Travail et congés

Par Dédé

 

— Vous m'avez convoqué pour une perte de carte d'identité, c'est bien ça ?

— C'est exact. Je suis coincé à mon bureau toute la journée et il m'est impossible de venir vous voir à la mairie. C'est une affaire urgente, ça m'inquiète un peu, vous comprenez...

— Vous pensez vraiment que la mairie fait dans la livraison à domicile ?

— Votre présence parle pour elle-même, non ?

— Parce que vous m'avez convoqué sur mon numéro personnel. J'étais en congé, aujourd'hui... Et puisque ma grasse matinée a été interrompue, je me suis dit que je n'avais plus que ça à faire : venir vous rendre visite, suite à votre convocation en bonne et due forme...

— Oh... Pardon.

— Vous et moi, on sait bien que les avocats ne sont jamais désolés.

— De suite, les clichés...

— Les avocats sont bien connus pour être de parfaits requins.

— Il faut croire que j'échappe à la règle, monsieur... euh...

— Vivien, appelez-moi Vivien.

— Vivien, asseyez-vous, je vous prie...

— Soit. Que me voulez-vous, maître ?

— J'ai perdu ma carte d'identité...

— Ah ! C'est vrai...

— C'est très fâcheux. Impossible de remettre la main dessus depuis ce matin.

— Ce matin, vous dites ?

— Oui, pourquoi.

— Rien, rien. Mais je remarque que vous n'avez pas perdu de temps avant de faire appel à moi. Vous n'auriez pas pu chercher encore un peu ?

— Non, je suis sûr que c'est perdu.

— Vous avez cherché partout ?

— Ma carte d'identité ne se trouve pas à l'endroit habituel. Elle est donc perdue. Ce n'est pas possible autrement. Je la range toujours au même endroit...

— Je suis en congés. Je n'ai rien à faire et je suis à votre disposition. Vous ne voulez pas que j'aille fouiller dans vos papiers aussi ?

— Ce serait gentil de votre part.

— Non mais vous rêvez la bouche ouverte, maître ! J'étais ironique...

— Ah bon ?

— Absolument ! Sachez que vous m'avez empêché de faire ma grasse matinée. De fait, je risque de ne pas être très agréable, aujourd'hui.

— Ah... Mais pourquoi être venu alors ?

— Je vous l'ai dit : vous m'avez tiré du sommeil, je n'avais que ça à faire... Et puis, c'est très mal vu de ne pas répondre à une convocation d'avocat.

— Je suis désolé pour votre grasse matinée. Je ne pensais vraiment pas vous déranger.

— Vous n'auriez pas pu faire appel à quelqu'un d'autre, franchement ?

— J'ai appelé la mairie et on m'a renvoyé vers vous.

— On vous a donné mon numéro personnel ? Vous êtes sérieux ?

— Très sérieux. Je ne harcèle pas les gens, vous savez...

— Ils savaient que j'étais en congés. Vraiment, ils vont m'entendre demain ! Ils vont m'entendre, je vous le dis !

— Je ne voulais pas semer la zizanie sur votre lieu de travail, toutes mes excuses...

— Vous êtes avocat. Et les avocats sont bien connus pour semer la zizanie partout où ils vont.

— Même les avocats en droit pénal, vous croyez ?

— Eux, ce sont les pires. Les pires !

— Ah...

— Si la réponse ne vous plaît pas, il ne fallait pas demander.

— Mais pourquoi une telle austérité envers les gens de ma profession, Vivien ?

— Un jour, un homme en noir m'a agressé. Et vous, les avocats, vous êtes toujours habillés de noir. Traumatisme, vous comprenez...

— Je vois, je vois. Et vous consultez un psy pour ça ?

— Pour mes soucis de tempérament. Je ne me suis pas encore confié sur ma phobie des vêtements noirs.

— Vous devriez.

— Vous croyez ?

— Je pense, oui. Mais bon... je ne suis pas psy, après tout. Qu'est-ce que j'en sais ?

— Pourquoi m'avoir demandé pour le droit pénal tout à l'heure ? Vous pensez à une petite réorientation ?

— J'ai toujours aimé les affaires pénales mais c'est que je ne sais pas si je serais à la hauteur.

— Il faut essayer pour le savoir. C'est ce que dirait ma psy, je pense.

— D'accord. Merci du conseil, cher Vivien.

— Et si on revenait à votre affaire de carte d'identité ? J'aimerais bien rentrer chez moi et reprendre ma grasse matinée là où je l'ai laissée... C'est que je reprends le travail demain et je voudrais profiter de mon congés.

— Bien sûr, bien sûr.

— Et donc ?

— J'ai perdu ma carte d'identité. Que faut-il que je fasse pour la refaire ?

— La mairie va envoyer un expert fouiller votre maison.

— Ah bon ?

— Oui. Pour éviter de refaire une nouvelle carte pour rien, vous voyez. C'est la crise partout, même dans la fabrication de cartes d'identité... On manque de matériel alors on prend toutes nos précautions.

— Et si on me la retrouve ?

— Vous devez verser une petite somme pour avoir dérangé des agents de la mairie lors de la fouille à votre domicile.

— Et si je l'ai vraiment perdue ?

— On va devoir la refaire mais soyez plus prudents à l'avenir. On ne peut pas se permettre de vous faire des cartes d'identité tous les matins non plus... Préparez-vous à passer de sacrés savons à la mairie car on est jamais bien contents quand les gens perdent leurs papiers d'identités.

— Je comprends bien...

— Vous êtes donc certain de l'avoir perdue ?

— Je pense, oui.

— Ce n'est pas une certitude ça...

— Ah ?

— Vous êtes sûr ou pas, alors ?

— A peu près...

— Mais il faut savoir, enfin ! Soyez sûr de ce que vous dites !

— Je ne suis déjà pas sûr de moi pour le pénal alors pour ma carte d'identité...

— Bon, pourquoi vous voulez faire du pénal ?

— C'est plus intéressant, paraît-il.

— C'est tout ?

— De la façon dont je vois les choses, c'est déjà beaucoup.

— D'accord. Et qu'est-ce qui vous fait dire que votre carte d'identité n'est pas perdue ?

— Absolument rien. Elle n'est plus à sa place et je l'avais rangée à sa place. Elle est donc perdue.

— Donc, vous l'avez perdu. Ce n'est pas bien compliqué, vous voyez...

— Merci de m'avoir aidé à y voir plus clair, mon cher Vivien.

— Vous m'avez sorti de ma grasse matinée, je vous devais bien ça. Surtout que je touche une commission pour chaque papier d'identité refait à neuf mais je l'ai surtout fait pour ne pas m'être levé pour rien ! Il n'y a pas de quoi !

 

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