Rien de nouveau sous le nuage de pollution

48. Rien de nouveau sous le nuage de pollution
(By Kiwi)

J’ai eu droit à une série d’interrogatoires à cause de l’histoire de la boucle d’oreille micro, mais je n’ai rien dit et ils ont fini par laisser tomber. J’étais déjà démembré et alimenté contre ma volonté, ils n’avaient pas tellement de moyen de pression contre moi.

J’ai donc été renvoyé dans ma cellule ou j’ai végété pendant des siècles. Qu’est-ce que je peux raconter maintenant ? A travers sa boucle d’oreille, Champignon m’avait donné un peu de vie. Maintenant que j’étais réellement seul... J’espère au moins qu’eux ils étaient plus heureux comme ça, sans que je leur plombe l’ambiance. Qu’ils avaient arrêté de se prendre la tête. Que Chibs s’était pas trop méchamment fait engueuler.

Du temps a passé et je me suis frappé la tête dans le mur suffisament de fois pour être envoyé à l’infirmerie. C’était chouette, je voyais un peu de gens, on me parlait. J’ai pas été mis à côté de la fenêtre, c’est dommage, j’aurais bien aimé voir un bout du nuage de pollution.

Quand on m’a ramené dans ma cellule, j’avais un nouveau but : retourner à l’infirmerie au plus vite. Voir par cette putain de fenêtre. Ils avaient capitonné les murs mais c’était pas grave, je trouverai bien un autre moyen, j’avais la vie devant moi.

La porte de ma cellule s’est ouverte à un moment où je m’y attendais pas. Pas que ça ait de l’importance, j’étais en train de fixer le plafond comme je fais toute la journée. Belasco et un autre avaient amené un fauteuil roulant, et ils m’ont mis dedans. Tiens, c’était pas comme d’habitude ça. Où est-ce qu’on allait ? J’ai essayé de poser la question mais c’est un genre de gargouillis informe qui est sorti à la place de ma voix, ça faisait longtemps que j’avais pas parlé. Belasco m’a donné une claque derrière la tête :

- Commence pas à faire le malin.

Je n’ai rien répliqué, trop content de voir autre chose que mes quatre murs. On a pris l’ascenseur, longé des couloirs, passé plusieurs grilles de sécurité, et puis on a traversé une cour. L’air de l’extérieur m’a claqué sur le visage, il faisait hyper froid. Il y avait du monde dans la cour, d’autres prisonniers. Certains venaient me tourner autour, mais ils se faisaient dégager par Belasco et son collègue. J’avais envie de leur parler, de... de les appeler au secours, mais pourquoi déjà ? J’étais super heureux ! J’avais pas vu le ciel depuis tellement longtemps ! La dernière fois c’était en novembre, pour me rendre à mon procès. Mes yeux avaient perdu l’habitude de voir au-delà de quelques mètres, je dévorais tout. C’était trop beau. J’essayais de prendre un max d’images pour quand je retournerai dans mon petit carré d’enfer. Même le froid qui me faisait claquer des dents, je l’adorais. Deux secondes à l’air libre et j’avais déjà plus envie de mourir.

On est entrés dans une autre aile de la prison, mais c’était pas grave parce que s’ils voulaient me ramener dans ma cellule, il faudrait qu’on retraverse cette cour magique, j’étais presque impatient. En attendant on m’a conduit à un parloir. Quoi j’avais une visite ? J’ai pourtant donné aucun nom pour la liste des personnes que j’autorisais. Mes proches sont soit en prison, soit en cavale, soit trop déçus par mon comportement. Pourtant Belasco m’a poussé devant une table, et il s’est reculé dans un angle de la pièce sans me quitter des yeux. En face de moi, il y avait une femme au chignon serré. C’était Farida Coelho, mon avocate. J’avais un peu eu affaire à elle avant mon procès, mais qu’est-ce qu’elle me voulait maintenant que tout ça était fini ?

- Bonjour Liam, m’a-t-elle fait.

J’ai dû couiner et tousser un bon moment avant de lui croasser un bonjour potable. Comme je n’avais pas de bras pour tenir le téléphone, on avait été dispensés du parloir à vitre. A la place, Belasco veillait.

- Vous devez vous demander pourquoi je suis là.

- Un peu.

- J’ai une bonne nouvelle.

- Ah.

Ne t’emballe pas ne t’emballe pas ne t’emballe pas ne t’emballe pas

- Votre clone a été retrouvé et rapatrié. Vous êtes en droit de faire la demande pour récupérer vos membres.

- P... pardon ?

Elle a répété patiemment comme si je n’avais pas compris. J’aurais aimé ne pas avoir compris.

- Comment vous l’avez retrouvé ? ai-je bredouillé.

Tout sourire, elle m’a appris que Chibs s’était pointé à l’accueil de Santorga Cergy, demandant à être réendormi. J’étais complètement tétanisé. Qu’est-ce qu’ils avaient foutu ? Qu’est-ce qui s’est passé Grenade ? Est-ce que vous avez décidé de passer à la vitesse supérieure sans mon accord, en pensant que j’allais m’aligner devant le fait accompli ? Est-ce que vous avez tellement engueulé Chibs à cause de la boucle d’oreille qu’il avait décidé d’aller purger sa peine dans une capsule de Santorga ? C’est... c’est pas possible putain.

Les larmes me sont montées aux yeux. Mon clone de retour dans l’amniofluide. Kartrouville Ex avait échoué sur toute la ligne. Tout ce que j’avais entrepris depuis dix ans n’avait servi à rien. Les clones retournaient dans leurs capsules de leur plein gré, donnaient leur membres de leur plein gré, parce que même eux, ils ne pensaient pas valoir autant qu’un humain. Est-ce que Champi, Grenade et FdB se rendaient compte du message qu’ils envoyaient au monde, en demandant à Chibi de se rendre ? Tout ça pour quoi, pour faire évader le leader en kit, le leader idiot qui avale tous les mensonges avec le sourire.

Chibs doit être libre. Tous les clones doivent l’être. Moi, j’y crois. Encore plus maintenant que je connais la prison. Mon clone n’a commis aucun crime. Il ne doit pas sacrifier sa liberté pour la mienne.

Maitre Coelho continuait à parler, me dire que légalement il était impossible qu’on me refuse la greffe étant donné que Santorga s’était engagé à permettre aux souches de faire à nouveau appel au corps de leur clone, et ce même s’ils avaient touché les indemnités dues au vol. Je voulais lui couper la parole, lui dire d’aller se faire voir, mais j’arrivais plus à parler comme avant, il me fallait du temps. Finalement, l’avocate a fini par s’interrompre toute seule :

- Est-ce que ça va ? Vous n’avez pas l’air de vous réjouir.

- Non ! ai-je enfin pu lâcher. Je veux pas de cette greffe !

- Mais... vous pourriez récupérer vos membres.

- Je refuse.

J’aurais voulu avoir mes jambes pour pouvoir me mettre debout. Au lieu de ça je me suis penché en avant en essayant de ne pas perdre l’équilibre.

- Mon clone a rien à voir là-dedans. Je refuse qu’on l’ampute. Vous êtes avocate, c’est lui que vous devez sortir de là, il est innocent !

- Vous auriez vos membres... a répété Coelho, surprise.

Merde, est-ce qu’elle était pro-clonage ? Ça expliquerait que j’ai pris perpète. Elle avait pourtant axé ma défense sur notre éthique, sur l’immoralité de Santorga et du clonage humain. Je pensais qu’elle y croyait. Mais bon, hein, je crois tout ce qu’on me dit, je fais confiance à n’importe qui, je devrais finir par l’apprendre.

- Qu’est-ce que vous pensez du clonage humain ? lui ai-je demandé.

Elle a hésité un peu :

- A titre personnel, je n’approuve pas.

- Alors pourquoi vous venez me parler de me greffer mon clone qui a déjà 11 ans ?

Elle a hésité encore, puis elle a fait une grimace dégoutée. Peut-être que c’était une grimace de compassion (si ça existe) mais elle était vraiment pleine de dégout.

- Vous ne pouvez pas rester comme ça, enfin.

Ça m’a mis en colère. J’ai élevé la voix.

- Si vous trouvez ça si dégueu, faites en sorte qu’on me rende mes prothèses ! Elles fonctionnent bien, elles sont pratiques, c’est pas la peine de mutiler quelqu’un pour me les rendre !

- Baisse le ton, a grogné Belasco depuis son poste.

Coelho a rassemblé sa paperasse avec l’air soudain mal à l’aise :

- Vous savez aussi bien que moi pourquoi vos prothèses ne vous ont pas été rendues.

Elle m’avait dit ça d’une voix pincée, comme si elle avait pris ce que j’avais fait comme un affront personnel. J’ai été à deux doigts de lui dire que si elle voulait que je reste dans ma cellule sans faire de bêtises, c’est de la greffe qu’elle devrait se méfier, pas de mes prothèses, parce que Kartrouville Ex comptait se servir de mon clone et de la transplantation pour me faire évader. Ça aurait été radical pour qu’ils me foutent la paix avec cette histoire. Mais ça aurait mis Chibi dans la merde, je pouvais pas révéler qu’il était associé à KEx tant que j’ignorais quelles infos ils avaient.

- Ecoutez, Liam, a dit mon avocate qui commençait à être agacée. Je suis venue vers vous avec une solution qui pourrait améliorer grandement vos conditions de vie dans votre cellule. Nous devrions en discuter sans que vous vous braquiez. Nous sommes dans le même camp.

Elle m’a fait rire.

- Si vous voulez améliorer mes conditions de vie, il y a plein de choses plus importantes que mes membres. Vous pourriez faire passer une inspection qui vérifie que je subisse pas des trucs contraires aux droits de l’homme. Pas vrai Belasco ?

- Ta gueule.

- Que j’aie des bras ou non ça changera pas ça.

Maitre Coelho s’est crispée. J’ai repris plus doucement, en essayant de lui montrer du respect :

- Mon clone, par contre, vous pouvez le sauver. Obtenez qu’il soit libéré, que mes parents le récupèrent. Je sais que c’est pas autorisé tant que je suis en vie, mais je suis certain que vous pouvez obtenir une dérogation. Je suis ici pour perpète, c’est comme si j’étais mort. Et mon clone a déjà une conscience. Aidez-le lui ! C’est un gars super... il est vraiment différent de moi... et il a commis aucun crime. Il ne mérite pas d’être privé de sa vie. Je suis sûr que mes parents voudraient le connaitre. Demandez leur ! S’il vous plait, dites leur que c’est ce que je veux. Ils continueront à vous payer.

- Monsieur Raleigh, m’a-t-elle répliqué sèchement. Je défends des personnes, pas des idées. Votre clone appartient à Santorga, je suis venu vous exposer les avantages que je peux vous obtenir de cette situation. Mais si vous y mettez de la mauvaise volonté, je ne vais rien pouvoir faire pour vous.

Je ne sais pas pourquoi, à ce moment j’ai pensé à une autre avocate que je connaissais. Qui était en taule aussi, pour cinq ans d’après ce que m’avait dit Grenade. Avocat méritait bien plus son nom que la pétasse diplomée que j’avais en face de moi. Elle adorait Chibs. J'ai dit à Coelho :

- Si ça vous pose aucun problème qu’on foute un clone de 11 ans dans une cuve d’amniofluide et qu’on l’ampute, vous pouvez effectivement rien faire pour moi. Allez Belasco, on se casse. J’accepterai jamais qu’on me greffe mon clone.

Grenade, Champignon, il va falloir que vous trouviez autre chose. Je marche pas dans ce genre de combines. Tant que FdB bosse chez Santorga Chibs peut être sauvé. Perdez pas de temps et sortez le de là. Vous l’avez foutu dans la capsule pour rien bande de tarés, vous avez cru que je suis du genre à céder sous la pression, les menaces, le chantage ? Hahaha, c’est bien, vous m’avez déjà un peu oublié.