Scène XIV - Le silence qui voulait se faire oublier

 -  Quelle est votre couleur préférée, Monsieur l'antiquaire Julius ?

 -  Le brun clair, je crois. Ou le bleu foncé – peut-être. En revanche, pourquoi me demandez-vous... ?

Danaé balaya cette question inachevée comme ce caillou égaré sur le bitume, et tout deux ricochèrent jusqu'au coin de la rue. Satisfaite, elle reprit une gorgée chaude de sa bière :

 -  Pourquoi ces couleurs, dites-moi ?

 -  Euh... je ne sais pas ?

 -  Ah, cela est bien dommage, mon p'tit. Et moi j'sais donc que vous n'vous connaissez pas assez. Sacrément dommage, même...

 -  Et vous ?

L'allumeuse de réverbères tordit ses lèvres en une moue de guingois, charmante, boudeuse, rieuse et sceptique. Mousseuse aussi, en raison de cette tâche de bière abritée en son creux.

Tout cela à la fois.

Julius avait néanmoins appris à connaître Danaé sous l'adverbe « trop » et il ne s'émeut point de cette ribambelle de qualificatifs valables à son rictus. Il considéra au contraire ce spécimen comme d'accoutumée et en guise de réponse, entortilla sa bouche en un sourire amusé, simplement.

Un sourire illuminé par les lanternes des réverbères alentour.

Autour d'eux, la fête battait son plein dans un tourbillon de couleur, perruques, roucoulades, jupons et pieds pointus – un véritable cortège de joie et d'inconscience somme toute. L'air glacial se gorgeait des senteurs du sucre d'orge et de gaufre ; pétales et feuilles, les derniers régiments de l'automne, voltigeaient vertigineusement en son sein lourd et transparent. Lourd, en effet, c'était le cas de le dire : les bancs d'écoliers sur lesquels les citoyens étaient censés s'asseoir se renversaient tout autour du kiosque où Nix menait encore sa représentation. Elle chantait un peu faux, mais sa voix râpeuse se mêlait comme de l'eau avec son fluide déhanché. Des bouclettes nuageuses s'accrochaient à sa bouche taillée et colorée en cerise fort mûre.

Personne ne pouvait le contester en effet, sa danse éclaboussait le ciel de nouvelles étoiles.

L'Œil de la Lune n'en était pas peu fier.

 -  Le rouge peut-être, relança Danaé sans prévenir, avec sa voix grave qui couvrait toute autre. C'est une tambouille percutante, empreinte d'émotions si violentes qu'elles pourraient atteindre les gens au plus profond de leur cœur, voire de leur âme. Et les gens ont besoin d'être secoués. Ça casse pas trois pattes à un canard.

Elle éclata d'un soupir désemparé, ses taches de rousseur frissonnant au bout de son nez.

 -  J'ai l'impression qu'on n'agit qu'sur des coups de tête, d'nos jours. Soit des coups d'têtes, soit des routines. Mais mener une routine, n'est-ce pas déjà un horrible coup d'tête ? On mène des vies de bâtons de chaise, en même temps, des vies qui clament : « boulot, boulot, pognon, pognon ! » à tue-tête, jusqu'à nous assourdir tout à fait. Du moins, tels étaient les résumés des vies des membres de ma famille. Je n'ai jamais regretté ma fugue.

Sur ce, elle lapa bruyamment le contenu de sa chope, comme pour clore définitivement la discussion. Julius n'avait pas touché à la sienne, se rendant compte, lorsque Danaé la lui remit entre les mains, qu'il n'avait jamais bu une goutte d'alcool de sa vie. Et son instinct lui soufflait que la moindre once de cette substance le rendrait pompette.

Il se contentait donc d'utiliser cet encombrant récipient en réchauffe-mains.

 -  Vous avez l'air de bien vous connaître, pour argumenter de manière si explicite.

 -  Je réfléchis beaucoup ; autant pour moi, pour la vie, le monde, les gens. C'est épuisant. Harassant. Pas de bol pour ma tronche.

 -  Je comprends.

Ils se levèrent.

Julius aurait voulu ajouter quelque chose de plus intelligent, mais les mots se dérobaient à lui. Il ne savait les manipuler qu'à l'écrit, là où il pouvait mettre un certain temps avant de les poser soigneusement, avec la douceur de mère bordant son enfant au berceau. Son incapacité orale paraissait évidente, de l'extérieur ; au fond, pourtant, Julius scrutait son défaut avec ahurissement.

Danaé avait bien raison : il ne se connaissait que trop peu.

Il coula un œil vers son imposante personne, qui avançait avec une détermination tâtonnante parmi la foule en délire, une main engoncée aux abysses de sa poche de salopette – d'où jaillissait le baudruche malmené – l'autre enroulée autour de sa chope. Si le vent jouait de ses cheveux, il ne savait comment jouer de son sourire, taillé en roc au milieu de son visage.

L'allumeuse de réverbères était-elle d'une forte sensibilité ou d'une sensible force ? Julius l'ignorait. Il se sentait juste joyeux à l'idée qu'un tel caractère puisse se confier à lui, dont la maladresse, la réserve et l'obsession commerciale constituaient les plus grandes parties de sa personnalité.

Au fond de son regard, parfois, on pouvait percevoir le début d'une douleur. D'où venait-elle ? Qu'avait donc réellement vécu Danaé au cours de sa vie ? Ne lui avait-elle pas menti en assurant « ne jamais avoir regretté sa fugue » ? Le contraire serait étonnant. Elle avait dédaigné sa fortune, préférant la crasse aux soies somptueuses ; elle avait refusé cet argent gagné en ne faisant rien, pour faire quelque chose lui apportant si peu.

Julius aurait trouvé totalement naturel de ressentir une pincée de nostalgie. Regarder ses mains toute tachées d'huile, elles qui autrefois se gantaient quotidiennement de dentelle... cela ne nouait-il pas la gorge ?

Le binoclard marchait discrètement aux côtés de Danaé, avec une douceur qu'il espérait également réconfortante. Il se demandait si c'était agréable de sentir des petits pas copier les siens contre le bitume ronflant du sol, car recouvert de gel. La jeune femme, de toute manière, ne semblait pas s'en émouvoir.

Dès que la foule s'éloigna un peu, que la voix de Nix, au lieu de se faire frottement contre les vêtements, se fit caresse contre la peau, l'allumeuse de réverbères se hissa souplement sur un muret de coupole. Julius s'empressa de l'imiter ; l'eau qui tachait les trottoirs avait bien vite fait de lui bousiller ses nouveaux souliers.

Le derrière perché sur le rempart, ses longues jambes nerveuses pendues dans le vide, Julius ne sut soudain plus trop où poser le regard – s'il y avait un endroit où le poser en toute sécurité. Devant lui, il n'y avait rien, rien qu'un banc craquelé, rien que la coupole voisine aux dorures un peu ternies. A droite, c'était la fête, le mouvement et le rire gras – et c'était aussi ne pas regarder Danaé. A gauche, c'était justement Danaé, que Danaé ; avec ses pommettes hautes et fières, son unique dent de travers, ses tachettes maculant son nez, ce bouton rosé perdu dans les broussailles de son sourcil. Le tout enveloppé par la pâleur de sa peau. Le tout encadré par la noirceur de ses boucles.

Julius hésita, opta finalement pour la contemplation de ses pieds.

Il patienta sans faire un bruit. Il patientait en vue d'une exclamation de Danaé, d'une réflexion, d'une confession. Jamais il ne lui vint à l'esprit que c'était à lui, parfois, d'engager une conversation.

 -  Je crois que vous aimez le silence, Monsieur l'antiquaire Julius.

En un discret coup d’œil, le binoclard se rendit compte que la jeune femme avait de son côté opté pour le côté droit, un court instant – ce qui signifiait ne regarder que lui, uniquement lui – avant de remporter une œillade pensive au banc craquelé.

Il s'essaya à un pâle sourire, toujours en surveillant ses pieds. Tiens donc, d'où venait cette tache de boue sur sa chaussette ?

 -  Je chéris le silence, même. A force, j'en ai fait un allié, un appui. C'est très pratique, Danaé, une telle fidélité : il ne vient que quand vous le voulez.

Jouxtant les siennes, les vielles bottines de l'allumeuse de réverbères se mirent soudain à remuer.

 -  Dans une aut'e situation, à mon avis, j'aurais prétendu adorer le silence moi aussi. « J'lai dans mes bottes, dans ma peau, dans mon torchon de cœur », qu'j'aurai dit. En revanche, ce n'est pas tout à fait vrai. Le silence me fascine... et c'est tout. Peut-être même me terrifie-t-il, dans un sens.

 -  Pourquoi ?

Julius avait articulé cette question dans un souffle, un souffle bas qui lui valut pourtant un petit rond de vapeur condensé, d'espoir fantomatique, juste devant le nez. Il commençait prudemment à relever la tête.

 -  Le silence... Il nous suit partout, n'est-ce pas ? C'est un être malicieux, qui parvient à refaire jaillir des souvenirs, des... des... je ne sais pas. Des souvenirs. Et pas forcément très « grigris ».

 -  Je comprends.

 -  Non.

 -  Non ?

 -  Non, vous ne comprenez pas. Personne ne peut comprendre autrui. Seulement essayer et c'est pour ça que je vous suis tout de même reconnaissante : merci d'essayer de me comprendre. Plus banalement, merci de m'écouter.

Cette remarque peu commune tritura tant et si bien les méninges et la perplexité du pauvre Julius qu'il ne put s'empêcher cette fois de regarder à gauche – et ceci tout à fait, tout à fait.

Danaé, tassée sur elle-même, bras et jambes croisés, avait également le front parcouru de plusieurs petits plis, tous entassés les uns sur les autres. Ils fourmillaient, frémissaient, comme hésitants à fournir ne serait-ce qu'une misérable particule de vérité. Dévoiler un secret, quoi de plus compliqué ?

Julius, étouffant son soupir et sa nervosité, mordilla tout ce qu'il trouva à sa portée : les rebords gercés de ses lèvres, les coutures de ses gants, la laine de son écharpe. Il regrettait de n'avoir pas emmené avec lui un flacon d'émotions consolantes, anti-reniflements.

Le bruit de la fête, porté par le vent frais, ne semblait soudain plus trop adéquat à la situation, comme réfutant sa véritable destination, son vrai temps.

 -  Danaé, je, euh, je ne suis pas d'accord avec vous. De mon point de vue, je pense qu'on peut comprendre les gens, compatir réellement avec eux : c'est même une part de mon métier. Toutefois, dans la situation actuelle, vous avez raison. Je ne vous comprends pas... et je ne peux pas. Vous ne dévoilez pas assez pour que l'on s'ouvre à l'empathie. Et moi, vous savez, j'aimerais beaucoup savoir comment vous aider. Apprendre à vous connaître en dehors des surfaces.

Sa déclaration fut accueillie par un silence non pas adorable, cette fois, mais redoutable.

Comme le vent glacé qui rôdait dans l'avenue depuis six heures déjà, le silence s'engouffrait dans les vêtements – les gonflait, les dégonflait, et l'antiquaire fut soudain parcouru par l'impression de n'être plus qu'un baudruche raté. A ses côtés, Danaé démêlait quelques boucles récalcitrantes, le nez froncé, marmonnant un long juron incompréhensible.

« Incompréhensible », tel était également le mot qui tournait et tournait encore dans le cerveau las de Julius, justement : « Cette jeune femme était décidément incompréhensible ». A défaut de prolonger une hésitation stupide, il ne cessait de replier ses genoux contre sa poitrine pulsant, avant de les laisser tomber nonchalamment le long du muret. Il n'était pas démoralisé, car en fait trop fier d'avoir enfin réussi à parler. Il se sentait seulement nerveux, maintenant, terriblement nerveux. N'avait-il pas été trop insistant ?

Malgré le froid, une perle de sueur scintilla sur sa tempe. Il ôta ses bésicles embuées, les renfila aussitôt tant la morsure gelée des rafales lui dévorait les yeux.

 -  Julius...

Ce n'était plus un juron. C'était même un rire. Un joli rire grelottant, lorsque notre gorge est lourde, mais notre cœur léger. Se redressant sur une jambe, Danaé chanta de son rire de trompette, tira un peu sur l'écharpe du Julius demeuré pétrifié.

 -  T'es vraiment une drôle de soupière, toi.

Son demi-sourire lui croqua la joue gauche avec tel appétit que son œil s’en plissa presque tout à fait. Cette moue plut tant à Julius qu'il s'empressa de l'imiter.

 -  On rejoint la fête ?

 -  Ça marche. Mais pas trop longtemps, hein : j'ai tout mon univers spirituel à te faire découvrir, rappelle-toi. (son sourire engloutit sa deuxième partie de visage) Et à te faire comprendre.

 -  Le mien aussi, tu veux le comprendre ? se renseigna timidement Julius.

En échange de son audace, il reçut un coup de coude dans l'estomac :

 -  Évidemment, patate !

 

 

Julius n'avait jamais dansé ; Danaé n'aimait pas ça. Après quelques minutes passées à s'écraser mutuellement les pieds, les deux compagnons se tassèrent sur le premier banc venu, à bout de souffle, tant et si bien que ce dernier grinça de tous ses rouages.

 -  L'vie nous alourdit, Ju'. (Julius cligna des yeux. C'était la première fois que Danaé l'apostrophait de cette manière) Elle nous alourdit même drôlement. Ne pourrait-elle pas nous lâcher, parfois, un peu, l'temps de nous laisser respirer par nos propres moyens ?

L'antiquaire rit, et réalisa qu'il n'avait pas ri ainsi depuis longtemps. Ça détendait les muscles du visage, froissait les joues – nos cordes vocales étaient soudain amollies comme par un coton. Il s'agissait en fait d'une sensation délicieuse.

 -  J'aimerais bien que les pensées se prennent des vacances, aussi, confia-t-il une fois son éclat de joie brisé. Je les trouve souvent bien trop tranchantes dans leurs jugements.

 -  Tu as certainement raison.

Se félicitant intérieurement, Julius se retourna d'un mouliné de nuque vers l'allumeuse de réverbères, s'embarquant à grand peine dans l'édification tortueuse d'un chignon. Ses mèches étaient en fait tellement inégalées qu'à aucun moment il ne semblait possible d'empocher l'intégralité de ses boucles à la fois. Il en avait toujours une dizaine pour rebiquer, pour couler doucement vers ses joues. Et, par la barbe de Vulcain, quelle chevelure emmêlée, indomptable !

« Aussi indomptable que mes binocles », observa l'antiquaire en redressant les intéressées, tordues, comme à leur habitude, au niveau des ailes de ses narines.

 -  Vous voudriez boire ou manger quelque chose, Madame, Monsieur ?

 -  Euh... un... Un instant.

La domestique, parue subitement à leurs côtés, tirait tout contre sa poitrine une immense desserte dont on ne devinait plus que les roulettes tant la dentelle, la porcelaine, le métal et la nourriture l'emplissaient abondamment. Tandis que Danaé réfléchissait à la proposition, abandonnant sans regret son ébauche de chignon, Julius se fit une analyse rapide de l'individue.

Parmi les fêtards, on comptait deux sortes de domestiques : les jeunes femmes gracieuses, la bouche recourbée comme une épingle, aussi minces qu'une aiguille et habillées en cachemire ; et celles repassées par le temps, la voix aux roucoulades abîmées, les épaules carrées, la face rouge et élargie. Celle-ci appartenait sans aucun doute à cette seconde catégorie. Tout était arrondi chez elle : les yeux, les pommettes, le menton, la poitrine. Une vraie machine à s'emmitoufler. Ne rester plus qu'à savoir si les meringues qu'elle vendait étaient aussi moelleuses que son tempérament.

 -  J'aimerais un bout de meringue, s'il vous plaît, demanda Julius en s'appliquant pour ne pas bégayer. Et... ? Non, non, rien à boire, rien du tout – j'insiste.

L'allumeuse de réverbères avait déjà bu pour lui sa chope de bière, révoltée à l'idée que depuis tout ce temps, Julius n'y avait même pas avalé une goutte. Quant à son motif, elle avait tout simplement éclaté de rire.

 -  Et vous, Madame... ?

Danaé se rétablit droitement sur le banc, comme une écolière voulant faire fière allure face à un professeur. A la lumière de l'Œil et des étoiles crevant le ciel, son sourire, agrémenté d'une pipe et d'une dent de travers, paraissait plus que jamais éblouissant.

 -  Je souhaiterais une flûte de champagne, s'il vous plaît (elle cueillit l'heureuse élue sur la desserte puis, se retournant vers Julius :) Je n'aime pas trop ça, le champagne, ça a trop le goût de la vie.

 -  Et tu aimerais bien que la vie te foute la paix, parfois.

 -  Voilà.

 -  Pourquoi en prends-tu alors ?

Danaé crocheta ses phalanges autour du pied de la flûte, plongea son nez, sa bouche, dans son contenu doré. Durant tout le temps de sa longue gorgée, elle semblait méditer et choisir les bons termes afin d'épicer sa réponse.

 -  Parce que la vie, c'est comme certains sourires : elle est irrépressible. Le champagne, lui, me donne l'impression de boire un échantillon de vie. Or, cette boisson... tu peux très bien la contrôler. En buvant du champagne, ne contrôlais-je donc pas un morceau de mon existence ?

Cette fois-ci, Danaé se trouvait à sa droite, et non sa gauche. Julius haussa les épaules, les yeux d'abord portés sur ses doigts poudreux et sucrés de meringue, puis ils redessinèrent lentement le chemin de la domestique dans la foule qui, toujours escortée de son inséparable desserte, ronchonnait inexplicablement.

Le vent était peut-être un peu moins fort dorénavant – apaisé par le soir – or il y avait encore de longues tignasses pour s'envoler, onduler comme des flammes dans l'air trop court ; d'incroyables robes pour s'élever en étoiles ; des escarpins bondissants pour oublier le bitume ; des cœurs assez tendres pour goûter à l'obscure eau du ciel, éventés, éventrés en leurs abysses, calmes comme des ruisseaux.

 -  Pourquoi le silence te terrifies-tu, Danaé ?

Il avait asséné sa question sans préambule. Comme l'aurait fait la concernée.

Danaé recracha aussitôt sa goulée de champagne dans la flûte, contempla d'un œil sombre la substance en or terni puis la ravala cul-sec, faisant valser le verre un peu plus loin. Il se brisa comme un éclat de rire. Son regard, lui, ne valsa pas en même temps que la coupe : il s'enracina dans celui de Julius.

Se ficha avec la précision d'un stalactite.

Et le malheureux Julius ne sut comment réagir, tordant et retordant ses mains, croisant et décroisant ses jambes. Si l’œillade de Danaé semblait indubitablement vissée à la sienne, la sienne cherchait à fuir, se raccrochant désespéramment aux lampions fixés au kiosque, aux volants fixés aux robes, aux rosiers tordus sur les façades.

En vain.

 -  Je vais te dire quelque chose, monsieur l'antiquaire Julius. « Le-pot-aux-roses » de mon existence. « Le pinard moisi » qui fait que.

 -  Ah.

Le binoclard ne savait quoi ajouter. Danaé, projetée parmi les ombres de la nuit, prenait des allures, des couleurs quelque peu inquiétantes. Ses bouclettes mouillées de sueur dansaient et mordaient ses tempes, ses joues, sa nuque comme des serpents noirs et venimeux. Son impressionnante armée de cils assombrissait l'intérieur de ses yeux. Il lui semblait même que son nez lui souriait, malsain avec les petites dents noires qui l'emperlait sinistrement.

 -  Ai-je le droit à un avant-goût de ce secret ? Histoire de me préparer psychologiquement ? insista-t-il après une interminable hésitation, alors qu'elle l'entraînait de nouveau du côté du muret.

 -  Non, oui, peut-être.

Elle souffla ou soupira dans ses mains – la seule chose dont Julius fut sûr, c'est que cela fit le bruit d'une rose qui fane. Il ne pouvait en effet être sûr de quoi que ce soit, Danaé lui tournait obstinément le dos.

 -  J'ai eu un fiancé, tu sais. Et si t'aurais vu sa tronche d'île-flottante ratée crois-moi, toi aussi aurait connu l'horreur d'un silence.

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noirdencre
Posté le 08/12/2021
Des échanges faussement légers, mais tu abordes plein d'aspects très profonds des relations humaines! J'aime bien les laisser entrer en moi et faire leur petit écho. On peut les voir comme des vérités, ou des confidences.

PS: baudruche est un mot féminin.
"Pourquoi le silence te terrifies-tu" c'est plutôt "Pourquoi le silence te terrifie-t-il" (car c'est "il te terrifie")
Pluma Atramenta
Posté le 10/12/2021
Merci encore et infiniment pour le temps que vous accordez à cette histoire...
Zosma
Posté le 01/11/2021
Hello !

Décidément, c’est toujours un plaisir de lire tes mots et de retrouver tes personnages
J’adore le rapprochement de Julius et Danaé qui se fait tout en douceur. C’est gênant et touchant en même temps, on sent bien toute la nervosité de Julius qui a juste du mal avec les interactions sociales et je fonds dès que Danaé vient bousculer ses habitudes haha
J’ai l’impression que la suite va creuser un peu plus le personnage de Danaé et j’ai hâte de voir ça <3

Bref, c’est toujours aussi bien ! (et tu peux être fière de ce que tu as créé)
Pluma Atramenta
Posté le 02/11/2021
Coucou Zosma !

ça fait plaisir de te revoir par ici ^^ A quand le prochain chapitre de Chapelière ?
Tes mots, comme d'habitude, me touchent beaucoup, beaucoup... Je suis tellement fière dès qu'on aime cette histoire qui, mine de rien, m'a donné et me donne encore du fil à retordre.
Haha, je suis une tombe pour ce qui concerne la suite, mais j'espère du fond du cœur que celle-ci te plaira :)

"et tu peux être fière de ce que tu as créé" Alors là... J'ai pas les mots, juste les larmes <3

Bonnes inspirations à toi,
Pluma.
Zosma
Posté le 02/11/2021
Ow je pensais pas te toucher à ce point mais en même temps quand c'est trop bien il faut le dire <3
Et impossible que la suite me déçoive, im-po-ssible :p
(de mon côté je croule sous le travail donc pas vraiment le temps d'écrire malheureusement)
dodoreve
Posté le 21/10/2021
Coucou Pluma <3
Cette discussion ne finissait pas de me surprendre, malgré toutes mes attentes. Je trouve qu'on plonge dans la profondeur de Danaé avec ce chapitre, Danaé qui reste très franchouillarde et les doigts plein de suie, mais Danaé qui regrette, ne regrette pas ? Je serais encore incapable de savoir ce qu'il en est, et c'est un beau signe. D'ailleurs Julius résume à merveille les questions qu'on se pose en la rencontrant une nouvelle fois, encore une fois, mais un peu plus personnellement que sous sa façade : "une forte sensibilité ou d'une sensible force ?" J'ai adoré <3
Je m'étonne un peu que Julius, qui s'étonne que Danaé l'apostrophe comme "Ju" mais qu'il ne s'étonne pas qu'elle se mette à le tutoyer ? Lui qui se perd dans ses pensées.
Et ces pensées ! Les descriptions sont un plaisir, y compris celle de la domestique : "Tout était arrondi chez elle : les yeux, les pommettes, le menton, la poitrine." C'est un peu idiot et absurde, mais je l'imaginais avec un joli petit chapeau rond, un peu melon, avec ces descriptions. Pourtant ça ne colle pas à son activité je crois, mais je ne sais pas, j'ai eu cette sensation en la lisant : chapeau melon.
J'aime beaucoup aussi la discussion que Danaé et Julius ont à propos du fait de comprendre les autres ou non. Et ça permet de se rattacher au fil des émotions, que j'aime tant lire sous son œil d'antiquaire.
La fin me fait un peu peur, comme un goût amer qu'on n'attend pas forcément d'un fruit doux et sucré, mais je ne peux que me réjouir de voir Danaé dans toute sa complexité si le prochain chapitre l'expose entièrement.
Merci pour ce chapitre et au plaisir de lire la suite, comme toujours <3

"il se s'émeut point" ne*
"les citoyens étaient sensés" censés* ?
"tant la dentelle, la porcelaine, le métal et la nourriture l'emplissait abondamment." l'emplissaient ?
Pluma Atramenta
Posté le 24/10/2021
Coucou Dodoreve <3

Je suis contente que tu apprécies Danaé malgré la complexité d'âme que j'ai souhaité lui accorder. Je suis rassurée, par rapport à la discussion, que je trouve parfois sans saveur... J'ai très peur, au fil des dialogues, d'ennuyer le lecteur.
Haha, le chapeau melon <3 Oui, ça peut correspondre à l'idée que je voulais transmettre, je pense. C'est que Dominos commence à se faire vieux dans ma tête et que pour l'heure, ce sont des bambins ailés qui la hantent "plumeusement". Tes messages me rappellent des ribambelles de souvenirs toutefois, et ta douceur, et ta bienveillance... elles me font juste fondre de reconnaissance <3

Des mercis en salade et une confiture de bonheur <3
Pluma.
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