Une toute autre pluie

Par Lyrou

 

  

   C’était à partir de ce moment précis, de ce jour précis du moins, que les brillants sociologues cessèrent d’utiliser « génération perdue » pour parler de « génération sacrifiée ». En l’espace d’une journée nous étions passés d’une génération paumée par le manque de repère de tous ces soit-disant mentors et modèles partis avec l’entrée en guerre, à cette génération que l’on plaindra plus tard dans les livres d’Histoire et que l’on laissera crever lentement dans le plat pays sans s’en rendre vraiment compte. Ces combats que l’on avait cru si loin étaient venus frapper à notre porte ce soir de mars alors que je mangeais des pâtes devant ma télé cathodique.

Par chance les bombes que l’on lâcha depuis le ciel sur le quartier ne tombèrent pas directement sur mon immeuble sinon juste à côté. Quand le larsen qui emplissait mon crâne cessa, mes oreilles furent vrillées par les deux alarmes qui indiquaient simultanément un black-out provoqué et un raid aérien, par les cris de ceux qui étaient moins bien lotis en terme de conséquences d’explosion que je ne l’étais, et par la voix de mon voisin qui crut bon de me hurler dessus lui aussi. Une fois que j’eus enfin compris qu’il voulait simplement s’assurer que j’étais en vie je lui demandai de me tirer hors des gravats, ce qu’il fit assez rapidement.

- Ça va ?

Demanda-t-il finalement alors que je venais de me lever. Je lui répondis par un lent hochement de tête et il parti ailleurs aider d’autres voisins probablement. L’immeuble était tombé sur le côté et non pas sur lui même ce qui faisait que les appartements du premier étages comme le mien n’étaient pas tombés de bien haut. Celui avoisinant en revanche, avait été pulvérisé. Je doutai que l’on retrouve âme qui vive dedans, ou en tout cas des gens bien amochés.

Les secours commencèrent à arriver et à mettre dans des camionnette toutes les personnes qui leur tombait sous la main ne serait-ce que pour leur faire des examens afin d’être sûr que tout allait bien. Assez logiquement j’atterris aux urgences dans la salle de « ceux qui étaient sur les lieux d’explosions mais qui ne vont pas si mal » avec la majorité sans doute. Tout ce à quoi l’on avait droit c’était des sodas et la radio qui nous informait régulièrement qu’il n’y avait pas eut de nouveau raid et que ça semblait être pour l’instant un cas isolé, que le blackout était terminé, qu’il était recommandé aux proches de s’informer auprès de leurs paires et de venir aux urgences en cas de non réponse, ainsi que les transports seraient coupés le temps de déblayer les routes bouchées par des bâtiments effondrés.

Ils me gardèrent pour la nuit et ayant cédé mon matelas à un cas plus grave je finis par m’endormir sur un fauteuil au confort discutable. Ils me firent quelques examens le lendemain matin, me laissèrent en plan une bonne heure puis me laissèrent sortir. Pendant l’attente j’eus le temps d’appeler Yana qui avait essayé de me joindre mais à qui je n’avais pas pu répondre avant afin s’assurer que j’allais bien et pour me rassurer quant à son cas. Pas de bombes à signaler de son côté m’appris-t-elle mais ils étaient bloqués dans la fac jusqu’à nouvel ordre par sécurité tant que l’on ignorait si le raid était terminé ou non. Je répondis aussi aux sms de Paul et Jini qui me disaient qu’ils avait récupéré des parpaing grâce aux explosions de manière plus ou moins légale et qu’ils avaient besoin d’aide pour avancer sur la construction. Je les rejoignis donc une fois que j’eus quitté les urgences, à pied parce que les bus avaient été coupés. Sur la route je reçu un sms à la fois inattendu et pas vraiment étonnant : « Heeey c’est Alex, j’ai eu ton numéro avec tes potes trentenaires paumés qui construisent un truc à côté du bar, je voulais juste savoir si t’étais en vie parce que j’ai toujours besoin de toi pour mon film » Je n’y répondis pas tout de suite et n’en eut de toute façon pas besoin puisqu’elle était sur le chantier, toujours dans son pyjama lézard, en train de filmer Jini qui cimentait l’une des cloisons intérieures.

- Tient Jini a trente tout pile ça devrait te suffire pour ton film non ? Pas vraiment besoin de moi en particulier…

- Si, ton visage rend mieux à l’image, répondit-t-elle en braquant l’objectif de son appareil sur moi tout en faisant un zoom avec.

Je haussai un sourcil et décidai finalement de simplement hausser les épaules.

- Tu étais à un endroit où une bombe est tombée ? demanda-t-elle sans me lâcher de l’objectif, T’as des bleus que tu avais pas hier midi.

Sur ces quelques mots Jini se retourna vers moi d’un coup, perdant subitement toute concentration sur la pose de son parpaing qui manqua de lui tomber sur le pied.

- Oh merde oui ! s’exclama-t-elle avant de demander avec un regard concerné : Çava ?

- Je me suis pas vraiment pris l’immeuble sur la tête donc oui. J’ai juste perdu mon apart et mes vhs sont détruites.

- Oh merde… répéta-t-elle avec un tout autre ton cette fois, Tu veux venir dormir à la maison ?

- Je pensais plutôt aller chez Yana.

À ce moment là je partais du principe que la fac s’ouvrirait le soir une fois l’alerte raid passée. Cela n’arriva pas. Après avoir littéralement passé la journée à cimenter des parpaing je la terminai dans un bar du quartier des étudiants en attendant que Yana ne sorte de la fac, ayant ce jour là des cours finissant tard. Mais il y eut un autre raid, plus important que celui de la veille, pas là où j’étais cette fois-ci. Selon les zones touchées j’appris par la radio qu’après avoir détruit la gare des bombes avaient détruit l’aéroport et un certain nombre d’habitations de banlieues dans la même région de la ville. La fac n’ouvrit par conséquent pas et tout ce que je put faire après que le confinement dans le bar eut été terminé c’était errer dans les chemins piétonniers qui longeait le fleuve, n’ayant pas la moindre idée d’où vivait Jini qui m’avait proposé de me loger mais qui à cette heure-ci ne répondait pas au téléphone. Je trouvai finalement un endroit où me poser, sous un pont en béton un peu laid d’où on pouvait voir les lumières de la ville se refléter dans l’eau. Les avions étaient partis et les sirènes avaient cessées, il n’y avait plus un bruit sinon celui des remous de l’eau qui contournaient les piliers du pont. Ce fut dans ce silence rare que je m’endormis finalement, en boule sur la rive et la tête contre le béton.

La position ne se révéla pas être la meilleure du monde quand au petit matin elle me provoqua tant de courbatures. J’avais plus ou moins dormi mais certainement mieux que ces derniers jours ce qui était à la fois paradoxal et logique dans le sens ou j’avais de toute façon fait des nuits blanches les dernières fois où j’avais un eut endroit où me reposer. Le temps de m’étirer un peu puis je me dirigeai vers le chantier donner un coup de main n’ayant de toute façon pas grand-chose d’autre à faire. Je traversai des zones de la ville où les raid n’avaient rien abîmé ce qui donnait l’étrange impression que rien ne se passait, et que pourtant tout changeait. Un nombre assez impressionnant de boutiques avaient le rideau baissé et les tables des terrasses s’étaient vidées de leurs chaises. Le trafic était aussi bien diminué, en grande partie parce que de nombreuses routes étaient maintenant impraticable, mais aussi parce que, je le sut plus tard, les gens commençaient à partir vers le nord du pays.

Une fois sur place je constatai avec surprise que des gens dont la construction était le métier étaient sur place avec le matériel nécessaires et les protections réglementaires, en plus de Paul et Jini qui étaient de toute façon toujours là. En demandant à Jini j’appris qu’en sachant que le terrain servirait à faire un cinéma Alex avait claqué ses économies pour en payer la construction contre la certitude que ses films y seraient projetés quoiqu’il arrive et quoiqu’ils soient, bons ou pas. Elle avait une absurde quantité d’espèces de côté qu’elle se refusait de faire fructifier en banque et qu’elle avait accumulée en vendant des scripts à des studios et des copyright d’images à des compagnies qui les revendaient ensuite, ainsi qu’en maintenant un niveau de vie bien en dessous ce qu’elle pouvait s’offrir en vivant dans sa camionnette sur des parkings.

L’équipe avait donc été conséquemment agrandie et le travail proportionnellement accéléré. Quand arriva le midi le sol et les câbles avaient été installés, les cloisons faites-mains sécurisées et il ne restait guère que le toit pour ce qui était de la structure en elle même. Tout le monde s’autorisa une pause quand Alex débarqua avec une vingtaine de sandwich pour tout le monde. La troupe s’assit en tailleur devant le chantier et je restai debout sur le côté avec Alex alors qu’elle essayait de me marchander mon sandwich contre un tournage dans un strip club.

- Une amie à toi ?

Me demanda-t-elle finalement sorti de nulle part. Je me retournai et vit Yana arriver vers le chantier en faisant des coucou de la main à une distance où saluer vocalement était compliqué à moins d’hurler.

- Oui, dis-je en répondant de la main au salut de Yana

- Canon ! Elle est célibataire ?

- Et bi aux dernières nouvelles.

- Cool...

Elle marqua une pause pour boire une gorgée de son soda et me tendre mon sandwich que je lui arrachai des mains avant de me diriger vers Yana qui venait d’arriver à hauteur du bâtiment.

- Alors ils t’ont lâché à la fac ?

- Oui enfin ! On devait dormir sur les matelas de camping que tu trouves à deux euros en grande surface, terrible… J’ai pas beaucoup de temps ce midi mais je me suis dit que j’allais passer faire coucou et voir comment ça avançait par ici. Vous avez eu un coup de booste non ?

- Ouais, la lézarde cameraman qui s’avère s’appeler Alex dont je t’avais parlé nous a payé des vrais maçons, dis-je en me retournant vers elle pour la désigner.

Alex lui adressa un grand sourire et la salua de la main, ce à quoi Yana répondit par un geste bien plus timide.

- Tu as trouvé où dormir cette nuit finalement ? demanda-t-elle pendant que nous nous installions en tailleur avec le reste de l’équipe déjà en cercle plus ou moins régulier.

- Nan, j’ai pioncé sous un pont mais c’était pas si terrible

- Che tachais (Jini marqua une pause pour avaler la bouchée de pain qui lui empêchait de parler correctement) je t’avais dit que tu pouvais venir à la maison !

- Mais j’ai pas la moindre idée d’où est ta maison Jini

- Ah oui merde attend je t’envoie l’adresse par sms (elle sortit son téléphone puis continua en écrivant le dit message) entre quand tu veux c’est toujours ouvert. Paul dort à la maison en ce moment aussi à cause des problèmes avec sa famille mais on a des matelas en rab j’en mettrai un dans le salon pour toi.

Je la remerciai puis on dériva vers d’autres sujets, allant des raid à comment on comptait agencer l’intérieur en passant par un peu de politique et de discussions culinaires. Quand tout le monde eut finit, Yana dut retourner à la fac et le consensus fut assez général pour se remettre à travailler, c’est en tout cas ce qu’à peu près tout le monde fit. Alex choisit ce moment pour me tirer par le bras vers où elle voulait tourner après avoir lâché un « Je vous l’emprunte » auquel Jini répondit par un rire et un « Aucun soucis » amusé, ignorant mes « A l’aide ! » humoristiques certes mais pas moins désespérés.

On marcha assez longtemps dans les rues de la ville, parfois sur la chaussée quand l’on coupait des voies qui étaient bloquées des deux côtés ce qui donnait l’étrange impression d’être soudainement téléporté dans une ville fantôme. À l’inverse certains axes bouchonnaient tant il y avait de voitures qui normalement prenaient d’autres routes mais qui n’avaient plus tellement d’autre choix que prendre ces boulevards elles aussi. Le même phénomène s’observait sur les restaurants et les bars puisque ceux restés ouverts étaient engorgés par la clientèle habituelle de ceux qui avaient fermé boutique, bien qu’il semblait y avoir moins de monde dans les rues et dans ces commerces que d’ordinaire.

Alex m’embarqua finalement dans une ruelle pavée restant de la vielle ville puis descendit sur la droite dans un escalier encadré de néons qui donnaient le ton d’où on s’apprêtait à rentrer. Il menait à une porte rouge un peu abîmée qu’Alex poussa après m’avoir adressé un large sourire. Là dans un petit vestibule obscure deux grandes silhouettes en costard vérifièrent que notre carte d’identité nous habilitait à entrer et nous ouvrirent la deuxième porte qui était elle à double battants. Tout était très stéréotypé et étrangement familier tant j’avais pu voir ce genre d’endroits au cinéma. Des lumières roses-rouge-violet-bleu envahissaient l’espace, des tables rondes avec des banquettes dans les mêmes tons de couleur, une scène au milieu mais dieu merci personne dessus encore, un bar au fond avec des néons racoleurs et une musique criarde d’extrême mauvais goût.

- Pourquoi tu m’amènes ici au juste, on est là depuis quelques secondes et ça me met déjà très mal-à-l’aise.

- Les lumières d’ici donnent des belles images sur les visages. Mais t’inquiètes on va se mettre sur une table là bas au fond et tu pourras te mettre dos à la scène pendant que je me rince l’œil si tu veux.

Dans le même temps elle me désigna la dite table et se dirigea vers le bar. Une fois à l’intérieur je n’eus d’autre choix que de la suivre ce que je fit en évitant au maximum le reste de la clientèle du regard ce qui était assez simple puisqu’il n’y avait pas grand monde. Alex nous commanda deux cocktails aux noms plus que suggestifs mais pas bien originaux et on s’installa plus loin.

- Tu penses que je devrais l’inviter ?

- Qui, Yana ? Tu fais c’que tu veux…

- Non mais je veux dire… comment ?

Les cocktails arrivèrent à notre table et Alex remercia la serveuse avant de sortir sa caméra et de la filmer s’éloigner. Puis elle braqua l’objectif sur moi alors que portais le verre à mes lèvres.

- Alors comment ?

- Je sais pas moi débrouilles-toi, invites là au ciné ou que sais-je…

Alex fit la moue pour me faire comprendre que ma réponse ne la satisfaisait pas mais garda son appareil braqué sur moi avec en fond la scène sur laquelle quelqu’un avait entamé un spectacle si j’en croyais le regard d’Alex, rivé vers le fond de la salle au lieu de l’écran de sa caméra, ainsi que les enceintes qui pulsaient désormais plus fort. Je découvris alors qu’il existait un degré sonore de musique idéal pour rendre les discutions difficiles mais pas impossibles, condition dans laquelle parler était paradoxalement plus simple. On discuta un certain temps en durée horlogère mais très peu en ce qui concernait la durée perçue de tout un tas de chose, l’alcool aidant, oscillant entre les anecdotes de vie, des voyages qu’avait pu faire Alex depuis qu’elle avait quitté l’Ukraine, son travail de scénariste, des rencontres diverses et variées faites ci et là. Je crois qu’à force l’on dériva de ce dernier sujet vers comment j’avais rencontré Yana et avec quelques grammes en plus dans le sang j’ai dû finir par lui donner son numéro.

Comme Alex filmait encore un tas de choses avec un air très concentré pendant que je descendais mes verres je lui demandai ce qu’elle comptait en faire. Elle me raconta quelques bribes de ce qu’elle imaginait de ce film, et de ce que je parvint ensuite à me souvenir elle voulait faire un mélange entre une histoire détournant les codes des films de super-héros dans un cadre post-apo avec Yana en sidekick et mon personnage en tête d’affiche ce à quoi je répondis quelque-chose comme « Pourquoi pas plutôt l’inverse ce serait plus logique » et Alex me rétorqua qu’elle avait envie que je cesse d’être le personnage secondaire de ma propre histoire. Même sobre je pense que je n’aurais pas compris alors sur le moment j’eus juste une hésitation et ne sut quoi répondre, mais elle venait de finir son verre et le spectacle en cours arrivait à sa fin alors elle m’embarqua en vacillant vers la sortie avant que je n’eus le temps de formuler une question pour demander quelques explications.

Dehors le soir tombait. Les jours qui avaient perdus de leur longueur pendant l’hiver ne la reprenaient que très lentement et à dix-huit heure l’atmosphère s’assombrissait déjà. On marchait tranquillement vers le chantier, n’étant de toute façon pas tellement en état d’avancer plus vite, quand les sirènes de raid aérien déchirèrent le silence et que des vrombissements se firent entendre. Ils étaient d’abord légers puis très fort, presque insoutenables. On s’arrêta au milieu de la route, le regard rivé vers le ciel. Alex retenait sa respiration. Puis ils passèrent enfin au dessus de nous, des carcasses de mort grises dans un ciel tout aussi triste, rapides mais pourtant si lentes une fois rapporté au temps perçu quand à chaque seconde on se demande si les bombes seront lâchées au dessus de nos têtes. Quand Alex souffla enfin ils n’avaient pas tout à fait quitté notre champs de vision mais nous étions à priori hors de danger. Puis, le regard toujours tournés vers les engins et l’objectif de la caméra avec eux, nous vîmes des blocs noirs tomber du ciel et la panique dévorer les rues. Plus loin, à quelques dizaines de mètres, des gens quittaient leur voiture et s’éloignaient de là où il semblait que les bombes étaient en train de tomber, des piétons coururent et il y eut un bruit immense, gigantesque. Des montagnes de poussières semblèrent de soulever avec l’explosion puis un silence sourd s’abattit autour de nous. La sirène avait cessé et l’espace de quelques instants plus rien ne bougea. Enfin il y eut des cris, des plaintes, des coups de klaxonnes, l’arrivée des camionnettes des secours, et l’étrange impression que le temps avait simplement été mis sur pause et que la vie reprenait son cours aussitôt relancée. Le trafic sur le boulevard reprit dans le sens qui n’était pas bloqué par les gravas et les piétons qui étaient restés dehors malgré la sirène reprirent leur marche en évitant seulement le lieu de l’explosion dont l’accès avait été bloqué par les forces de l’ordre pour en faciliter l’évacuation des blessés. Si l’on omettait le bruit des gyrophares et la poussière qui continuait de retomber sur la ville c’était comme si rien n’était arrivé, ou du moins que ce n’était pas grand-chose finalement.

- Eh bah purée on l’a échappée belle

Souffla finalement Alex qui, pourtant encore sous l’emprise des verres avalés, avait eu la réaction la plus juste qu’il était possible d’avoir dans cette situation. Ces bombes là étaient plus grosses, plus puissantes que celles lâchées auparavant sur la ville, les raids semblaient être passés un cran au dessus de ceux qui avaient détruit mon immeuble, et il aurait fallut de quelques minutes en moins pour que ce soit nous sous ces gravats. Cela tenait à si peu que c’était impossible de le réaliser pleinement, de prendre conscience de ce qui venait de tomber à quarante mètres de nous.

On resta encore là quelques instants sans pouvoir bouger puis finalement nous reprîmes notre marche vers le chantier en en reprenant petit à petit le contrôle ce qui fit qu’une fois sur place nous étions en capacité de marcher droit. Il était d’ailleurs grand temps que nous y arrivâmes puisque la troupe était en train de quitter les lieux. Jini nous invita ainsi que Yana qui avait finalement dû revenir, sa fac ayant fermé à cause des raids dans l’incapacité d’assurer la sécurité de ses étudiants ni d’assumer juridiquement autant de monde sous sa responsabilité tant de nuits à suivre, et nous fîmes la route ensemble.

Jini avait de ces maisons de périphéries toutes plus ou moins semblables les unes aux autres et qui avaient l’air grande sans l’être. Elle avait un petit jardin qui ne lui servait en réalité que d’entrepôt, bien que parfois en été elle y faisait pousser des framboises si l’envie l’en prenait, disons qu’ainsi quand on atteignait la porte en passant au dessus des tréteaux et des tas de cageots en équilibre on avait mérité notre présence à l’intérieur. Ce dernier était habituellement plutôt bien rangé et organisé bien que l’agencement ne soit pas le meilleur de tous, mais comme elle logeait actuellement plus ou moins de monde chaque nuit des matelas couvraient le sol et le salon avait pris un air d’auberge de jeunesse. Il y avait beaucoup trop de paires de chaussures dans l’entrée, des coussins, des duvets et des sac-à-dos un peu partout, la table avait été rallongée et des chaises ajoutées. En plus de nous Jini avait ouvert sa porte à deux jeunes dont le logement avait été détruit par un des raid et qui n’avaient eut ensuite nulle part où aller, ainsi qu’à un étranger fraîchement débarqué et qui parlait à peine la langue.

Quand nous entrâmes ce soir là les jeunes avaient fait des crêpes et le troisième était en train de faire la vaisselle avec la compagne de Jini qui travaillait dans un petit café en ville. Le temps de faire les présentations, de cuire toutes les crêpes, de s’installer tous à table et que quelqu’un n’ose enfin manger la première de la pile la nuit était largement tombée et l’on ne voyait plus rien par la fenêtre si ce n’étaient les quelques lampadaires qui bordaient la rue.

Pendant que certains menaient des discussions passionnées sur quel était le meilleur choix de garniture parmi toutes celles réparties sur la table et qu’Alex montrait ses photos et films sur l’écran de son appareil à Yana, j’écoutais Paul et Louise, la « ptite femme » de Jini comme elle l’appelait et que je n’avais eu l’occasion de rencontrer qu’en de rares occasion, parler de comment les gens qui habitaient en centre ville et allaient toujours au café vivaient les raid et la venue impromptue de la guerre dans nos terres. Même sans le vouloir il était évident que dans ce genre de lieux exigus il était aisé d’entendre les conversations des clients ou au moins des bribes et Louise y avait ressenti une profonde inquiétude globale mêlée à une incompréhension et un détachement presque naïf. Pour beaucoup les raids n’allaient pas durer, ça allait s’arrêter d’ici peu disaient certains. Et pourtant c’était ceux-là mêmes qui prenaient les routes pour s’éloigner de cette région qui avait subitement quitté la catégorie « zone de paix » avec les premiers bombardiers, se protégeant ailleurs « en attendant », comme s’il y aurait sous peu un après et que tout reviendrait à la normale, qu’ils pourraient revenir comme si de rien était. Alors ils prenaient leur voiture, leurs enfants, des valises et partaient sur les routes vers le nord, comme si là-bas il n’arriverait rien, que c’était évident que ça allait rester dans le sud, loin d’eux. Les rues se vidaient lentement mais sûrement un peu plus à chaque raid, les maisons aussi permettant parfois à ceux qui avaient perdu la leur d’en occuper une autre « en attendant », presque prêts à retrouver leur chez-eux à tout instant comme si tout cela n’était finalement qu’un mauvais rêve dans lequel une ville entière était plongée, et duquel les habitants ne tarderaient pas à sortir en se réveillant en paix dans un monde plus divisé en deux où les tensions seraient retombées et où notre pacte avec Sam ne serait rien d’autre qu’un bout de papier sans conséquences.

La confiture à la framboise l’emporta finalement sur la pâte-à-tartiner et le beurre de cacahuète qui avaient passés les sélections et ne resta bientôt qu’une crêpe dans l’assiette qui y resta refroidir avant que quelqu’un ne se décide finalement à la prendre. Le silence qui retomba sur la tablée quand les discussions en court prirent fin suggéra assez clairement qu’il était grand temps de dormir pour à peu près tout le monde. L’on regonfla les matelas qui devaient l’être, rassembla les couvertures éparpillées, s’entassa ensuite en laissant à chacun autant de place que possible pour dormir confortablement et se laisser emporter tranquillement dans les bras de Morphée.

Au petit matin il y eut un black-out généralisé et une annonce diffusée en permanence à la radio une fois qu’il fut terminé fit se vider la ville de moitié en l’espace d’une journée. S’il fallait choisir un autre point de bascule avec le premier raid, c’était réellement celui-ci.

 

 

 

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Fannie
Posté le 16/07/2020
Avant, c’était l’ambiance de lumières clignotantes colorées qui était étrange ; maintenant, c’est cette atmosphère de fin du monde, après des raids inopinés venus du ciel. C’est intéressant de voir comment les gens réagissent ; certains s’enfuient alors que les autres, ne sachant que faire, se débrouillent tant bien que mal en restant sur place. Au moins, il y a de la solidarité, ce qui redonne foi en l’humanité.
Personnellement, j’ai eu l’impression que ce chapitre était long, probablement à cause des redondances, des mentions inutiles et de ces nombreuses phrases à rallonge.
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