Tic, tac...

Par Pouiny

Le temps est long, dans une pièce sans mouvement. Ronde comme la face d'une pendule, cette chambre qui est la mienne m'est familière. Je connais ses moindres détails par cœur, que je contemple sans jamais me lasser. J'observe ce silence calme ; je suis seul chez moi. Des vagues, comme des ondes vibrantes, parcourent les recoins de mon être ; me renvoie en mon cœur un sentiment imprécis. De la fenêtre, j'admire le mouvement des nuages, de l'herbe au contact d'un vent qui ne m'atteindra jamais. Je me sens autant emprisonné qu'hébergé, voyant en une poussière se collant à ma vitre les rebords d'un monde que je ne connaîtrais jamais. Impassible et froid, j'actionne la lumière, en un rayon de soleil.

 

Ma chambre n'a jamais été bien rangée ; j'accumule les objets, les souvenirs, et je les entasse jusqu'à ce que les placards et les larmes débordent. Tout reste, des composants d'anciennes machines obsolètes, jusqu'au vieux doudou inutile, caché dans un recoin, jusqu'aux amas de papier de la poubelle. Je ne peux m'empêcher de sourire, détournant les yeux d'un ballon de foot crevé, d'un cutter bien trop abîmé. Le temps passe, et j'essaie de l'oublier tant que je le pourrai.


Les rayons de soleil parsemés diminuent. La journée commence à se terminer. Je mets fin ici à ma contemplation détendue et entame ma préparation. Je m'allonge sur le lit, que je refais correctement. Je mets le pyjama sale en boule sous le bureau. Peut-être qu'ainsi le remarquera-t-il ? Ma calme agitation continue sur tout ce que je vois. Je nettoie les objets coupants. Recouds le ballon. J'ouvre légèrement le placard où se trouve l'ancienne peluche tant aimée. Mais je n'agis jamais plus. Il ne faudrait pas qu'il s'en aperçoive.


Et de cette manière, je l'attends. Ma journée dans l'ombre parsemée de lumière me paraît bien longue et bien pesante. Je contemple le bruit du vent, et imagine ce que mes oreilles, sans cette prison vitrée, pourraient écouter. Je me construis alors, des sons, des mélodies, pour moi-même. Si seulement il pouvait les entendre…

 

Si je vois tout, malheureusement, je n'ai jamais entendu. Perdu, immobile en ces lieux, je n'ai jamais pu permettre à mes oreilles de prouver leur fonctionnement. J'aimerais, parfois, pour moi-même, de taper un objet, espérant ouïr un bruit sourd. Puis des images, des couleurs me viennent en tête. Je ressens alors la douleur que pourrait ressentir le bois que je frappe. J'éprouve le choc, comme une flèche vibrante qui me perfore le cœur à défaut de mes tympans. Je n'ai donc jamais réessayé. Je suis solide, pourtant, mais peut-être cette solidité m'a permis de comprendre la souffrance d'être frappé, juste frappé, sans se briser.

 

Un violent heurt me sort de mes rêveries. D'un seul coup, dans mon champ de vision, je vois un cartable voler, s'écraser contre ces poussières de vent collées à la vitre. Et, comme un éclair, je le vois traverser la pièce, ma chambre, sa chambre. Immobile, le visage comme tordu de douleur, je constate son corps pâlir de jour en jour, ce visage de jeune ado battu. Le regard dans le vague, les yeux ondulant d'eau de mer, il me fixe comme si j'étais un phare. Il me fixe, espérant me voir répondre, rêvant trouver en moi une réponse. Mais je ne sais que répondre. Je ne peux produire aucun son.

 

Je le vois alors ouvrir la bouche, une bouche ensanglantée, bien trop rouge pour cette peau bien trop pâle. Mais, incapable de l'entendre, je ne fais que le recopier. Et, encore une fois, tout recommence. Je le vois s'époumoner, hurler dans sa chambre, taper dans des murs, casser des objets, tuer des peluches. Mais sa colère haineuse ne m'atteint pas, moi. Je ne peux l'entendre.

 

Et sa rage, son désespoir destructeur se retourne contre lui, car c'est moi qu'il regarde. Moi, qui ne suis qu'un reflet. Quand je le vois à terre, essoufflé à en souffrir, je ne peux que faire de même, sans jamais comprendre, sans jamais répondre. Témoin contre mon gré des pires épreuves, je ne suis malheureusement qu'un écho dans l'eau, une vague dans le miroir. Tout ce que je peux faire et penser de lui, il ne peut le savoir, car je suis condamné à regarder, reproduire et faire, sans le moindre scrupule, refermant malgré moi la porte des mystères.

 

Ce qu'il ne sait pas, ce qu'il ne saura jamais, c'est que parfois, dans le silence de ses pleurs, caché au fond de ses draps, je tends le bras vers lui. Ma main tombe sur le mur froid et glacial qui m'enferme et m’assourdit ; le voyant doucement glisser dans le royaume de la nuit, j'imagine un jour alors, peut-être, pouvoir entendre ses rêves d'un mouvement de main.

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dodoreve
Posté le 17/12/2021
Coucou Pouiny ! J'ai vu que c'était ton anniversaire sur le forum et du coup je me suis dit "tiens est-ce qu'il y a du nouveau dans ses histoires ?" J'ai pourtant tes Musique Capsules et tes Fleurs sous la main mais non, il fallait que je me laisse avoir par autre chose, et comme souvent chez toi, il y a un titre qui m'interpelle et bam, je devrais pas lire sur mon temps de travail, mais je me retrouve à te lire. xD

Je crois que ce sera inutile de dire combien cette histoire me touche profondément. C'est typiquement de celles qui viennent me cueillir en rêve, que ce soit dans ce qu'il raconte que dans la manière dont tu le transmets, avec sa part d'incertitude et d'images qui se ressentent plus qu'elles ne se voient. Et j'ai toujours trouvé ça assez fou de se voir privé.e d'un sens à ces occasions -- ici l'absence de l'ouïe, que tu l'aies rêvée ou non, a dû particulièrement te toucher. Mais elle aussi, j'ai tendance à croire qu'elle se ressent plus qu'elle ne s'écoute ici, et je trouve ça très réussi dans la façon que tu as eue de l'écrire du coup.

Oh comme j'ai aimé. Joyeux anniversaire et merci pour cette nouvelle. <3
Pouiny
Posté le 17/12/2021
Oh je m'attendais pas à ça ! Merci beaucoup <3

Quand tu fais de la musiqu, tu te poses souvent des questions sur l'ouïe. Est-ce qu'on peut apprécier la musique en se basant uniquement sur les vibrations au toucher? Est-ce que, si jamais j'avais par exemple un enfant sourd, comment je pourrais lui faire comprendre pourquoi je fais de la musique ? Comment je pourrais le captiver avec quelque chose qu'il ne connaît pas ? fin voilà, plein de réflexion là-dessus qui effectivement ont du aider à l'écriture ^^

Je suis assez fier de la forme de cette nouvelle, je pense que c'est une de celles que j'ai le mieux écrite, donc ça me touche beaucoup, merci !
Didie Clau
Posté le 23/04/2021
Quelle belle histoire avec ce reflet silencieux mais témoin de la souffrance de cet adolescent battu ! Son impuissance à communiquer, et aider la victime est poignante, alors que lui sait et qu'il a vu.. Quel fardeau terrible à porter ! Cette histoire m'a beaucoup touchée et émue. Je trouve le début très poétique et l'histoire racontée selon le point de vue d'un reflet très originale. Car il s'agit bien du reflet de l'adolescent ou est-ce son ange gardien ?
Pouiny
Posté le 28/04/2021
Je ne sais pas, peut-être l'un, l'autre, ou les deux ? :) Je veux laisser voir ce qu'on souhaite dans ce petit écho du miroir.

Merci beaucoup pour ton commentaire, je suis très heureux que ça te plaise ! je suis très touché par tes mots, pour ma part :)
Soso
Posté le 07/04/2021
Quel beau texte ! Il est court, mais drôlement efficace ! J'ai beaucoup aimé le fait d'ignorer s'il s'agissait de son ombre, de son reflet ou même d'autre chose. J'avais songé à un ami imaginaire au début, mais étant donné le dialogue impossible entre les deux, j'ai abandonné cette option. Je le trouve bien mené et abouti ce texte, c'est très agréable à lire en tout cas, et j'apprécie beaucoup le thème, et la trame narrative.
Pouiny
Posté le 07/04/2021
Merci beaucoup pour ton retour ! Content que ça t'ai plu :D
Μέδουσα
Posté le 06/04/2021
Très joli texte qui se lit facilement ! Je n'ai toutefois pas bien compris... le narrateur est-il son reflet dans le miroir ? Ou son ombre ? Ou encore toute autre chose ?
Pouiny
Posté le 06/04/2021
J'avoue que j'ai fait un peu exprès que ce soit pas très clair pour qu'on puisse l’interpréter différemment ^^ Pour moi, ce serait une chose à l'intérieur du miroir. Après, ça pourrait être aussi être une projection de l'enfant sur son reflet... Son ombre, d'une certaine manière, ça pourrait également. Ce que tu préfères ! x)

Pouiny
Posté le 06/04/2021
Merci en tout cas :)
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