Un Simple Message

Que se passe-t-il ? Je ne comprends pas, merde. Pourquoi tout est noir ? Je connais cette sensation. La mort rôde. Il pleut ? Merde, je ne comprends rien. Qui suis-je, où suis-je, pourquoi ? Je…

 

 

La Conteuse s’écroula par terre dans un vacarme qui emplit toute la pièce. 

Un silence de mort s'ensuivit, dans lequel personne ne bougeait. Du sang coula de la gorge ouverte de la Conteuse, recouvrant le sol d’un noir abyssal.

Ari cligna des yeux, sortant d’une torpeur qui l’avait envahi depuis que la Conteuse avait commencé son histoire. Il regarda autour de lui comme s’il découvrait la pièce pour la première fois. Il vit qu’Olis était plongée dans le même état de confusion que lui. 

Puis le regard d’Ari s'arrêta sur le cadavre de la Conteuse, et il prit enfin conscience de la situation.

Couvert d’éclaboussures, Eleister se retourna vers les deux héros. Il essuya la lame de son poignard, hésita, puis brisa le silence : « Elle essayait de nous piéger. Un… sortilège. Je pouvais le sentir, je vous assure. J’ai fait ce qu’il fallait. »

Même lui ne paraissait pas y croire. Ari se contenta de commenter d’une voix atone : « C’était honorable de ta part.

— La ferme. J’en ai marre de tes sarcasmes.

— Eleister, articula Olis avec difficulté. Ce qu’elle a dit... c’est… »

Olis s’arrêta, sa voix mourant dans sa gorge. Même si elle arborait toujours un visage impassible, quelque chose avait changé. Eleister le remarqua, et s’empressa de répondre : « Sérieusement, comment peux-tu y croire ? Ce n’était que mensonges sur mensonges ! Des calomnies ! Et si c’était vrai —je dis bien si— comment aurait-elle pu tout savoir, hein ? Olis, tu t’y connais en trucs magiques : tu connais quelqu’un avec un tel don de… de… voyance, toi ?

— Ce n’est pas de la voyance, » répliqua une voix familière.

Olis, Ari, mais surtout Eleister, se pétrifièrent. Eleister tourna lentement la tête.

Il vit la Conteuse se relever lentement, les vêtements couverts de sang, la gorge jusqu’alors béante qui se refermait d’elle-même, les yeux alors vitreux qui se remirent à bouger. Sans rien dire, la Conteuse darda sur Eleister un regard ni rageur, ni haineux, ni triomphant.

Un regard plein de déception.

La Conteuse se rassit dans son fauteuil comme si de rien n’était. Figés par la stupeur, les deux héros ne réagirent pas. Eleister, d'un bond agile, s’éloigna de quelques mètres et banda son arc meurtrier.

« S’il te plaît, ne… » parvint à dire la Conteuse avant qu’Eleister tire en un instant trois flèches. Chacune se figea dans le corps de la Conteuse, qui se contenta de soupirer.

Lentement, les flèches s’enfoncèrent dans la peau de la Conteuse, comme dans du sable mouvant. En quelques secondes elles avaient été complètement englouties, ne laissant aucune trace. 

La Conteuse déclara d’une voix grave : « Il suffit, Eleister d’Oregeon. Vous aviez réussi la première épreuve. Allez donc rejoindre la pièce de la seconde épreuve comme il est convenu avant que je me fâche. »

Un poids invisible, quasi imperceptible, s’abattit dans la pièce. Lentement, Eleister finit par baisser son arc. Il lança un regard haineux et pétri d’impuissance à la Conteuse, grognant : « Tu es sous les ordres de Rulere, j’en étais sûr. Je vais te…

— Si vous pensez réellement cela, répliqua calmement la Conteuse, c’est que vous n’avez rien compris. Hors de ma vue. »

Serrant les dents, Eleister tourna alors des yeux hagards vers les deux héros. Olis détournait les yeux, la tête baissée, un voile d’indifférence sur le visage, les mains crispées ; Ari, lui, regarda Eleister sans rien dire, sans affection ni haine.

Eleister jura, et rejoignit avec hâte la petite porte arrière, vers la seconde épreuve. Il entra avec précipitation, sans jeter un regard en arrière. Il claqua la porte derrière lui, et ce fut tout.

Tout le monde avait eut le temps d’apercevoir les larmes qui perlaient ses yeux. 

Ari soupira, puis demanda à la Conteuse : « Tout cela faisait-il partie de votre plan ?

— Vous me surestimez, Chevalier d’Or. Je n’ai rien prévu, croyez-moi. Mon seul objectif était de transmettre à ce prince un simple message.

— Lequel ? interrogea Olis d’une voix lourde.

— Celui de respecter la réalité et le récit. Les deux sont liés, mais très différents. Une histoire ne doit pas violer la réalité. L’ignorer, peut-être, la manipuler, certainement, mais jamais la violer.

— C’est vrai ? Tout ce que vous avez raconté ? »

La Conteuse commença à ouvrir la bouche, puis se ravisa. Une fois encore, une ombre passa dans son regard. Elle reprit alors d'un ton plus enjoué, constatant l’état de ses vêtements et de la table : « Mon Dieu, tout est taché, quelle horreur ! Je suis navrée, c’est indigne de moi. »

La Conteuse prononça alors quelque chose d’une voix gutturale, échappant à toute compréhension humaine, qui résonna dans la pièce.

En un clin d’œil, toute trace de sang disparut. La Conteuse fut alors revêtue des mêmes habits, mais cette fois-ci entièrement propres et sans dégâts.

Les deux héros s'aperçurent avec surprise que leurs tenues d’aventuriers avaient été changées pour des habits de ville, plus confortables, exactement à leur taille. Ari se rassura quand il vit qu’il avait toujours son épée, et Olis agrippa avec soulagement son collier, avant de se tourner vers la Conteuse : « Qui êtes-vous donc ? La réalité ne peut être autant manipulée par une seule personne !

— Je suis la Conteuse et vous êtes mes invités. C’est tout ce qu’il y a à savoir pour les épreuves, » répondit celle-ci avec une étrange lueur dans les yeux.

La Conteuse rassembla alors tous les morceaux de papiers éparpillées devant elle, vestiges du précédent récit. Elle remarqua alors le petit soldat sombre qui était toujours en place, agenouillé, solitaire, couvert d’encre. 

Sans rien ajouter, les deux héros virent la Conteuse tendre la main et, d’un mouvement d’une douceur toute maternelle, écraser le soldat du plat de sa main. Puis elle la retourna : il n’y avait plus au creux de sa paume que des morceaux de papier et de l’encre qui en coulait. La Conteuse commenta d’une voix grave : « Son histoire à lui est terminée. »

Sans attendre, la Conteuse mit de côté tous les morceaux de papier et ressortit son vieux grimoire et sa plume. Elle l’ouvrit, et les deux héros constatèrent que les pages étaient à nouveau vierges. 

« Alors, à qui le tour ? demanda-t-elle.

— Nous sommes obligés ? répliqua Olis.

— Bien sûr que non. Vous êtes libres de passer quand vous le voulez. Il y a quantité de choses à faire dans ma demeure, et je vous attendrai des années s’il le faut.

— Nous n’avons pas tout ce temps. Nous sommes en mission. Le sort de mon pays en dépend. Rulere doit être vaincu le plus tôt possible et…

— Raison de plus pour commencer l’épreuve maintenant. »

Il n’y avait aucune trace de mesquinerie dans la voix de la Conteuse. Pourtant, Olis grimaça de mécontentement, et Ari sut qu’elle hésitait à attaquer leur interlocutrice.

Après quelques instants, Olis siffla : « Très bien. À mon tour. »

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Fannie
Posté le 27/05/2021
Cette épreuve consistant, pour chacun, à raconter un épisode de sa vie est une manière fort judicieuse de présenter tes personnages tout en étant déjà dans l’histoire. J’espère que chaque récit sera aussi édifiant que celui d’Eleister, ce qui nous permettrait de savoir à qui on a affaire.
Le personnage de la conteuse me semblait en effet trop important pour disparaître aussi rapidement. Je suis contente qu’elle soit toujours de la partie.
Le passage en italique au début correspond-il au point de vue de la conteuse ou s’agit-il d’un commentaire de l’auteur ? Si ce sont des pensées de la conteuse, je m’attendrais à un langage moins relâché.
Coquilles et remarques :
— Un silence funéral en suivit, dans lequel personne ne bougeait. [Si je n’avais pas trouvé l’adjectif « funéral » dans une ancienne édition du Littré (1886), j’aurais cru à un anglicisme. Le dictionnaire de l’Académie française ne l’a entériné dans aucune de ses éditions et il ne figure pas non plus dans le dictionnaire historique de Robert / « suivit » ou « s’ensuivit » (« ensuivre » s’orthographie en un mot, même aux temps composés, p. ex. « s’est ensuivi »).]
— Puis le regard d’Ari croisa le cadavre [Je ne dirais pas « croisa le cadavre ». Je propose : se posa sur, rencontra, tomba sur, s’arrêta sur, etc.]
— Eleister, parvint à articuler Olis. Ce qu’elle a dit. C’est… » [Comme tu emploies « parvint à dire » un peu plus bas, je propose quelque chose comme : « articula Olis avec peine/difficulté/effort », « articula difficilement/péniblement Olis » / Ponctuation ; c’est une même phrase, donc je mettrais des virgules : « Eleister, parvint à articuler Olis, ce qu’elle a dit, c’est… ». Si elle hésite, tu peux aussi mettre des points de suspension.]
— Même si elle portait toujours un visage impassible [Je dirais plutôt « arborait, montrait, présentait... ».]
— Ce n’était que mensonges sur mensonges ! Des calomnies ! [mensonge sur mensonge ; au singulier]
— Ce n’est pas de la voyance. » répliqua une voix familière. [Virgule après « voyance ». On ne met pas de point avant une incise.]
— un regard non rageur, non haineux, non triomphant. [Je dirais plutôt « ni rageur, ni haineux, ni triomphant ».]
— Eleister, lui, s’éloigna d’un bond agile de quelques mètres, et banda son arc meurtrier. [Pas de virgule avant « et ». / S’il s’agit d’un bond de quelques mètres, c’est étrange, mais correct. En revanche, s’il s’éloigne d’un bond agile, je propose : « Eleister, d’un bond agile, s’éloigna de quelques mètres ».]
— parvint à dire la Conteuse avant qu’Eleister ait tiré en un instant trois flèches [avant qu’Eleister tire/tirât ; si tu écris « ait tiré », on comprend qu’elle parle aussi pendant qu’il tire ses flèches. / Je dirais plutôt « avant qu’Eleister tire/tirât trois flèches en un instant », parce qu’« en un instant » se rapporte à « trois flèches ».]
— Chacune se figèrent dans le corps [se figea]
— La Conteuse déclara d’une voix grave. : [Il y a un point en trop après « grave ».]
— Un poids invisible, quasi-imperceptible, s’abattit dans la pièce [quasi imperceptible ; sans trait d’union]
— Hors de ma vue. [Il faudrait un point d’exclamation, même si elle n’élève pas la voix, parce que c’est un ordre prononcé avec autorité.]
— Eleister lança alors un regard hagard vers les deux héros. [Comme « un regard hagard » ne sonne pas très bien, je propose « Eleister tourna alors des yeux hagards vers les deux héros » ou « Eleister regarda alors les deux héros d’un air hagard ».]
— Ari, lui, regarda Eleister sans rien dire, sans affection ni haine. [Pour éviter la répétition, je propose « considéra Eleister ».]
— Eleister jura, et rejoignit avec hâte [pas de virgule avant « et »]
— Tout le monde avait eut le temps d’apercevoir [avait eu]
— Mon seul objectif était de donner à ce prince un simple message. [Je dirais plutôt « lui passer, lui délivrer, lui transmettre, lui adresser » un message.]
— Une histoire de doit pas violer la réalité [ne doit pas]
— C’est vrai ? Tout ce que vous aviez raconté ? » [Ponctuation : « C’est vrai, tout ce que vous avez raconté ? » / le passé composé « avez raconté » convient mieux que le plus-que-parfait, qui marque une antériorité dans le passé.]
— Elle reprit alors d’une voix guillerette, constatant l’état de ses vêtements [Comme « guillerette » est un peu excessif et que tu emploies « d’une voix » un peu plus loin, je propose : « Elle reprit alors sur un ton plus enjoué/plus léger ».]
— et de la table : « Mon dieu, tout est tâché, quelle horreur ! [Mon Dieu ; quand il n’en existe qu’un, on met une majuscule / taché ; ne pas confondre « tacher » (salir, maculer) avec « tâcher (de) » (« s’efforcer de »).]
— La Conteuse fut alors revêtue des mêmes vêtements [« revêtue/vêtements » constitue une répétition ; je propose « des mêmes habits »]
— Les deux héros constatèrent avec surprise [Il y a déjà « constata » un peu plus haut ; je propose donc « s’aperçurent », « découvrirent » ou « remarquèrent ».]
— La Conteuse rassembla alors tous les morceaux de papiers éparpillées devant elle [Pour éviter la répétition de « la conteuse » et d’« alors », je propose « Puis elle rassembla » / éparpillés.]
— et, d’un mouvement d’une douceur toute maternelle [Pour éviter la répétition « d’un/d’une », je propose « dans un mouvement ».]
— Sans attendre, la Conteuse mit de côté tous les morceaux de papier et ressortit son vieux grimoire et sa plume. Elle l’ouvrit, et les deux héros constatèrent [« elle mit de côté » suffirait / pour éviter d’accumuler les « et », je propose « puis ressortit » / « ressortit sa plume et son vieux grimoire » serait plus logique avant « Elle l’ouvrit » / je te propose de remplacer « constatèrent » par « s’aperçurent », « découvrirent » ou « remarquèrent » (un verbe que tu n’as pas employé la dernière fois).]
— « Alors, à qui le tour ? demanda-elle [demanda-t-elle]
— Il y a plein de choses à faire dans ma demeure [« plein de choses » est familier ; je propose « beaucoup/quantité de choses »]
— Rulere doit être vaincu au plus tôt possible et… [Il faut choisir : « au plus tôt » ou « le plus tôt possible ».]
— Il n’y avait aucune trace de mesquinerie dans la voix de la Conteuse. Pourtant, Olis grimaça de mécontentement, et Ari sut qu’elle hésitait à attaquer la Conteuse. [Pour éviter la répétition, je propose « à attaquer leur hôtesse/leur interlocutrice ».]
Le Saltimbanque
Posté le 13/06/2021
Eeeeeeeeet chapitre corrigé !

Je ne te remercierai jamais assez pour ton aide, vraiment.

Et non, le passage en italique ne correspond pas aux pensées de la Conteuse. As-tu deviné de qui ? J'ai rajouté un petit indice...
Fannie
Posté le 13/06/2021
Non, je n'ai pas deviné, mais je suis mauvaise en devinettes et j'ai une mémoire de poisson rouge, alors je n'ai même pas vu l'indice. :-s
Mais pour ça, je ne suis pas une référence. En lisant les commentaires des autres, je vois souvent que je passe à côté de certains indices qui sont évidents pour tout le monde sauf moi...
Le Saltimbanque
Posté le 13/06/2021
Ou alors c'est moi qui est trop nébuleux !

Et surtout que je viens de me rendre compte que mon indice n'a pas été ajouté... f*ck comme on dit.

C'était la phrase "Il pleut ?".
Et combiné à "tout est noir" et un certain événement dans ce chapitre... Je n'en dis pas plus, car savoir qui a ces pensées annonce dans un sens le twist final hehe
Alice_Lath
Posté le 24/03/2021
"Elle reprit alors d’une voix guillerette " => Je sais pas pourquoi haha mais je trouve que cette adjectif tranche par rapport au ton général, j'ai buté dessus à la lecture je dois dire
Sinon, c'est très cool de voir la tension qui monte comme ça haha, je n'avais pas peur pour la Conteuse, mais bon, la voir s'en tirer de manière badass comme ça rajoute de la pression. Et j'adore la pression et les huis clos, donc bon, t'imagines bien que je suis servie haha
Quelque chose me dit que le petit soldat détruit est pas étranger à Eleister, mais je dis ça, je dis rien
Bref, rien à redire sur ce passage haha, j'en viens juste à me questionner sur la pertinence du premier chapitre qui détonne carrément, je me demande s'il est vraiment important pour le récit
Le Saltimbanque
Posté le 24/03/2021
Tu ne dis ça, tu ne dis rien....

Merci pour ton retour !
Le contraste est voulu, mais j'avoue que "guillerette" est un peu fort... j'étais très joyeux quand j'ai écris ce passage que veux-tu.

Le premier chapitre a des éléments d'introduction que je trouve plutôt pertinents, et j'aimais l'image des trois héros sur un navire volant qui se rapproche d'une demeure géante dans les airs. Entre autre.
Je pense (j'espère...) que beaucoup d'éléments du premier chapitre apparaissent vraiment essentiels une fois qu'on a lu toute l'histoire.

Mais merci de continuer à lire ! Ça fait très plaisir !
Audrey
Posté le 07/12/2020
Bonjour,
Un très bon chapitre encore ! A la fin du précédent, je me suis bien dit que cette Conteuse n'en avait pas fini avec eux. Ça aurait été trop facile.
J'aime bien tes personnages. Ils sont assez complémentaires et ont l'air de bien se connaître. Ça donne de la profondeur à ton récit.

"Du sang coula de la gorge ouverte de la Conteuse, recouvrant le sol d’un noir abyssal." = très belle cette tournure, j'adore !

Quelques détails :
"et banda son arc meurtier." = meurtrier ?
"parvint à dire la Conteuse avant qu’Eleister tira" = c'est pas le subjonctif après "avant que" ?
"Ari soupira, puis demanda à la Conteuse : « Tout cela faisait-il parti de votre plan ?" = partie
"La Conteuse commença à ouvrir la bouche, puis se raviva." = se raviver (=changer de couleur) ou se raviser (=changer d'avis) ?
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