Six semaines et quatre jours

Par Jowie

Six semaines et quatre jours

 

Dans un noyau tel que le couvent, les scandales s'effritaient peu. Pour avoir levé la main sur l'enfant du Don'hill, Sœur Bronwen serait marquée à vie. Il avait suffi que Sœur Louve tendît son faciès comme une peau de tambour pour que le message envahît l'abbaye : c'en avait été trop. Une question demeurait cependant : que faire d'une bonne sœur qui n'était pas bonne ?

— Possédée par Arthès...

— Toquée, cinglée !

Seuls des échos à demi étouffés étaient en mesure d'atteindre Eleonara qui, sans ce grêle lien au monde des vivants, aurait cru qu'il n'y en avait plus, de monde. Ses rations de pain rassis et d'eau blanchâtre étaient glissées à travers un clapet par une main anonyme qui ne se prononçait sur aucun sujet.

Eleonara tremblait encore en se souvenant des doigts brutaux et sans pitié qui l'avaient déshabillée à lui faire craquer son habit. On l'avait laissée en simple chainse de lin avec l'Œil de Diutur sur sa poitrine. On lui avait arraché sa guimpe et son voile, mais on lui avait laissé sa touaille. En découvrant le linge si sale et gras, les nonnes n'avaient pas voulu y toucher, de peur de découvrir des poux et des lentes en-dessous ; Sœur Bronwen était après tout une gueuse à l'hygiène incertaine. Eleonara pressait ses paumes contre ses oreilles, encore incrédule de cette chance infinie au cœur de son malheur. Elle n'aurait jamais cru que la saleté pût sauver.

La détenue vivait dans le noir complet ; ses rétines s'étaient éteintes. De temps à autre, elle grattait le sable entre deux briques du mur qui la séparait de l'extérieur. Si cela entraînait une altération de la luminosité, elle concluait qu'il devait s'agir de la journée. L'ouverture filtrait alors des ombres qui, tantôt noires et profondes, tantôt épurées et translucides, se limaient sur les pierres grises. Dans le cas opposé, si le noir demeurait inviolable, elle savait qu'elle aurait une nuit blanche de plus à affronter.

Avec la mémoire du passé pour seul compagnon, Eleonara vivait dans un éternel présent. Constant, linéaire, sans débouché, sans changement. Tous les jours, elle s'endormait sans fatigue, s'éveillait sans vigueur, mangeait sans faim et buvait sans soif. Ses muscles durement acquis se résorbaient à force de ne pas se mouvoir. Ses articulations s'encastraient, ses os s'emboîtaient, son armature entière se préparait à affronter une paralysie de décennies. Les lèvres desquamées, le cerveau en morceaux, elle contemplait le vide et le vide la contemplait. Elle inspirait le Rien et expirait le décès de l'âme. Les pieds nus et les fesses à terre, l'elfe se balançait en avant et en arrière, récitant la prière de sa douce aliénation : « Blothagren, blothagris, blothagrech, blothagrë... » Sa seule occupation : ressasser le vocabulaire opyrien et mikilldien qui ne lui avait pas échappé.

Son enclos rétrécissait. Illusion ou malice des obscurcissements, les murs semblaient s'avancer les uns contre les autres. Eleonara en avait les épaules râpées et les ongles retournés.

Parfois, elle se demandait combien de temps elle avait élimé dans cette tombe verticale. Les heures, indissociables, filaient, traînaient, sans jamais mourir. Elle percevait les vibrations du clocher, sans savoir à quelle prière les rattacher.

Cette pièce était le Néant. Ni air, ni lumière. L'inaudible y était percevable : les parois respiraient, la mousse pleurait. Depuis l'intérieur, c'était un cercueil : mêmes dimensions étroites, même oppression. Le dos d'une porte se creusait bien quelque part, mais sous ses doigts, on ne sentait que briques, briques et briques, tout autour de soi, montant en spirale hermétique. La tombe murale, comme on l'appelait, était, comme son nom l'indiquait, une tombe creusée dans une double paroi.

« Bronwen. »

L’irréel avait une voix et il n'y avait rien de pire que de le découvrir.

« Bronwen. »

Se raccrochant avidement à son ankylose sensorielle tel un nourrisson à sa mère, Eleonara repoussa ces sons, ces appels trompeurs et étourdissants. Elle savait, l'ayant déjà vécu ; l'enfermement la détruisait. Lentement d'abord, le temps que ses défenses décrochassent, puis la démence la grignoterait depuis l'intérieur, comme les fois précédentes. La prison des Onerres, la boîte qui l'avait livrée aux Taberné, le cellier, le couvent, son corps, ses croyances. Toutes ces cages dont elle avait cherché à fuir.

« Bronwen, je t'en supplie. »

La folie était si tendre et si gentille. Mélodie laiteuse et apaisante, elle seule pouvait la réconforter maintenant. N'avait-ce pas toujours été ainsi ? Pour obtenir la paix absolue, ne fallait-il pas qu'elle s'abandonnât à elle, tout simplement ? Ne serait-ce pas comme retrouver une vieille amie, une poitrine chaude contre laquelle se presser ?

 

— Bronwen !

Ses paupières se déchirèrent sur un monde sans couleurs, où fermer ou ouvrir les yeux ne faisait aucune différence. Quelque chose la toucha à la cheville. Eleonara se contracta.

— Te voilà, s'exclama une voix familière et distante à la fois, comme si elle appartenait à une vie antérieure.

Le rayonnement d'une bougie peignait la découpure du clapet ouvert. Un visage rond et opalescent l'épiait depuis l'autre côté du mur.

— Diutur soit loué, tu es vivante !

Aveuglée par la lumière soudaine, la captive tordit légèrement son corps rigide, son échafaudage grinçant. Ses sourcils s'ancrèrent en « V » ; elle ne cernait pas si cette apparition émanait de sa tête ou des ombres.

— N'aie pas peur, chuchota la voix. C'est moi, Melvine.

Au lieu de répondre, Eleonara se concentra et lut le temps sur les traits délicats de l'Einhendrienne : ses fossettes se creusaient davantage. Son cœur se mit à enchaîner les roulés-boulés. Elle était contente de la revoir. Elle était contente de revoir quelqu'un, même si ce n'était pas réel.

— Regarde, dit la Chouette. Je t'ai apporté des beignets au miel.

Un ballot parfumé fut poussé par le trou. Cet acte percuta l'elfe comme une révélation : aucune hallucination n'aurait pu faire preuve d'autant de générosité. Cette Melvine-là devait donc être la vraie.

— Des beignets ainsi que ceci, ceci et ceci aussi, énuméra cette dernière en lui passant un imposant volume de botanique, des bougies et un briquet à silex.

Accroupie, les paumes à plat sur les genoux, l'Einhendrienne attendit que l'elfe prît connaissance avec les objets, avant de bredouiller, le front baissé :

— Pardonne-moi pour le retard, ce n'est que récemment que j'ai appris où l'on t'avait enfermée. Et il m'a fallu un bon moment pour décortiquer par où Sœur Rosemonde te transmet tes repas. Est-ce que ça va ? Te nourrit-on régulièrement ? Ton retard scolaire est astronomique, mais je t'aiderai à te mettre à jour, ne t'inquiète pas, nous rattraperons ensemble. Allez, allume une bougie, il fait terriblement sombre là-dedans !

L'elfe suivit machinalement son conseil. Avec sa maladresse naturelle, pourtant, elle ne réussit qu'à mettre feu au livre.

— Doux Diutur ! s'écria la Chouette. La reliure ne doit surtout pas s'abîmer !

Eleonara s'empressa de l'éteindre avec ses mains et ses manches, malgré les morsures des étincelles. Peut-être Sœur Melvine reconsidérait-elle à présent son prêt ou même sa visite.

Cette dernière parut en revanche regretter l'impulsivité de sa réaction. Ses yeux écarquillés s'adoucirent et ses sourcils épais s'aplatirent.

— Ce n'est pas grave. Si ça se trouve, tu as fait fuir les poux des livres.

Elle se tut et sonda sa consœur de ses yeux de hibou.

— Bronwen, pourquoi as-tu attaqué Agnieszka ?

Il s'agissait plus d'une lamentation que d'une question. N'ayant pas encore réalisé ce qu'on lui demandait, Eleonara ne répondit pas. Son esprit divaguait, nageant de Melvine à Agnan, d'Agnan à Sgarlaad et de Sgarlaad au bonheur perdu d'ouvrir, nuit après nuit, un précieux recueil de vocabulaire. De nature entêtée, la Chouette ne baissa pas les bras face à ce manque de réceptivité.

— C'est à cause de ce qu'elle a dit à propos de toi et du Barbare, n'est-ce pas ? Sérieusement, quelle bête t'a piquée, Bronwen ? D'habitude si calme et silencieuse et là... Que s'est-il passé ? Je ne t'avais jamais vue dans un état pareil, c'était comme voir un renard rabique. Je le doute, mais fréquentes-tu réellement un Barbare comme elle le soulignait ?

Lorsque Eleonara se détourna vers une encoignure, Melvine réitéra patiemment sa question, puis ajouta :

— Je ne te jugerai pas.

Elle n'eut pour écho que le silence.

— Ne me fais-tu pas confiance ?

— Parfois, il faut savoir ignorer. L'ignorance peut sauver, fit Eleonara d'une voix éraillée, en citant les mots que Sgarlaad lui avait adressé dans les catacombes.

L'Einhendrienne, qui cherchait d'habitude à tout savoir, avala la remarque comme un remède amer.

— Que les accusations envers toi aient été fondées ou non, il aurait été plus sage de ne pas céder à la haine. Regarde où elle t'a menée. Agnieszka est une incorrigible peste. Oui. Elle t'a provoquée. D'accord. Mais ne devrait-on pas prendre pitié de sa condition ? Ce n'est qu'une gamine mal-élevée et immature à qui l'on a refusé de donner le droit de choisir. Elle est liée à vie aux allées de ce monastère et il n'en sera jamais autrement, qu'elle le veuille ou non. Toi, tu as le choix. Laisse-la régir sur le peu qui est en sa portée et ne sois pas blessée par ses remarques. Elle doit être la plus malchanceuse de nous trois.

Décidément, le cœur pur, le pilier, la main tendue, c'était Melvine, maîtresse de ses émotions, de sa raison et d'elle-même, toujours disposée à compatir. Eleonara, elle, n'était qu'une irritable bouillotte à colère, une cage à furie envenimée et bougrement fragile. Au fond, elle n'était pas « calme ». Elle se taisait, c'était tout. Et en ce moment-même, elle taisait l’aberration et le dégoût que lui inspirait l'enfant du Don'hill.

Sa camarade la saisit doucement par la cheville.

— Écoute-moi bien. Quoique fasse l'Abbesse et quoique tu aies fait, ce monastère est un lieu pour trouver le salut, tu m'entends ? Ce monastère est le creuset de la paix, du pardon et de la rédemption. Je ne sais pas ce qui t'a pris pour te soumettre à la violence. Tu caches quelque chose, quelque chose de cassé. Je le sens. Ne perds pas espoir, Bronwen. Je secouerais le ciel et la terre pour déceler une manière de te consoler. Tu t'en sortiras, mais pas en frappant ton prochain. Peut-être que... que ce lieu n'est pas pour toi. Tu as besoin de bien plus qu'un toit. Ici, on ne t'aimera pas tel que tu en as besoin. Oui, c'est de cœurs que tu as besoin, pas uniquement d'un abri.

À ce discours, la Chouette avait intégré un lorgnement mélancolique pour les murs séculaires de l'aile désaffectée. Ces murs, témoins de l'Ancien Temps, les premiers de l'abbaye peut-être, n'étaient plus ce qu'ils avaient été. Ce monastère est le creuset de la paix, du pardon et de la rédemption. Seule Melvine, la plus croyante des croyantes, en restait convaincue.

Eleonara renifla et s'essuya une larme échappée. La tirade de sa consœur avait remué des colonnes et déclenché une chute de pierres en elle.

— Je reviendrai prochainement, promit la Chouette. Il faut que ce soit très bientôt, d'ailleurs, ou le livre manquera à son étagère. Prends-en soin et prends soin de toi.

Au moment d'abréger sa visite, Melvine adressa à Eleonara un sourire chaleureux, ombragé par un nuage d'incertitude. Compressée, sa bouche en cœur avait encore à communiquer. Elle ne put cependant qu'articuler :

— Adiutur, Bronwen.

 

Après l'envol de la Chouette, la recluse feuilleta les folios troués de sa pensée au-dessus du vieux grimoire qui se révéla être en partie un herbier. À la lueur frétillante de la chandelle, redessinant le contour des primevères, des jacinthes et des bourraches séchées avec l'ongle de son index, Eleonara songea à Hêtrefoux. Le mirage de ses gigantesques conifères et de ses odeurs imaginées se saisirent d'elle. Hêtrefoux, pays inné et illusoire auquel elle s'évertuait à croire. Songer à lui lui tirait le menton hors de son ennui mortel.

Dans une année ou dans mille ans, dans cette vie ou dans une autre, elle irait planter son talon dans la terre molle de la Forêt Maudite. Elle irait.

Lourdes, ses paupières se scellèrent sur ces promesses qui transcenderaient les siècles.

Eleonara se pencha en avant et s'imprégna des vestiges de fragrances attrapés dans les carcasses florales.

— Atchoum !

La poussière sur la couverture explosa en nuage et se ventousa sur sa langue, dans ses narines et aux coins de ses lèvres.

Melvine lui avait souhaité de ne pas perdre espoir. Combien en possédait-elle en réserve, exactement ? Avec la nuit tombante en plus, l'elfe se sentait pareille à du verre, pareille à du papier à l'encontre d'une flamme.

 

Lorsque la clarté nécessaire à la lecture lui fut dérobée – elle avait soufflé sur la mèche par inadvertance – Eleonara sut : l'heure des craintes et des cauchemars, où le silence se changeait en aiguille, était venue.

Ce cellier était si sombre, bien plus sombre que la prison. Qu'allait-on faire d'elle ? Elle se grignota les ongles, puis, quand il n'y en eut plus, elle passa à la peau morte. En prison, au moins, on ne l'avait pas encombrée de chaînes ; maintenant, au moindre mouvement, leur tintement lugubre la surprenait. Elle tremblait et les boucles rouillées tremblaient avec elle...

Ses muscles abdominaux pulsaient. Sa sueur rafraîchissait trop vite. Aussitôt qu'elle fermait les yeux par défense, elle devait se battre pour ne pas rendre son dîner. Des cris d'agonie résonnaient dans sa cavité crânienne. Des lignées de pins nus se moulaient sur les parois grises. Des marées noires les escaladaient, avant de piquer vers elle avec des grimaces monstrueuses.

 

Il en fut ainsi pour de nombreuses nuits, où il lui semblait tarauder des souvenirs dont elle n'avait pas connaissance. Mais un soir, une ombre amena une voix, féline et roulante.

— Salutations, incarcérée.

Ayant perdu la notion du temps, Eleonara manqua de se décrocher un poumon. Trop occupée à contempler son dernier beignet avant de le dévorer, elle n'avait entendu personne pénétrer l'aile désaffectée. Inspirant la goutte à son nez, elle cligna dubitativement des yeux, ancrés dans leurs cratères violacés. Une autre apparition ?

L'Opyrienne, la contemplant depuis l'ouverture du clapet, convertit son poing en socle pour sa joue. Bien qu'elle se situât plus bas, elle réussissait à prendre la captive de haut, camouflée dans un fond qui mariait le ton de sa peau. Elle déclama d'un air rêveur :

Il n'y a pas quatre chemins qui mènent à la furie. Ça commence toujours par une blessure. Explique-moi quelle utilité a ta rage, si tu ne la pousse pas jusqu'au bout ? Pour la durée d'un souffle, n'avais-tu pas envie de mettre le feu au monde, de tout annihiler ?

Ces questions existentielles ne furent flattées que par les décuplements de leur écho. Face au mutisme inébranlable de sa disciple improvisée, la femme de sable pinça ses lèvres tatouées. Les pauses philosophie, avec elle, c'était sérieux.

— Tonnerre, fille ! rugit-elle soudain. À quoi bon se venger à moitié pour subir la totalité du châtiment ?

Des remontrances, Eleonara en avait eu en abondance. Pourquoi tant de colère ? disait Melvine. Pourquoi si peu de haine ? disait Sebasha. Et ça, c'était sans mentionner les représailles de l'Abbesse et des sept autres supérieures. Depuis son enfermement, elles n'avaient cessé de l'embêter avec d'interminables interrogatoires. Eleonara pouvait être fière : même sous pression, elle n'avait pas soufflé un mot contre les Nordiques.

— Vous me cassez les oreilles.

Dans un état d'esprit normal, jamais l'elfe n'aurait osé cet affront. Seulement, elle n'en pouvait plus. Il y avait assez de voix à écouter dans sa tête comme ça, merci beaucoup. La Chevaucheuse de dunes aurait mieux fait de s'en aller ; narguer une résidente des oubliettes n'était pas la plus fine des idées.

— À quoi bon se venger à moitié ? Eh bien, ça saute aux yeux : pour meurtre, mon corps aurait refroidi au bout d'une corde et non pas dans un placard de pierre.

Sebasha se grandit, dépliant sa colonne vertébrale un instant, avant de replacer son visage devant le clapet. L'elfe, elle, se terra dans un silence millénaire, éludant la question qu'elle trouvait incongrue. Un croissant de lune incandescent s'illumina chez l'Opyrienne, qui explosa de rire. Son ricanement d’hyène propagea un désagréable frisson dans la moelle de la recluse.

— Celle que tu as agressée est surnommée l'enfant du Don'hill, pas vrai ?

Comment l'étrangère l'avait appris, Eleonara n'en avait aucune idée. Même parmi les nonnes, cette rumeur n'était pas répandue. D'ailleurs, sans l'aide de Sœur Melvine, l'elfe ne l'aurait probablement jamais su. Les connaissances de Sebasha se révélèrent bien plus vastes :

— Savais-tu, en t'en prenant à Sœur Agnieszka, qu'il s'agissait de la fille de la matriarche ?

Eleonara manqua de s'étouffer sur sa langue sèche.

— Agnieszka est la fille de l'Abbesse ?

Elle dut tousser pour éclaircir sa voix enterrée. Nez de Cochon n'était donc pas l'enfant cachée de n'importe quelle nonne. Agnieszka, cette vaurienne, la progéniture même de Sœur Louve !

— C'est exact, observa la Peau Sombre d'un air blasé. Admirables, les vœux de chasteté.

— Comment...

— Un moine, un sergent, que sais-je ?

— Non, je veux dire, comment le savez-vous ?

— Oh, chantage, menaces, peu importe. J'ai mes moyens. Extorquer des prudes travesties en saintes ne viole aucun de mes scrupules, servante de Diutur.

Ses prunelles se levèrent, brillantes comme celles d'un chat dans la nuit.

— Parmi elles, il y a toi. Tu manifestes quelques difficultés à garder ton déguisement, je dirais.

L'elfe ne daigna pas hisser son regard. Le fait que le sujet conversation convergeât sur elle ne la rassurait guère. À quel déguisement se référait Sebasha, précisément ?

— Un petit oiseau m'a informée de ta familiarisation avec les Mikilldiens. Non, le formuler ainsi serait mensonger. Tu t'es trahie toute seule devant un réfectoire plein. Le nies-tu ?

— Non.

— Bien. Les Mikilldiens, ces pauvres diables, ont le malheur de se torturer l'esprit pour la moindre broutille. Ils n'oublient rien et écrivent sur la peau de leurs enfants les rancœurs de leurs aïeux. Ils se souviennent de chaque insulte, de chaque trêve trompée et de chaque faveur rendue. Comme s'ils étaient restés coincés dans l'Ancien Temps.

Sebasha se mit en tailleur, à croire qu'elle se préparait à méditer. En réalité, elle guettait la réaction de la recluse. Quand aucune réponse ne vint, elle reprit :

— Tu as gagné leur respect. Le cadet est facile à impressionner ; le fonctionnement de l'aîné dépasse mon entendement. Toujours est-il que, d'une manière ou d'une autre, tu es alliée aux Barbares et je désire connaître les appuis de cette alliance. Je ne suis du côté de personne, mais je ne suis certainement pas contre eux. Alors, servante de Diutur, éclaire-moi.

— Ça ne vous regarde pas, articula Eleonara sans une once d'émotion.

— Ça, tu n'en sais rien, fit la Peau Sombre avec un rictus espiègle, avant de passer à toute autre chose. Nonne, notre échange se termine ici. Je t'adresse mes adieux et mes vœux de survie pour cette année qui vient. Ma volée part en mission après-demain.

— Quoi ? Déjà ?

Personne n'avait averti Eleonara du départ des nouveaux moines armés. Ils délaissaient souvent l'abbaye pour des exercices de plusieurs jours, voire semaines. Là, c'était différent. Il s'agissait de la mission examinatrice, celle qui déterminerait qui serait adoubé ou pas. Flanqués de leurs adjuvants convers, les moine-soldats seraient envoyés en Opyrie pour affronter leur épreuve décisive qui se subdiviserait en plusieurs étapes, dont une consistait en la traversée de la vallée du Rêve, une rivière qui menait vers le Sud. Leurs aptitudes seraient remises en cause et leurs limites, testées. Le Don'hill ne reverrait ses oisillons qu'à la cérémonie d'adoubement, lorsque la mission aurait été accomplie avec succès.

Une saveur âpre traînait sur la langue d'Eleonara. La cuvée de Rikard, Errmund, Sebasha, Sgarlaad et Agnan avait touché la fin de sa formation d'une année et demie. Un éclair chimique zébra sa poitrine. Deux ans, elle avait vécu entre les Crocs des Dragons, la muraille naturelle de l'abbaye. Depuis quand l'avait-on cloîtrée dans la tombe murale ? En calculant, l'envie de vomir la saisit à la gorge.

— Une ultime chose, exigea Sebasha d'Éméride sans se douter de l'écœurement abyssal qui foudroyait la prisonnière. Ton nom. Tu ne me l'as jamais confié.

Eleonara inspira fort par le nez.

— C'est Bronwen.

— Enchantée, Bronwen, si c'est ainsi que l'on t'appelle. Tu n'es pas faite pour le couvent. L'air périt, ici. Même si les nonnes te libèrent, qu'en espérer ? Lequel des deux est pire : être enfermée ou se croire libre ? Je voudrais le savoir. Tu me conteras ton expérience à mon retour.

L'Opyrienne n'avait pas totalement tort. Le sort d'Eleonara se jouerait à la fin de sa période d'expiation et il n'y avait pas plus d'espoir de ce côté-là, car on l'expulserait sûrement des rangs monastiques. Ou alors on attendrait sagement que sa chair séchât sur ses os et qu'elle se pétrifiât comme un lombric au soleil. La réclusion lassait certes ses séquelles, mais elle maintenait Eleonara en vie, d'une certaine façon.

L'elfe se souvint alors de l'entretien des sergents et de l'Abbé, ainsi que des avertissements qu'elle n'avait pas pu faire parvenir aux Nordiques.

— Être enfermée ou se croire libre, répéta-t-elle. Tout se résume à ça, parce qu'il en va de même pour vous.

Sebasha d'Éméride n'exécuta aucun mouvement sinon épingler sa lèvre charnue sous sa narine. Eleonara poursuivit :

— Avant d'être enfermée, l'Abbesse m'avait confié un deuxième devoir : celui d'espionner une conférence entre les dirigeants de la Confrérie. Vous devriez faire attention, car les sergents veulent se débarrasser des étrangers du Don'hill, sans encore savoir comment. Vous ne serez plus libre. Ils n'ont aucune intention de vous adouber.

Sebasha ne réagit pas avec autant de vivacité qu'à l'accoutumée.

— Je m'en doutais, admit-elle très bas. Derechef, tu m'informes sagement, novice. Je suis triplement endettée envers toi. J'espère un jour te rendre la pareille.

— J'ai une faveur à vous demander.

— Nomme-la.

— Pourriez-vous prévenir Agnan et Sgarlaad, s'il vous plaît ?

— Je le ferai.

La silhouette féline courba alors la nuque en guise d'adieu et, juste avant qu'elle ne rabattît le clapet, elle découvrit ses dents pointues, éclatantes à se demander comment elle inventait le temps de les garder aussi propres.

— L'année à venir promet d'être palpitante. À nos futures retrouvailles, donc, petite prisonnière. D'ici-là, pour l'amour de tes dieux, évite de te faire pendre.

 

Les heures à nouveau s'égrenèrent. La nuit s'épaissit, le jour perça avant de chuter encore une fois. Pendant ce temps, son œil restait ventousé aux rainures des murs ; Eleonara ne le décolla qu'à l'écoute de pas anxieux. Ses oreilles se hissèrent. De la visite.

— Psst !

Deux yeux globuleux luisaient par là où on lui glissait sa nourriture.

— Agnan ?

— Tout le monde s'attarde aux festivités, bafouilla le garçon. J'ai profité pour leur fausser compagnie. Mme Sebasha m'a transmis ton avertissement, c'est grâce à elle que j'ai su où te chercher. Personne ne sait que je suis ici, mais je dois faire vite. Tiens, ceci est pour toi.

Des doigts en brindilles poussèrent une sorte de cercle en métal par la fente. Intriguée, Eleonara pesa le sou géant dans sa paume. Ronde, griffée, épaisse, de la taille d'une petite assiette : c'était une boucle de ceinture avec une grande flèche et des symboles abscons poinçonnés sur sa surface. L'elfe se souvint que Sgarlaad en portait une semblable, voire identique avant d'entrer au Don'hill.

— Cette parure vaut la peau des fesses. C'est un joyau familial transmis de génération en génération. Un artefact qui remonte à des siècles. Garde-le précieusement, il s'agit de sa... ma possession la plus chère. Si un jour, tu désires nous retrouver, sers-t’en. Montre-la à qui en arborera une similaire et évoque nos noms.

L'elfe dévisagea Agnan comme un moineau désorienté. Qu'entendait-il par « nous retrouver » ?

— Te voir en ce lieu qui pue le vomi me fiche les écrouelles, poursuivit le jeune Nordique, de plus en plus pressé. Je les secouerais toutes, ces religieuses, si je le pouvais ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu t'es battue avec l'une de tes consœurs, non ? Parce qu'elle t'a vue en compagnie de Sgarlaad et s'est inventée toute une histoire ?

La prisonnière baissa les yeux, honteuse de sa misère.

— Je suis désolée. Je suis sûre que les sergents ne vous laissent plus respirer à cause de moi.

— C'est vrai qu'ils nous ont questionnés et nous ont menacés de toutes les peines. Par chance, l'Abbé et Tomislav étaient de notre côté.

— L'Abbé vous a défendus ?

— Oui, ça m'a étonné, surtout qu'il s'est vraiment donné de la peine. Il s'est plaint aux supérieures que les novices sortaient souvent le soir pour aller là où elles ne devaient pas et qu'il fallait toujours les raccompagner. Puis il a attesté que Sgarlaad, en t'apercevant seule dehors au milieu de la nuit, t'avait reconduite au couvent, avant de l'informer de la situation. Je sais, ça ne t'innocente pas. Et même avec l'intervention de l'Abbé, je ne sais pas trop ce qu'il va se passer avec nous.

Agnan se tut et saisit le poignet d'Eleonara à travers la fente. Il le pressa à le lui pulvériser.

— J'ai l'impression de t'avoir rencontrée hier, dans ce relais à Franc-Boise. Je t'ai retrouvée ensuite sous un buisson et une averse torrentielle. Tu te souviens ?

Eleonara fit oui de la tête. Oui, elle s'en souvenait, mais si Agnan devait bientôt partir, elle ne pouvait pas s'offrir le luxe de s'attarder sur le passé.

— Dis-moi : depuis combien de temps suis-je ici ?

Agnan la lâcha, surpris.

Eleonara avait ruminé son horreur des soirs et des soirs durant, sans parvenir à l'assimiler. Elle devait l'entendre d'une bouche familière. Il lui fallait la certitude.

— Depuis six semaines et quatre jours, souffla le garçon en secouant sa tête tondue de près.

Six semaines et quatre jours dans l'obscurité, à manger du pain durci et à boire de l'eau opaque. Six semaines et quatre jours, laissée à s'avarier comme une moisissure, à se recroqueviller, à se déformer, à pâlir, à mousser et à crever. Six semaines et quatre jours dans le noir ! C'était à humer les frontières de la santé mentale.

— Tu vas me manquer, dit Agnan pour changer de sujet. Et à Sgarlaad, tout autant. Il n'a cessé de me rebattre les oreilles avec cette histoire de cahier. Il cherche continuellement à se justifier. Il te prie d'essayer de ne pas le détester, aussi. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais voilà, le message est transmis. En tout cas, je fais le vœu que le temps vole en un battement de cil, pour que nous puissions nous rencontrer à nouveau très, très bientôt.

Ses mots secouèrent Eleonara. Elle avait été jusque-là englobée d'une pellicule isolante, mais cette remarque avait fait éclater sa bulle et l'avait tirée de son nuage pluvieux.

C'est alors que des pas résonnèrent derrière eux. Agna tiqua et bondit. Une ombre coula sur le seuil de la porte. En voyant celle-ci s'allonger indéfiniment, Eleonara sut qu'ils n'avaient rien à craindre, mais seulement parce que l'obscurité masquerait les rougeurs de son embarras.

Sgarlaad apparut et chuchota :

— Agnïnwur, c'est l'heure.

Agnan accourut vers lui, non pas pour le rejoindre mais pour l'attirer vers la tombe murale.

— Viens dire au revoir à Bronwen.

— Je ne crois pas qu'elle...

Agnan tira Sgarlaad de force et l'obligea à s'accroupir et à regarder par le clapet.

Sgarlaad se racla la gorge. En apercevant sa peau martelée et sa barbiche dorée, Eleonara retint son souffle. Si les yeux d'Agnan brillaient, les siens étaient pareils à des billes mortes dans un corps en vie.

— Tu as beaucoup de gaz maléfique enfermé en toi.

— Bonjour le tact, marmonna Agnan et se détournant, une main plaquée sur son front.

Eleonara fronça les sourcils.

— Du gaz maléfique ? Euh, quoi, comme des gaz piégés ? Des flatulences ?

— Je parle de colère.

— Oh.

— Frapper des choses ou des gens ne refroidira pas ta colère. Celui qui prétend ne jamais se fâcher est un sot, mais celui qui décide de ne pas se fâcher est un sage.

— C'est ce qu'on s'évertue à me dire, mais Rikard Methonel méritait son coup de poing. Quant à Agnieszka, elle a répandu des balivernes sur moi. Sur nous. Je suis sûre que vous avez entendu.

— Elle a donné naissance à des rumeurs. C'était puéril de sa part. Elle n'a pas compris ce qu'elle a vu alors elle l'a inventé. S'énerver, c'est la laisser gagner. Si tu l'avais ignorée, elle aurait été frustrée.

— Elle ne s'en serait pas tenu là. Qu'est-ce que j'aurais voulu lui peler la chair du visage !

Sgarlaad soupira. Maintenant que les vannes de son mal-être avaient été ouvertes, Eleonara laissa libre cours à ses mots, gouttes se déversant directement depuis son âme.

— Depuis toujours, on manigance derrière mon dos, on me cache des choses, on me marche dessus. Et moi, comme une faiblarde, je ne peux rien y faire, je ne peux pas me défendre, je ne peux qu'être d'accord. Toujours. Mais moi, j'aimerais tellement me venger, montrer à tous ce que c'est de se sentir inférieur à un cafard. J'aimerais tant me venger. Oui, me venger. Les voir souffrir, eux aussi pour une fois, comme ils m'ont fait souffrir, moi ! Et leur cracher dessus.

— Qui sont-ils ?

Les larmes lui montent aux yeux, elle se pinça les lèvres et sa voix trembla :

— Tout le monde, répondit Eleonara sans réfléchir. Vous aviez raison. Je ne suis que le jouet des nonnes. Elles feront de moi ce qu'elles entendent. Je suis coincée ici. Je suis damnée.

Elle tourna brusquement la tête pour sangloter.

— Donne-moi ta main, Bronwen.

L'elfe cligna des yeux pour chasser ses larmes et considéra l'ex-Sylvain. Elle vit qu'Agnan en faisait de même, partageant sa surprise.

Lentement, elle éloigna sa main gauche de son torse et déplia ses doigts avec difficulté. Depuis que la flèche d'un braconnier la lui avait traversée, elle ne lui répondait plus aussi docilement.

Sgarlaad serra son petit poing dans le sien. Au contact de sa peau tiède et au milieu de son engourdissement, Eleonara crut reconnaître une braise de chaleur sous son sternum.

— Nous allons partir en mission demain. Quand nous aurons terminé, si tout se passe bien, nous reviendrons ici pour la cérémonie. Alors, si tu es d'accord, nous voudrions t'emporter avec nous et t'emmener dans un lieu où tu seras sauve. Je ne peux pas te promettre que ça fonctionnera, mais je peux te promettre qu'Agnïnwur et moi ferons tout notre possible pour te tirer de là.

Agnan tapota Sgarlaad sur l'épaule comme un chasseur rendu pantois par les exploits inespéré de son chien le plus mou.

— Ouah, Sgarlaad, j'aime beaucoup cet élan de spontanéité en toi ! Vraiment, tu m'époustoufles ! (Il cracha par terre.) Ouep, tu l'as entendu, Bronwen, c'est promis juré.

Eleonara se retenait de pleurer. Les crépitements des braises entre ses poumons s'étaient changées en huées d'incendie. Si elle voulait pleurer, ce n'était pas de tristesse, ni de douleur, ni de peine, mais d'un bonheur tel qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Il la voulaient à leur côtés. C'était simple, c'était bête, mais c'était grandiose, aussi.

— Nous devons y aller, affirma Agnan avec une voix fluctuante. Ne nous oublie pas, d'accord ?

La joie de l'elfe se teinta alors d'une mélancolie aigre-douce. Agnan et Sgarlaad allaient disparaître pour de nombreux mois. Le premier ne la ferait plus rire, le deuxième ne s'essaierait plus au luth et ne la mettrait plus dans l'embarras. Voulï n'essaierait plus de la mordre.

Face à cet adieu imminent, elle se retrouva esclave de ses lacunes en matière d'éloquence. Sa toile de combinaisons cérébrales travaillait et pourtant le résultat était intraduisible en paroles. Quelle était la meilleure façon de dire au revoir ? La stupidité de sa question lui remonta par le nez comme de l'hydromel bu trop vite. Sans contrôle sur sa mandibule, elle s'entendit dire :

— Même si je voulais vous oublier, je ne le pourrais pas.

Les pupilles d'Agnan et de Sgarlaad s'élargirent, s’approfondirent, s'ouvrant comme de minuscules lucarnes donnant sur l'âme. C'était donc ça, la mare sans fond des humains. Étrangement, cela n'avait rien de vide ou de lugubre, tel que l'avait décrit la Dame. Agnan avait une mare plutôt accueillante, et sans doute que Sgarlaad aussi, si la taille de ses yeux avait permis de l'entrevoir.

Un sourire amusé arrondit les pommettes rouges de l'adolescent.

— À bientôt, j'espère. Et n'oublie pas d'apprendre ton vocabulaire. Cadeau de Sgarli et moi. Allez Sgarli, ne sois pas timide.

Sur ce, Sgarlaad glissa autre chose par le clapet avec un « À bientôt ». En vitesse, les Nordiques s'inclinèrent, un poing pressé contre leur clavicule. Une porte crissa ; leurs pas hâtifs et empotés se firent de plus en plus distants.

Figée contre la paroi de la tombe murale, Eleonara attendit le retour du silence, avant de tâter son cadeau. Dans l'abîme de sa solitude, elle sourit.

Des feuilles et du matériel à écrire.

Elle alluma une bougie offerte par Melvine et la coinça entre les dalles pour la faire tenir debout. Elle cala une plume entre ses doigts, la mouilla dans le petit encrier et la passa sous son menton, pensive.

Comment ça allait, déjà ? Ah oui : blothagren, blothagris, blothagrech, blothagrë...

 

Au matin, un hymne lointain, morne et monotone la tira de sa mort éphémère.

 

Honneur !

Bouclier de ma destinée,

Muse délivrant de l'insensé,

Sur le cœur je te porte,

Fièrement, je t'escorte.

 

En se frottant les yeux, la pénitente découvrit un cercle imprimé sur la chair de sa poitrine. Son cœur avait été estampillé par les ornements de la boucle de ceinture mikilldienne, à croire qu'elle l'avait serrée contre elle comme une poupée. La fleur jaune, le flacon de l'alchimiste et maintenant cette boucle de bronze : Eleonara cédait aux fétiches la place que les gens réservaient à leurs proches.

En repensant à sa collection de trésors, l'elfe se mordit les doigts. Le flacon et la fleur, elle les avait laissés dans son oreiller ; si les nonnes fouillaient sa cellule, il ne leur faudrait pas une heure pour les dénicher et les lui confisquer !

Installant ses os un à un dans une position assise, Eleonara pressa ses paupières l'une contre l'autre. Elle ne pouvait rien y faire. Plus maintenant.

Elle se laissa porter par l'harmonie des voix. Se dépeignirent alors sous son fin écran de peau les dernières salutations des moniales, complimentées de signes de main solennels.

 

Honneur !

Au premier tambour, je naîtrai,

Au son du cor, je vivrai,

À toi, au conflit des lames,

Je dédierai mon âme.

 

Les montures renâclaient et mâchaient leurs mors avec ferveur. Les drapeaux gris flottaient dans le vent matinal, les casques étincelaient au contact des fraîches caresses du soleil blanc. Le refrain, repris encore et encore, rythmait les pas des destriers. L'elfe s'imagina seule derrière les nonnes regroupées, les unes en prière, les autres fêtant le départ de l'Opyrienne. Avec la distance, les silhouettes des moines-soldats et des convers prenaient des allures de centaures, nombreux et identiques. Ils disparurent derrière les Crocs à l'instant où la brise ravissait leurs voix. Bientôt, ils seraient accueillis par des terres orangées et arides, ainsi qu'un astre de plomb.

La sérénité et le silence regagnèrent le plateau perché au-dessus des falaises. Il semblait que le temps avait arrêté de tourner.

Sœur Agnieszka commença à geindre pour Rikard. Ses hoquets et sanglots imaginés ramenèrent Eleonara au ici et maintenant, au sol glacé de sa prison.

 

Ils étaient partis pour de bon.

 

 

 

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Isapass
Posté le 31/01/2020
Pfiouuuu il est dur, ce chapitre !! La punition est carrément inhumaine ! Elle est enterrée vivante !
Les visites successives, toutes très différentes les unes des autres, donnent à réfléchir et amènent de l'espoir en crescendo. Celle de Melvine est en demi-teinte : son discours est admirable et on perçoit toute la charité qu'il contient, mais Elé ne peut pas l'entendre (et moi non plus, par empathie !). Certes le pardon, c'est bien beau, mais on ne peut pas pardonner à l'infini et là, les nonnes ont mis la barre très haut !
Ensuite, les propos combatifs de Sebasha trouve plus d'écho, même à travers la sidération de Elé. Et elle lui dit qu'elles se reverront, on a très envie de la croire. Et puis, j'ai l'impression qu'elle estime beaucoup Elé, sinon elle ne se serait pas donné la peine de venir la voir.
Agnan, ensuite : là on fond ! Agnan c'est la sincérité, la chaleur, il n'y a pas de calcule ! J'ai bien aimé son lapsus à propos de la boucle de ceinture : si je comprends bien, c'est celle de Sgarlaad, pas la sienne ? Et aussi quand il dit que Sgarlaad n'arrête pas de lui parler du livre... mwooo <3
Et enfin, notre barbare préféré qui dit qu'il va l'emmener avec Agnan et lui ! Mais c'est dans si longtemps ! J'espère qu'Elé ne va pas rester enfermée tout ce temps !
Bon j'ai fait tous mes commentaires en retard et je vais donc m'empresser d'aller découvrir la suite, mais je ne te cache pas qu'à ce stade, je commence à redouter la fin de ce tome : j'ai pas envie que ça se termine ! Franchement, encore une fois, je suis bluffée par l'effet que me fait ton roman. Je crois que j'aime encore plus que le Bal aveugle et pourtant, je croyais pas que c'était possible !
Par contre, en termes de commentaire, j'ai vraiment l'impression de ne servir à rien : je suis trop en mode fangirl.
C'est plutôt sur de la syntaxe ou certaines expressions que j'aurais des remarques à faire mais comme je te lis sur téléphone, j'avoue que c'est un peu pénible de faire des relevés. Par contre, si tu veux, je peux faire comme pour le Bal aveugle et te faire une relecture sur ton fichier word.
Bon déjà je vais terminer de lire.
Merci pour ces très très bons moments de lecture en tout cas !
Jowie
Posté le 02/02/2020
Les nonnes se sont surpassées, là, c'est vrai :(( Toutes les différentes visites apportent des différents points de vue sur ce qui s'est passé et, comme tu l'as dit, amènent de l'espoir à Eleonara qui se rend compte que des gens tiennent quand même à elle !
Tu as bien compris, il s'agit de la boucle ceinture de Sgarlaad :D Sgarlaad a mal dormi à cause de ce cahier xD
Tu connais la suite (et la fin que tu redoutais tant ;) ), tu sais donc que tout ne s'est passé comme prévu mais que heureusement, Eleonara n'a pas été enfermée jusqu'au retour des soldats !
Ohh merci infiniment pour ce que tu dis sur ce roman <3 ! ça me va droit au coeur !! *Pendant ce temps, à l'arrière plan, les Pot-aux-Fous tabassent les personnages de Hêtrefoux* ça ne me dérange pas les commentaires en mode fangirl, c'est très drôle à lire xD
Je n'ai pas de doute qu'il y a plein de formulations bizarroïdes et de néologismes étranges que je n'arrive pas à détecter xD Merci encore pour ta proposition de relecture <3 Merci à toi de m'avoir lue et pour avoir commenté de manière détaillée !
Aliceetlescrayons
Posté le 20/06/2019
Aaaaaaaaaaaah!! Mais je suis folle de rage que les soeurs fassent subir ce traitement à Elé!! Mais si Agnieszka est la fille de Soeur Louve, je comprend carrément mieux!
Bon, je suis obligée de le dire : j'ai failli me mettre à pleurer pendant la scène d'adieux avec les nordistes. Bon sang, c'est juste bouleversant...
Une seule petite phrase sur laquelle j'ai tiqué : "camouflée dans un fond qui mariait le ton de sa peau" => "qui SE mariait avec le ton de sa peau"??
 
Jowie
Posté le 20/06/2019
Ouais, les nonnes (enfin, Soeur Louve) n'y va pas de main morte. Eh oui, le fait que ce soit Agnieszka n'améliore pas les choses. À vrai dire, je pense que ça faisait un petit moment que les supérieures la tenaient à l'oeil et ce petit scandale a fait déborder le verre !
J'assume complètement: la scène d'adieux entre entre Eleonara et les Mikilldiens se voulait...humide :D je suis comblée que le bouleversement d'Eleonara ait pu se transmettre à la lecture !
Et merci pour ta remarque, j'ai corrigé la phrase bizaroïde !
Allez, hop, on passe au troisième commentaire ! (tu m'as gâtée, là :D)
Sorryf
Posté le 11/06/2019
Pauvre Elé, quelle torture :-(
j'ai trouvé ce chapitre très touchant, Elé a des alliés, qu'elle le veuille ou non il y a des gens qui tiennent a elle. Et moi les gens qui sont de son côté, je les kiffe ! Melvinne est trop cool, j'adore qu'elle défende quand meme Agnieszka ! Sebasha est super classe et j'adore son attitude face à Eleonara ! Et bien sur, les Nordiques, bon là je vais rien te dire de nouveau. Ils sont juste trop mignons ! Il donnent des feuilles blanches c'est ça ? au début je croyais qu'ils avaient réécrit ensemble des mots pour qu'elle continue a apprendre, mais en fait c'est pour qu'elle puisse écrire-elle même on est d'accord ?
J'espère qu'ils vont revenir vite, je suis dégoutée qu'ils soient partis alors qu'Eleonara est toujours dans son trou :-( ça va être triste quand elle en sortira. Les soeurs ont bien du faire exprès de l'isoler jusqu'au départ de tout le monde, je pense.
Agniezska me fait un peu de peine avec son Ricky, je peux pas m'en empêcher
Jowie
Posté le 11/06/2019
Salut Sorryf :)
Torture, c'est le bon mot... Eh bien, moi c'est ton commentaire qui m'a touchée ! Oui, je voulais montrer que, même dans sa solitude la plus tangible et à son moment le plus bas, il y a quand même des gens qui tendent la main à Eleonara, de différentes manières. Malgré son voeu de discrétion, Eleonara a quand même marqué quelques esprits. Je suis contente que tu portes ses alliés dans ton estime, car ils prennent encore plus d'importance dans le tome 2 ^^ Je trouve tellement cool que tu apprécies ces personnages alors qu'ils sont tous si différents ! 
à la base, je pensais que les Nordiques donnaient des feuilles blanches à Eleonara pour qu'elle les remplisse de mots mikilldiens, mais ta remarque m'a fait réfléchir et au fond, je trouve plus chouette qu'ils écrivent quelques mots pour la lancer, en l'encourageant de continuer à remplir les pages :D
Quant à s'ils reviendront vite, tu le sauras très bientôt dans la suite :) Oui, ce n'est pas très drôle qu'ils partent à ce moment-là. Malheureusement ni eux ni Eleonara n'ont leur mot à dire... Et tu as bien vu, les nonnes ne font rien au hasard !
Et je vois que même Agniezska a gagné ton empathie, ouah !
Merci beaucoup d'être passée commenter ce chapitre :)
à bientôt et bonne semaine de scribouille !
Jowie
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