Un miracle de -presque- Noël

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonne lecture !

20 Décembre : On m’a chassé de ma chambre. Vous y croyez, vous ? Apparemment, quand je suis nerveuse, je deviens « insupportable ». Donc, pour palier à ces cruelles et injustes remarques, j’ai décidé de passer la journée à mon bureau. J’avais tout un programme : envoyer la prédiction du dernier contrat à Charlotte, puis des mathématiques, quelques statistiques pour ne pas perdre la main et enfin saupoudrer le tout avec une poignée d’exercices de physique quantique. Une bonne journée en perspective. Loin de la foule, des journalistes et surtout de ma famille, dont les cœurs de pierre se moquent éperdument de mes pauvres nerfs ! Hélas, rien ne s’est passé comme prévu.

Il semblerait que sous l’effet du stress, je sois incapable de poursuivre quelque activité que ce soit calmement. « Tu calculais agressivement, » m’a dit ma mère, soutenue par un hochement de tête affirmatif de mon père. Qu’est-ce que ça veut dire ? Allez savoir. 

Après réflexion, ils mentionnaient peut-être mes hurlements de rage quand un problème refusait de céder… à moins que ce soit mes lancers de stylos à travers la pièce lorsque je relisais les demandes d’un client particulièrement stupide ? On ne saura jamais.

C’est ainsi que je me retrouve au centre commercial, sous l’œil attentif de ma mère. Il était temps que j’aille à la chasse aux cadeaux de Noël. J’ai du pain sur la planche. Pour être franche avec vous, lecteurs, j’avais l’intention de trouver mes présents au fil du mois de Décembre, pour ne pas me presser, faire ça naturellement… Je m’imaginais, flânant dans les rayons colorés et encombrés, me faufilant entre ces gigantesques décorations pleines d’ours polaires scintillants, de lutins cliquetant de clochettes et de neige artificiel. J’aurais alors eu l’occasion de regarder avec soin les jouets et les livres, réfléchir à ce qui plairait le plus à ces êtres aimés que je voulais réjouir en cette fin d’année…

Mais non ! Comme l’année dernière et les années précédentes, j’étais à la ramasse. Ma mère aussi, d’ailleurs. Il ne nous restait plus qu’à plonger tête la première dans le rush des courses de Noël et faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Ou, tout du moins, cœur résigné. Faut pas pousser.

Me voici donc, trottinant à côté du caddie, tournant comme une girouette au beau milieu d’un cyclone. Par où pourrais-je commencer ? Pour ma mère, c’était vite vu : j’avais mentionné dans ces pages vouloir lui offrir une journée de soins et de massages dans un spa (elle a tendance à corner les pages des magazines qui l’intéressent). C’était l’occasion parfaite ! C’est dans ce genre de moments que je suis absolument ravie d’être une richissime devineresse. En revanche, mon père restait un sujet de mystère… il faut dire qu’il passe tellement de temps dans son bureau ! C’est comme si sa principale activité était de rester dans cette petite pièce tapissée de bouquins et de classeurs, les fesses glués à sa chaise et le nez plongé dans ses papiers. Je suppose que j’ai de qui tenir.

Je ne pouvais pas lui prendre un livre, il en a déjà un millier ! Je finis par trouver une idée : une tasse pour boire son café. Certes, notre collection de mugs menace d’exploser nos placards. J’étais néanmoins persuadée qu’il en serait très content.

À présent, au tour de l’affreux troll qu’est mon frère. J’ai bien envie de lui offrir un déodorant, tiens. Ça le pousserait peut-être à se doucher plus régulièrement. À aérer sa chambre, aussi. Chaque fois que je veux venir l’embêter, je suis obligée de repartir aussi sec tant l’air est nauséabond ! Et puis l’insulte qui vient avec ce cadeau n’est pas pour me déplaire. Vendu ! J’y attacherai un gros ruban rouge. J’imagine déjà la scène. Ma mère m’a jeté un regard suspicieux, mais j’ai fait mine de ne pas m’en apercevoir.

Passons à présent aux choses sérieuses : pour Tristan le triste sire, ce kit de calligraphie qui avait attiré son attention sera parfait. Quant à Charlotte… c’est une surprise ! Oui, même pour vous, lecteurs. Ne prenez pas la grosse tête ! Personne ne doit savoir ce que c’est avant qu’elle ne l’ait ouvert. Vous saurez donc quand je vous ferai le récit de sa réaction. Surprise et enthousiasme, à n’en pas douter. 

Wouah. Il se peut que ma mère ait eu raison, finalement. Cette virée shopping est parvenue à me changer les idées. Qui l’eût cru ? 

21 Décembre : La date fatidique se rapproche, le destin est en marche ! Bientôt, je saurais si mon entreprise rencontrera le succès… ou non. 

J’ai toutefois de quoi m’occuper les mains et l’esprit, en attendant : mes tiroirs vomissent de rubans dorés et de papier cadeau. Ma mère a bien proposé de m’aider mais j’ai refusé, certaine de pouvoir me débrouiller. J’avais tort. Je regrette à présent d’avoir dit non, car elle est experte dans l’art d’emballer les boîtes. Mes proches devront donc feindre l’enthousiasme face aux boules froissées mais brillantes qui trôneront sous le sapin. Et pendant que je déchire du papier dans une vaine attente de transmettre une atmosphère festive, mon cerveau sera parfaitement libre de me torturer. Car, la veille de Noël, Baptiste Payen décidera de mon sort ! Celui de la Quête, aussi, mais c’est du pareil au même. Urgh ! Si seulement je pouvais me téléporter jusqu’à la soirée du 23 !

22 Décembre : On me traite comme une bête de somme. Quel genre d’agent fait bosser son client pendant les fêtes ? Je vous assure, je crie au monde, même, que Charlotte Marchand n’a pas de cœur. Encore des contrats, toujours des contrats ! Quand je mourrai, bientôt si j’en crois la folle allure de travail à laquelle on me soumet, qu’on se souvienne que c’est de la faute à mon dévouement à ma mission suprême. Et celle de Charlotte Marchand. 

Mon cerveau fond comme une bougie sous un radiateur placé sur la pente ascendante du Vésuve. Ma carrière de devineresse aura ma peau !

23 Décembre : Après une longue séance d’introspection, je crois avoir saisi mon pire (seul ?) défaut : l’impatience. Il est à peine midi et déjà je ne tiens plus en place. J’aimerais me précipiter à l’Hôtel de Ville sur-le-champ et régler la question. Si seulement je pouvais voyager dans le temps ! Il faut que je rajoute ça à ma liste de choses à faire.

 Oh, vraiment, c’en est presque ridicule. Je ne vois pas pourquoi je suis stressée. Ce n’est pas comme si ç’allait faire avancer les choses. Vous savez quoi ? En vérité, je ne suis pas stressée. Disons plutôt que j’ai hâte de réaliser que mon plan a été un succès. Moi, nerveuse ? Ah ! Lecteurs, vous me connaissez très mal. 

Il est 14h22 et je suis au bout de ma vie. Je ne parviens pas à me concentrer sur les demandes des clients qui, soit-dit en passant, sont de plus en plus tirées par les cheveux. Quel genre d’abruti peut croire qu’une météorite pourrait s’écraser sur son usine ? C’est à cause d’imbéciles comme ça que je suis si riche.

Je griffonne le début d’une équation, mon regard se pose sur la fenêtre, glisse sur la rue en face de chez moi et, brusquement, les passants deviennent les êtres les plus fascinants sur lesquels j’ai jamais pu poser le regard. Mon travail pâtit du refus de Baptiste ! Non, non, il n’a pas encore refusé. Peu importe. Puisque je n’ai pas la tête aux équations, je vais aller discuter avec ma famille. Resserrer les liens filiaux et fraternels, c’est très important selon les magazines de développement de soi.

 

Je refuse de croire que François est mon frère ! L’un de nous est un imposteur, c’est forcé. J’ai vérifié, et à multiples reprises, auprès de ma mère et elle m’a assuré que je n’étais pas adoptée. C’est donc lui ! Mes parents ont dû le trouver, bébé, dans une poubelle. Ils ont eu pitié et l’ont ramené à la maison : grossière erreur ! Car la poubelle était son environnement naturel Il suffit de voir l’état de sa chambre, c’est une preuve suffisante. Me prêter sa console une petite, minuscule, microscopique heure est intolérable pour ce troll. Il ne me reste donc plus qu’à périr d’ennui.

16 heures. J’ai imprimé les contrats. Les avoir entre les mains était censé me motiver à travailler. Sentir le poids des mots entre mes mains, tout ça. À la place, je suis obnubilée par l’odeur d’encre et de papier tiède. 

Faites place à Rocket et Libellule, mes deux fidèles avions de chasse en papier. Les loopings sont plus difficiles à maîtriser qu’on ne pourrait le croire.

J’ai craqué. Il est 18 heures et j’attends le métro. Dans ma précipitation, j’ai attrapé mon manteau vert au lieu du rouge. Je me sens comme un sapin à qui il manque des guirlandes. Bah, je reste dans les tons de Noël, je suppose que c’est déjà ça.

Je ne sais pas ce qui me prend. Mes bras sont mous et mes jambes pendent de mon siège. On dirait presqu’elles vont se détacher de mon bassin et tomber sur le sol tremblant et collant comme du goudron du wagon. C’est arrivé à plusieurs de mes poupées, de perdre des bouts. J’observe les volutes d’air gelé quand je respire, tout en gardant un œil sur les stations qui défilent. Inspire, expire, inspire, expire. Je suis fatiguée, je crois. Si Tristan était là, il pourrait m’aider à trouver les bons mots… Vague à l’âme ? Abattue ? Le blues ? Un peu des trois. 

Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas posée comme ça, à juste exister. J’ai appuyé sur le bouton pause. Les autres passagers ne sont qu’une marée trouble et bruyante, mais ça ne me dérange pas plus que ça. Non, le problème, c’est cet instant suspendu. Pas un bon signe : dès que je ne suis pas occupée, mon cerveau déraille. Il réfléchit à tout ce qui lui passe sous la dent ; il pense trop. Naturellement.

Est-ce que cette Quête en vaut la peine ? Est-ce que la Pythie m’est vraiment utile ? Que vais-je devenir si Pythie prend le pas sur moi ? C’est déjà fait, tiens. Pourquoi le monde refuse d’accepter Ingrid Karlsen mais accueille Pythie à bras ouverts ? Ok, je n’ai pas vraiment présenté Ingrid. Ça me blesse néanmoins qu’ils n’aient pas essayé de la trouver. C’est trop injuste. Je suis mécontente et énervée. Je doute et je suis fatiguée. Je suis…

Je suis arrivée.

Je posais à peine un pied dehors que le vent me gifla. Le froid me surprend toujours, même en Décembre. J’ose à peine imaginer le mois de Janvier. Je me mis en marche, bien contente que l’Hôtel de Ville soit si proche du métro. Mes yeux trainaient sur les guirlandes électriques, perchées des mètres au-dessus de moi. Elles recouvraient tous les bâtiments et tranchaient l’obscurité en une multitude de points lumineux. Pendant une fraction de secondes, je crus que le ciel avait engouffré le sol et recouvert les murs d’étoiles.

Mais les étoiles ne clignotent pas et je doute que l’espace contiennent autant de badauds.

J’accélérais le pas : les fêtes de fin d’année me chamboulaient la tête. Je n’avais pas le temps pour de telles absurdités !

On y voyait comme en plein jour : la façade de la mairie brillait de mille feux. On pouvait entendre la circulation quelques rues plus loin, les claquements des semelles de caoutchouc sur les pavés, les rires et les bribes de conversation des gens en terrasse. Le sol chancela sous mes pieds, mais je tins bon. Il me suffisait d’ignorer les odeurs âcres de la pollution et les relents de bitume humide ; ne pas prêter attention aux lourdes vibrations de la musique qui résonnait sur la place serait simple, si je me concentrais un peu. Quelle heure était-il ? 19 heures 02. J’allais devoir me trouver un endroit pour attendre…

Lecteurs. Je ne comprends pas. J’ai la berlue, ou quoi ? Nous nous étions mis d’accord sur l’heure et je suis en avance, et de loin. Pourtant, c’est bien Baptiste Payen que je vois, assis sur ce banc !

Sans réfléchir, je courus dans sa direction et me plantait face à lui :

« Tu n’es pas censé être ici avant 58 autres minutes ! »

Il redressa soudainement la tête, surpris. Mais il se reprit presqu’aussitôt :

« Toi aussi, » répondit-il en glissant son téléphone dans sa poche, à nouveau sur ses pieds.

J’avais vaguement conscience que j’étais bouche bée, mais le choc était tel que je ne fis rien pour changer ça. Je finis par reprendre contenance et passais une main dans mes cheveux ébouriffés par le vent.

« Un tel enthousiasme pour répondre à mon invitation… Je crois connaître la réponse à ma question !

-Probablement, oui. »

Son honnêteté m’arracha mon sarcasme. Mon sourire s’effaça et je me laissais à une expression songeuse.

« Pourquoi ?

-Pourquoi quoi ?

-Tu sais pertinemment ce que je veux dire. Pourquoi es-tu là 1 heure en avance ? À ce propos, ça fait combien de temps que tu es là ? »

Il balança son poids d’un pied à l’autre, les yeux balayant la foule.

« La nuit tombe rapidement, il fait froid… j’ai pensé que tu viendrais plus tôt que prévu.

-Oh, » lâchais-je d’une petite voix.

Je me sentis soudain très gauche. Par réflexe, je cherchais dans ma mémoire un évènement que j’aurais pu comparer avec ça, qui puisse ressembler un tant soit peu à cette scène. Personne n’avait jamais été aussi prévenant envers moi. Brusquement, j’eus envie d’être lui. Comment serait ma vie, si j’affichais une attitude aussi désintéressée et généreuse ? L’illusion s’enfuit aussi rapidement qu’elle était apparue. J’étais Pythie et je devais parler. Je m’éclaircit la gorge avant de dire :

« Eh bien, mm, merci. Ahem.

-De rien.

-Écoute, soyons francs. Tu n’es pas ici parce que j’ai une chance de te convaincre, n’est-ce pas ? Annonce-moi plutôt ta décision, ne me fais pas languir ! 

-Tu as raison. J’ai décidé de ce que j’allais faire. Mais j’aimerais confirmer quelque chose, d’abord. 

-Vas -y, » le défiais-je de ma voix la plus ferme.

Je claquais mes talons au sol, prête à nier toute information qu’il avait pu obtenir. Il planta ses yeux dans les miens et demanda dans un souffle :

« Pourquoi moi ? » 

Deux, trois battements de cœur s’échappèrent. Je battis des cils, surprise et silencieuse, puis m’exclamais :

« Quoi, c’est tout ? C’est ça, ta grande question ? Bon sang, tu m’as fait peur…

-Je suis sérieux, Ingrid. Qu’est-ce que tu vois en moi de si spécial ? Je ne suis pas un héros, vraiment, alors pourquoi-

-Parce que tu es là. » le coupais-je. 

Ce fut à mon tour de le fixer, sans flancher. 

- Il est 19 heures, et tu es là. »

La partie rationnelle de mon cerveau qui fonctionnait toujours me hurlait de poursuivre avec une invention, n’importe quelle fable impliquant mes visions. Je ne m’en sentis pas le courage. Ce n’était pas d’audace dont j’avais besoin pour comprendre, et convaincre, Baptiste Payen. Il me fallait un marché équitable, le seul qu’il accepterait : vérité pour vérité.

« Je vois, » murmura-t-il. Il parut absent. Enfin, il me dit : « Je marche. »

Mon Chevalier a fini par rejoindre mes troupes. Plus que deux héros à trouver.

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Edouard PArle
Posté le 26/09/2022
Coucou !
J'ai bien aimé leur échange, très simple mais sincère et efficace. Finalement, ça passe beaucoup mieux que de longues explications sur son choix. C'était particulièrement bien trouvé le fait qu'il arrive en avance au rendez-vous et qu'elle l'utiliser comme argument pour justifier son choix de héros. Bien joué !
Dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé ce chapitre. Beaucoup de passages très drôles, notamment celui sur l'adoption de son frère. Les petites descriptions et l'ambiance de Noël sont sympa également même si j'imagine que ce sera encore plus présent pour la suite du journal et notamment la journée du 25.
Mes remarques :
"On m’a chassé de ma chambre." -> chassée
"les fesses glués à sa chaise" -> gluées ?
"si ç’allait faire avancer les choses." -> ça allait ?
"« Toi aussi, »" -> toi non plus ?
Un plaisir,
A bientôt !
Bleiz
Posté le 27/09/2022
Coucou !
Merci pour ton commentaire et tes remarques ! Ça me fait toujours plaisir de voir qu'un chapitre est apprécié. J'espère que la suite te plaira autant!
À bientôt :)
Benebooks
Posté le 17/08/2022
Salut !
C'était un chouette chapitre. La simplicité et la sincérité des réponses d'Ingrid m'ont fait fondre.
Je me demande si ses prochains héros seront encore proche de chez elle. Si c'est le cas ça risque d'éveiller des soupçons
A bientôt !
Bleiz
Posté le 20/08/2022
Salut !
C'était l'effet voulu, je suis contente que ça ait fonctionné !
À bientôt :)
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