Pingh avait refusé un départ précipité comme le lui avait demandé Martial. Il avait perçu l’excitation de son patient et n’avait pas compris pourquoi un tel empressement.
Il avait donc prétexté la nécessité pour son organisme de revenir à la normale avant de replonger dans le passé, d’autant plus que les doses devraient augmenter à chaque fois ; il valait mieux que les séances soient suffisamment espacées.
Martial avait du s’accommoder de cette fin de non recevoir ; finalement c’était peut être mieux de respecter ainsi les prescriptions du professeur et les conseils de son ami.
Il devait se relancer sur ses dossiers professionnels mais son manque de concentration sur la dernière affaire le taraudait toujours autant. Il n’arrivait pas à s’expliquer sa défaillance professionnelle mais les faits étaient bien là.
Se pouvait-il que son cerveau subisse des aléas liés à de ses récents aller retour dans son passé ? Etait-il en train de recouvrer ses dix huit ans dans sa tête, et ses connaissances avec. Il allait donc se retrouver rapidement avec son niveau de bachelier et perdrait ses compétences.
L’idée lui paru saugrenue et pourtant il sentait l’anxiété monter en lui à l’idée de ne pas rester maître de la situation, tant le lâcher prise n’était pas dans ses habitudes.
Il se rendit à son bureau le lendemain, rédigea des mails toutes la matinée pour relancer ses derniers prospects en espérant pourvoir redémarrer de zéro sur une nouvelle affaire. Avant que son fiasco ne s’ébruite dans la cité phocéenne, il fallait se remettre en action, ne serait ce que pour garder le moral.
Il était déjà treize heures lorsqu’il décida de faire sa pause repas. Avant de déjeuner, un peu de sport lui changerait les idées.
Manque de motivation ou d’énergie, la séance ne dura pas plus de trente minutes, douche comprise.
C’est en se dirigeant vers l’espace restauration qu’il l’a vit et comme il s’y attendait, son regard se braqua sur elle naturellement. Il s’avait d’avance qu’il ne pourrait pas passer aussi près d’elle en l’évitant. Installée sur la première des tables, il aurait juré que ce choix était stratégique pour lui barrer le passage.
La voir d’aussi près le troubla encore plus que les fois précédentes. Ce n’est pas sa beauté qui l’attirait mais son charme ; ce n’était pas la couleur de ses yeux mais la profondeur de son regard.
« Bonjour Martial »
Il n’avait pas imaginé qu’elle connaisse son nom. Il bafouilla ce qui ressemblait à une formule de politesse, hésitant à faire un pas vers elle ou à s’enfuir en courant.
Il se sentait ridicule, heureusement c’est elle qui enchaîna :
« Si vous voulez vous installer !» en lui montrant la chaise face à elle.
« Heu ! Oui, je peux prendre un verre avec vous si vous voulez bien »
« Mais c’est justement ce que je vous propose, Martial !»
Un fois de plus il se sentait embarrassé mais fut touché qu’elle prononça son prénom sur un ton aussi amical, presque affectueux. Il commanda les deux boissons et en oublia complètement qu’il était venu pour déjeuner.
« Vous connaissez mon prénom ? » fit-il pour engager la conversation.
« Je connais votre prénom et bien plus peut être !»
« Vous avez donc voulu savoir qui je suis »
« On va dire que oui, mais j’espère que cela ne vous gène pas ? »
Elle avait donc commencé à se renseigner sur lui alors qu’il ne savait rien d’elle. De nature assez réservée, il n’avait pas besoin de ce genre de situation pour être intimidé par une femme. Mais là c’était assez inhabituel, c’était presque du stress qu’il ressentait face à cette inconnue.
Sa gorge s’était asséchée subitement ; il se retrouvait comme à ses débuts professionnels lorsqu’il devait faire la présentation d’un projet devant un auditoire et qu’il butait sur chaque mot.
Son salut vint en la personne du serveur qui déposa les consommations devant eux.
« Alors vous savez tout sur moi » continua t il après avoir avalé deux grandes gorgées.
« Si peu de chose en fait, vous me semblez très mystérieux »
« Simplement, je ne suis pas très expansif, j’évite de me faire remarquer en général, c’est vrai. Mais puisque nous en sommes aux présentions, pourrais-je connaître le prénom de la jolie femme que j’ai en face de moi »
« Merci pour le compliment. La jolie femme s’appelle Mathilde »
« Mathilde, j’ai été très heureux de faire votre connaissance mais je vais devoir retourner travailler. Nous aurons l’occasion de nous revoir, j’espère bien »
« Pas autant que moi ! A bientôt Martial » reprit elle sur un ton soyeux et avec un regard qui l’invitait à se revoir.
Comme s’il eut été en état d’hypnose, Martial n’entendait déjà plus rien, rejoignant déjà la sortie d’un pas mécanique.