Durant deux mois, tous les soirs, au cours du « repas » le gnome posa les mêmes questions. Durant deux mois, l’orc garda le silence et lui gifla le visage. Durant deux mois, l’angoisse du gnome monta. C’était pure folie de naviguer si loin de toute terre. Cela faisait longtemps qu’ils avaient dépassé les dernières îles du ponant. Au-delà, il n’existait que le bout du monde. Et soudain, un bruit se fit entendre. Un simple murmure d’abord, qui commença à croître pour devenir au bout de trois jours un vrombissement assourdissant. Le matin du quatrième jour de vacarme, l’équipage devina une terre légèrement à droite de la proue du bateau. Ayant compris depuis longtemps leur destination, le satyre restait muet et prostré. Les yeux écarquillés, les gnomes demeuraient éberlués. Le pragmatisme de leur peuple en avait fait des incroyants. Pour les gnomes, c’était impossible que les dieux possèdent des îles au bord du grand rien. Pour les gnomes, les dieux avaient été inventés pour justifier la lutte millénaire que se livraient les races du bouclier-monde. Pour ces impies, les dieux n’étaient que des allégories de chaque nation. Et aujourd’hui, ils se rendaient compte qu’ils vivaient dans l’erreur depuis leur naissance. Gal huma l’air des embruns. La perspective de bientôt accoster le revigora.

Progressivement l’île de forme triangulaire se découvrait au regard, telle une pointe de flèche fendant la mer. Les côtes formées de falaises vertigineuses semblaient inaccessibles. Le guerrier écarlate manœuvra avec dextérité l’embarcation pour l’amarrer au seul rocher imposant se trouvant au pied du mur minéral. Il noua le bout à un anneau d’acier solidement ancré. Gal débarqua alors ses prisonniers sur le rocher. Une cage contenant un pigeon se trouvait au sommet de celui-ci. Le capitaine libéra le volatile et moins d’une demi-heure une échelle de corde tombait de la falaise.

Le capitaine arrima l’échelle et encorda les dryades inconscientes. Elles furent immédiatement hissées sur l’île. Puis l’orc parla pour la première fois depuis des semaines, d’une voix grave et rocailleuse qui n’incitait pas à la contradiction. « Grimpez ! » Les prisonniers obtempérèrent suivi par le capitaine. Au sommet, une centaine d’orcs zébrés rouges et bleu entouraient un être singulier. Il dépassait tous les soldats d’au moins deux têtes et portait une armure d’or éblouissante. L’individu ne ressemblait à aucune autre personne vivant sur le monde échiquier. Sa peau était faite d’écailles rouges semblables à celles des dragons. Son visage sévère comportait quatre yeux jaunes, lui donnant un regard troublant pour tous ses interlocuteurs.

Gal s’agenouilla au pied de l’être extraordinaire qui s’adressa à lui. « Bonjour capitaine Gal. Avez-vous pu mener à bien votre mission ? »

« Rrrr ! Oui, mon Maître ! J’ai pu m’acquitter des tâches que vous m’aviez confié, Abath-Khal, oh mon seul dieu !. »

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Edouard PArle
Posté le 31/05/2023
Coucou Sebours !
J'ai particulièrement apprécié ce chapitre. C'est vraiment super intéressant de suivre le point de vue d'un orque, avoir le point de vue de toutes les races rend ton univers hyper riche. La mission dont est investi Gal semble dépasser de simple pillages, elle semble le dépasser. Ça le rend vraiment très intriguant, on a envie d'en apprendre plus. Comme Sylvain, j'ai trouvé que ce chapitre montait en puissance.
J'ai aussi un peu de mal avec les "rr" dans les dialogues. On peut se les imaginer sans que tu les écrives.
Mes remarques :
"Puis Nunn bâti sept îles" -> bâtit
"Depuis dix ans il se contentait" virgule après ans ?
"car il ne rêvait plus ce qui s’avérait dramatique" virgule après plus ?
"et en poussant des grognements roques." -> rauques
"bloquer par le cercle de guerriers" -> bloqué
"privilège accorder aux meilleurs bataillons orcs." -> accordé
"Le géniteur royal sorti lentement" -> sortit
"ses deux proies ligotées et mis en croupe," -> mises
"l’attaque se devait d’être rapide, quasiment chirurgical," -> chirurgicale
"il devait les égorgées" -> égorger
"prisonniers obtempérèrent suivi par le capitaine." virgule après obtempérèrent ?
Un plaisir,
A bientôt !
Peridotite
Posté le 30/11/2022
C’est sympa de suivre un personnage à chaque chapitre. C’est presque comme un recueil de nouvelles. Est-ce que ces personnages finiront par se croiser ?

Quand Gal arrive chez les dryades, je m’attendais à le trouver face aux Elfes qui colonisent la région, mais en fait non. Comment ça se fait ?

Il y a beaucoup de noms, je me demande si c’est vraiment utile de nommer tous les orcs, je me suis fait ma liste car j’étais paumée :
le capitaine Gal
son second, Vlad
responsible du chantier Borg
cousin de Gal : Kral
roi Orokko
Kran

Je te mets mes notes :

“réfléchissait avant d’agir et n’affichait aucune ambition superflue. Gal réfléchissait “
> répétitions

“Avec le rhinocéros, le cheval-tonnerre était le seul animal capable de porter les cent cinquante à deux cent cinquante kilos d’un orc. »
Wouf, c’est lourd un orc, ça doit être un sacré cheval

« Udgog se trouvait dans partie intérieure »
> manque un « la »

« traquant les satyres pour les égorger »
> Sympa ces orcs dis-donc 😉

« Soudain, à deux cents mètres devant lui, un satyre en fuite se cacha derrière un gros chêne »
> Je reviendrais à la ligne parce qu’avant, tu décrivais des actions en mode rapide, puis là tu te focalises sur une scène en particulier. Par ailleurs, le « soudain » n’est pas utile.

« Le géniteur royal”
> Je sais pas si c’est la meilleure façon de l’appeler ! 😊 (ça rejoint mes remarques précédentes et après tout, c’est juste ma propre sensibilité). En passant, tu as une faute sur cette phrase : « Le géniteur royal sorti »-> sortit

« descendit de cheval-tonnerre”
> Il a un nom ce cheval tonnerre ?

« Nous vous croyons”
-> croyions à l’imparfait

“Rrrr !”
> Ce rrr donne un effet comique je trouve 😊 Je ne sais pas si c’est le meilleur des choix.

« Kran, mon capitaine. »
« Rrrr ! Tu es un bon élément.
> Soucis de guillemets ici. Et toujours ce RRrr rigolo 😊

« mais les nœuds coulants pratiquer »
-> pratiqués (est-ce le bon verbe ? réalisés ? Est-ce qu’on « pratique » un nœud ?)

« consciencieusement bâillonné »
> Un peu lourd cet adverbe

« signe distinctif qu’une charge de cavalerie se déroulait. »
> phrase alambiquée selon moi

« il dressait une embuscade »
> Quoi tout seul ??

« Rapidement »
> pas utile non plus (oui tu vois, je suis en guerre contre les adverbes 😊 !)

« Gal méprisait ces êtres vils qui refusaient toujours de se battre, favorisant toujours le marchandage et la plume à la guerre et l’épée ! »
> Haha ! J’aime bien sa vision d’orc
Du coup, pas besoin du « mais » dans la phrase suivante

« en prenant garde d’être demeurer le plus silencieux possible. »
> de demeurer ou d’être le plus silencieux

« Réponds chien ! »
> Bah non du coup, il devrait dire « réponds, bouc puant ! » (vu que c’est un satyre !)

« il ne parle que le satyre »
> inventer un nom de langue ?

« le voyage se déroula calmement, s’arrêtant simplement pour dormir. »
> elle est pas terrible cette phrase je trouve !

« Au cours de ces quelques jours d’attentes »
> Qu’est-ce qu’il attend en fait ? Je ne comprends pas bien.

« Durant deux mois la frégate naviguât plein Est. »
> Revenir à la ligne ?

« Durant deux mois »
> Pourquoi cette répétition ? On a compris.

« devina une terre légèrement à droite »
> Tu peux virer légèrement à droite et mettre à tribord.
Sebours
Posté le 30/11/2022
J'aurais vraiment du boulot en réécriture! Je ne me relis pas assez.C'est le principe du premier jet mais bon, je le publie sur la toile quand même!
"Bouc puant!" très bonne insulte! Je la rentre dans ma matrice!
Embuscade n'est clairement pas le bon terme. Pour le reste, je verrais.
Durant deux mois... C'est une répétition voulue. Je crois que l'anaphore est la figure de style que je préfère. J'en mets en peu partout et à mon avis, il y aura de la coupe en réécriture!

Le Rrrr! C'est le tic de langage de Gal. En fait, je cherche à reproduire une sorte de grognement bestial, comme un fauve ou un chien qui montre les dents. Je pense que ce Rrrr! sera modifié à terme, quand j'aurais trouvé la bonne idée.

Les seuls orcs vraiment utiles pour la suite sont Vlad, Borg et le roi Orroko. Les autres sont plus accessoires.

Alors les les elfes n'ont colonisé que la baie d'Anulune conformément au traité signé. Cela ne représente même pas 5% des côtes qui appartiennent aux dryades.

Et est-ce que ces personnages vont se croiser? Il y a de fortes chances. Tu te doutes déjà que le climax de mon histoire sera lorsque les représentants de tous ces peuples se feront face à l'aube de la nouvelle guerre. L'intérêt de l'histoire, c'est comment va-t-on en arriver là? Mais j'ai des surprises avant ça. Il y en a une sous tes yeux d'ailleurs.
Sylvain
Posté le 17/11/2021
Superbe!
J'ai beaucoup aimé le chapitre, c'est bien écrit, c'est plein de détails, c'est tout ce que je recherche dans la Fantasy. Je me suis laissé porter dans ce chapitre qui monte en puissance tout du long.
J'apprécie beaucoup de changer de point de vue à chaque chapitre, c'est même un de mes critères de choix quand j'achète un livre. Au moins on ne s'ennuie pas.
(Tu parlais de l'assassin royal, j'ai beaucoup aimé, mais j'ai trouvé un peu barbant de suivre constamment le même personnage)
Je me suis demandé plusieurs fois qui était ce "maître" à qui faisait référence Gal. J'ai même arrêté ma lecture pour voir si je n'avais pas manqué quelque chose dans les chapitres précédents. On a la réponse à la fin.
Tu fais apparaitre un dieu dans ton histoire, je suis curieux de voir comment tu vas te dépatouiller avec ça.
Sylvain
Posté le 17/11/2021
Par contre, je persiste à dire que le Rrrr n'est pas indispensable ;-)
Sebours
Posté le 18/11/2021
Pour les Rrrr, j'attends l'illumination pour changer. Je cherche un grognement, mais Roar, ce n'est pas beau non plus. Mais je trouverai!
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