Tu ne quitteras jamais ce lieu

     Assise dos au mur, la salvatrice de la danseuse soupire, elle regarde son verre alors qu'elle repasse les événements de ces derniers jours dans sa tête afin de faire le point.

Trois jours plus tôt :

     Au milieu de l'océan, sur un voilier de bois blanc aux voiles bordées de rouge, une jeune femme posait un regard excité sur l'horizon. C'est alors que le capitaine du navire la rejoint.

« Nous arriverons en soirée Prêtresse, j'espère que votre voyage fût agréable. »

     Pour toute réponse, elle acquiesce simplement et garde sa capuche sur la tête. C'est la première fois qu'elle quitte l'île. À la fois excitée et anxieuse, la jeune femme se perd dans ses pensées alors qu'une bourrasque de vent vient retirer sa capuche. Des cheveux aussi clairs que les blés se mettent à voler et une paire d'oreilles aussi blondes que sa chevelure trône sur le haut de son crâne. Le visage mince de la femme et ses traits fins mettent parfaitement en valeur ses iris flamboyants. Ses sourcils forment de doux arcs au-dessus de ses yeux mais son air impassible donne l'impression que la prêtresse n'est qu'une statue au cœur de glace. D'un geste fluide, la femme se dépêche de remonter sa capuche et de cacher ses oreilles animales sous cette dernière.

     Le temps défile et le bateau arrive en vue de la capitale d'Athalya : Balwinder. Le petit port par lequel le bateau s'amarre semble être plus un embarcadère privé, où deux voire trois bateaux peuvent mouiller tranquillement, plutôt qu'un vrai lieu de passage maritime. Sur le dock, une délégation avec à leur tête un jeune homme avoisinant la quinzaine et une enfant d'à peine six printemps attendent avec impatience de pouvoir apercevoir leur invitée. La jeune femme, qui entre temps à remis un peu d'ordre dans sa tenue, pose alors le pied à terre. L'adolescent fait une légère révérence avant de prendre la parole.

« Bonsoir Prêtresse, je m'appelle Zakarian Amine, prince héritier d'Athalya, je suis chargé de vous escorter jusqu'à la salle du trône. Je regrette sincèrement la situation, et les raisons qui vous poussent à être parmi nous aujourd'hui...

Mes hommages Prince Amine, je me nomme Inari WhiteWing, prêtresse de rang un. Il est effectivement triste que la nécessité de ma présence soit liée à la disparition de la haute prêtresse qui exerçait ici. » Dit-elle avec une voix douce et mélodieuse qui résonne légèrement dans la caverne portuaire.

     Le prince ne pût s'empêcher de rougir à son écoute, il aimait secrètement entendre ce genre de timbre, doux et chaleureux malgré le ton dur, sans pour autant être hautain ou dédaigneux. Cependant, le regard de la femme est soudainement attiré vers la petite fille qui se cache à moitié derrière son frère aîné. Le prince s'empresse de reprendre la parole pour mettre fin à la situation gênante.

« Vous devez être fatiguée suite à votre voyage, nous allons vous emmener jusqu'à père au plus vite. »

     Sur ces paroles, la petite délégation se mit en marche, montant un escalier à l'intérieur de la falaise. Sur le chemin, le froid et l'humidité sont omniprésents et des frissons parcourent l'échine de toutes les personnes de la troupe silencieuse. La nouvelle venue observe une quantité non négligeable de petites fleurs qui recouvre les murs. Ces dernières semblent être l'étrange union de l'humidité et de la roche. Quand soudainement un éternuement vient briser le silence. La petite princesse tremble, ses joues rougissantes de honte, du moins jusqu'au moment où Inari pose sa main sur son front.

« Que faites-vous ! s'écrie le prince. Retirez vos mains de Djyna ! »

     Une petite lueur dorée mêlée de filaments d'un blanc nacré recouvrent la main de la prêtresse avant de l'appliquer comme un masque sur le visage de l'enfant. Directement absorbée par le corps de la petite princesse, la lumière disparaît petit à petit. Lorsqu'Inari se met à sa hauteur, les gardes tirent leurs armes de leur fourreau prés a attaquer la femme.

« Tu te sens mieux ? »

     Apeurée par la rapidité de l'action, la petite fille a fermé rapidement ses yeux, par réflexe, mais aux paroles d'Inari, elle rouvre ses yeux rubis et acquiesce à la question. La prêtresse sourit à l'enfant en voyant leurs pupilles aux tons très similaires, elle ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec la religion de ce pays. Une croyance veut qu'en effet, cette couleur inhabituelle soit une bénédiction pour les personnes en étant doté, leur offrant un potentiel infini que ce soit au combat ou dans toute autre capacité.

« C'est bon grand frère, je vais mieux, je suis guérie !

Q..quoi ? Mais tu... C'est impossible, même la haute prêtresse ne pouvait pas... »

     Totalement hébété, le prince reste sur place et regarde la prêtresse avec incompréhension, un éclat d'espoir semble soudainement éclairer les yeux d'Amine, puis la lucidité revient et il demande aux gardes de ranger leur armes.

« Nous devons continuer, rester dans ce lieu n'est pas bon pour la santé. »

     Inari coupe court à une potentielle discussion, et suite à son intervention, la jeune Djyna marche à côté de la prêtresse en l'observant avec beaucoup d'attention, son regard allant des détails de sa tenue, jusqu'à son bâton étrange qui effectue un petit diling-diling à chaque pas de la femme.

« C'est quoi ? demande innocemment la princesse.

Il s'agit d'un Khakkara¹.

À quoi ça sert ?

Il m'aide à me concentrer, mais aussi à me battre si jamais je dois défendre ma vie. »

     N'ayant pas quitté des yeux la nouvelle venue, la princesse s'arrête un peu choquée. Elle regarde autour d'elle et personne ne semble avoir remarqué ou même entendu ce que la prêtresse vient de dire.

« Grand frère Amine, vous avez entendu ce que dame WhiteWing viens de dire ?

Bien-sûr comme tout le monde, pourquoi ?

Et cela ne vous choque pas ?

Aucunement, c'est assez logique. Reprenez votre marche jeune sœur, vous voir guérie ravira père et mère. »

     La jeune sœur gonfla ses joues quelques secondes. Persuadée que quelque chose est étrange avec cette femme en blanc, et surtout vexée de la réponse de son frère, Djyna fixe à nouveau la prêtresse avec intensité. Au bout de plusieurs très longues minutes, le groupe arrive directement dans la citadelle de Balwinder et prend la direction de la salle du trône. A peine entrée dans le château, Inari découvre un étalement de richesses, du tapis recouvrant le sol et les escaliers, aux murs ornés de plusieurs tableaux représentant les anciens dirigeants et leur famille, jusqu'aux dorures de l'encadrement des portes. Le groupe commence alors à se séparer, en premier lieu les gardes qui les accompagnaient partent pour retourner à leur poste, puis ce fut au tour de la demoiselle Zakarian de rejoindre ses quartiers. Finalement, seul le prince finit en compagnie d'Inari devant la salle du trône. La porte de la pièce déjà ouverte laisse apercevoir au fond de cette dernière trois sièges dont un totalement couvert d'or et bien plus haut que les autres. Deux des trois places sont occupées, respectivement par un homme d'âge mûr et une femme dont il était impossible de distinguer la décennie de sa vie où elle se trouve. Inari n'hésite pas, elle avance d'un pas ferme sur le tapis et arrivée à plusieurs mètres du trône elle se met à genoux respectant les us et coutumes du pays.

« Moi, la Prêtresse WhiteWing, salue le roi et la reine Zakarian, souverains d'Athalya.

Relevez-vous prêtresse et veuillez retirer votre capuche. »

     Le roi met directement les pieds dans le plat. Inari porte alors ses mains à sa capuche et la fait basculer en arrière. Les longs cheveux de la femme descendent en cascade dans son dos, laissant apparaître son visage parfaitement humain, sans aucun appendice animal visible.

« Bien, une humaine cette fois, notre collaboration devrait bien mieux passer qu'avec la précédente. Ne m'en voulez pas mais nous n'avons pas tellement envie que le château soit rempli de l'odeur nauséabonde d'animaux se prennent pour des humains. »

     Un rire un peu gras sort de la bouche du roi, la reine a ses côtés semble avoir un air neutre. En son fort intérieur, Inari soupire, sa précaution et sa culture sur ce pays ont finalement fait mouche. Alors qu'elle se relève, le roi découvre pleinement le visage de la jeune femme avec un léger sourire charmeur.

« Un majordome va vous montrer vos quartiers, vous êtes libre d'aller où vous le souhaitez, tant que vous restez entre les murs de la citadelle. »

     Surprise par ses dires, la prêtresse s'empresse de demander :

« M'est-il interdit de visiter la ville et les bas quartiers?

Absolument, nous ne voudrions pas qu'il vous arrive quelque chose, et encore moins que vous fréquentiez une bande de sous-humains.

Et pour ce qui est de dispenser mes...

Vous soignerez qui l'on vous dira de soigner rien de plus.

Mais mon don doit servir au...

- SILENCE ! JE SUIS LE ROI, JE DICTE LES RÈGLES ! Majordome, emmenez-la dans ses quartiers ! »

     Un majordome arrive rapidement après l'envolée lyrique du roi, qui assoit sa position sur la jeune femme. Inari s'incline alors avec dégoût et suit le serviteur. Cependant juste avant de sortir de la salle, le roi ajoute :

« Ne rêve pas, tu ne quitteras jamais cette citadelle ! »

     Une fois l'invitée sortie de la salle, le prince se précipite devant son père et sa mère.

« Père, quel... »

     Mais le roi ne semble pas accorder la parole à son fils et préfère se lever pour partir de la salle par une porte auxiliaire sans poser un seul regard sur lui. C'est alors que la reine tourne la tête en direction de son enfant et lui fait signe d'approcher.

« Qu'y a-t-il Amine?

- Mère, la prêtresse a soigné Djyna de sa maladie.

- Tu veux dire le fait qu'elle ne peut pas approcher les fleurs?

- Oui, elle a réussi à totalement la soigner !

- Penses-tu qu'elle serait capable de...

- J'en suis persuadé mère, mais... Cela nous rendrait débiteur de l'ordre... Que pouvons-nous faire ?

- Rien pour le moment, il faudra créer une situation où elle nous sera redevable...

- Mère !

- Mon fils, je suis désolée que tu aies entendu cela, mais nous n'avons pas le choix.

- On a toujours le choix Mère, c'est la...

- Non, on n'a le choix que lorsque nous sommes au sommet. Avant cela nous n'avons que négociations et compromis, ton père l'a bien compris et il serait temps pour toi que tu le comprennes aussi... »
 

¹ Bâton surmonté d'anneaux métalliques traditionnellement portés par les moines bouddhistes

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