Tâtonnements

Par Makara
Notes de l’auteur : Bonjour à tous ! Voici la rencontre entre nos trois héros :)

De loin, ils paraissaient franchement plus âgés que dans mon souvenir. Surtout Noah. Il avait l’air immense. Quel âge avait-il déjà ? Seize ans ? Il avait une coiffure des plus étranges : il avait réalisé un palmier avec ses cheveux sur le haut de son crâne.  Ça lui donnait un air ahuri et je ne trouvais pas cela esthétique pour un sou. Il serrait contre lui un sac la reine des neiges qui tranchait avec le tee-shirt noir à rayures qu’il portait. 

Je m’avançai et croisai le regard de Léonie, ferré de superbes lunettes rondes et brillantes. Son allure m’évoquait un buisson ardent : des cheveux touffus teint au henné, des couches de vêtements fauves les unes par dessus les autres, des yeux de braise d’une intensité que je n’avais jamais décelé chez une enfant. 

Ils étaient vraiment repérables de loin. 

Je suis arrivée devant eux et j’ai déclaré d’une voix qui se voulait avenante :

— Salut ! Vous vous souvenez de moi ?

Léonie m’a regardée de haut en bas d’un air suspicieux, puis elle a donné un coup de coude à son frère. 

— Elle est là. 

Noah a daigné quitter le plafond des yeux pour me dévisager. 

— Je ne te connais pas. 

— Pourtant on s’est vu, il y a trois ans, assurais-je. 

— Oui, c’est la fois où elle a insulté maman, lui fit remarquer Léonie. 

J’eus un sourire crispé. Oui, ce fameux jour.

— Tu lui ressembles beaucoup. On dirait maman plus jeune, gloussa Noah. 

C’est vrai qu’ils avaient plus hérité du côté asiatique de leur père. Moi, j’avais gardé le côté polonais, avec mes cheveux châtain, mes yeux clairs et ma peau très pâle. 

J’ai jeté un coup d'œil aux alentours. À qui devais-je dire que je les emmenais ? Personne ne semblait vraiment porter attention à eux. C’était deux mineurs tout de même. 

— Levez-vous, suivez-moi. Je vous emmène chez moi. 

Mon ton était franchement autoritaire. Ils s’exécutèrent en récupérant leurs affaires et leurs manteaux. 

— Noah, tu ne veux pas redonner le sac à ta sœur ? lui demandais-je en fixant la sacoche bleu ciel à l'effigie de la reine Elsa.

Les adolescents se fixèrent un instant.

— C’est le sien, répliqua Léonie. 

J’eus un moment d’arrêt.  C’était un peu la mort sociale d’avoir un sac de ce type à seize ans surtout quand on était un garçon. 

— OK. 

Je ne fis pas d’autres commentaires. Je prévins l’accueil que je partais avec eux, l’homme de la réception acquiesça sans vérifier mon identité. Je poussais les membres de ma famille vers la sortie, mais Noah s’arrêta net sur le parvis en levant les yeux au ciel. 

— Qu’est-ce qui se passe ? Allez, on y va. 

— Je n’aime pas être mouillé, dit-il sobrement.

— Je t’assure que ça n’a jamais tué personne. Je mettrai le chauffage dans la voiture pour vous permettre de vous sécher. 

Léonie m’adressa un regard noir et se tourna vers son frère. 

— On va faire un jeu. 

Il hocha la tête, arrimé aux lèvres de sa sœur. 

— Les flaques sont des fissures qui nous font tomber dans le centre de la Terre donc il faut les éviter, d’accord ? Tu me suis ?

Il émit un large sourire et s’attacha aux pas de sa sœur. Je restais un moment immobile à les regarder slalomer entre les flaques, monter sur les bancs, hurler lorsqu’ils effleuraient un trottoir chargé d’eau. Des passants, bien protégés sous leur parapluie, s’arrêtèrent pour les regarder. Je sentis ma nuque chauffer sous la honte.

Je traversai la cour et attrapai au passage Léonie pour lui indiquer le chemin. Noah nous suivit, trempé jusqu’aux os. 

Arrivés à la voiture, ils étaient en train d’échafauder un plan pour sauver un certain Maxence de la mort. 

— Allez, montez, dépêchez-vous. On ne va pas coucher là.

Je me sentais lasse, pas à la hauteur. J’avais vraiment envie de les laisser chez quelqu’un, mais je ne connaissais personne qui pouvait me faire une telle fleur. 

J’allumai le moteur et pris la direction de mon appartement. 

À l’arrière, les mômes s’étaient calmés. J’entendais leur respiration saccadée, le mouvement de main de Noah qui aplatissait sa balle en mousse et le bruit de la tête de Léonie contre la vitre. Est-ce qu’elle essayait de faire du ping-pong avec son crâne ?

— Katiane ? m’appela-t-elle.

— Oui.

— C’est loin chez toi ?

— Trente minutes. Ça dépend de la cir…

— Maman elle habite plus loin que ça.Tu sais qu’elle a attrapé une vilaine maladie ?

Noah venait de m’interrompre de manière totalement décomplexée. 

— Oui, c’est pour ça je viens vous cher…

— Je ne pense pas que ça soit trop grave, continua-t-il comme si je n’avais pas répondu.

— Si c’est grave ! assura Léonie en lui faisant de gros yeux.

— C’est faux ! s’écria-t-il en fronçant les sourcils.

— C’est vrai !

— C’est faux !

— C’est…

— Bon, on a compris. Taisez-vous maintenant. 

Mon ton sec entraîna un silence glacial dans la voiture. Léonie essuya ses lunettes pleines de gouttelettes et Noah maugréa quelque chose.

— Pourquoi tu viens jamais nous voir ? m’interrogea Léonie.

— Parce que je suis occupée. 

— Tu veux dire que tu t’en fiches de nous, insista la petite. 

— Non, mais…

— Maman, elle dit que… commença Noah. 

J’explosai.

— Noah, tu veux bien me laisser finir mes phrases. C’est très mal élevé de couper la parole comme ça ! 

L’adolescent baissa les yeux puis commença à se balancer d’avant en arrière sur son siège. Léonie passa une main sur son épaule puis lui mit le casque sur les oreilles.  

— Chut, calme-toi. Écoute ta musique. 

Après quelques minutes, la petite m’expliqua :

— C’est pas de sa faute s’il coupe la parole, il s’en rend pas compte. C’est pas méchant. Tu vas t’habituer.  

— Non, c’est lui qui va apprendre à respecter les adultes. 

Léonie soupira fortement. 

— On va rester combien de temps avec toi déjà ? 

Je répondis par un sifflement agacé avant d’ajouter.

— Je ne sais pas. Écoute, Léonie, ce n’est pas facile pour moi non plus. Je n’ai pas l’habitude des enfants. Les efforts vont devoir être faits des deux côtés, c’est compris? 

— Oui, bien sûr, rétorqua-t-elle d’une voix qui ne m’inspirait rien de bon.  

Heureusement, il n’y avait pas de bouchons sur le trajet. S’il y avait eu trois heures d’embouteillages, je ne pense pas que j’aurais survécu à cette ambiance lourde et morose. Autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. 

La pluie s’abattait sur le pare-brise, mes essuies glaces peinaient à faire leur travail. Les feux de circulation s’agitaient devant moi. J’avais l’impression qu’on avait barbouillé la ville de peinture. 

Mon immeuble se dressa enfin au bout de la rue et je ressentis un fort soulagement. On pouvait voir mon appartement avec son large balcon et ses belles baies vitrées. J’avais pu devenir propriétaire l’année dernière. Au contraire de ma mère, éternelle locataire.

Je garais mon véhicule dans le parking de la résidence et fit signe à ma fratrie de sortir du véhicule. Léonie sauta au sol avec souplesse.

— C’est quel étage ?

— 4ème. Noah ! Tu sors de la voiture ? 

L’adolescent ne bougea pas. Il fixait le fauteuil, le regard dans le vide.

Ma patience commençait à s’éroder. J’avais envie de le secouer. Il était tard, je n’avais pas mangé et les émotions de la journée me grignotaient le moral. D’une main, je froissais mon arcade sourcilière. 

Subitement, il se leva, serra son sac reine des neiges contre lui et chercha sa sœur du regard. Léonie, qui s’était avancée vers les ascenseurs, fit demi-tour et retourna à sa hauteur. Elle lui prit la main.

— Je suis là, ne t’inquiète pas. Allez, viens, on la suit. Bientôt, on retournera à la maison. Tout ira bien.

Noah répéta les derniers mots en boucle et tous deux s’attachèrent à mes pas. Durant la montée de l’ascenseur, Noah resta figé comme une statue, les yeux clos, les doigts tétanisés autour de son sac.  Léonie, elle, sautillait comme si elle était montée sur ressort. Lorsque le bip retentit et que les portes s’ouvrirent, ils foncèrent à l’extérieur.

Mon appartement se situait un peu plus loin dans le couloir. J’insérai ma clé, pénétrai dans mon logement et allumai. 

Mon trois pièces se dévoila à la vue des adolescents. Il était parfaitement rangé et ordonné dans un style scandinave que je chérissais. 

— Manteaux. Chaussures, ordonnais-je en enlevant les miennes. 

Léonie et Noah s’exécutèrent sans broncher. Au moins leurs vêtements trempés n’allaient pas goutter dans tout l’appartement.

— Qu’est-ce que c’est ? s’exclama ma sœur en pointant son doigt vers les formes effilées au fond de l’appartement.

— Ce sont mes cactus. Mes joyaux. J’en ai beaucoup. Première règle : on ne touche pas les cactus. C’est entendu ? 

Ils acquiescèrent. 

— Parfait. Bon, vous allez dormir dans la chambre d’ami. Venez, je vous y emmène. Vous allez pouvoir déposer vos affaires. 

Ils me suivirent et je leur ouvris la pièce. Celle-ci ne mesurait que dix mètres carrés et me servait davantage de bureau ; peu de personnes dormaient chez moi. J’extirpai du placard un matelas gonflable et tendit le gonfleur à Léonie. Elle retourna l’objet dans tous les sens, le secoua, avant de comprendre son utilité. 

— Tu mets le bout dans le trou là et t’appuies avec ton pied ici. Je reviens. 

Je les laissai un instant pour rejoindre ma chambre. Je m’étalai en étoile sur mon lit et envoyai valser mes affaires de travail : quelle journée ! 

Le bruit du gonfleur me parvenait parsemé par les petits piaillements joyeux de Léonie. 

J’entendis soudain un fracas dans la salle à manger et un cri de douleur. 

— Aïe ! ça pique ! s’écria Noah.

Je jetais un coup d'œil à l'horloge : cela faisait trois minutes qu'ils étaient présents et je déplorais déjà le décès d'un de mes cactus. Oh misère !


 

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tiyphe
Posté le 04/01/2022
PTDR RIP le cactus !

Bon je vais répéter ce que les autres ont dit, mais la dynamique entre tes trois protagonistes est super !
J'aime beaucoup que Léonie soit "responsable" de son (grand ?) frère tout en restant une enfant dans les situation qui n'implique pas son frère, c'est très bien fait.

Je crois que Katiane n'est pas prête xD Et c'est ce qui rend ce début d'histoire très amusant ahah j'ai hâte de voir comment elle va s'en sortir !

Je suis également très curieuse de connaître leur histoire familiale ! Pourquoi Katiane est fâchée avec sa mère, que s'est-il passé au point qu'elle ne voit que très peu son frère et sa soeur ?

Je suis aussi très satisfaite de lire une histoire sur les conflits mère/fille et le fait que Katiane se compare à sa mère par rapport à sa réussite (d'avoir acheté, par ex). C'est un sujet vraiment complexe et très intéressant (enfin pour moi en tout cas xD)

Sinon, je pense que tu peux davantage insister sur le fait que Katiane n'est vraiment pas prête à avoir des enfants chez elle, du fait qu'elle soit débordée par tout ce qui arrive en plus d'eux. Elle a l'air d'être quelqu'un qui veut tout contrôler et là son organisation complète, son quotidien, ses habitudes, tout s'écroule comme un château de cartes. Bref, j'avais envie de lire plus d'introspection entre les dialogues, mais je comprends si tu cherches à faire quelque chose de plus léger ^^

Pareil, quand ils entrent dans l'appart, j'avais envie de lire une remarque soit à voix haute, soit dans sa tête, à propos du fait qu'ils sont trempés et entrent avec leurs chaussures mouillées dans l'appart tout bien rangé tout propre ^^ (meuf maniaque, bonjour o/)

Vali valou, des bisous <3
Makara
Posté le 04/01/2022
Recoucou !
"Bon je vais répéter ce que les autres ont dit, mais la dynamique entre tes trois protagonistes est super !" => Ah tant mieux, c'est le cœur du récit ! :p

"J'aime beaucoup que Léonie soit "responsable" de son (grand ?) frère tout en restant une enfant dans les situation qui n'implique pas son frère, c'est très bien fait." => Oui, elle a un double rôle mais elle a 11 ans, donc c'est vraiment une pré-ado.

"Je crois que Katiane n'est pas prête xD Et c'est ce qui rend ce début d'histoire très amusant ahah j'ai hâte de voir comment elle va s'en sortir !"=> En effet^^ Pas du tout !

"Pourquoi Katiane est fâchée avec sa mère, que s'est-il passé au point qu'elle ne voit que très peu son frère et sa soeur ?"=> Tu as des éléments de réponse au chapitre suivant :p
Si tu aimes les relations mère/fille tu vas être servie, c'est au centre du bouquin !
"Sinon, je pense que tu peux davantage insister sur le fait que Katiane n'est vraiment pas prête à avoir des enfants chez elle, du fait qu'elle soit débordée par tout ce qui arrive en plus d'eux. " => Tu as raison, je vais essayer de rajouter quelques phrases d'introspection.

"Pareil, quand ils entrent dans l'appart, j'avais envie de lire une remarque soit à voix haute, soit dans sa tête, à propos du fait qu'ils sont trempés et entrent avec leurs chaussures mouillées dans l'appart tout bien rangé tout propre" => Alors, ça c'est une très bonne idée ! Je vais rajouter un passage !
Merci !
Pleins de bisous volants <3

Alice_Lath
Posté le 30/12/2021
Hey hey heeey !
J'ai nettement préféré ce chapitre au précédent je dois te dire ! Noah et Léonie sont immédiatement très attachants, et Katianne permet de canaliser tout cela, d'apporter un équilibre dans la scène, avec son côté plus froid. La dynamique est très bien campée, j'ai tout lu vite et avec beaucoup de plaisir ! Vive le feel-good qui pointe haha, et le confinement avec (même si là il n'y en est pas fait mention ?) J'ai un peu moins apprécié les descriptions introductives des deux enfants, je les trouvais un peu... je sais pas haha y'avait un truc qui me chiffonnait. Mais en dehors de ça, la dynamique est vraiment chouette ! (surtout en ce moment d'isolation covid hahahaha)
Merci pour le sourire <3
Makara
Posté le 31/12/2021
Hey hey Alice <3 trop contente de te revoir par ici !
Ton commentaire m'a beaucoup rassuré par rapport à ton premier :p
"J'ai nettement préféré ce chapitre au précédent je dois te dire ! "=> moi aussi, j'ai préféré écrire le deuxième que le premier.
Je suis ravie que tu trouves Noah et Léonie attachants et que tu trouves la dynamique sympa. Le feel-good pointe mais tu verras qu'il n'est pas constant !

"J'ai un peu moins apprécié les descriptions introductives des deux enfants, je les trouvais un peu... je sais pas haha y'avait un truc qui me chiffonnait."=> Oui, je ne me suis pas foulée pour les descriptions des enfants, je peux faire mieux :D

"Merci pour le sourire <3" => de rien <3, j'espère que le chapitre suivant te permettra de garder le sourire :)
Pleins de bisous volants !
Nanouchka
Posté le 24/12/2021
Bonjour Makaraaaaa,

J'ai adoré ce chapitre, ce duo Noah et Léonie, et tout ce que notre Katiane va devoir apprendre. Heureusement d'ailleurs qu'il y a eu le premier chapitre pour qu'on s'attache à elle, parce que sa gestion de Noah est tellement catastrophique que ç'aurait été dur de la trouver attachante si on avait commencé directement au chapitre 2 (ça fait sens ce que je dis ?). Là, on a vraiment les différents points de vue, et des personnalités très campées, et ce alors qu'on est au tout début, donc c'est hyper chouette !

Et tu as raison, j'espère que ce roman va me "réconcilier" avec le COVID. J'ai l'intuition que s'il y a bien des personnages qui peuvent m'aider à traverser le souvenir du premier confinement, c'est ce trio improbable.

Est-ce que t'as lu Marie-Aude Murail ? Je suis gaga de ce qu'elle écrit, et c'est un peu ce genre de texte, à la fois doux et triste, à raconter des vérités qui ne sont pas évidentes mais avec beaucoup d'humour et tendresse. Si tu ne connais pas, je te recommande "Oh, boy" et "Sauveur & Fils".
Makara
Posté le 26/12/2021
Salut Nanouchka !
Merci d'avoir lu la suite ! Ton message m'a fait très plaisir :)
Je suis contente si tu as trouvé que les personnages avaient des personnalités bien campés, c'est crucial pour ce livre sinon il risque d'être un peu chiant. :p
Oui, c'est vrai que Katiane est une vraie catastrophe avec Noah et je suis contente si le lecteur ne la déteste pas grâce au chapitre précédent, c'était le but !

Je ne sais si ce roman va te réconcilier avec le COVID mais en tout cas, j'ai les mêmes attentes que toi, j'espère que ça pourra m'aider à voir cette période autrement ! On en a besoin !

Oui, j'ai lu Marie-Aude Murail quand j'étais ado et j'ai adoré "Oh boy", je n'ai pas lu Sauveur et fils mais je viens de regarder et ça à l'air super ! Je vais me les procurer :)
En tout cas, tu n'es pas la première à me faire cette remarque sur Marie-Aude Murail (on me l'avait dit pour l'obsession du papillon, mon bouquin "policier").
Bref, merci :)
La suite est dans les fourneaux <3
A bientôt !
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