Soleil d'automne (1)

Par Pouiny

« Attends moi… Arrête de bouger ! »

Et pendant que je grommelais, ma foulée s’élargissait. Les yeux rivés sur le ciel pur et bleu, je courais après le soleil. En grimpant à toute vitesse dans les chemins boisés des montagnes entourant ma ville, je passais ainsi mes après-midis de jeunesse. Mon appareil photo, lourd et conséquent, rebondissait sur ma poitrine, en faisant écho à mon rythme cardiaque. Je levai la tête, bien sûr de la trajectoire ; ma vieille boussole dans une main, dont l’aiguille rebondissait, tremblait au rythme de ma foulée. Je soufflai, inspirai le plus d’air que je pouvais, comme si je voulais avaler les nuages. J’arrivai presque au point de vue idéal.

 

J’habitais dans une petite ville entourée par les montagnes. Une fois sorti de la cité et des routes de béton, il était possible de trouver de la verdure, des grands arbres, voire même à des champs cultivés ou sauvages. Rien que pour ça, je chérissais cet endroit, si contrasté. Et depuis la fin de l’été, à ma rentrée en dernière année de lycée, j’avais pris l’habitude de m’installer tous les jours à différents moments de la journée à des lieux de repérages que j’avais trouvé pour prendre des photos en cachette.

 

Alors que ma respiration commençait à devenir sifflante, je souris et soutint le rythme de ma course. La douleur avait beau être présente, et l’effort bien réel, je ne pouvais m’empêcher de ressentir comme de l’excitation causée par un défi à l’approche de mes limites. Pour tout dire, il ne m’était pas nécessaire de courir ainsi. Mais le sentiment d’euphorie que je ressentais en m’investissant à ce point dans mon projet, à sentir mon corps donner tout ce qu’il pouvait dans ce chemin ascendant, je ne pouvais pas simplement marcher. Il était dans un devoir tacite d’arriver en haut en courant le plus rapidement possible, pour s’allonger dans la poussière une fois arrivé.

 

Quand j’étais où je voulais, je m’autorisais toujours un petit temps pour reprendre mon souffle, apprécier le silence et le vent les yeux fermés, puis la clarté et la beauté du ciel bleu une fois ouverts. Après de longues inspirations, machinalement, je touchai mon appareil photo et mis la visée devant mon œil. Ainsi, j’observais le monde avec un objectif différent. Le soleil était là. Il était désormais légèrement sur ma droite, en périphérie de ma vision. Une fois allongé, il n’y avait de visible autour que de légères branches d’arbrisseaux qui s’agitaient doucement au gré du vent. Mon doigt pressa fébrilement le bouton, et un petit clic me prévint. Mon regard avait été enregistré.

Il ne me restait plus beaucoup de pellicule, donc je ne pouvais me permettre de gâcher quoi que ce soit. Je me relevais en m’orientant face au soleil. En observation, à genoux, mon regard vadrouillait d’un point à l’autre en recherche de la moindre idée visuelle intéressante. Je bougeai la tête, à droite, à gauche. Puis, j’orientai l’objectif de mon appareil pile sur l’astre. De là ou j’étais, je pouvais voir un cercle parfait lumineux entrecoupé de petites branches. J’appuyai à nouveau. Le petit clic se fit à nouveau entendre. Le soleil était entre mes mains.

 

Une fois mes photos faites et ma pellicule finie, je rentrai chez moi en courant là encore jusqu’à la ville, bien que moins enthousiaste. Quand j’avais encore de la place dans mon appareil, je pouvais aller à un autre endroit pour continuer mes photos sous un autre paysage, mais j’étais parfois bien obligé de rentrer directement chez moi. Ce devenait de plus en plus le cas avec la baisse croissante de luminosité, causée par l’automne qui s’installait. Une fois arrivé en ville, j’arrêtai ma course pour profiter d’un peu de calme, invisible parmi les passants. Je traversai tranquillement les différentes avenues sans aucune hésitation, attentif au moindre bruit et à la moindre personne. Si autrefois il ne m’était pas forcément facile de savoir comment me retrouver au milieu de cette petite ville labyrinthique, l’utilisation de la boussole et l’habitude m’ont donné un sens de l’orientation hors pair. Même si les montagnes étaient près de ma ville, il me fallait toujours un peu de temps pour arriver jusqu’à chez moi. Le soleil était déjà sous les montagnes quand la porte de ma maison claqua et que je me précipitai dans ma chambre pour éviter mes parents.

 

J’éteignis la lumière et allumai la petite loupiote rouge. Si mes premiers développements de photo avaient été vraiment difficiles, il m’était désormais devenu beaucoup plus habituel de manipuler les produits utilisés avec les bobines de pellicule. Alors que mon chronomètre, toujours dans le gousset de mon pantalon, sonnait pour chaque nouvelle étape, je suivais méthodiquement les phases, une à une, avec attention. Quels produits à utiliser, à quelle seconde précise, comment plonger la feuille et dans quel bac… Tout devait être fait avec la plus grande minutie.

 

Je ne disais jamais à personne ce que je faisais de mon temps libre ni ne montrais aucune de mes photos. Comme la photo commençait à l’époque à se démocratiser, n’importe qui savait qu’il était absurde, et même ridicule, de prendre une photo face à n’importe quelle lumière vive. C’était une erreur de débutant, car la lumière était si vive que le reste de l’image en devenait ridiculement sombre. C’était considéré comme une photo ratée, et même comme un gâchis de pellicule pour certains. Donc je développais mes photos moi-même, dans ma chambre. Toutes mes économies passaient à chaque fois dans les produits, les pellicules et le rachat des outils de protections quand ceux-ci commençaient à s’user. Et comme personne n’avait jamais envie de rentrer dans une pièce où la lumière et un pas mal avisé risquaient de détruire quelque chose, on me laissait tranquille, moi et mes bobines de pellicules, à l’abri de toute curiosité et questions indiscrètes. Une fois développées et mises à sécher sur des fils accrochés aux coins de mon plafond, je m’autorisais enfin à dormir, au milieu de ma multitude de réveils aux tic-tacs en rythme et mes photos ratées accrochées aux murs. Ainsi, au matin, je partais vers le lycée avec mes photos imprimées dans mon sac, en sécurité dans une petite pochette cachée entre deux cahiers.

 

Je n’avais jamais été un élève très doué ou même très sérieux. J’étais plutôt ce cancre discret, au fond de la classe, qui priait pour n’être jamais interrogé. Il n’y avait qu’en sport où j’étais a peu près dans mes marques. Le professeur de la discipline était ainsi la seule personne avec qui je me sentais à l’aise dans tout le lycée. Étant inscrit dans plusieurs clubs, premier dans la plupart des disciplines, motivé et énergique, il ne pouvait pas concevoir que ce brillant sportif pouvait être la larve mollassonne dormant durant les cours de mathématiques. Sa confiance en moi était plutôt naïve, peut-être un peu mal placée, mais touchante.

 

« Aïden ! Je compte sur toi pour ranger les filets ! »

C’était un homme d’une quarantaine d’années, au ventre presque bedonnant, mais il avait trop souvent tendance à partir de ses heures de cours plus tôt que les élèves. Je soupirais souvent quand il me demandait quelque chose, mais obéissais quand même. Je faisais du sport tous les jours, sans compter les escapades en montagne dont même lui ne savait rien. Handball, course, musculation, gym… Tout était exploré dans la mesure du possible. Néanmoins, il n’y avait rien de sérieux là dedans pour moi. J’avais plutôt l’impression d’être là par hasard. Le vendredi soir, c’était badminton. Mon emploi du temps était fixe et réglé comme une horloge ; chaque journée avait son sport, comme chaque jour avait son ciel. L’emploi du temps de lycéen ne changeait jamais, toujours dicté par une sonnerie stridente qui résonnait à chaque heure précisément avec fidélité. Si elle terrorisait plus d’un de mes camarades, pour moi elle n’était qu’une des nombreuses alarmes qui dictaient ma vie. Pendant que je rangeais à la hâte les filets du gymnase, la minuterie de mon chronomètre sonnait au loin dans les vestiaires. Il était dix-huit heures, en début d’automne, et le coucher de soleil était un spectacle que mon appareil photo ne devait rater pour rien au monde.

 

Mon chronomètre, qui me servait aussi de montre, sonnait presque à toute heure de la journée. Enfin, les sonneries changeaient légèrement au fur et a mesure du temps, reculant au fil des journées. Que j’ai cours ou pas importait peu pour lui ; il m’indiquait à quelle position le soleil était dans le ciel et celui-ci se fichait à peu près tout autant que moi des cours de physique. Parfois, rivé sur l’heure, j’éteignais la sonnerie avant qu’elle ne retentisse. J’étais tellement dans l’attente, que n’importe quelle excuse m’aurait suffi pour sortir de cours. Je ne sortais pas forcément non plus ; la minuterie m’indiquait à quel moment observer, mais si les nuages me gâchaient la vue, je restais à ma place. Les journées de beau temps, en revanche, on ne me voyait plus trop au lycée. Toujours je courais le nez au ciel, d’un point à un autre, guettant le soleil à la recherche d’une bonne opportunité, mon appareil photo bondissant toujours sur ma poitrine.

 

Mon lycée était en bordure de la ville, près des champs. Derrière lui, à quelques kilomètres, se trouvait un petit plateau, et ce petit plateau m’offrait l’une de mes plus belles trouvailles. Une fois en haut, il était possible d’avoir une vue parfaite sur un ciel dégagé, mais surtout en contrebas se trouvait un immense champ de tournesols. Il ne fallait pas se méprendre, je n’étais pas vraiment un artiste. Je n’avais aucune vision, aucune idée derrière mes photos. Je n’avais pas vraiment de but, d’intention ou toute autre analyse comme on pouvait faire dans les cours de français avec des auteurs connus. Je cherchais un peu, expérimentais des angles, m’aidant de ma boussole pour noter des repères géographiques, mais mon seul but était de rendre différenciables les photos les unes des autres malgré mon modèle toujours identique. Il n’y avait aucune recherche de symbole, d’intellectualisation dans mes actes ou mes images. Je n’avais pas vraiment de fibre artistique, et je ne m’extasiais pas vraiment devant l’art, la nature ou devant quoi que ce soit. Beaucoup de mes professeurs, notamment dans les domaines littéraires, me reprochaient un manque de sensibilité, peut-être même d’empathie quand ils étaient vraiment en colère. Il y avait pourtant des choses que je trouvais plus belles que d’autres, mais sans plus. Mais ce champ de tournesols, sur ce plateau, était une exception à ma rigidité. Il était le seul endroit où je me sentais touché et pouvais me dire qu’effectivement, il y avait des paysages dans le monde où il valait mieux traîner pour les admirer par tous les temps.

 

Il se dégageait des champs de tournesols une quiétude et une monogamie très particulière. Les soleils tournés vers l’astre comme un seul être, se mouvant au gré du vent, paraissaient minuscules devant leur idole. Pourtant, leur étendue formait une ombre, couvrant la terre de leur éclat. Immobiles, et pourtant mouvants au fil des heures, les tournesols ressemblaient tout simplement à des répliques miniatures de ce que je prenais constamment en photo. Un champ de tournesol avait beau être domestique, quand je regardais celui là, j’avais toujours l’impression qu’il était sauvage, libre et indépendant sous le soleil. A la fin de l’automne, ceux-ci commençaient doucement à se flétrir et se faner. Mais même dans leur vieillesse, leur aura persistait.

 

J’entamais ainsi ma nouvelle pellicule avec ce paysage brûlé par un soleil couchant, quand mon chronomètre sonna à nouveau. Je l’éteignis et me remis en marche en me dirigeant vers la ville. Comme à mon habitude, les fins de semaine, ainsi que les mercredi, j’allais remettre mes photos à leur véritable destinataire. Descendant de mon tumulus presque quatre-à-quatre, je longeai le champ en courant pour retrouver une route, un trottoir et la vraie vie.

Dans ma petite ville, même si tout restait assez rural, la vie en fin de soirée restait quand même un peu animée. Je pouvais croiser de jeunes parents faisant leur courses, des jeunes adultes en soirée qui rigolaient très fort, ainsi que des chats errants chassant des pigeons. Les arbres et les fleurs plantées aux abords du trottoir, ramenaient des senteurs très particulières, mélangeant la nature et l’essence. Le vent portait encore les senteurs des montagnes qui surplombaient l’horizon de toute la ville, alors que de multiples odeurs venant des magasins et des maisons perturbaient l’air pour un résultat unique à la ville que j’aimais. Dans l’animation des passants et le bruit ambiant, il me semblait comme glisser au milieu de toute l’agitation. Je passais devant ma maison sans m’y arrêter et continuai ma route. Au bout de quelques minutes, alors que l’ambiance si chaleureuse de la ville s’évaporait peu à peu, j’arrivai alors devant l’hôpital bien gardé dans lequel je me rendais.

 

Machinalement, je saluai la secrétaire endormie par son ennuyeuse semaine et me dirigeai à l’étage dans une partie très décentralisée du reste de l’hôpital, dans un petit couloir sombre. Il était considéré comme une salle de repos et je pouvais trouver des infirmières, des casiers, de quoi se changer et se désinfecter. Je ne prenais même plus la peine d’échanger des banalités avec les infirmières, tellement tout ceci était routinier. J’y rentrai comme si j’étais dans une seconde maison. Une stérilisation partielle était recommandée, même si elle n’était pas forcément obligatoire, elle était préférable pour l’endroit où je me rendais. La lumière baissait encore en luminosité.

 

Si j’aimais beaucoup l’odeur, le bruit de ma ville, c’était peut être parce que je la comparais beaucoup trop à la stérilité de l’hôpital. Silencieux, peu lumineux, austère, blanc immaculé… Il m’avait toujours semblé bizarre qu’un endroit qui devait préserver la vie puisse être aussi fade. La douleur et la maladie semblaient résonner partout sur les murs. J’ouvris la porte de la chambre, et son obscurité m’envahit quand je fermai la porte. Un sourire semblable au mien m’accueillit avec chaleur.

 

« Tu es venu ! »

Elle riait en prononçant ces mots. Si il n’y avait qu’une sombre lumière orange qui éclairait faiblement la pièce, je ne pouvais jamais rater son visage.

« Salut, Béryl, lui répondis-je. »

Et je m’asseyais sur la chaise près de son lit. Ses yeux rouges me fixaient avec bonheur, alors que ses lèvres blanches ne pouvaient s’empêcher de se tordre d’une joie démesurée. La pierre jaune autour de son cou, reflétant avec ferveur le peu de lumière de la pièce, semblait contenir tout le bonheur qu’elle ressentait. Sans un mot, j’ouvris mon sac pour en retirer une de mes photos développées la veille, représentant un soleil au milieu des feuilles. Elle prit la photo comme une relique de ses deux mains sans pouvoir la quitter des yeux.

 

« Comme c’est beau… Alors comme ça il a fait ce temps là aujourd’hui ?

– Oui, très ! Le soleil nous a illuminés toute la journée.

– Alors des chats ont dormi au soleil ! s’écria-t-elle, complètement égayée

– Si ce n’était que des chats… Regarde celle là, lui répondis-je en tendant une deuxième photo. »

J’en étais particulièrement fier. C’était la photo d’un oiseau en contre-jour juste devant un soleil de 16h04. J’avais dû quitter mon cours en plein milieu pour l’avoir. Les couleurs de l’oiseau avait beau ne pas apparaître sur l’image, Béryl était ravie.

« C’est incroyable ! Et donc l’oiseau est complètement noir ?

– Ah, non… C’est juste que sous l’effet du soleil, il change de couleur.

– C’est vrai ? Comment est-ce possible ?

– Eh bien… C’est par rapport à l’intensité de la lumière émise par le soleil, je crois, fis-je en essayant de me rappeler de mes cours de physique. Il est tellement lumineux qu’il absorbe la lumière de tout le monde.

– Même de toi ? Me demanda-t-elle avec ses grands yeux ronds.

– Oui, si je me trouvais juste devant le soleil, on me verrait aussi noir que l’oiseau, je suppose…

– Et moi aussi ? »

Je relevais la tête de la photo, surpris. Mais je lui répondis avec assurance.

« Oui, évidemment. »

Cela eut l’air de lui faire plaisir, car elle rit encore.

 

Béryl était ma sœur jumelle. Même si comme tous les jumeaux, nous nous ressemblions beaucoup, la différence majeure entre elle et moi était colossale. Car Béryl était de constitution très fragile et surtout souffrait d’un albinisme très poussé. Si moi je possédais des cheveux bruns clairs, une peau blanche comme n’importe lequel de mes camarades blancs, et des yeux bleus au-delà du naturel, ma sœur était loin d’être aussi banale. Ses longs cheveux blancs immaculés accompagnaient une tendre peau livide, dont des marques rosées semblaient être d’intenses brûlures. Ses lèvres peu pigmentées donnaient l’impression que ses joues voulaient continuer de se prolonger jusqu’aux gencives. Sur son visage pouvaient se voir de nombreux points noirs, comme des taches de rousseur. Mais le plus impressionnant étaient ses yeux. A cause des pigments, dans l’iris des yeux de Béryl se mélangeaient un rouge sang et un bleu pâle qui ressemblait au mien, comme si une partie de notre gémellité était piégée par sa maladie.

 

Si elle était seulement albinos, son problème aurait été sans doute moins contraignant, mais Béryl souffrait aussi d’une déficience immunitaire et avait déjà dû se battre contre un cancer de la peau à l’époque même où le seul problème de ma vie était de savoir comment apprendre mes tables de multiplications. Ainsi, si autrefois elle avait pu vivre sous le même toit que moi avec diverses protections contre les maladies et le soleil, elle était désormais sous observation constante, dans une chambre d’hôpital, avec l’interdiction de n’ouvrir ne serait-ce que les volets les nuits de pleine lune.

 

Les soignants qui nous avaient donné la vie avait affirmé à mes parents que j’étais le sauveur de ma sœur. En étant né le premier, j’avais pu faire une légère ombre sur ma sœur qui manqua, dès la naissance, de devenir aveugle et brûlée par la lumière. Quand j’étais enfant, mes parents me racontaient cette histoire pour me rappeler à quel point j’étais un héros exceptionnel. Mais face à ma grandeur d’enfant normal, ils en oubliaient ma sœur, petite chose fragile qui en rien ne répondait à leurs attentes. Et désormais, dans sa petite chambre sombre d’hôpital, même eux n’allaient plus lui rendre visite. Mais pourtant, jamais ma sœur ne se plaignait ou pleurait sur son sort. Toujours, j’étais accueilli par son plus grand sourire et sa voix chantante qui me disait :

« Tu es venu ! »

Et c’était à moi de répondre que je viendrais toujours. Même si mes parents ne venaient plus la voir, jamais elle ne s’était débarrassée de cette précieuse pierre jaune, brillante comme un soleil minéral et qui portait son nom, que mes parents lui avait offert à la naissance.

 

J’aimais énormément ma sœur. Brillante, énergique, drôle, elle avait énormément de qualités. Quand j’allais la voir dans sa chambre noire, nous pouvions discuter des heures sans s’arrêter. Je lui racontais le temps qu’il faisait dehors, mes journées au lycée, les odeurs de la ville, le paysage vert et mouvant d’une montagne à l’horizon, je décrivais le vent dans les cheveux en faisant bouger les siens. Et j’étais sûr que sans sa maladie qui la privait de sa vie, elle aurait été capable de me battre dans une course. Mais je n’étais pas le seul à faire la conversation et à raconter des choses, loin de là. Elle me parlait des ombres qu’elle voyait sur son plafond, les histoires que lui racontaient les infirmières de l’hôpital, la saveur des plats qu’on lui donnait, ce que lui reflétait sa petite lampe orange. Même cloîtrée dans une pièce sombre dont elle ne pouvait sortir, elle arrivait à trouver des choses à me raconter.

Parfois je lui lisais des livres. Sa vision étant assez limitée, elle ne pouvait pas lire sans se brûler les yeux ou sans allumer la lumière. Alors, je prenais un livre au hasard parmi mes cahiers de lycéen. Dans les phrases que j’arrivais à déchiffrer, j’y mettais mon cœur pour toucher son âme, même si je n’étais en vérité pas très bon. Je lui donnais quelques-un des cours que j’avais suivis sans trop dormir, en classe. Dans sa situation, elle ne pouvait étudier et suivre un enseignement comme le mien sans aide, et mes parents ne jugeaient sans doute pas utile de lui offrir cette possibilité. Après tout, sa vie risquait d’être aussi courte que la flamme d’une bougie.

Mais elle était brillante, bien plus que moi même. Elle comprenait les histoires et les analysait là où j’avais déjà du mal à lire sans buter sur les mots. Elle m’aidait souvent pour les problèmes de mathématiques et pouvait ainsi me permettre de ne pas être viré de mon lycée pour incompétence. Elle avait évidemment plus de mal avec la physique et la science de la vie et de la terre, mais il suffisait que je lui lise les manuels, pour qu’elle appréhende bien plus rapidement que moi toutes sortes de principes. En plus d’être douée, tout l’intéressait. Des arts à la philosophie et même l’informatique. Très souvent nous discutions de ce que je pouvais voir au lycée et toujours je me retrouvais admiratif, comme un petit enfant devant un professeur. En voyant mon air imbécile, elle riait, heureuse et sans doute peut être un peu fière.

Elle aimait vivre. Ça me suffisait pour l’aider et rester, même si ce n’était pas facile pour elle et triste pour moi. Les photos de soleil que je prenais pour elle sans relâche tous les jours étaient un moyen pour l’aider avec une action concrète que je pouvais perdurer pour elle. Après tout, parler et raisonner, c’était son rayon. Moi, j’avais toujours du mal à trouver les bons mots, la bonne formule. Ainsi, ma rudesse me provoquaient bien souvent des inimitiés avec le reste du monde. J’étais beaucoup plus à l’aise avec les actes concrets, qu’on pouvait toucher. Une photo était un objet physique, prouvant peut être un peu de mon affection. L’idée m’était venue dans l’été, après une discussion qu’elle avait lancé.

 

« Tu as de la chance, Aïden, m’avait-elle dit d’une voix mélancolique… J’aimerais bien voir le soleil, au moins une fois… ça doit être beau, non ? »

Comment lui dire, que moi, qui pouvait sortir tous les jours, ne prêtait jusque là aucune attention particulière au soleil, à elle qui rêvait de l’admirer ?

– Tu sais, avais-je murmuré mal à l’aise, moi non plus, je ne peux pas vraiment voir le soleil.

– Quoi ? Mais comment est-ce possible ? Tu es toujours dehors !

– Oui, enfin… Tu sais, c’est tellement lumineux, que personne ne peut le regarder sans se faire mal aux yeux.

– C’est vrai ? Même toi ?

– Oui, même moi, avais-je dit avec un petit rire. Je peux le voir un peu, mais il me faut des lunettes de protection, ou alors ne pas le regarder trop longtemps… Sinon, ça me fait mal et j’ai des taches bizarres sur ma vue pendant quelques instants, après. Je ne pourrais pas t’expliquer pourquoi.

– Oh, tu es peut-être un peu comme moi, alors, m’avait-elle répondu, pensive. »

Il y avait eu un petit instant de silence.

« Mais moi, si je pouvais voir le soleil, je m’en ficherai que ça me fasse un peu de mal. Je le regarderai, droit dans les yeux, jusqu’à ce que je ne puisse plus ! Ça me rendrait tellement heureuse…

– Hé, mais si tu faisais ça, tu ne pourrais plus me voir ! Avais-je rétorqué.

– Ah, oui, c’est vrai. Mais alors, comme tu es un peu mon soleil, alors c’est toi que je regarderai jusqu’à ce que je ne puisse plus ! »

Et ses yeux rouge et bleu m’avaient fixé intensément jusqu’à ce que je senti la peau de mes joues devenir pourpre.

« Arrête, ça me gêne !

– Ah bon ? Tu crois que c’est pour ça qu’on ne peut pas fixer le soleil ? Il est peut-être timide… »

L’échange s’était terminé ainsi, mais j’étais rentré avec une drôle d’impression au cœur. Le soleil d’été se couchant, je pouvais admirer la longue descente de l’astre se mélangeant aux massifs. Puis mon cœur s’emballa à l’idée un peu folle que j’eus. Quelques instants plus tard, en rentrant chez moi en courant, je haranguais ma mère dès que la porte de chez moi fut ouverte :

« Maman, est-ce que tu saurais où est l’appareil photo de papa ?

– Le vieux polaroid ? Répondit ma mère, surprise. Dans le placard à l’entrée, je suppose… »

Sans lui répondre, je me mis à fouiller frénétiquement dans ce vieux meuble où prenait la poussière toute sortes d’objets usés. Alors que j’allais affirmer à ma mère qu’il n’était pas ici, la vision d’une housse noire me fit y renoncer, faisant battre mon cœur. Je criai :

« J’ai trouvé, merci !

– Attends, Aïden ! Qu’est-ce que tu veux en... »

Je n’entendis même pas la fin de la phrase que j’étais déjà parti en courant. Après quelques minutes de recherche, j’allumais le petit appareil blanc cassé et le présentai devant le soleil. Il m’en délivra une photo déjà imprimée, révélant un paysage noirci par un éclat orangé intense. Le sentiment de satisfaction que j’eus en la regardant fut indescriptible. Me lançant désormais les bras tendus dans mon projet, c’est ainsi que mon échange photographique avec ma sœur commença.

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Misskaraba
Posté le 18/03/2021
En réalité depuis que je lis des histoires sur les plateformes c'est dans la première que je retrouve dans le sens de la description et de la formation du dialogue, le début est aussi assez original, on est pas le monde de cliché du badboy, la fille mineure qui vit seule, la petite effarouchée, les trois pom-pom girl et tout le tralala. Ça change!
J'ai hâte de lire la suite!
Pouiny
Posté le 18/03/2021
Merci beaucoup ! J'espère que ça te plaira ! :)
Encre de Calame
Posté le 13/03/2021
Coucou !

Comme d'habitude, j'aime beaucoup cette première partie. Aïden et Beryl sont attachants, je me suis laissée conduire par cette histoire le long de cette ville et de ses paysages extérieurs.

J'aime ce côté poétique et en même temps ces conversations et pensées fluides. J'ai beaucoup apprécié ce passage où Béryl dit à son frère que le soleil est timide :')

Je lis la suite des que je peux !
Pouiny
Posté le 13/03/2021
Les dialogues, c'est ce que j'aime écrire le plus ^^ j'adore les interactions de personnages, des fois j'écris des histoires vraiment juste pour ça xD

Je suis assez content, parce que le paysage qui m'a servi de "modèle" c'est celui où moi j'ai grandi, et j'avais vraiment envie de lui rendre honneur ! :D
dodoreve
Posté le 12/03/2021
Coucou Pouiny ! J'ai beaucoup aimé le ton de ce premier chapitre, c'est tout en douceur, observations et sensibilité ("Le soleil était entre mes mains." c'est une phrase qui me touche particulièrement.) C'est agréable de voir comment tu développes tout ce temps qui passe à travers tes descriptions, et ces observations du soleil qui rythment la journée avec la sonnerie du lycée.
"Un champ de tournesol avait beau être domestique, quand je regardais celui là, j’avais toujours l’impression qu’il était sauvage, libre et indépendant sous le soleil. A la fin de l’automne, ceux-ci commençaient doucement à se flétrir et se faner. Mais même dans leur vieillesse, leur aura persistait." Un autre passage que j'ai beaucoup apprécié !
"Il m’avait toujours semblé bizarre qu’un endroit qui devait préserver la vie puisse être aussi fade." On est bien d'accord >.>
Je finis sur un petit détail moins sympa : "Perdu, je ne répondis pas à son sourire, heureux de pouvoir parler de ce qu’il aimait." Je trouve qu'on s'emmêle un peu les pinceaux avec cette phrase !
Mais ce n'est qu'un petit détail. Je pense que tu auras compris que j'ai bien aimé l'ensemble ! Il (n')y aura (que) quatre chapitres comme ça du coup ? C'est vrai qu'ils sont assez longs, mais s'il y en a si peu ça devrait aller :) (Et s'il y en a plus bah ça ira quand même ahahah)
Pouiny
Posté le 12/03/2021
Ouah, merci beaucoup pour ce retour ! C'est la première fois que j'en ai un, ça me fait vraiment tout drôle :D

Eheh, il doit y avoir pas mal de coquille, merci de le signaler ! Moi et la relecture, ça fait genre, au moins 2 x)

Il n'y a que 4 parties pour les fleurs du soleil, mais ensuite va se suivre "les fleurs de l'ombre", "les fleurs de l'oubli" et peut-être "les fleurs du souvenir", si j'arrive à l'écrire ! Chaque histoire aura 4 parties et vont mettre en scène un personnage différent, même si les histoires vont rester liées entre elles... Je ne sais pas si je suis très clair ! :'D Je sais que les chapitres sont assez longs, mais je voulais garder le rythme d'une saison par partie, donc j'ai pas osé le découper. Je ne sais pas encore vraiment si j'ai bien fait, mais bon, autant rester sur mon idée pour l'instant !

En tout cas, merci de porter attention à ce que j'écris, j'espère que la suite te plaira :)
dodoreve
Posté le 12/03/2021
Ah, c'est super comme projet :D ! J'ai hâte de voir ce qui suivra. Et en ce qui concerne les coquilles ou la forme de manière plus générale, je pense que certaines plumes seraient capables de te faire des relectures bien plus approfondies que la mienne, parce que je lis souvent des commentaires qui me font voir des trucs que moi je ne vois pas du tout, mais si ça peut te rassurer, je n'ai pas l'impression qu'il y ait pas mal de coquilles comme tu dis. Au contraire, je trouve que c'est bien écrit, et que ton style est agréable à lire :)
Pouiny
Posté le 13/03/2021
ton retour est déjà super ! J'espère que la suite te plaira :) Merci beaucoup !
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