V – La tectonique des plaques

Par Dan
Notes de l’auteur : Mogwai – Scram

La tectonique des plaques

Dilleux, capitale de Saturne

 

Le Preministre saturnien lui avait offert un bain, un breuvage à base de blé et un cocktail fytomédical pour l’aider à dormir, mais Aessa avait regardé la nuit tomber et l’aube se lever sur la capitale sans desserrer les poings. Impossible de se longer sans se souvenir du poids d’Haccan sur elle, impossible de fermer les yeux sans voir son regard d’azurite percer le noir.

Aessa l’avait prié de joindre le conseil en son nom, mais elle n’avait pas su quelle missive lui confier. Son premier réflexe avait biensur été de prévenir ses associés pour qu’ils maquillent leurs plans avant que les terroristes n’en apprennent davantage ; pour qu’ils se mettent à l’abri et laissent les gouvernances gérer la crise à laquelle ils s’étaient involontairement trouvés mèlés. Mais Aessa n’arrivait plus à oublier l’idée atroce qui lui était venue en comprenant que les terroristes connaissaient leurs machinances. Si leur groupe avait été épié – ou pire : infiltré –, elle risquait de graver la situance : l’alerte pourrait frayer le délateur, néantissant du mème coup leur unique chance de cibler la source des fuites…

Aessa soupira. Elle avait fait part de ses doutes à Haccan en espérant qu’il puisse flairer des indices lors de sa rencontre avec le représenteux local du conseil – le directeur des transports saturnien amateur de coop –, mais elle n’aurait pas été surprise qu’Haccan refuse tout bonnement de le voir.

On ne pouvait pas dire qu’Aessa avait su rallier l’officier à leur cause, à peine avait-elle réussi à limiter les dégats causés par ses révélances et à le convaincre de ne pas les dénoncer surlechamp : les gouvernances avaient besoin d’Aessa pour freiner les terroristes, les luniens avaient besoin d’elle pour raisonner les gouvernances et la chute de leur congrégance extinctionniste n’arrangerait rien ni personne.

Peutètre le directeur saurait-il surer définitivement Haccan – ou la menace implicite du contrat qui le liait à Aessa s’en chargerait. En attendant, elle se forçait de considérer ce sursis comme une victoire ; le reste était hors de son pouvoir.

Aessa picora quelques flocons de céréales sur le platorepas qui avait refroidi et luma la tridi. Ça avait été la mème chose toute la nuit, reportage après interview après émettance. « Les élus de l’Union se sont réunis sur Saturne pour gérer les troubles à la libérance de dame Aessa Menkalinan, tard dans la soirée d’hier. Nous avons encore très peu d’informances visàvis de ce qui s’est produit durant sa captiveté, de ce qu’elle a appris et divulgué à ses homologues et de ce que les gouvernances envisagent comme mesures pour la suite… »

L’informance générale des peuplances n’était pas au programme ; les terroristes l’avaient prédit : un tel recours créerait une panique incontrolable. Pourlemoment, on se contraignait donc au silence, en se demandant parailleurs comment l’objectif des nihilistes allait pouvoir rester secret : les planétats n’avaient aucune intention de les aider à supprimer l’espèce humaine, Aessa ne voyait pas comment mettre le projet de stérilisance du conseil au service des nihilistes sans ètre incriminée, et si les terroristes n’obtenaient ni aide officielle ni officieuse, ils ne tarderaient pas à jouer leur dernière carte : une vidéo pour alerter toumonde ou, pire, trois nouvelles explosances de cargo défectueux pour parvenir à l’éteindance par le massacre.

Aessa observa le journaliste troidé qui s’était invité dans la pièce avant d’éteindre l’appareil d’une claquance de doigts : elle avait fréquenté assez d’hologrammes et de chroniqueurs ces derniers jours. De la concentrance, voilà ce qu’il lui fallait ; les astres savaient qu’elle avait beaucoup à faire ici, mème en oubliant Haccan… Enfin, en essayant de l’oublier, plus précisement. Entre les politiciens affolés, les policiers fébriles et les citoyens soucieux, Aessa n’avait pas de quoi s’ennuyer ; surtout pas après le clou de la soirée.

Elle venait de se retrancher dans les quartiers mis à disposance par le Preministre quand une onde spéciale lui était arrivée sur son bracelet flambanneuf : une navette sans immatriculance avait reçu l’autorisance de pontage au vaisseau orbital de la PI avec à son bord trois Moutons groggy. Ils avaient été rapatriés sur Saturne après un premier interrogatoire ; leur préprocès était prévu en début de matinée ; soit tantot, si on en croyait la délégance de véhicules automatisés qu’Aessa vit se garer devant les murettes sculptées de la propriété.

De l’avis des élus, les moonshiners n’étaient plus une priorité maintenant que la promesse mortelle des terroristes avait fait le tour des chambres décisionnelles. Mais ces moonshiners-là avaient cotoyé la menace de près, on les avait en mème crus responsables après leur fuite d’Euroupe ; et au fond, l’Union n’avait pas la plus petite idée de comment feindre les négociances avec les terroristes ou éviter un nouvel attentat. Faute d’indices, leur préprocès aurait aumoins un reflet de normaleté ; de quoi donner aux dirigeaux l’impression de maitriser encore la situance.

Aessa rassembla quelques affaires et quitta la demeure avant qu’on vienne la chercher ; elle était déjà installée à l’arrière d’une wagonnette quand le Preministre fit son apparaissance. À peine eut-il pris place dans la cabine d’Aessa que le cortège se mit en branle.

— Tout va bien ? demanda-t-il.

Aessa ajusta son kit temporaire sur son visage – un masque léger protégeant à la fois ses yeux, son nez et sa bouche des poussières qui saturaient l’atmosfère – et observa le Preministre. Une carapace délicate et intriquée lui couvrait la figure des oreilles au museau, dissimulant la majeureté de ses traits. Cette aura de mystère contrastait étrangement avec la douceté de ses yeux, bordés de très longs cils synthétiques qui lui donnaient l’air d’une girafe.

— Chameau, corrigea-t-elle.

— Je demande votre pardon ?

Aessa sourit et replongea dans la contemplance de la ville. Ils empruntaient des voies pavées, longeaient des portiques ouvragés, contournaient des tourelles et franchissaient des ponts de torchis, de briques, de grès, de tuffeau et de marbre qui rivalisaient de textures autant que de couleurs. Dilleux était tellement différente de Nehara ; ici, tout avait la chaudeté du grain et la solideté du roc. Une cité neuve aux fausses allures d’Histoire et d’antiqueté.

— Tout ira mieux quand on aura arrèté ces terroristes, répondit-elle finalement.

— Comme je vous comprends…

Aessa serra les machoires.

— Ah bon ?

Le Preministre eut l’air surpris. Elle ne doutait pas que la condamnance de leur race le souciait ; il avait simplement une drole de façon de réagir à la pressance.

— J’ai lu le projet de loi sur le délit de séparance, dit-elle, votre projet de loi.

— Validé à l’unanimeté par…

— Oui, oui, je connais le refrain…

— Vous désapprouvez ?

— Si je désapprouve ? s’exclama Aessa, scandalisée. Cette motion détruit tout ce que mes collègues délégués aux satellites et moimème avons défendu au cours de notre carrière ! Vous croyez vraiement aider à la solidaireté en chatiant tous les luniens qui ont le malheur de ne pas ètre daccord avec vous ?

— À situance d’urgence…

— J’imagine que l’urgence de la situance a aussi permis de justifier que vous ne consultiez aucun ministre des Satellites dans l’écriture du projet ? Croyez-moi, sieur, si je n’avais pas été à la merci des terroristes à ce moment-là…

Le Preministre se carra dans son siège, bomba le torse et leva le menton pour la toiser derrière son masque. Il ouvrit la bouche, mais Aessa ne lui laissa pas le temps de répliquer : le convoi ralentissait à procheté du Palais de Justice et elle en descendit sans attendre l’escorte armée des androgardes. Leur effectif avait doublé depuis son kidnapping – la PI ne savait plus quoi faire pour surer la sécureté générale. Aessa, poursapart, estimait qu’après avoir été trompée et enlevée, elle ne craignait plus granchose.

Elle traversa la place circulaire qui marquait le centre de décidance, embrassant du regard les galeries à colonnades et les arcades qui distribuaient les édifices de tours agglomérées. Parvenue au pied du Palais, l’un des plus hauts et des plus élégants, elle se greffa à la cohorte des dignitaires en espérant se débarrasser rapidement des polietés.

— Une bonne rétablissance à vous, dame.

— Quel courage de revenir si vite à la vie politique !

— Votre dévouance vous honore.

Elle répondait par de petits sourires contrits avant de se dérober ; avant de fuir, presque. Les accusances d’Haccan dansaient dans les regards affectés des élus comme un mauvais présage et le poids de son secret lui nouait les épaules tandis qu’Aessa se mèlait à la foule. Des planétiens, des luniens, des Saturniens, des Jupitériens, d’autres venus d’encore pluloin pour l’événement. Si Aessa avait trouvé l’assemblée étourdisseuse de nombre et de variéeté pour l’arrivée des blessés à Nehara, elle frolait le vertige, hui.

Le flot fut bientot canalisé dans les couloirs qui menaient à la Cour, une immense salle ronde où la savante architecture acoustique des Saturniens changeait les chuchotis les plus timides en conversances éloquentes.

Aessa prit place au deuxième rang, flanquée d’un magistrat et d’une lunienne de Rhéa. Les allées se remplissaient et les rumeurs grondaient déjà en orage dans son dos, reprises et amplifiées par les lames de pierre qui répartissaient les sons autant que la lumière des vitraux encastrés. Aessa n’avait plus siégé dans un tribunal depuis la rafle du marché d’Inverness, à l’époque où les moonshiners étaient leurs plus grands adversaires et où les luniens n’assistaient aux procès que pour lancer des boulons rouillés aux jurés.

Quelques minutes plutard, les portes latérales s’ouvrirent et le Haujuge entra, suivi de sept judiciers issus de chaque planète du système. La bruissance de leurs robes gronda comme une bourrasque puis mourut quand ils s’installèrent à la tribune. Le silence qui s’abattit alors sembla creuser le vide sous les plafonds convexes.

— La séance est ouverte.

Trois Moutons à la mine basse et au pas traineux apparurent. On avait changé leurs vètements souples pour un habit gris de prisonnier, mais on ne leur avait pas encore déteint et coupé les cheveux. Les préprocès avaient toujours lieu sur la planète la plus proche du lieu d’arrètance, indépendantement de l’origine des prévenus ; une condition élémentaire pour une Justice rapide et efficace. Une fois supposés coupables, Guevara et ses employés seraient cheminés vers Charon, uniformisés et placés en détenance provisoire jusqu’à leur procès.

Cette perspective avait de quoi les décourager, mais c’était plutot de l’incomprenance et de l’épuisance qu’Aessa lisait chez eux, comme si leur passage chez les terroristes les avait lessivés. Elle se demandait s’ils allaient les évoquer devant la Cour, ou si la PI leur avait ordonné de se cantonner à leurs délits de piraterie pour protéger l’enquète.

— Guillo Liddi-Vallen Tegmine, dite « Guevara », veuillez vous avancer.

Hadid et Disney s’assirent au banc pendant que leur capitaine se hissait en chaire en cherchant le pupitre à tatons.

— Vous ètes présentement accusée du crime de vol de matériel unionaire, du crime de recel de matériel unionaire et du délit de séparance, déclara le Haujuge.

Pas de terrorisme ou de collusion terroriste, donc, comme Aessa et Haccan l’avaient prédit. Les techniques de détectance et d’interrogatoire des policiers avaient finalement prouvé que Guevara n’aurait jamais sacrifié ses collaborateurs, ni pour le scandale ni pour la cause politique.

— Les preuves sont les suiveuses.

Le judicier jupitérien prit le relais pour exposer les faits, étayant les suspectances avec des témoignages, fournissant des extraits holografiques et tridis, détaillant les allées et venues du Mouton électrique autour de Jupiter et de ses lunes, mais négligeant complètement Teresa. Il termina par la rassemblance d’Io, comme si désormais, les discours libertaires étaient plus critiques que les abordages de cargos.

— Guillo Tegmine, vous avez le droit à l’exprimance. Souhaitez-vous parler ?

Elle s’agita, hésita, puis articula :

— Aye, je le souhaite, sieur Haujuge. Je réponds de toutes les accusations que vous portez aujourd’hui. Je ne cherche pas à m’en dédouaner. J’aimerais simplement attirer votre attention sur autre chose, mes dames et mes sieurs judiciers, luniens et planétiens de tous astres.

Aessa se redressa un peu et la grinçance de l’assise lui parut assourdisseuse dans le calme révérencieux. Les Moutons avaient probablement parlé des examens de fertileté aux officiers. Pour la sureté du conseil et de ses manœuvres, Aessa aurait préféré qu’ils se taisent, mais ils n’avaient aucune raison de le faire ; aucune raison de couvrir les terroristes, aucontraire. Peutètre avaient-ils négocié ces informances contre une remise de peine.

Si seulement Aessa avait pu contacter Haccan pour savoir où en était l’investigance après le témoignage des Moutons, elle aurait su si les plans de ses amis extinctionnistes étaient doublement compromis…

— Vous classez arbitrairement toutes les expressions d’opinions divergentes sous le terme de « délit de séparance », continua Guevara, de l’amateur de bière qui se désole de vos restrictions aux militants politiques. Je suis de ces militants politiques, les luniens réunis sur Io l’étaient. Vous avez tort de minimiser nos paroles, de les dédaigner en les considérant comme le simple délire d’esprits inférieurs abrutis par l’alcool de contrebande.

Aessa capta le bref regard que le Preministre saturnien lui lança.

— Vous nous interdisez désormais d’émettre des avis qui s’éloignent des vôtres, dit Guevara. Très bien. Étant déjà condamnée pour ce forfait, je vais en profiter pour soumettre mon avis une dernière fois.

Le Preministre gesticula, mais comme le Haujuge patientait poliement, il s’abstint de toute intervenance.

— J’ai confié à la PI un bracelet contenant l’enregistrement de notre réunion, sur Io, reprit Guevara, et je prierai tous les élus et tous les électeurs de l’écouter attentivement. Je me permets tout de même de vous en faire un résumé, dusse la PI refuser de vous en faire part, pour que vous l’entendiez, mais surtout pour que vous preniez enfin conscience du sérieux du libertarisme.

Aessa ignorait si elle devait ètre soulagée ou tracassée par le tour que ce préprocès prenait. D’un sens, elle trouvait Guevara particulièrement culottée d’user des projecteurs pour favoriser son parti ; de l’autre, Aessa était personnellement plus sereine sur le terrain des libertaires que des extrémistes : la paix publique et la tranquilleté du conseil ne s’en portaient que mieux.

— Il est grand temps d’offrir leur indépendance politique aux lunes de ce système, déclara Guevara. Mettre un terme au statut de colonies qui les empêche de prôner leur propre culture. Instaurer un traitement égalitaire qui préserve la co-dépendance et le libre-échange tout en offrant un poids décisionnel mérité aux lunes. La moitié de la population unionaire vit sur les satellites, il est temps qu’elle prenne sa vie en main et qu’elle la vive comme elle l’entend.

Aessa ouvrit la bouche, cilla, essaya de reprendre son souffle, mais s’étrangla.

— Les schémas économiques sont aussi laissés à votre disposition, dit Guevara. Avant de vous insurger, étudiez-les. Avant de considérer la séparation comme un délit, considérez à quel point elle pourrait être bénéfique au système entier. Ce n’est qu’en nous donnant notre liberté que nous cesserons de nous débattre et que nous aurons des relations saines. Ce n’est qu’en ayant des relations saines, luniens et planétiens, ensemble, égaux, libres, que nous serons solidaires et forts face à notre ennemi commun. Merci.

Le silence leur vrilla les tympans quand Guevara descendit de l’estrade pour rejoindre ses acolytes. Aessa n’avait jamais envisagé qu’elle couvait un tel projet en la choisissant pour détourner les cargos d’hydrogène équipé. La pirate avait su maquiller ses intentions et s’entourer des bons complices pour dissimuler une entreprise de cette ampleté ; detoutefaçon, les préservationnistes se reposaient trop sur leurs acquis pour anticiper une telle revirance. Mais Aessa s’inquiétait de ne pas avoir su voir les signes. Guevara avait-elle réussi à rallier d’autres luniens à sa cause, sur Io ?

La ministre ne savait plus que faire ni où regarder. Finalement, elle aurait préféré parler des terroristes, de leurs explorances médicales litigieuses ou de la fin de l’Humanité. Elle aurait préféré que Guevara dise à toumonde ce qu’ils leur avaient fait, quitte à exposer le conseil sans le savoir. Du point de vue borné des collègues élus d’Aessa, cet élan séparatiste allait représenter la traitrise ultime, l’ingratitude suprème, survenant au pire moment ; alors, après avoir été mise à mal par les terroristes, l’Union allait se fondrer de l’intérieur.

Aessa sursauta quand, à sa droite, la lunienne de Rhéa se leva en faisant tinter les innombrables bijoux qu’elle portait aux chevilles. Pendant un moment, elle se contenta de fixer Guevara ; puis elle se mit à applaudir, d’un geste lent, lourd et puissant qui envoya des échos à travers la salle immobile, comme des gifles, des coups de fouet. Quelques secondes plutard, deux autres luniens s’étaient redressés pour l’imiter. Leurs acclamances faisaient un vacarme d’averse dans un puits japetien, et Aessa tenait sa réponse.

— Vous devriez avoir honte ! s’exclama alors un Saturnien dans le public. C’est une honte de profiter de la faibleté de l’Union pour asseoir vos intérèts ! C’est un chantage odieux de réclamer votre indépendance comme condition à la solidaireté !

Il n’avait pas tort.

— C’est une honte de profiter de la faiblesse de l’Union pour étouffer nos droits élémentaires ! répliqua la Rhéanienne aux cotés d’Aessa. C’est un guinauna chantage que de prétexter le besoin de solidarité pour nous diminuer ! Soyez honnêtes : vous vous cachez derrière la nécessité d’entraide pour nous garder sous votre coupe et si un lunien courageux comme Guevara ose se faire entendre malgré tout, vous l’empêchez de parler !

Elle n’avait pas tort nonplus…

— Vous allez causer notre perte à tous ! Nous avons plus que jamais besoin de nous unir pour lutter ! Vous ètes de dangereux égoïstes !

— Et vous de dangereux menteurs !

Aessa crocha les regards deplusenplus alarmés des judiciers et des élus rassemblés. Le ton avait grimpé en flèche ; elle avait fermé les poings. Les murmures de la foule gonflaient en gros bouillons de bruit sous les plafonds et la raclance des bancs vibrait jusque dans ses dents. Dire qu’Aessa avait jugé les planétiens et les luniens de Saturne plus compréhensifs que les autres…

— On n’aurait pas besoin de vous garder sous notre coupe si vous aviez un soupçon de sens civique ! Si on pouvait vous faire confiance ! Mais comment pourrait-on ? Vous aidez les terroristes en faisant séparance !

— Vous nous traitez de complices ?

— C’est en partie votre faute, les terroristes ! C’est le climat d’illégaleté dans lequel vous naviguez qui les pousse à ce genre d’horreurs ! Si vous suiviez les règles, jamais on n’en serait venus là ! Aucun planétien n’aurait jamais commis d’acte aussi abject !

— Aucun lunien non plus !

— Mais vous cultivez le crime, pas nous ! C’est votre si précieuse « culture » qui les a enfantés !

Aessa se redressa, sans le prévoir, presque sans s’en rendre compte. Elle sentit les regards se tourner progressivement vers elle et un sembleux de calme revint dans les rangs tandis que les Moutons tendaient le cou dans sa dirigeance.

— Si le chef d’accusance « attentat terroriste » n’a pas été mentionné hui, c’est parce que l’équipage du Mouton électrique n’en est pas coupable, dit-elle. Il a été prouvé qu’ils sont étrangers au drame survenu à Conamara. Concernant les crimes qui leur sont reprochés…

— Ils participent à la déchéance de notre civilisance !

— Inutile d’en venir aux amalgames, répliqua Aessa. Les moonshiners ne sont pas des extrémistes. Et tous les luniens ne sont pas des moonshiners. Ils ont le droit de…

— Ça vous va bien de dire ça ! On vous a entendue, dans cette vidéo !

Aessa déglutit.

— Vous ne croyez pas que les revendicances des libertaires soient prioritaires nonplus ! continuait le planétien qui la dévisageait avec des yeux exorbités, à la limite de l’hystérie. Dites-leur, dame ! Dites-leur qu’ils sabotent l’Union en lançant leur petite rebellance maintenant !

— Cette vidéo était une pure déformance de propos, répliqua Aessa. Ne me dites pas que vous ètes tombés pour ça ?

L’étourdissance qui suivit ses paroles la sura un peu. Tout n’était peutètre pas perdu.

— Ce n’était pas du playback, que je sache, glissa un lunien. Ces mots, vous les avez bien dits !

Elle attendit qu’un planétien prenne sa défense.

— Horcontexte et en découpant la bande à convenance, on peut faire dire ce qu’on veut à qui on veut, répondit-elle finalement, bredouille. Vous faites davantage confiance aux terroristes qu’à une élue ?

Aessa regretta d’avoir posé la question dès qu’elle se fut désagrégée dans le silence signifieux. Les nihilistes avaient belébien réussi à saper sa crédibleté, avec cette vidéo, alors qu’elle était sandoute la ministre des Satellites la plus dédiée à sa tache…

— J’ai toujours défendu les luniens, reprit-elle, et s’ils souhaitent obtenir leur indépendance, ils…

— La séance est levée !

Aessa braqua un regard halluciné sur le Haujuge, assez rapidement pour le voir acquiescer au signe du Preministre saturnien. Elle fit un pas, mais c’était inutile : les autres revendicateurs n’étaient pas dupes nonplus et l’élan de la foule révoltée la noya complètement.

— Calme ! Veuillez évacuer la salle, nous allons…

— Qu’on les fasse enfermer ! Qu’on fasse enfermer tous les libertaires, s’il le faut !

— C’est la guerre que vous voulez ?!

— Nay ! Nay, surtout pas ! s’exclama Guevara en se levant d’un bond.

Mais deux officiers de la PI se prochaient déjà pour s’emparer des prévenus. Les judiciers s’étaient levés, quelques spectateurs prudents profitaient de l’ouverture des portes pour se dérober, le brouhaha montait en tempète. Et soudain, un bruit de choc et de fracture retentit.

Un banc, un bras, peutètre. Aessa chercha le sinistre des yeux et elle n’eut pas à le chercher longtemps : le regard médusé de sa voisine était fixé sur la tribune près de laquelle les judiciers et les pirates s’étaient immobilisés, la tète rentrée dans les épaules. Des éclats de pierre jonchaient le sol autour du point d’impact – un petit cratère dans le grès de la scène, à dix centimètres des mollets du Haujuge. Un second projectile gros comme un œuf se brisa alors contre le pupitre et les policiers dégainèrent leur pistol.

Aessa ne vit pas granchose de ce qui se produisit ensuite. Il y eut une mouvance sur sa droite, comme une éboulance humaine, puis des cris s’élevèrent avec une claireté douloureuse sous les ogives. Les androgardes tentaient de fendre la foule pour séparer les adversaires qui s’empoignaient par leurs bijoux ou tentaient d’arracher leurs carapaces. Mais ils étaient trop nombreux, désormais. Certains dignitaires étaient cernés. Certains se battaient eumèmes. Dans la mèlée, les mouvances invisibles d’un kinésiste ou les attaques vestibulaires d’un déséquilibreur piraient le chaos.

— Dame, suivez-nous.

Un androgarde avait réussi à se faufiler par la porte latérale ; un autre s’appliquait à la protégeance du Preministre saturnien, nonloin de là et un premier tir de sommance toucha le plafond. On entraina Aessa hors de la salle, dans des couloirs secondaires, derrière d’innombrables portes qui étranglèrent bientot le tumulte. Quelques minutes plutard, elle se trouvait confinée dans une pièce sans fenètres avec tous les élus que les gardes étaient parvenus à secourir.

— Quelle idée de les laisser parler ! s’exclama le Preministre saturnien.

— C’est leur droit constitutionnel… fit remarquer un représenteux en épongeant la sueur qui perlait sur son front.

Aessa remarqua que le Haujuge et les judiciers ne les avaient pas suivis. Enfait, leur assemblée avait des allures de Chambre réduite et Aessa ne savait pas si elle devait s’en inquiéter.

— Il faut agir, déclara le Preministre saturnien. Que ce soit contre les terroristes ou contre ces traitres de rats qui profitent de la situance pour leurs… magouilles.

Plusieurs bouches s’ouvrirent, dont celle d’Aessa :

— Vous n’avez pas l’impression d’aller un peu loin ? Ils ont vu clair dans votre jeu, c’est ça qui vous énerve. C’est ça qui vous fait peur.

— Peur ? répéta le Preministre avec une hilareté tellement feinte qu’elle en devenait grotesque. Une poignée d’alcooliques dégénérés ne nous fera jamais peur !

Aessa se contint avant de poursuivre :

— Alors ne jouez pas le jeu des terroristes. N’alimentez pas la terreur. Rassurez les luniens et faites un geste pour leur prouver que vous prenez leurs revendicances en considérance, promettez-leur d’étudier leur requète quand le fiasco des nihilistes sera réglé, demandez leur soutien en échange. Calmez le jeu avant que…

— Vous ètes tombée sur la tète ? Étudier leur requète ? Leur donner leur indépendance ? Vous ne l’envisagez pas sérieusement ?

— Et pourquoi pas ?

— Je commence à songer que vous auriez mieux fait de prendre un congé, dame ; cette confrontance avec les terroristes vous a plus ébranlée que nous ne le croyions.

Aessa étudia ses collègues mutiques. Leurs regards étaient pleins d’hésitance et d’excuse. Peutètre le Preministre avait-il raison, enunsens ; pas sur l’effet de son entrevue avec les terroristes, mais sur ses opinions décalées. La querelle des préservationnistes et des libertaires ne menait à rien dans l’esprit d’une extinctionniste ; il était futile de s’opposer aux ordres des uns et aux envies des autres. Toumonde devait disparaitre, alors autant que les luniens disparaissent en toute libreté si c’était ce qu’ils désiraient.

Et puis… les arguments de Guevara tenaient la route. Elle allait fragiliser le cœur de l’Union en se lançant dans cette croisade, oui ; mais ses plans ébauchaient peutètre une Union plus juste et plus fonctionnelle. À trop y réfléchir, Aessa pourrait mème finir par ajourner les actions du conseil rien que pour voir naitre cet embryon de système magnifié…

— Réfléchissez, reprit-elle, vous ne pourrez pas vous défendre sur tous les fronts. Vous ne pourrez pas résister aux terroristes si vous perdez l’appui des luniens.

— Ce sont eux qui ont saboté cet appui.

— Bons astres, mais vous avez quel age !? « C’est eux qui ont dit » ! « C’est eux qui ont fait » ! C’est fait, oui ! Vous avez essayé de les manipuler, ils s’en sont aperçus et ils ont réagi en conséquence ! Vous avez toujours le pouvoir de limiter les dommages collatéraux, vous tous, à la tète de l’Union ! Servez-vous-en !

On échangea quelques coups d’œil embètés. Après ça, Aessa n’aurait pas été étonnée que le Preministre la catapulte elle aussi sur Charon. Elle se dépècha alors de conclure :

— Vous ne pourrez pas mener deux batailles en mème temps. Si vous confrontez les luniens maintenant, les terroristes n’auront plus qu’à écumer les vestiges de notre système et à les éradiquer. Qui sera complice, alors ? Qui sera un traitre à l’Union ?

Aessa estima qu’elle ne s’était pas trop mal débrouillée avec ce discours improvisé. Aumoins elle avait vidé son sac et la vraieté brutale avait quelquechose de jouissif après tant d’énigmes et de détours.

Elle se grandit légèrement pour se préparer au revers, mais aucun revers ne vint. La colère avait disparu du visage du Preministre, remplacée par un calme implacable.

— Nous ne pouvons pas mener deux batailles pour l’instant, dit-il, mais nous le pourrons bientot, si nous lançons la seconde fase du Programme.

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itchane
Posté le 10/02/2018
Hello !Pfiu, ça y est, j'ai rattrapé mon retard ! : D<br />Pour tout dire j'ai même relu depuis le début parce que bon... c'est tellement dense que faire des pauses trop longues complique la lecture ^^"Mais résultat voilà, depuis le bédut, comme un vrai roman, et waaaaow, ça fonctionne toujours aussi bien ! Même le planétien commence à me rentrer dans le cerveau, je le trouve de plus en plus naturel à lire, c'est effrayant, j'ai l'impression d'avoir une petite fenêtre sur ce que pourrait vraiment devenir la langue française dans un futur pas si lointain ^^<br /><br />En terme de scénario tout s'est bien enchaîné pour moi, c'est vrai qu'en seconde lecture c'est aussi plus facile. Il y a des choses que j'ai mieux comprises alors que la toute première fois je me perdais parfois un peu, entre les différents lieux notamment... mais sinon 'fin voilà, grande classe !<br />Deux détails peut-être qui m'ont un peu fait tiquer. 1- Le cargo qui a explosé sur Europe, dans ma tête quand ils l'abordent j'imaginai un truc vraiment immense, de quoi apporter du carburant pour des populations très grandes, donc au moins la taille d'un bateau cargo de nos jours... genre la taille d'un immeuble quoi. Et quand il explose, et alors qu'il est rempli de carburant, ça ne fait "que" 22 morts, Kant est juste blessée alors qu'elle était à côté, et Guevara est épargnée parce qu'elle s'était éloignée un peu pour discuter... Je ne sais pas, soit je me trompe sur la taille du cargo qui serait seulement l'équivalent d'un camion chez nous, auquel cas je le trouverai vraiment petit pour faire de l'approvisionnement à l'échelle du système solaire, soit l'explosion me semble vraiment peu réaliste. C'est pas plutôt 500 morts sur des centaines de mètres un truc pareil qui explose ? (22 morts c'est le résultat tragique d'une voiture piégée sur un marché...). Mais peut-être ai-je mal compris ce qui explose exactement, c'est peut-être juste un élément de l'ensemble...<br />2- Je trouve le pouvoir de Guevara un peu aléatoire en fonction des besoins du scénario... Elle ne "voit" pas Bo puis Haccan arriver par exemple dans les hangars, pourtant elle connait bien leurs "empreintes", c'est seulement quand le futur et "violent" qu'elle remarque quelque chose ?<br />Et euh, voilà, en 24 chapitres, c'est à peu prêt tout x'D... en lecture "naturelle" en tout cas : )<br /><br />Encore bravo et vivement la suite ! : D
Dan Administratrice
Posté le 10/02/2018
J'ose même pas regarder la date à laquelle tu as posté ce commentaire Tchanou... Je m'excuse platement de ce retard, surtout vu le temps que tu as pris pour me faire ce retour. Je mérite le fouet.
Ca ne m'étonne pas trop qu'il ait fallu que tu reprennes tout depuis le début pour raccrocher les wagons... Je me demande parfois si cette histoire n'est pas un peu trop rapide/éclatée, et je continue à simplement espérer que le problème ne se poserait pas avec une lecture papier... En tout cas je te remercie pour le temps que tu as accordé à cette lecture et relecture, et pour tes compliments ♥ Si on prend l'habitude du planétien, c'est super !
Je me perds un peu dans mes versions, du coup je ne sais plus bien ce qui est dispo sur FPA par rapport aux multiples petites retouches que j'ai pu faire grâce aux retours globaux et qui, je l'espère, permettent de fixer un peu mieux les choses. Pour les lieux, c'est clair qu'ils sont nombreux... et je garde ta remarque à l'esprit pour essayer de clarifier ça à ma prochaine relecture.
Concernant les points que tu soulèves maintenant : c'est vrai qu'il y a assez peu de précision sur la taille de ce cargo, mais non, je l'imagine plus petit qu'un immeuble xD Disons... la taille d'un yatch ? Les quantités d'hydrogène ne sont pas si importantes (il y a moins de gens dans tout le système que sur la Terre aujourd'hui) et ils utilisent plutôt des salves de petits transports qu'un gros mammouth complet, pour pouvoir desservir des ports de toutes les tailles (un seul cargo ne fait pas le tour de toutes les planètes/lunes). En tout cas tu as tout à fait raison de mettre le doigt dessus, c'est qu'il manque des infos (mais avec un narrateur aveugle c'est difficile de faire des comparaisons, j'avais tenté de donner une idée compte tenu de la rapidité avec laquelle les Moutons en font le tour et le fait que le vaisseau puisse le choper facilement) et sans doute des précisions concernant l'éloignement des personnages qui sont peu ou pas atteints par l'explosion. Je verrai aussi si je peux préciser un peu le fonctionnement de la distribution pour que ça paraisse moins improbable.
Concernant le pouvoir de Guevara, je comprends bien ce que tu veux dire et depuis le départ je galère un peu à rendre ce que j'imagine. Comme il ne s'agit pas de savoir des choses à l'avance mais bien de les voir à l'avance, pour peu qu'elle soit obnubilée par autre chose ou simplement qu'elle regarde de l'autre côté, elle ne le verra pas... Je sais pas si c'est très clair x'D En tout cas ça n'a aucun rapport avec la violence de l'événement ^^
Oh je serais curieuse de savoir ce que ça aurait donné en lecture pas naturelle (et un peu inquiète aussi x'D) Ery m'a parlé de tes retours de BL, c'était franchement hallucinant !
Merci encore pour ta lecture et ton commentaire et désolée pour cette réponse tardive >< ♥♥♥ !
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