"Soeur"

Par Jowie

« Sœur »

 

Eleonara fit un rêve. Les arbres de la Forêt, d'une teinte déplorable, fumaient et laissaient tomber des flocons de cendre et d'aiguilles. Eleonara toussait, reniflait, crachait. Elle avait de la poussière grise dans les yeux, dans le nez et dans la bouche.

Soudain, le sol éructa, projetant un nuage de poudre d'écorce. De ce nuage surgit un homme élancé, liquide dans ses mouvements, parfait dans sa complexion. Et cependant, il n'était qu'une statue de cendre, élaborée mais sans doigts, car il s'émiettait peu à peu. Eleonara, en visiteuse indésirée, avait du mal à supporter les yeux étroits de l'apparition, qui, tout en la fixant, tendait le bras en direction de l'orée incendiée. Eleonara vit les lèvres noires formuler un ordre muet :

Va-t’en.

D'une seconde à l'autre, l'apparition se mit à se désintégrer : bras, coudes, épaules croulaient comme des grains de sable. Sa tête se baissa d'un coup et replongea dans la terre dans une nouvelle éclaboussure de cendre et de poussière.

Ensevelie, Eleonara s'étouffa dans son cauchemar.

 

À son réveil, sa plaie s'était remise à saigner.

Assise en tailleur sur le monticule de paquets de farine, les yeux secs et grands ouverts, Eleonara fixait la silhouette de l'ex-chasseur d'elfes à travers les planches du plafond. Il ne tarderait pas à faire jour. Le vent nocturne avait cessé au détriment de Sgarlaad, qui, luttant contre son sommeil, actionnait énergiquement les meules, ne s'arrêtant que pour les nourrir de grains.

Suite à son cauchemar, l'elfe s'était réveillée frigorifiée et la gorge aride. Des épingles imaginaires s'étaient fichées dans son corps trop maigre ; son cœur, lui, avait redéclaré la guerre aux humains pour la centième fois. Prendre conscience de l'omniprésence de la Sylvanie à Hêtrefoux l'avait ébranlée ; savoir qu'elle se trouvait sous le toit d'un de ses anciens membres l'avait dévastée.

Encore agitée par l'étrange et lugubre vision que lui avait offerte son cauchemar, Eleonara s'obligea à taire sa respiration sifflante. Sgarlaad, en tant qu'ex-Sylvain, pouvait peut-être distinguer le souffle d'un elfe de celui d'un humain. Si ça se trouvait, il cultivait des soupçons sur sa nature depuis la veille. Et s'il complotait déjà pour l'éliminer ?

Si Eleonara avait été effrayée par les feux de joie de la veille, elle craignait encore plus les Sylvains. Si seulement la Dame lui avait expliqué comment les contourner ! Elle savait tant de choses et nonobstant, elle lui avait tu le plus important.

Le doute assaillit Eleonara. Qu'avait réellement survécu de son peuple ? Si la Sylvanie était née pour passer Hêtrefoux au peigne fin, il se pouvait bien que ses membres parcourent la Forêt à ce moment même pour empêcher des brigands humains d'y trouver refuge ou pour recouvrer des reliques elfiques. En d'autres termes, rien ne garantissait que les elfes ne s'étaient pas éteints. Sauf une chose.

« Moi », songea Eleonara.

 

Bientôt, l'aube la libérerait. Agnan et Sgarlaad disparaîtraient au Don'hill, et elle... elle ne savait pas. Eleonara s'était créé un monde d'illusions autour de Hêtrefoux, or la vérité était dure à avaler. Y retourner signifiait se jeter dans la gueule du loup. Les feux de joie et le cauchemar lui avaient servi d'avertissement. Ne t'approche pas ! Va-t’en !

« Retourner à Hêtrefoux » n'était d'ailleurs qu'une façon de parler ; Eleonara n'y avait jamais mis les pieds.

Il était toutefois difficile d'imaginer une alternative à son présumé paradis, alors qu'elle y avait songé toute sa vie et que la Dame lui avait suggéré d'y retrouver les siens. Que faire ? Errer éternellement dans les misérables bas-fonds des faubourgs de Terre-Semée ? Abandonner la capitale ? Oui, mais pour aller où ?

 

Lorsque le soleil vint enfin frapper aux fenêtres du moulin, l'astre n'était accompagné d'aucune réponse. Toute la nuit, le flacon dérobé à l'alchimiste avait roulé en avant et en arrière dans la paume d'Eleonara sans pouvoir l'apaiser. Insomniaque, elle avait senti ses membres s'engourdir un à un. Elle avait d'ailleurs manqué de se déboîter une jointure en voulant écarter les doigts.

Sa réflexion, bien qu'infructueuse en matière de solutions concrètes, lui avait éclairci l'esprit.

Après un chemin long et éprouvant à travers trois duchés, Eleonara s'était résignée à se détourner de son but premier. Hêtrefoux avait incarné une force, un espoir inconscient qui l'avait empêchée de se laisser dépérir ; la rupture serait douloureuse, l'acceptation d'un échec. Or ce n'était que partie remise : cette défaite deviendrait un défi inachevé à accomplir plus tard. La Forêt, elle le savait, serait dans sa ligne de mire aussi longtemps qu'elle vivrait.

 

— Que vas-tu faire ? s'enquit Agnan, alors qu'elle l'aidait à préparer son départ. Où iras-tu ? On s'écrira, pas vrai ?

L'interrogée blêmit. S'il avait osé quelques impertinences envers Sgarlaad, Agnan avait, jusque-là, respecté Eleonara ; c'est pourquoi cette dernière s'étonna du caractère personnel de ses questions.

Eleonara avait passé près de deux mois en sa compagnie, partageant son quotidien à tous les instants, supportant ses palabres et son accent. Somme toute, elle n'avait pas appris grand-chose sur lui, malgré son évident penchant pour le bavardage. Le jeune Mikilldien dissertait sur les goûts culinaires de Voulï, mais ne s'exprimait jamais sur le futur qu'il se souhaitait, par exemple. C'était sans doute cette discrétion qui, établissant une entente réciproque, les avait rendus égaux. Eleonara était reconnaissante envers Agnan de ne lui avoir jamais demandé d'explications. Et elle l'aurait été davantage s'il n'avait pas pris un tueur d'elfes pour ami.

— Pour l'instant, je t'accompagne, lui dit Eleonara en s'efforçant de paraître sûre d'elle. Pour te dire adieu.

Pour la première fois, l'elfe fixa un projet pour l'avenir : un jour, en d'autres circonstances, quand elle aurait moins peur, quand elle saurait quoi faire et serait plus forte, elle pénétrerait la Forêt Maudite, la terre de ses ancêtres, et remplirait sa mission au nom de la Dame.

 

À moitié rassuré, Agnan lui sourit chaleureusement. Bien que l'elfe fut incapable de lui rendre son sourire, elle ne put s'empêcher de se questionner. Auraient-ils pu être camarades, elle et lui, s'il avait su ce que son foulard dissimulait ? L'espace d'un instant, Eleonara essaya de se représenter sa vie si elle était née humaine.

Agnan ne la lâchait pas des yeux ; il avait apparemment de la peine à admettre la séparation.

— C'est à la Place des Échecs qu'a lieu le recrutement, précisa-t-il, un peu attristé. Il paraît que c'est le lieu de réunion par excellence des faubourgs. Tu pourrais y tenter ta chance. On est toujours à la recherche de lavandières, de lingères, de porteuses d'eau ou de servantes.

De désagréables frissons parcoururent Eleonara à la mention du mot « servante ». C'était pour elle une solution inenvisageable.

Elle sursauta ; Agnan avait pris sa main et y avait déposé deux sous.

— Tiens, c'est tout ce que j'ai.

De son côté, Sgarlaad avait déjà préparé ses affaires. Il tenait par la bride un cheval à la robe souris dont les pupilles suivaient un peu trop Eleonara à son goût.

Malgré la lenteur de ses mouvements, le Nordique à la barbiche drue trahissait son impatience par son regard qui changeait de point focal avec la frivolité d'une puce.

Agnan ne tarda pas à l'affliger davantage :

— Ne devrais-tu pas rendre visite au meunier avant de partir ? Pour qu'il te donne ta paie, par exemple ?

— Je ne suis pas payé. Mon contrat est terminé, je n'ai plus de besogne dans ce moulin. Allons-nous-en.

Le « géant » lança son baluchon par-dessus son épaule et encouragea son cheval à avancer, suivi de près par son jeune compatriote et Voulï.

Eleonara hésita une seconde sur le seuil du moulin, avant de se résoudre à faire de même. Jusqu'à leur séparation, elle se méfierait et garderait une distance de sept pas minimum entre elle et le tueur d'elfes. Pareil pour les équidés.

 

Fendant la cohue qu'il surplombait, Sgarlaad marchait en tête. Agrippé d'une main à sa manche, de l'autre à la bride de Voulï, Agnan avançait à petits pas, béat face aux rues populeuses. Trois pas derrière eux, Eleonara trottinait les mains contre le cœur, la tête coincée entre les épaules.

Pourquoi ce besoin viscéral de se regrouper, de former des bandes ? À la Place des Échecs, les gens échangeaient, riaient, vociféraient, vivaient. Des sons forts, des voix inconnues, des visages pressés, un vacarme dès la matinée. Les discussions se déformaient tantôt en roulement de tambour, tantôt en grognement d'orage distant, tantôt en vague de murmures. Déstabilisée, l'elfe jetait des regards effarés à la foule qui se souciait bien peu de son existence. La douce solitude, celle qui lui évitait le jugement d'autrui, lui manquait.

Plus le trio avançait, plus Eleonara se rétrécissait : de toutes parts, elle n'apercevait que des hommes armés, de blousons et d'âges différents, accompagnés par leurs familles et leurs chevaux.

Les capes, les casques et les épées attendaient à la queue-leu-leu sur quatre files serpentines, s'espaçant occasionnellement pour laisser passer un badaud désorienté. C'était le recrutement du Don'hill, une manifestation qui durait une semaine et qui occupait la Place des Échecs d'un bout à l'autre.

Aujourd'hui était le dernier jour pour s'inscrire.

 

Annonciatrice d'un majestueux corps-de-garde – l'accès à la cité intérieure –, la Place des Échecs avait la particularité de porter un nom d'origine concrète. Par la parfaite succession de ses dalles, des carreaux noirs et blancs, elle rappelait le célèbre jeu de table, très apprécié au Magnanime. De nombreuses statues s'élevaient d'ailleurs çà et là, imitant les figurines de l'échiquier.

Eleonara, par curiosité, s'évertuait à admirer les sculptures de loin, lorsque son regard s'arrêta sur un groupe de femmes patientant au pied d'une œuvre de granit. Sobrement vêtues, elles ressemblaient à de drôles de pies avec leurs guimpes nacrées et leurs grands voiles noirs ou blancs, sous lesquels seuls leurs visages restaient à découvert.

Les femmes voilées se tournèrent vers Eleonara et lui offrirent un sourire d’hyène, avant de partir en chasse. Dans un frou-frou de voiles et un frottement de souliers légers, la horde accourut vers sa proie et l'encercla sans qu'elle ne pût s'enfuir.

Pendant que ces inconnues, identiques à première vue, lui tournaient autour, Eleonara sentit le sceau silencieux de la critique féminine l'écraser comme de la cire chaude. Que devaient-elles penser, elles, si immaculées et nobles, devant une gamine hagarde aux cheveux ébouriffés, à l'épaule écarlate et aux vêtements rafistolés ?

À la surprise et au dégoût d'Eleonara, envahir son espace personnel ne suffisait pas, il fallait de plus l'aborder.

— Ma chérie, formula une quadragénaire rose et bouffie d'une intonation doucereuse. Tu m'as l'air d'être une âme égarée... ne t'en fais pas, nous sommes là pour t'aider.

Le cercle se resserrait. Avant que l'elfe ne pût traduire son effroi en paroles, une autre femme au visage griffé de rides et à la voix grinçante prit le relais.

— Nous vivons dans un lieu calme, loin des tumultes citadins et des vices de l'humanité. Notre cloître encourage la prière, l'éducation et l'élévation de l'esprit.

Une main retint fermement Eleonara, qui cherchait vainement à rattraper Agnan et Sgarlaad. Ces derniers s'éloignaient nonchalamment, ne s'étant pas rendus compte de son absence.

Une jeune fille pas plus âgée que l'elfe se pencha assez près pour la frôler du bout de son nez porcin. Quelques bouclettes blondes s'échappaient de son couvre-chef.

— Marre d'être insignifiante ? Marre de ne vivre pour aucune cause ? Rejoins-nous à l'abbaye du Don'hill pour te dédier au service des dieux et de l'ordre. Engage-toi, terrienne ! Sois notre sœur.

« Au service des dieux ? » s'étonna Eleonara. Il y en avait donc plusieurs ? Plus elle venait à connaître le « dehors », plus elle se rendait compte qu'elle était la plus ignorante des ignorantes.

Eleonara sentit une goutte de sueur froide glisser le long de sa tempe. Adhérer au Don'hill, ce nid de vipères ? Dans un battement de paupières, elle s'imagina enfermée dans une minuscule pièce glaciale, agenouillée pendant des heures, les pierres du sol s'ancrant dans ses genoux. Elle aperçut les moines armés, parmi lesquels des Sylvains comme Sgarlaad, occupés à aiguiser leurs épées. Non. Plutôt mourir.

Fine et fluide, Eleonara se fit toute petite et se faufila sous la robe de la nonne qui lui avait à peine parlé et qui criait à présent.

Tandis qu'elle se relevait à l'extérieur du cercle et déguerpissait, l'elfe manqua le spectacle des autres religieuses qui, les mains plaquées aux joues, braillaient au scandale.

 

Après une course et des zigzags effrénés, Eleonara se retourna, s'estimant hors d'atteinte. Elle avait beau toupiller sur elle-même pourtant, elle ne voyait aucun signe de ceux qu'elle était censée accompagner. Elle n'apercevait même pas, de loin, la tête blonde de Sgarlaad dépasser la multitude.

Elle s'était perdue.

La populace coulait autour d'elle tel un fleuve rapide, les files avançaient et s'allongeaient. On était pressé, on savait où aller, on allait droit au but. Ce n'était pas son cas : les yeux ronds, elle assistait passivement à l'évolution de ce cours d'eau humain, fluctuant et toujours en mouvement.

Eleonara avait l'impression de ne faire partie de rien, de ne contribuer à rien. Et ce « rien » qui l'habitait la contraignait non seulement à se poser des questions existentielles déplaisantes, mais aussi à avaler sa nullité par pénibles cuillerées.

Au bout d'un moment, Eleonara souffla un bon coup et se fit craquer les doigts. Il fallait se reprendre. Elle avait promis à la Dame d'être une ombre ; autant le prendre comme un exercice de camouflage et imiter les Einhendriens.

Elle adopta donc une démarche maladroitement décidée et visa le côté opposé de la place. Finalement, en faussant compagnie aux deux étrangers, elle avait accompli sa première tâche : s'isoler.

Au fur et mesure que les charades de la défunte Dame revenaient chatouiller ses oreilles cependant, son élan s'élimait. À quoi bon servaient les mots de la Dame, à présent ? Qu'avait-elle voulu lui dire, au fond ? Ses conseils n'avaient été en rien explicites ; il fallait tout deviner !

Distraite, Eleonara percuta un enfant et fut sévèrement sermonnée par la mère de celui-ci, qui le ramassa et s'en alla. Bredouillant une excuse, l'elfe poursuivit hâtivement son chemin, les bras en croix sur la poitrine, les ongles enfoncés dans le tissu de sa cape et sa capuche pointue rabattue sur son front.

Tout bien considéré, il était possible que la Dame n'eût jamais rien su non plus. Avait-elle réellement vu l'Einhendrie tel qu'elle était, en dehors de la prison ? Ou alors s'était-elle montrée réservée pour parler du reste des elfes, de leur histoire, des humains et du monde au-delà des Onerres, pour garder sa protégée dans la liesse de l'ignorance ?

Peut-être que la Dame ne s'attendait pas à ce qu'on lui dérobât son Elé. En apprenant leur séparation imminente, la Dame avait dû tout mettre en œuvre pour la rassurer, la guider, la conseiller, mais elle ne l'avait pas pu, parce qu'elle ne savait pas comment l'aider à atteindre son but ! La Dame, la diseuse de mots magiques, la fontaine du savoir sacré, ne savait pas !

Il y avait une chose, néanmoins, que la défunte avait correctement anticipée : l'identité de celui qui était venu chercher Eleonara. La vieille femme avait connu l'alchimiste, en personne ou de nom, c'était égal : elle l'avait connu et avait avertie sa protégée contre lui.

 

À force de voir des carreaux de couleurs opposées se succéder sous ses chaussures, Eleonara avait la nausée. Elle décida de s'asseoir au pied d'une statue grise pour se détendre. Les yeux balayant le sol, elle se surprit à lire, gravé sur une dalle blanche :

 

Voyageur !

Respecte ce noble monument, car sous tes pieds gît le légendaire Mauricien d’Olys !

 

Se relevant aussitôt, Eleonara s'éloigna en sautillant comme si elle s'était brûlé la plante des pieds. Marcher sur une tombe était de mauvais augure. Sentant une présence imposante plonger sur elle, elle leva le regard vers la statue qui trônait au centre du gigantesque échiquier. Tout en maintenant une distance de sécurité, Eleonara se permit une inspection détaillée : personne ne l'attendait.

Sculpté dans un bloc de granit, un cheval plus grand que nature lançait des coups de sabots, la crinière au vent. La minutie de l’œuvre était époustouflante : chaque muscle se tendait, les gouttes de sueur perlaient. La pierre semblait vivante, à croire que l'animal galopait et hennissait encore, les naseaux dilatés. Mais ce n'était pas tout : une forme humaine, plus précisément celle d'un homme, se détachait du dos de l'équidé. C'était une figure terrible. Le visage n'était qu'une grimace déformée. La bouche, un rictus de douleur et de rage, hurlait son agonie. Le corps, replié et bossu, se cramponnait à la selle. La main droite, les veines saillantes, pointait une épée en avant dans un ultime effort.

En contournant le cavalier, Eleonara détecta la seule tache de couleur présente sur la sculpture: un soleil au centre rouge et aux rayons noirs tracé sur la nuque de l’homme.

C'était l'emplacement du dard létal des elfes. En voyant cela, Eleonara ne put s'empêcher de ressentir un picotement de fierté. Son regard glissa alors sur une inscription entre les sabots antérieurs du cheval :

 

À la mémoire des saints martyrs de l'Extinction :

Siegfried Pagon, Roland Glas, Aask de Mori, Nergüi de Tömör, Yazid des Harassi, Tariq des Cano, Morvan Volf, Treyjar de Kaldaar, Paulus Castagnier, Antonius de Pastylle, Remacle Methonel, Voën Skryp, Villaume Bachmor, Thibald Desdûres et Mauricien d’Olys.

 

Ce monument était dédié aux quinze espions de l'Ancien Temps, ceux qui n'étaient jamais sortis de la Forêt Maudite, à l'exception de Mauricien d'Olys, dont le sort était plus que connu. La plupart des espions devaient être d'origine einhendrienne, mais d'après la sonorité exotique de certains noms, quelques Mikilldiens et Opyriens avaient dus être de la partie. Étrangers ou pas, on les avait canonisés, alors qu'ils avaient déclenché la fin d'une civilisation. « Quel cran de les qualifier de martyrs », s'indigna Eleonara.

 

— Jolie statue, hein ?

Aigres, amers mais sucrés, tels étaient les mots qui venaient de lui être susurrés à l'oreille. L'elfe fit volte-face, atterrée par la familiarité de la voix. Épouvantée par ce qu'elle découvrit, elle voulut reculer lorsqu'un chiffon malodorant s'abattit sur son visage.

P'tite sœur ! Te voilà donc ! Allons, rentrons à la maison !

Changeant radicalement d'expression, Dalisa Taberné, en chair et en os, baissa la voix :

— Misérable imbécile, tu croyais vraiment t'en tirer comme ça ? Avec mon chaperon, ma cape, mes collants et mes chaussures, en plus ?

Eleonara tenta de résister, de la repousser, mais ses membres ne lui obéissaient qu'à moitié. Ses coups partaient de travers, se ramollissaient... de quoi avait été imbibé ce maudit mouchoir ?

La fille du tavernier, voyant son esclave incapable de se défendre ou même de se tenir debout, ôta le mouchoir et passa son bras sous les épaules d'Eleonara, les lèvres pincées. D'un coup de poing dans la colonne vertébrale, elle l'encouragea à marcher.

Le corps aussi tonique que du lard mais la pensée bien éveillée, Eleonara gémissait des « Lâche-moi ! » atténués. À Terre-Semée, on n'appréciait pas les gens qui se donnaient en spectacle, les histoires embarrassantes ou les litiges réglés en plein jour. Les passants la méprisaient déjà du coin de l’œil. Un candidat pour le Don'hill en vint même à sortir de sa file afin d'offrir son aide à la ravissante Dalisa, très impliquée dans son rôle de grande sœur dépassée.

— Puis-je vous donner un coup de main pour ramener votre frangine chez vous, mademoiselle ?

— J'apprécie votre générosité, monsieur, répondit Dalisa en s'essuyant rapidement le front. Mais je m'en sors toute seule, merci.

— Si vous le dites... N'ayez pas peur de lui en flanquer une, à votre cadette. Aurait-elle trop bu, par hasard ?

— C'est ça. N'en doutez pas, monsieur.

— Je vous en prie, appelez-moi Errmund.

Sur ce, l'inconnu s'inclina avec un air plein de fatuité, avant de se rediriger vers la queue.

Se faire passer pour sa sœur aînée ! Eleonara n'en revenait pas. De toutes les tromperies, c'était bien le concept le plus dégoûtant que Dalisa eût pu inventer.

— Ce n'est pas ma sœur ! s'égosilla l'elfe au futur moine-soldat qui s'éloignait, avant d'encaisser le soufflet du siècle.

 

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Isapass
Posté le 16/01/2020
Oups ! J'ai un peu oublié de commenter... Je suis tellement prise dans l'histoire que j'ai continué à lire sans m'arrêter :)
Ceci dit, je n'ai aucune remarque à te faire : le rythme et l(intrigue sont parfaits, on a toujours ce ton mi-dramatique mi-ironique que tu manies si bien. De temps en temps je me dis que j'aurais écrit telle ou telle phrase autrement mais c'est rare et c'est vraiment du pinaillage.
Quand Sgarlaad les tire de prison, je me suis dit que décidément, Agnan gagnait à être connu et qu'il avait des amis utiles ! Mais bien sûr, c'était avant d'apprendre que c'était un Sylvain. Ceci dit, je reste assez sûre qu'il n'est pas vraiment mauvais. Quant à Agnan, je l'adore toujours ! Lui, il n'a pas l'air super confiant à l'idée du Don'Hill...
Et la fin de ce chapitre... arghh ! Non pas cette mégère de Dalisa ! Il faut absolument qu'Elé s'échappe ! Je sens bien qu'elle va réussir à s'enfuir et rejoindre les nonnes pour qu'elles la protègent. Comme ça, elle partirait au même endroit qu'Agnan et Sgarlaad (quelque chose me dit que Sgarlaad, tu ne nous l'aurais pas aussi bien décrit si on ne devait plus le voir...)
Comme tu vois, je me régale toujours ! J'adore, j'adore ton histoire ♥
Jowie
Posté le 17/01/2020
Re-hey !

Si tu as été absorbée par ta lecture au point d'oublier de commenter, je me dis que c'est plutôt bon signe, non ? xD Si par la suite tu relèves des coquilles ou des maladresses au niveau de la langue mais que tu veux continuer à lire, tu peux sans autre m'en faire part dans le commentaire suivant si tu veux, même s'il est quelques chapitres plus loin ;)
Hélas oui, Eleonara ne peut à peine se réjouir d'être sortie que voilà qu'elle tombe sur un Sylvain, puis Dalisa, manque de bol !
En tout cas c'est chouette de savoir ce que tu penses des personnages, je suis curieuse de voir comment cela va évoluer au fil de l'histoire !
Comment ça tu penses qu'elle va recroiser les nonnes ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ? *cache vite ses dessins de nonnes ainsi que la couverture du tome 1 *
En effet, ça serait fort pratique qu'il se retrouvent tous au Don'hill... :D
(Encore une fois, mes descriptions m'ont grillée, mince! xD )

Je suis très heureuse que tu passe un si bon moment avec mes personnages ! J'espère que la suite continuera à te plaire et si non, tu sais que tu peux pinailler ouvertement ;)
Merci beaucoup pour tous tes commentaires si encourageants !
à bientôt !
GueuleDeLoup
Posté le 12/12/2018
Et voilà, chapitre lu ^^
J'ai l'impression de ne pas avoir grand chose à dire que "NE TE LAISSE PAS FAIRE ET DEMONTE LA CETTE GROGNASSE!" 
J'aimerai tellement qu'elle trouve des alliés à qui elle peut faire confiance T-T (regarde ces litres de larmes que je perd par ta faute!!
Je continue à suivre, fidèlement <3
Jowie
Posté le 12/12/2018
 Coucou Loup !
Je suis ravie de voir que comme toujours, tu es au rendez-vous <3
Ouiii, démontons Dalisa yeaaaahhh!!!!
C'est vrai que les "gentils" manquent jusque-là ou alors ils se cachent dans les buissons xD Pardon pour tes litres de larmes (tiens, un seau !) Comme quoi, on dirait que je ne torture pas uniquement mes personnages ^^ Mais je t'encourage à garder espoir ;-) !
Merci de me lire si fidèlement, ça me fait trop plaisir ! à chaque fois que je poste un chapitre, je me demande ce que tu en penseras !
à bientôt et bonne fin de semaine !
Jowie
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